Dernière chance pour se procurer une machine le jour du lancement américain à Denver : le Sony Store, qui a abandonné la traditionnelle file d'attente au profit d'une véritable épreuve de
sprint. Laquelle n'a couronné, comme partout, qu'un faible nombre de vainqueurs.
16h00, jeudi après-midi, J-1 du lancement Playstation 3.
Au comptoir du service "retours et échanges", le téléphone sonne. "Best Buy, comment puis-je vous aider ?" Bref silence. "Nous n'avons reçu que 28 PS3 et il y a déjà une vingtaine de personnes dehors alors vous devriez vraiment venir maintenant, conseille l'employé à son correspondant, tout en continuant à s'affairer sur mon cas. Non, je ne sais pas quand nous recevrons une nouvelle livraison." Mais en fait d'une vingtaine, c'est plutôt une trentaine de personnes qui font la queue devant ce magasin du centre de Denver, 16 heures avant l'ouverture des portes et la mise en vente des machines le lendemain.
Comparé au lancement de la Xbox 360, l'année dernière, le spectacle est assez différent. Là où il subsistait encore un certain amateurisme, là on pouvait encore trouver des mères de famille ou de jeunes ados accompagnés par leur grand-mère, la file d'attente est cette fois constituée en grande partie de jeunes adultes, très organisés. Tentes, chaises, PC portables ; des "professionnels", préparés pour tromper le froid et l'ennui. Les premiers sont arrivés ce matin, me raconte l'employé.
La situation est la même pour tous les magasins dans lesquels j'ai tenté ma chance cet après-midi. A vrai dire, Best Buy a même de la chance d'avoir reçu une telle quantité de consoles. Wal-mart, pourtant un poids lourd, n'en a reçu que 10. Chez Target, autre chaîne de grande distribution, on en compte 8. D'autres (Micro Center, Costco, etc.) n'ont rien reçu du tout. Et on connaît les problèmes de stock chez les boutiques spécialisées EBGames / Gamestop. Autant dire qu'à plusieurs heures de la mise en vente, la très grande majorité des consoles livrées sont déjà parties.
Pendant qu'il continue à s'affairer sur mon cas, je fais part à l'employé de mon désespoir de trouver une Playstation 3 cet après-midi. "Vous savez, il y a un rumeur qui dit que le magasin Sony va recevoir 300 consoles, me glisse-t-il. C'est une rumeur mais on ne sait jamais..." Le Sony Store ? Why not ?
18h00, Cherry Creek, une banlieue de Denver.
Le Sony Store de Denver est situé dans le Cherry Creek Mall, un centre commercial aseptisé et archi-huppé dans lequel les bobos peuvent acheter leurs jeans à 250 dollars pièce et leurs bougies aromathérapiques. Dans la boutique, les derniers écrans large Sony, des films Blu-Ray, une Playstation 3 de démonstration jouant MotorStorm. La réceptionniste ne peut confirmer la rumeur des 300 machines car, apparemment, les consoles ne sont pas encore arrivées. Elle me détaille, par contre, la procédure à suivre pour tenter de garantir un achat. L'intégralité du centre commercial, y compris les parkings intérieurs et extérieurs, ferme pendant la nuit. Impossible d'y faire la queue sous peine d'être "fichu dehors" par le service de sécurité du mall. A cinq heures du matin, les gardes autoriseront la formation d'une file d'attente à l'une des entrées. A 5h30, ces derniers commenceront à faire entrer les acheteurs dans le centre commercial. Le Sony Store, lui, n'ouvre qu'à huit heures.
Immédiatement, les failles du plan parfait apparaissent. Combien sont au courant de la filière Sony Style ? "Oh, je reçois des coups de fil à peu près toutes les minutes," me dit la réceptionniste en souriant. Vu la situation partout ailleurs, la concurrence promet donc d'être acharnée. Mais que va-t-il se passer avant cinq heures ? Personne ne sait et, visiblement, personne n'a envie de savoir – ni Sony, ni la sécurité – du moment que ça ne se passe pas sur la propriété du centre commercial. Je suggère la possibilité d'empoignades, d'une course folle vers les portes. "On espère que ça va bien se passer," me confie l'un des gardes.
