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Vanquish
Année : 2010
Système : Playstation 3, Xbox 360
Développeur : Platinum Games
Éditeur : Sega
Genre : Action
Par Shenron & Thezis (29 juin 2011)

En octobre 2010, Sega lance Vanquish, le quatrième titre du studio Platinum Games, composé essentiellement des ex-membres de Clover. Après les échecs et semi-échecs commerciaux de ses trois titres précédents (MadWorld, Infinite Space et Bayonetta), la pression est lourde sur les épaules du jeune studio. À raison malheureusement. Avec moins d'un million de copies vendues à travers le monde, Vanquish fait encore moins bien que ses prédécesseurs, malgré une presse dithyrambique qui loue la force de son gameplay et le spectaculaire du spectacle gigantesque qu'il propose. La malédiction Clover a encore frappé...

Thezis : Avez-vous déjà ressenti un coup de foudre pour une personne qui vous semble à priori repoussante ? Non ? Moi non plus. Et encore moins avec un jeu. Je suppose que les jeux que vous avez le plus aimés, votre top 10 personnel, sont des surprises qui vous ont tout de suite plu, des titres longtemps attendus ou des classiques auxquels vous avez joué longtemps après leur sortie. C'est mon cas. Mais pas avec Vanquish. J'ai téléchargé la démo, rendu curieux par une presse laudative, et celle-ci m'a repoussé par sa maniabilité complexe, la vitesse effrayante du titre et son design bof-bof. Sans compter que la réputation hardcore que s'était construite Clover/Platinum Games ne me correspondait pas du tout. Mais trouver le titre à 18€, cela ne peut être qu'un signe. Sans compter la force d'attraction que possède toujours Sega pour un ancien possesseur de la Master System et de la Mega Drive. Et là, le coup de foudre. Total. Absolu. Un jeu qui rend immédiatement ternes tous les autres titres du même genre, qui vous plonge dans son rythme, qui vous fait recommencer encore et encore les mêmes passages malgré la colère ou la frustration, un jeu qui... ah oui, l'article.

Shenron : Personnellement, j'ai été emballée dès la première démo, qui propose d'affronter un Argus (un gigantesque robot). Un peu déboussolée au début (on ne sort pas indemne de Gears of War et Lost Planet), j'ai quand même vite pris mes marques. Comme Thezis, j'ai recommencé plusieurs fois cette démo, pour trouver de meilleures approches, réussir à ne pas mourir du tout, combattre avec plus de classe,... L'essai d'autres stages au TGS m'ont convaincue encore davantage. Et puis c'est un jeu Sega/Platinum Games, donc... Préco direct !

Clover et Platinum Games : Du concentré de génie (maudit) en studios

Hideki Kamiya, Atsushi Inaba et Shinji Mikami. À noter qu'Inaba renvoie vers ses deux collègues par pure modestie, il n'indique absolument pas le taille de quoi que ce soit.

En 2003, face à des ventes décevantes, Capcom restructure de manière radicale ses studios, en ferme un grand nombre et crée, notamment, le studio Clover en juillet 2004. Celui-ci rassemble la majeure partie des membres du Capcom Production Studio 4, responsable de hits monstrueux : Resident Evil 4, Viewtiful Joe, Devil May Cry, Dino Crisis,... Parmi ses membres, citons Shinji Mikami, Atsushi Inaba et Hideki Kamiya, trois des plus grandes stars de Capcom. Avec un tel bagage, de tels succès commerciaux et critiques, le studio Clover a arraché aux pontes de Capcom une liberté créative conséquente et se lance dans des jeux aussi ambitieux qu'originaux. En moins de trois années d'existence, Clover va produire une série de titres marquants mais tous touchés par la même malédiction : une presse à genoux et des fans transis qui doivent constater des ventes systématiquement très faibles. Pourtant, aujourd'hui Okami, Viewtiful Joe et God Hand sont considérés comme des grands jeux, voire un classique pour Okami.

Face à ces échecs commerciaux et au départ progressif des principaux membres de Clover, Capcom ferme définitivement le studio en février 2007. Quelques mois auparavant, plusieurs anciens ont fondé Seeds, studio dont la traduction française indique bien les intentions : Graines. Très vite, ils sont rejoints par la plupart des anciens de Clover et commencent à réfléchir à plusieurs projets. En octobre 2007, Seeds fusionne avec ODD, un autre studio, et change de nom pour devenir Platinum Games. Peu de temps après, Sega signe un contrat avec Platinum Games portant sur quatre puis cinq titres. Finalement, qui mieux que Sega peut accueillir un tel studio, aussi énergique que constant dans l'absence de succès ? Comme le disait Frédérick Raynal, Sega a la culture du développeur, au point de travailler avec un studio qui collectionne avec le même enthousiasme les récompenses critiques systématiques, les éloges hystériques de ses fans et les bides commerciaux.

Bayonetta et Mad World : une certaine constance thématique.

En un peu plus de deux années, Platinum Games déploie une production pléthorique et, phénomène rarissime dans l'histoire vidéoludique, uniquement composée de titres exceptionnels, ou au moins excellents : MadWorld, Infinite Space, Bayonetta (tous les trois en 2009) et Vanquish (2010). C'est parti pour ce dernier !

Shenron : Jusqu'à présent, le studio s'est évertué à revisiter plusieurs styles différents : le beat'em all old school pour Madworld, le RPG pour Infinite Space, le beat'em all “moderne” pour Bayonetta et enfin le TPS pour Vanquish. Si Platinum Games n'entend pas révolutionner le monde du jeu vidéo, on sent leur volonté d'extraire le meilleur des genres qu'ils abordent.

Les notes de production sur le blog du studio sont à ce sujet très intéressantes. Elles se penchent sur le gameplay, sur la technique, mais aussi sur leur interaction. Car si le gameplay est au centre de l'attention, la technique n'est pas pour autant mise de côté : Madworld exploite parfaitement les capacités de la Wii tandis que Bayonetta et Vanquish sont parmi ce qui se fait de mieux sur consoles HD.

A propos du pitch

Le Bon, la Brute,...

[On nous signale la présence de spoilers dans cette partie mais franchement, c'est pas bien grave pour un titre comme Vanquish] San Francisco, année inconnue. Les habitants de la cité vaquent à leurs occupations, quand soudain un éclair venu du ciel frappe la ville. Toutes les personnes se trouvant dans son (large) rayon d'action sont désintégrées dans le meilleur des cas ou se mettent à gonfler et exploser (comme un hamster dans un four à micro-ondes) dans le pire. L'attaque est revendiquée par Zaitsev, un terroriste soviétique qui s'est emparé d'une station orbitale ultra-sophistiquée. Il réclame la reddition immédiate du pays ou bien il fera de même sur les autres villes des USA. La présidente des USA envoie donc sur la station spatiale la Team Alpha, des durs à cuire emmenés par le Lieutenant-Colonel Robert Burns, et soutenus par Sam Gideon, un ancien footballeur qui travaille maintenant pour la DARPA, une agence d'Etat secrète, et qui possède une armure qui décuple ses capacités physiques.

Thezis : Encore un scénario original... Je reconnais ne pas du tout y avoir prêté attention dans un premier temps, assez atterré par l'enfilade de lieux communs et de dialogues un peu plats des premières minutes. Mais ça, c'est avant l'entrée en scène de Robert Burns (qui porte bien son nom car il est très b... orné). Sa relation avec Sam Gideon est tellement caricaturale, tellement incessante dans le concours de la plus grande qu'elle ne cesse de déclencher des fou-rires.

Shenron : Caricaturale, tu l'as dit... J'adore ce passage où, juste après avoir criblé Burns de balles, Sam se jette à son chevet, alors que Burns décide soudain de le couvrir dans sa fuite... Les personnages sont en effet très caricaturaux, y compris Sam, archétype du héros classe mais je-m'en-foutiste.

...la Potiche, la Présidente, le Savant et le Truand. À moins que... ?

On découvre que le professeur Candide, qui a conçu l'armure de Sam, a dû collaborer avec Zaitsev, que Burns est un ancien amant de la présidente des USA et que tout ce petit monde est de mèche avec Zaitsev : en soutenant la prise de pouvoir de Zaitsev, puis en le dénonçant comme le Bad Guy de service, les USA justifiaient une guerre qui doit relancer une économie moribonde.

Thezis : C'est d'ailleurs sans doute le point le plus intéressant du scénario, ce retournement de tous les personnages. Enfin, intéressant peut-être pas, mais amusant. Me concernant, je n'arrive pas à lier l'histoire du jeu à son gameplay. J'ai l'impression que ce gameplay fou résume tout le propos de Vanquish et que le reste n'est qu'un voile pudique sur ce furieux déchaînement.

Shenron : En fait le scénario n'est vraiment développé qu'à la fin du jeu, lorsque les révélations s'enchaînent, donc effectivement il est raisonnable de penser qu'il n'a pas été beaucoup réfléchi, et qu'il ne s'agit que d'un prétexte.

Thezis : C'est dommage, tout comme l'écriture des cut-scenes. Celles-ci interviennent souvent juste après un petit déplacement dans un couloir et avant un chargement par exemple. Outre qu'elles sont fréquemment un peu plates, à l'exception de deux-trois extraordinairement spectaculaires, j'ai vraiment l'impression qu'elles coupent inutilement le jeu et cassent un peu son rythme.

L'analyse scénaristique

Sam Gideon, une certain idée de la coolitude.

[On nous signale la présence de spoilers dans... ah ok, vous savez déjà]

On retrouve dans Vanquish pas mal de clichés, mais qui sont détournés : le fait que le grand méchant soit Russe (ou assimilé) par exemple a fait fleurir beaucoup de critiques que le Net, et je trouve assez amusant que les mêmes joueurs qui critiquent ce choix ne voient pas d'objection à tuer des arabes sans interruption depuis 2001. Il y a 25 ans, l'Ennemi était le communiste. Non pas qu'il eut représenté la seule menace d'alors, mais il était emblématique, et facilement identifiable (il roulait les "R"). Zaitsev est un méchant de série B, et alors ? Est-ce que les caricatures de taliban qu'on nous sert dans d'autres jeux sont plus subtiles ? N'aurons-nous pas envie d'en rire dans 25 ans, comme nous nous moquons aujourd'hui d'Ivan Drago, de Rocky 4 ? C'est ce que dit aussi l'un des scénaristes, Jean-Pierre Kellams, qui voulait que l'ennemi soit Russe par nostalgie du manichéisme à la GI Joe. Le scénario est tellement énorme qu'il souhaitait justement en rire avec notamment des dialogues excessifs.

Surtout qu'on ne peut pas dire que les « héros » aient le beau rôle : la présidente des USA provoque une guerre pour des raisons purement économiques, nous renvoyant à certaines hypothèses concernant la 2ème Guerre du Golfe – hypothèses confirmées par les déclarations de Donald Trump, un temps candidat à la candidature républicaine en 2012, qui ne voit pas l'intérêt pour les USA d'intervenir en Libye si ce n'est pas pour prendre le pétrole. Quant à Burns, figure archétypale du leader militaire héroïque et paternaliste, il n'hésite pourtant pas à sacrifier ses hommes pour la cause (quelle cause ?), estimant que c'est pour ça qu'ils se sont engagés, et ne vaut pas mieux que son ex-amante. Sans oublier que Zaitsev, mis au pouvoir par les USA, finit par devenir leur ennemi, les attaquant sur leur propre sol... Refrain connu ?

Thezis : Justement, pourquoi placer un propos pareil, assez bien vu et rare dans un média aussi idéologiquement orienté que le jeu vidéo, sans le relier d'une manière ou d'une autre au gameplay ? Par exemple, Metal Gear Solid ou Beyond Good & Evil proposent une interactivité basée sur la non-violence et l'infiltration, de manière à encourager le joueur à "vivre" les idées de chaque titre.