4h00, vendredi matin, Cherry Creek.
Je gare la voiture sur le parking proche du Whole Foods, un supermarché bio, évidemment fermé. Un garde arrive. Je lui explique que je suis là pour la sortie de la Playstation 3. Il lève les yeux au ciel en rigolant. "Vous n'allez pas être le seul, me prévient-il en pointant trois autres voitures du doigt. Ceux-là y sont aussi." Il repart vers son poste. "Bonne chance !" lance-t-il de loin.
Effectivement, pas loin de 150 personnes sont massées horizontalement en face du parking du centre commercial. Tout le monde attend bien sagement sur le trottoir, les patrouilles – rejointes depuis par quelques voitures de police – promettant de bannir ou de mettre en prison ceux qui mettraient les pieds sur la propriété privée du mall avant l'heure. Là encore, beaucoup de jeunes adultes. Je discute avec un groupe d'étudiants, arrivés sur les lieux à 21 heures hier. Tous me confirment acheter la console pour eux. Ce qui ne les empêche pas d'avoir les yeux brillants lorsqu'ils discutent des sommes abracadabrantes auxquelles la machine est vendue sur eBay. "Je n'ai pas cours demain, m'explique l'un d'entre eux. Vu que je me couche généralement à trois heures du matin, je me suis dit, 'autant rester debout deux heures de plus tenter ma chance'."
Car comme prévu, aucune queue, aucune hiérarchie ne s'est formée ; au signal du départ, chacun s'élancera donc vers les fameuses portes avec l'intention d'y arriver le premier. Ce qui donne à l'évènement une atmosphère très particulière. Toutes les autres consoles ayant été attribuées, le Sony Style constitue désormais la dernière chance de se procurer une Playstation 3 pour le lancement. Et les machines, ici, ne seront pas distribuées à ceux qui s'y seront pris le plus en avance mais à ceux qui courront le plus vite. Une vraie compétition sportive, en somme, et cette épreuve, beaucoup la prennent très au sérieux. Sur le trottoir transformé en ligne de départ, on assiste à des échauffements. D'autres optent pour une approche plus stratégique et calculent la distance la plus courte du trottoir aux portes, tentant pour cela de se frayer un chemin à travers les buissons.
Un policier donne finalement le signal. La foule hésite, une fois, deux fois, et c'est le
sprint, sous les néons du parking souterrain désert. Quelques secondes plus tard, c'est l'embouteillage dans le petit escalier menant aux portes. Cris des policiers, tentatives de rétablir l'ordre et de former un semblant de file. Les compétiteurs obtempèrent, s'éloignant à regret des portes. Pendant ce temps, un faux calme s'installe. Les premiers dans la file sortent leur téléphone portable ou communiquent des ordres à leurs camarades, restés sur la touche. L'un d'entre eux propose de vendre sa place pour 1000 dollars cash, une offre que personne, apparemment, ne prendra au mot. Les quantités exactes de Playstation 3 disponibles, elles, sont toujours un mystère. "J'ai entendu dire qu'ils n'avaient que 14 machines," me confie un garde. "Ah bon ? Moi, j'ai entendu parler de 25," rétorque une femme.
Enfin, les services de sécurité laisser entrer au compte-gouttes dans le centre commercial. Quelques minutes plus tard, mégaphone. "C'est terminé, confirme un garde. Si vous voulez, Sony peut prendre votre nom et vous mettre sur une liste d'attente." 16 consoles finalement. La queue a à peine eu le temps d'avancer. Certains restent, mais une grande partie des acheteurs se disperse en grognant. Parmi eux, un homme plus mûr, la trentaine bien avancée, visiblement pas au courant des difficultés d'approvisionnement que connaît Sony. "16 consoles ?" me lance-t-il droit dans les yeux, avec une expression appuyée de dépit teinté de colère qui dit tout le ridicule de la situation. Quelques chanceux et une grande majorité de déçus : toute l'histoire du lancement de la Playstation 3 jusque là.