Shenron : Comme nous l'avons abordé plus haut, le scénario n'est qu'un prétexte. Je pense que les développeurs se sont dit que quitte à balancer une histoire, autant qu'elle soit un minimum intelligente, sans pour autant réfléchir à son intégration dans le gameplay. D'autant plus que Sam n'est absolument pas au courant de la teneur politique de l'intrigue, il combat pour sauver son ami Candide, et pour sa propre survie. Qu'il ne s'inquiète pas trop de la portée philosophique de ses actions ne me choque pas outre mesure.

De plus, si on affronte des robots durant les 9/10 du jeu, dans le dernier acte, ce sont des marines que l'on doit abattre. Ceux-là même qui nous ont aidés durant les heures de jeu précédentes, et que Sam a essayé de sauver, se retournent contre nous. Et ça fait un peu bizarre de voir du sang jaillir à la place des éclairs, même si finalement ils ne sont pas si différents des machines rencontrées précédemment.

Au milieu de tout ça, le vrai héros, Sam Gideon, semble bien détaché. Il n'éprouve que peu d'intérêt pour sa mission, visiblement plus motivé pour tester les capacités de son armure. S'il se bat, c'est surtout pour sauver le professeur Candide.

Thezis : Encore un aspect générique du jeu ce Sam Gideon. Il ressemble au héros de Dead Rising ou à n'importe quel héros "américain" depuis la génération Xbox360-PS3 (Shenron : ah non, il a des cheveux !). Et puis, "ancien footballeur", franchement... Comme écrit plus haut, Vanquish montre vraiment peu de choses attirantes pour un premier regard. Sinon, Mikami est revenu dans plusieurs interviews sur la qualité du travail réalisé par le doubleur anglais Gideon Emery. De là à penser que le nom du personnage principal de Vanquish soit un hommage...

A propos de Candide

[On nous signale blablabla. Entre nous, cette histoire de spoilers, ce n'est pas un peu excessif, non ?] On peut s'étonner, dans un jeu qui ne cache pas son côté série B (de luxe) de trouver des références à Voltaire, par le biais du personnage du professeur Candide, et des statues de Pangloss disséminées dans la colonie. La référence est assez explicite : dans l'œuvre de Voltaire, Candide est l'élève de Pangloss. Pour ce dernier, nous vivons dans le meilleur des mondes possibles, et les malheurs individuels sont nécessaires à un bien collectif. Or, Voltaire "veut faire adopter sa philosophie en montrant qu'on peut améliorer la vie des hommes malgré le mal étant sur Terre et que celui-ci n'a été généré que par les hommes" [voir Wikipedia].

Difficile de ne pas faire le rapprochement avec le scénario du jeu, et l'écho de celui-ci à l'actualité politique. Cependant le jeu contient une contradiction dans son discours, au plan de ses succès/trophées : l'un deux demande de détruire toutes les petites statues de Pangloss présentes dans la colonie, l'autre, nommé "Le Meilleur des Mondes", d'en protéger une géante. Le premier est long et fastidieux, le second assez facile. Cela pourrait-il signifier qu'il est plus aisé de se laisser aller au fatalisme que de faire l'effort d'essayer d'améliorer le monde qui nous entoure ? Et le fait de traverser un jardin dans le jeu renvoie-t-il à la célèbre citation de Candide : "Il faut cultiver notre jardin" ?

Pangloss expliquant à Candide, pris dans les ruines du terrible tremblement de terre de Lisbonne de 1755, que "le malheur n'est que l'apparence d'une cause qui est bonne".

Thezis : Bien vu, j'étais complètement passé à côté de cette référence. Pourtant, j'ai lu Candide il y a quelques années. Ce qui est intéressant dans le livre de Voltaire, c'est que celui-ci critique directement la théorie de Leibniz selon laquelle nous vivrions dans le meilleur des mondes. Selon le philosophe allemand, nous pensons souffrir et nous ne comprenons pas pourquoi des événements négatifs se produisent parce que nous n'avons pas de vision globale de la réalité. Tandis que Dieu, oui. Et comme celui-ci est bon, il a créé le meilleur des mondes possibles, qui va toujours vers un bien général. Si des malheurs existent dans ce monde-ci, ce serait pire dans un autre monde. Pour la description du succès que tu fais, cela correspond parfaitement au livre : Pangloss ne souhaite pas un monde meilleur mais au contraire justifie son injustice sans s'en rendre compte. Comme le jeu finalement, dans lequel le héros court à toute vitesse défendre son pays alors que...

Shenron : La référence me paraît, au contraire, assez explicite - cependant je n'ai pas lu Candide. L'idée du mal nécessaire est incarnée par le complot de la Présidente des USA, qui provoque une guerre pour des motifs économiques, en sachant parfaitement le coût que cela représente en matière de vies humaines, car elle est persuadée que la relance économique qui en découlera profitera au plus grand nombre.

N'exagérons pas. Après tout, dans Vanquish, le but est avant tout de buter des robots tout en ayant l'air cool en toutes circonstances. Mikami confirme à quel point le jeu ne se prend pas au sérieux avec la présence de petits “easter eggs” dans le jeu : L'équipe a décidé d'un peu se moquer de moi en cachant dans le jeu des scarabées-rhinocéros sans m'en avertir le moins du monde. Ces insectes, situés près d'un arbre dans l'acte 4-1, font sans doute référence à un passage similaire de Resident Evil 4.

Les références

Vidéoludiques tout d'abord. Gears of War : facile, le titre a démocratisé le genre du cover-shooter (Thezis : Hé, ho, non quoi, démocratisé ok mais quel voleur !), et Vanquish lui emprunte beaucoup :

  • un bouton pour faire des roulades,
  • un même bouton pour se mettre à couvert et pour en sortir,
  • l'usage de la croix directionnelle pour switcher entre ses 3 armes et ses grenades,
  • la possibilité de ranimer ses coéquipiers,
  • le fait de pouvoir tirer au jugé ou bien d'épauler pour mieux viser.

Dans l'esthétique également : difficile de ne pas faire le rapprochement entre le personnage de Burns et Marcus Fenix, tant leur carrure et leur équipement sont similaires. De plus, le nom de l'escouade qui escorte le joueur (Team Alpha) fait forcément penser à celle de Gears of War...

Thezis : Sauf qu'ici ils sont présentés comme des gros boeufs. Ce que sont d'ailleurs les personnages de Gears of War, mais pas de polémique avec les boeufs... heu les fans de ce titre. On peut voir deux choses dans la mise en scène de cette influence : le fait que depuis plusieurs années les jeux japonais sont en perte de vitesse et donc que les développeurs nippons courent après leurs homologues occidentaux, de manière caricaturale pour Vanquish. Ou alors au contraire que Platinum Games a parfaitement compris l'essence des jeux occidentaux, par exemple Gears of War et les derniers Call of Duty très représentatifs de l'esthétique militariste et de l'idéologie agressive qui a envahi nos plateformes, et s'en moque ouvertement. D'ailleurs, en réalisant des recherches sur le jeu, j'ai pu constater que la question du jeu japonais cherchant à copier les jeux occidentaux, ou en tout cas s'en inspirer, aura été plusieurs fois évoquée par les journalistes et les joueurs. Voire par les membres de l'équipe de développement qui sur le blog de Platinum Games parlent souvent de leur inexpérience dans un genre très occidental.

Shenron : Je vote pour la deuxième hypothèse. Le bras cybernétique de Burns qui devient exagérément imposant à la fin du jeu, son comportement impitoyable envers ses hommes, et l'aspect générique des bidasses qui accompagnent Sam en tant que chair à canon me font pencher vers cette hypothèse. D'ailleurs, les soldats sont réduits à de simples distributeurs de munitions, puisqu'ils n'ont aucun impact sur les batailles. Je trouve ça un peu cynique. (Et c'est très bien Gears of War)

Thezis : En même temps, ces morts sont comptabilisés pour chaque stage et l'accumulation fait mal : dans ma partie en hard, j'en suis à près de 600, un véritable génocide !

Le jeu fait aussi référence à tous les TPS qui proposent des phases de shooting à la noix : au début de l'acte 3-2, l'équipe se retrouve à bord d'un hélicoptère de l'armée et se fait attaquer par d'autres engins. Normalement, c'est le moment où le joueur se dit « ah non, je vais me taper une phase de railshooting morne et sans intérêt, à 10 000 lieues de ce que proposait Panzer Dragoon ». A ce même moment, Burns sort une réplique du genre : "Allez, on se pose, on ne va quand même pas se battre là-dedans !". Pan, dans tes dents.

Plus discret, un des succès s'appelle “Fisher is an another Sam” qui récompense la réussite d'une mission d'infiltration. Autre référence amusante : le boss du chapitre 4-4 s'appelle Crystal Viper et ressemble furieusement au Surfer d'Argent voire au docteur Manhattan ainsi qu'au Terminator lorsqu'il est progressivement détruit. Sam s'en moque en achevant l'introduction de ce personnage étonnamment faible par un “on dirait un mauvais jeu vidéo” bien senti.

Thezis : Tant qu'on parle des succès, un mot sur ceux-ci. Ce sont parmi les plus intelligents qu'il m'ait été donné de voir avec ceux de Fable II. A l'exception de la recherche des 112 statuettes de Pangloss, ils sont parfaitement intégrés au jeu, ne demandent jamais d'action artificielle ou fondée sur la durée de la pratique mais poussent au contraire à découvrir le jeu, son gameplay et ses spécificités.

Shenron : Et je crois que c'est juste un délire de ma part, mais Burns me rappelle énormément Drachma, de Skies of Arcadia.

Le jeu empunte une réplique au film "Starship Troopers", de Paul Verhoeven. Il s'agit de la phrase que prononce le Lt. Jean Rasczak, incarné par Michael Ironside, à ses marines avant un assaut, phrase qui est reprise à l'identique par le personnage de Johnny Rico à la fin du film : "Do you wanna live forever ?", littéralement "Voulez vous vivre pour l'éternité ?". Cette citation, dans le contexte du film, est à double sens : le premier est bien sûr qu'en se battant pour leur patrie les soldats écrivent l'histoire, et leur nom, ou du moins leur esprit, passera à la postérité. Le deuxième est plus cynique, les ¾ des soldats se faisant tuer dans les batailles qui suivent, rapidement et dans d'atroces souffrances. Cette citation peut donc être comprise dans le sens "Vous venez ou quoi ? Vous pensez vivre pour l'éternité ?". Il est d'autant plus facile de faire le rapprochement avec cette réplique que l'attirail des marines de Vanquish est très proche de ceux de Starship Troopers, et qu'ils font également figure de chair à canon.

Macross, bien sûr, pour l'explosion de missiles lancés par les Argus ainsi que Gundam, explicitement cité par Naoki Katakai, le directeur artistique du jeu, à propos de la colonie spatiale.

Et saviez-vous que la DARPA existe réellement ?

Quelques mots de Mikami sur le gameplay

Derrière tout cet univers, il y a un directeur, un concepteur de titres-phares dont le seul nom met en émoi l'amateur de jeu vidéo : Shinji Mikami. Revenons avec lui, à l'aide du blog de Platinum Games mais aussi d'interviews et d'interventions de ses collaborateurs, sur son rapport à Vanquish, sur le cheminement qui l'a amené à ce jeu et la manière dont il a dirigé sa création.

Shinji Mikami est à la tête du Capcom Production Studio 4, de sa fondation en 1999 jusqu'à sa clôture en 2003, puis prend les rênes de Clover. Sentant le vent tourner ou poussé par une volonté d'indépendance plus concrète (si Clover est extérieur à Capcom, celui-ci en détient cependant 100% du capital), Mikami crée un studio indépendant. Nommé Straight Story, en hommage au film de David Lynch, il sera dissout au profit de Tango Gameworks en 2010, après la finalisation de Vanquish. Continuant à travailler pour Clover, il finalise God Hand en 2006. Délirant, exigeant, innovant et traversé de défauts flamboyants, le jeu rejoint la liste des autres échecs publics du studio. Mikami quitte alors Clover et Capcom pour rejoindre ses camarades au sein de Seeds.

Le héros de Casshern dans sa version années 70.
Le même dans Tatsunoko VS Capcom (Capcom, 2008).

Néanmoins, sans contrat direct avec Seeds/Platinum Games et sans équipe au sein de Straight Story, Mikami passe une année et demi sans projet : J'ai passé ce temps à regarder par la fenêtre. Vanquish sera mon premier jeu après avoir été si éloigné de la création. Sorti de cet état vaporeux, Mikami va une nouvelle fois s'inspirer de l'anime Casshern, une référence qui irriguait déjà l'esthétique, l'énergie et le gameplay de Viewtiful Joe. Kyashan/Casshern est une série japonaise de 35 épisodes diffusés entre 1973 et 1974 qui donnera naissance par la suite à plusieurs dessins animés, un film live (Kazuaki Kiriya, 2004) et une nouvelle série télévisée en 2008-2009. Dans une première étape, je voulais vraiment réaliser un jeu semblable à Casshern, dans lequel vous affrontez vos adversaires avec vos poings et vos pieds. Mais cela aurait été un jeu de combat, ce que j'avais déjà fait avec God Hand. La solution tient dans le remplacement des poings par des fusils, le jeu de tir étant d'ailleurs selon Mikami plus accessible car il requiert moins de timing que les jeux de combat. Mais je voulais vraiment conserver la sensation de vitesse, c'est pourquoi j'ai introduit le sliding boost.

Malgré ce changement d'orientation, les références à Casshern sont innombrables dans Vanquish tel qu'il a été finalement distribué, aussi bien en ce qui concerne l'univers (robotique et apocalyptique), les combats (très déséquilibrés en faveur des adversaires et explosifs), les phases de mêlée (ultra-énergiques) que le design des personnages (aussi bien Sam Gideon que ses adversaires). D'ailleurs, si on lit les notes de production, on apprend qu'un des concepts initiaux de Vanquish plaçait un chien robot aux côtés de Sam, exactement comme dans le Casshern original. C'est ce qu'explique Yoshifumi Hattori, qui a travaillé sur la conception des personnages de Vanquish : Nous avions au départ conçu un chien et conservé celui-ci pendant toute la pré-production. Il devait soutenir Sam de différentes manières, notamment en se combinant avec l'armure de Sam pour rendre celle-ci plus résistante. En fait, nous avions conçu l'armure de Sam de manière à pouvoir ajouter de nombreuses pièces différentes. Et comme nous avions tout le temps de nouvelles idées d'ajouts, le design de l'armure ne cessait de changer. Au départ, celle-ci devait pouvoir se transformer en différentes formes. Puis, une autre idée est apparue d'une alliée android femme qui se transformerait et pourrait se combiner avec Sam. J'adorais cette idée. Lorsque le joueur démarrait cette fusion/combinaison, les deux corps changeaient de forme de différentes manières pour finalement former une énorme arme à feu qui lançait l'android changée en boomerang sur le champ de bataille.

Trois dessins préparatoires de Makoto Tsuchibayashi.

La méthode de travail de Mikami et de ses associés est de lancer un maximum d'idées, de les essayer pour en apercevoir les possibilités et d'affiner progressivement le jeu. Vanquish a été développé selon cette approche par essais-erreurs, à la fois pour essayer de créer un titre original, objectif rempli grâce à un rythme jamais vu ailleurs, qu'en raison de l'inexpérience de l'équipe dans la fabrication d'un TPS. Plusieurs autres anecdotes reflètent ce développement long, sinueux mais réfléchi sous tous ses aspects dont témoigne le produit final, très léché. Par exemple, un point de détail crucial, la couleur des ennemis, a été longuement discutée. Nous avions au départ créé des environnements gris et des ennemis blancs, se rappelle Shinji Mikami. Quand vous y réfléchissez en pensant au réalisme, le camouflage existe pour rendre les choses difficile à voir et de ce point de vue notre choix était le bon. Mais pour un jeu, ce n'était clairement pas une bonne idée. J'aimais vraiment bien ces ennemis blancs et il m'a fallu un long moment pour accepter de les changer en rouge.

Plus fondamentalement, plonger dans le processus de fabrication de Vanquish montre à quel point la pré-production a été fertile et que le jeu aurait pu prendre de nombreuses autres formes.

Vanquish
, raconte Shinji Mikami, était au départ un jeu se déroulant sur un champ de bataille ouvert avec comme objectif de détruire les différentes positions ennemis. Mais une fois le développement entamé, nous avons rapidement abandonné cette idée pour une structure plus linéaire afin de rendre chaque stage plus dense visuellement. Autre différence de taille, il ne devait dans notre idée originale y avoir personne dans l'armure de Sam. A la place, il s'agissait d'un robot dirigé à distance par trois pilotes différents qui en auraient pris le contrôle à distance chacun à leur tour. Le robot aurait changé de forme selon le pilote, chaque pilote ayant sa spécialité : le tir, la mêlée, le vol, le sniper,... ce qui aurait rendu ce robot capable de se battre seul dans des situations différentes. Je pensais que nous pouvions réaliser quelque chose d'intéressant à partir de ces trois pilotes interagissant les uns avec les autres, à la manière de Kamen Rider Den-O (le dérivé de la série Kamen Rider pour la saison 2007-2008). Cette idée a rapidement disparu au début du projet mais je pense personnellement toujours qu'elle est intéressante.

Quand vous réalisez un jeu, conclut Mikami, il y a beaucoup d'idées comme celles évoquées qui sont rejetées. Mais elles s'accumulent et peuvent finir par trouver leur chemin de retour, comme dans une suite par exemple, de manière à ce que vous ne puissiez jamais dire qu'une idée est complètement dépassée.

Le gameplay, ou comment mettre un coup de pied au derrière du genre

On peut, dans une première approche, qualifier Vanquish de cover shooter : après tout, on tire sur des trucs et il y a un système de couverture, très similaire à celui de Gears of War : dès que Sam est à proximité d'un mur ou d'un obstacle qui peut faire office de protection, une aide contextuelle indiquant la possibilité de se coller à lui apparaît. Une fois à couvert, on peut se déplacer légèrement, ou passer par-dessus d'un geste preste et élégant. On peut aussi se griller une petite clope. Et c'est cette possibilité qui traduit l'orientation du gameplay souhaitée par les développeurs.

Car il est possible de jouer à Vanquish comme on joue à Gears of War, du moins dans les niveaux de difficulté les plus bas – jusqu'en Normal mettons - , c'est à dire naviguer de couvert en couvert, et ne tirer que lorsqu'on est à l'abri. On peut. C'est permis. Mais c'est passer à côté du jeu, car le système ne s'y prête pas vraiment.

Thezis : C'est aussi, pour revenir sur ce que tu dis et sur le titre de ce paragraphe, l'une des choses paradoxales dans Vanquish. C'est effectivement une grande originalité... manette en main. Parce que pour le reste, le joueur distrait ou pressé, Vanquish semble proposer des choses vues mille fois ailleurs, à l'exception d'un ou deux passages assez dantesques comme le combat sur une autoroute aérienne en train de s'écrouler.

Parce que, d'une part, Sam se met complètement à découvert lorsqu'il tire : là où les CGU restent accroupis en ne sortant que le haut du corps pour viser, Sam se lève carrément et est donc à la merci des tirs ennemis. De plus, il n'est pas possible de tirer en aveugle et la visée est un peu moins agréable que dans un Gears of War. Donc, si on joue comme ça, on s'ennuie ferme. Parce que ce n'est pas la bonne façon de jouer. Et c'est d'ailleurs, selon le responsable des effets visuels Takeo Kido, tout à fait voulu par Mikami qui avait déclaré à son équipe Nous n'allons pas laisser le joueur se cacher derrière une couverture aussi longtemps qu'il le souhaite, nous allons le pousser à aller de l'avant. Comme les ennemis sont des robots, ils explosent lorsqu'ils sont tués et nous allons en mettre autant que possible à l'écran, surtout ceux de base. De plus, il est impossible de déclencher le bullet-time sans bouger : il faut obligatoirement réaliser un saut de côté, sauter au-dessus de sa couverture ou se déplacer en mode boost pour pouvoir profiter du tir ralenti. Une nouvelle fois, le jeu pousse le joueur à attaquer.

Thezis : C'est ce qui est fou dans ce jeu, c'est que tu peux tout à fait passer à côté tout au long de celui-ci. En effet, rien, à l'exception de plusieurs succès, ne t'oblige à y jouer “comme il faut”, c'est-à-dire à y jouer de manière à en retirer la substantifique moëlle.

Shenron : C'est un phénomène commun à d'autres jeux de Platinum Games : Mad World prend tout son sens lorsqu'on tente de varier ses exécutions, car sans cela, c'est un beat'em all assez pauvre. Bayonetta, dans une moindre mesure car il est extrêmement riche, est néanmoins relativement permissif et peut se terminer facilement avec trois-quatre combos. C'est en comprenant ce qui fait l'essence du jeu (la classe !) qu'on s'amuse le plus. Il ne s'agit pas seulement d'être efficace, mais surtout de se battre avec style, et sans se faire toucher. Finalement ce sont des jeux simples d'accès mais qui ne s'ouvrent pleinement qu'aux joueurs curieux et/ou aguerris.

Thezis : Question, existe-t-il encore (ont-ils jamais existé?) des joueurs qui cherchent ce genre de choses dans un jeu ? Moi-même je n'en fais pas partie, mais j'ai effectivement trouvé que cette classe folle qui entoure le gameplay rajoutait une solide couche de fun.

Une version de travail de l'armure et la version finale.

Si les développeurs avaient conçu leur titre comme un Gears of War, alors pourquoi l'armure de Sam serait-elle aussi cool ? L'ARS (Augmented Reaction Suit) permet en effet de :

  • faire des glissages dignes d'une Rock Star sur les genoux, grâce à des réacteurs placés au niveau des articulations, et se rétablir en une demi-seconde,
  • mettre d'énormes mandales aux ennemis grâce à une amplification de la puissance musculaire,
  • augmenter sa vitesse de réaction et de perception à un niveau surhumain, ce qui se manifeste par un bullet-time : tout le monde semble ralentir autour de vous. Cette option peut être activée en faisant une roulade, en passant par-dessus un couvert ou encore après avoir frappé un ennemi après une glissade.
En mode AR, le bullet-time de Vanquish, une jauge d'énergie indique au centre le temps qu'il reste pour ravager les troupes ennemies.

Concernant l'armement, Sam possède une arme qui peut se transformer instantanément de 3 façons différentes, selon les plans stockés dans sa mémoire. On peut donc changer d'arme en toutes circonstances, en une fraction de seconde. Deux types de grenades sont également à disposition : une grenade à fragmentation classique et une grenade EMS qui désactive momentanément tous les robots à proximité. Le fait de ramasser une arme est également instantané, puisqu'il s'agit uniquement de scanner un plan. Comme on peut le constater, tout est fait pour faciliter la prise en main et donner un tempo élevé au titre.

Le jeu introduit également un système d'upgrade un peu particulier. Lorsque le chargeur de l'arme que vous avez en votre possession est plein et que vous ramassez la même arme sur le sol, le niveau de celle-ci monte en grade. Ou plutôt, elle monte d'un quart de grade. A chaque grade supplémentaire, une des caractéristiques de l'arme est améliorée : portée, puissance, vitesse de rechargement,... Cela vaut aussi pour les grenades d'ailleurs. Il est donc recommandé, et même en mode Difficile indispensable, de prendre le temps d'améliorer son arsenal, en réfléchissant (eh oui) à quelle arme équiper et laquelle préserver, d'autant plus que certains ennemis sont plus vulnérables face à telle ou telle arme. C'est tout sauf facile dans le feu de l'action, et il vaut mieux attendre la fin d'un combat pour prendre le temps de faire le tour de l'arène. Notez que dans le mode de difficulté le plus élevé, God Hard, il est impossible d'améliorer ses armes.

Donc, en gros, voici deux façons de jouer à Vanquish :

Solution 1 : se mettre à couvert, tirer sur des ennemis, chercher un meilleur angle de tir, s'y rendre, se remettre à couvert, tirer à nouveau sur les ennemis.

Solution 2 : Se mettre à couvert, tirer sur les ennemis à la mitrailleuse de base, passer par-dessus le couvert, activer le mode AR, puis, transformer son arme en fusil à pompe, shooter 3 ennemis, rechanger d'arme, puis une fois à terre, glisser à toute vitesse vers un robot en laissant traîner une grenade derrière soi, enchaîner par un coup de pied sauté, et pendant le salto arrière qui s'ensuit, repasser en mode AR, charger le lance roquette, en balancer une pour achever l'ennemi, atterrir avec classe et légèreté. Tout ça en 5 secondes. 6 si on prend le temps de se griller une clope au début de l'action pour détourner l'attention des ennemis.

Thezis : Et le pire, c'est que c'est tout à fait ça Vanquish ! Et maniable s'il-vous-plaît ! Si c'est pas le sommet de la classe ça ?

C'est quand même autre chose. De toute façon, une fois en mode Difficile, on n'a pas vraiment le choix : les ennemis deviennent très mobiles et agressifs, n'hésitent pas à vous contourner et à balancer des grenades, les lasers fusent de partout et passent par-dessus les abris, il faut donc tout le temps être en mouvement.

Faster, fluid and frenetic !

Thezis : D'ailleurs, je suis toujours surpris d'autant accrocher à ce jeu alors que je n'apprécie pas les jeux hardcore, ceux qui demandent une vraie maîtrise et un ascétisme de l'apprentissage, comme les versus games par exemple. Pourtant, Vanquish donne toujours l'impression que surmonter la difficulté est possible, que l'on a raté de justesse et que l'on réussira au coup prochain... ou après vingt tentatives.

Shenron : Dans Vanquish, aucune mort n'est jamais injuste. Lorsqu'on se fait tuer, c'est toujours parce qu'on a mal visé, qu'on a été imprudent, qu'on n'a pas su esquiver une attaque. Le joueur a en permanence tous les indices visuels et sonores qui lui permettent de réagir. On se rapproche en ce sens de Bayonetta, les deux jeux sont assez proches de ce point de vue. On peut aussi comparer Vanquish à un bon manic-shooter : même si on meurt souvent, on continue de penser qu'une progression est possible.

Thezis : (la note du petit joueur souffrant) Sauf peut-être avec certains boss...

Shenron : Non non, il est toujours possible de progresser... chacun à son rythme (rires)

Thezis : Anecdote sur la difficulté, en mode le plus bas, easy casual (!), le jeu locke seul les ennemis, donnant l'impression d'un Rez inversé.

Malheureusement, tout cela a un prix : l'armure possède une jauge de refroidissement, et si on abuse de ses capacités, elle surchauffe, nous laissant sans pouvoir – et sans défense, car chaque coup encaissé alors peut s'avérer mortel.

Ce choix a également été critiqué par certains joueurs : pourquoi nous donner autant de pouvoirs si c'est pour nous brider dans leur utilisation ? Traduction : pourquoi ne pas être en God Mode pendant tout le jeu ? Et du coup, la réponse est dans la question. La vulnérabilité induite par la surchauffe de l'armure nécessite de gérer son énergie et de toujours garder un œil sur la jauge. C'est un élément de gestion et de tension supplémentaire ; il n'y a rien de plus stressant que de se retrouver au milieu d'ennemis et de tenter tant bien que mal de survivre au milieu d'un déluge de balles, au son de l'armure qui se recharge lentement.

Shenron : Un mot sur un point qui m'a déçue : l'absence d'un véritable système de scoring. Je pense que le jeu aurait gagné à développer cet aspect, qui se résume à terminer les stages le plus vite possible et sans mourir. Dans The Club, autre jeu édité par Sega, qui est entièrement fondé sur le scoring, il fallait réaliser des exploits et surtout maintenir une jauge de combo pour réaliser un bon score. Certes, la structure de The Club est différente (les stages sont des circuits et non des arènes fermées), mais je pense que l'ajout d'une jauge de combo aurait été bénéfique à Vanquish, car en l'état, la chasse au score est assez superficielle.

Thezis : Surtout que le jeu s'inscrit dans cette tradition du jeu à score héritée des années 80 et 90. Je me souviens avoir lu sur un forum : "Quoi un score en 2010 ?!? Hé les gars, faut évoluer ! Les scores aujourd'hui ce sont les succès, le reste c'est pas réaliste" (je retranscris dans l'esprit et sans les fautes de français). Ça et la durée de vie résumée à six heures de jeu montrent à quel point beaucoup de joueurs passent à côté de leurs jeux.

L'Inconnu, un ennemi fichtrement bien conçu, original, prenant à combattre et assez déroutant.

Shenron : On rejoint ce que je disais plus haut sur le gameplay : jouer à Vanquish comme on joue à Gears of War, c'est passer à côté du jeu, tout comme on passe à côté de Bayonetta si on exécute le même combo sans fin. Ça fonctionne à peu près dans les modes de difficulté les plus bas, mais pas dès qu'on passe à la difficulté supérieure. Or, les -nombreux- joueurs qui rushent leurs jeux et ne chassent pas les succès ne s'en rendront jamais compte, d'où le raccourci sur la durée de vie, alors que d'une part, elle varie énormément d'un joueur à l'autre sur un seul run, et d'autre part elle dépend de l'investissement personnel du joueur.

Thezis : Je me souviens du mini-scandale ayant précédé la sortie du titre parce que Game Informer avait testé le jeu en expliquant qu'il ne durait que quatre heures, information qui avait fait le tour du net et refroidi beaucoup de joueurs. Jean-Pierre Kellams, le co-scénariste, avait même écrit un billet mettant en doute ce chiffre, impossible à atteindre en mode normal selon lui (et moi aussi d'ailleurs). C'est dire le sérieux de certains journalistes...

Beaucoup de boss et sous-boss sont à vaincre en détruisant successivement leurs différents points faibles, à la manière des anciens shoots arcade.

Shenron : Cependant, je suis la première à regretter l'absence dans Vanquish de bonus à débloquer (comme dans Bayonetta, oui on y revient mais c'est une référence). Finalement, à part son rush d'adrénaline et le plaisir immédiat que l'on prend en le parcourant, le jeu a relativement peu à offrir. Cependant, c'est le cas de beaucoup de jeux d'arcade, et en ce sens Vanquish est leur héritier direct. C'est un peu le Contra ou le Mercs des années 2010.

Thezis : Exactement ! J'ai tout à fait eu cette impression ! Vanquish est un jeu d'arcade qui a intégré les nouveaux codes des jeux consoles mais conservé la rage et le rythme de ses ancêtres.

Vanquish est à peu près inattaquable techniquement. Si les environnements sont bien modélisés, sans plus, l'animation a fait l'objet d'une grande attention, au plan des visages lors des cut-scenes, mais surtout durant les combats, qui regorgent d'explosions, de missiles, de particules sans aucune baisse de framerate. Le nombre d'éléments affichés à l'écran, ennemis comme particules et objets détruits, est bluffant !

Shenron : La direction artistique du jeu divise, certains la trouvant impersonnelle, peu voire pas du tout originale, ou trop aseptisée. Personnellement, je trouve justement que c'est un véritable atout : à une époque où le moindre pan de mur doit faire l'objet de textures bump mappées ou que sais-je encore, y compris les murs blancs en béton, Vanquish opte pour une sobriété somme toute logique dans une station spatiale. D'ailleurs, pas mal de critiques ont reproché au jeu d'être, du point de vue esthétique, un croisement entre Halo (pour l'esthétique générale) et Crysis (pour l'armure du héros). C'est oublier un peu vite que les Japonais n'ont pas attendu ces jeux (ni les Américains de façon générale) pour créer des oeuvres situées dans l'espace, ou pour équiper leurs personnages d'armures légères et près du corps.

Thezis : Oui, d'ailleurs nous avons discuté de cela plusieurs fois en préparant l'article. Enfin, en jouant à Buzz it ! sur le Xbox Live. Parler d'un titre aussi hardcore gamer que Vanquish en jouant à un jeu aussi casual... Bref, moi je n'ai jamais accroché à cette direction artistique. Non qu'elle soit mauvaise, mais elle me semble banale et un peu plate.

Shenron : Pourtant, peu de jeux sur cette génération possèdent une esthétique similaire, encore moins parmi les TPS. Il est amusant de constater qu'on reproche à Vanquish de ne pas avoir une esthétique originale, et de s'extasier sur des jeux de guerre à l'approche réaliste qui par conséquent se ressemblent tous plus ou moins...

Conclusion : Let's go faster !

Derrière ses allures de TPS contemporain, Vanquish propose en fait un trip ultra-rétro orienté vers l'arcade effrénée, les manic-shooters esthétiques et une certaine vision japonaise du TPS, mâtiné de morceaux de jeux de course. Oui, cela fait beaucoup et pourtant, insistons là-dessus encore une fois, la mayonnaise prend. Car le gameplay, la maniabilité, l'interaction entre les différents éléments en jeu, le nombre d'informations disponibles à l'écran, ... tout ce qui constitue le jeu a été conçu avec un soin rare. Mikami a réussi à porter sa vision du jeu de tir, explosive et ultra-rapide, tout au long de la création de Vanquish tout en y intégrant une foule d'idées qui ont porté le titre vers une épure et une efficacité synonymes de grand jeu.

Thezis : En fait, c'est absurde d'écrire cela, mais j'ai vraiment un sentiment d'injustice par rapport au demi-échec commercial de Vanquish. J'ai déjà adoré le jeu en le pratiquant mais y réfléchir, en discuter avec toi, faire des recherches sur son développement et ses auteurs me donnent l'impression qu'il s'agit vraiment d'un tout grand jeu, impeccablement pensé et réalisé, parfaitement ciselé et pourtant complètement fou dans les sensations qu'il procure. Je prends le pari d'un futur classique à la manière de Rez.

Shenron : Le public a reproché à Vanquish de ne pas avoir assez à offrir, que ce soit en ce qui concerne la durée de vie ou même l'absence d'un mode multijoueurs, pourtant impossible à intégrer sans trahir le gameplay. Mais tout ce que fait Vanquish, il le fait bien (à part le système de scoring), et il est effectivement injuste de lui reprocher de ne pas être ce qu'il n'est pas, car on voit que chaque détail a été mûrement réfléchi avant d'être implémenté dans le jeu. Et surtout, il arrive à être fun 95% du temps, et ce n'est pas donné à tous les jeux AAA.

Vanquish offre une expérience de jeu rare, aussi folle que précise, aussi démesurément excessive que pointue. Comme le dit Takeo Kido, responsable des effets visuels, dans Vanquish nous avons cherché la quantité d'effets plutôt que leur qualité visuelle parce qu'à terme la quantité devient la qualité. Quantité et qualité qui se conjugent dans une fureur qui définit le mieux Vanquish.

Shenron & Thezis
(29 juin 2011)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Platinum Games : Le site officiel du jeu avec de passionnantes notes de production de la part de Shinji Mikami.
- Wikipedia : Comme d'habitude, une foule de petites informations et surtout de liens intéressants.
- Jeuxvideo.com et Jeuxvideopc.com : Nos principales sources d'images pour l'article, en plus des différents sites officiels.
- TV Tropes : La page de Vanquish sur TV Tropes, un wiki qui recense les conventions des oeuvres de fiction.
- Joystiq : Une passionnante interview de Shinji Mikami qui recèle son lot de réflexions et d'échanges bien vus.
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