Après une première visite assez succincte concernant les jeux mécaniques et électro-mécaniques, nous allons nous intéresser aux techniques qui ont amenées aux bornes d'arcade que nous connaissons aujourd'hui.
Il s'agit-là d'une première partie consacrée à différents éléments techniques ( théories, machines, découvertes ), mais aussi à des personnages ( scientifiques, artistes et industriels ) qui nous permettrons de mieux comprendre le chemin parcouru et
l'héritage dont a bénéficié le jeu vidéo.
Leur présentation alternera avec celle de bornes d'arcades.
Ces petits voyages à travers le temps s'étendront de l'antiquité à l'ère moderne en passant par le moyen-âge, la renaissance et l'ère industrielle, sans véritable construction chronologique.
Aussi, il sera ici question d'éléments développés aux quatre coins du monde et non plus majoritairement restreints au monde Anglo-Saxon. Ainsi, les influences grecs, arabes, chinoises, italiennes, japonaises, françaises et autres seront abordées.
Afin d'être le plus complet possible sans pour autant être barbant, des liens seront insérés si nécessaires. Je vous invite à consulter les pages en question, voire à en explorer les sites.
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Al-Jazari
Né en 1136 dans le Nord de l'actuel Irak, Al-Jazari ( de son vrai nom Abū al-'Iz Ibn Ismā'īl ibn al-Razāz al-Jazarī ) est le fils d'un ingénieur travaillant au palais Artuklu, fief de la dynastie Turque qui règne sur la région.
Jeune homme calme et réfléchit, il se destine à devenir artisan. Travaillant le bois et les métaux, il fabrique de petits objets de décoration ornant les riches demeures locales.
Cependant, son père aidant, il s'intéresse bien vite à divers procédés mécaniques, en particulier ceux utilisés pour la distribution de l'eau. Plusieurs ouvrages lui seront d'ailleurs commandés, en particulier pour alimenter hôpitaux et mosquées.
Mais la véritable révélation d'Al-Jazari provient lors de la lecture de plusieurs ouvrages consacrés aux travaux d'Archimède ( nous reviendrons ultérieurement sur ce dernier ).
Totalement passionné, il se consacre désormais exclusivement à l'étude de la mécanique sous toutes ses formes et usages ainsi qu'à la chimie, encore embrumée de mysticisme.
Le jeune ingénieur travail sans relâche, peaufinant les découvertes d'Archimède durant plusieurs années puis finissant par dépasser le maître.
C'est à cette période qu'il crée, entre autres éléments, le piston, le moteur à vapeur et à combustion, le rouage segmenté ou encore la pompe hydraulique. La chose est d'autant plus révolutionnaire que toutes ces découvertes sont insérées au sein d'une même machine et obéissent à un contrôle rigoureux de la vitesse propre à chaque composante.
Il rédige dans la foulée un ouvrage intitulé Kitáb fí ma'rifat al-hiyal al-handasiyya ( Livre de la connaissance des procédés d'ingénierie mécanique ), véritable Bible de la science qui servira à son tour de base aux recherches de Léonard de Vinci, 300 ans plus tard.
La magie de l'Internet aidant, vous pouvez consulter ce livre dans sa version intégrale et originale en cliquant
ici.
Sa renommée ne se fait pas attendre, tant et si bien que la noblesse lui commande toutes sortes de machines destinées au... divertissement.
Parmi ses nombreuses créations, Al-Jazari marque un goût prononcé pour les automates.
Inspirées des horloges, ces machines sont conçues pour l'amusement, leur fonction pratique étant secondaire sinon inexistante. Il s'agit le plus souvent de scènes particulières où des humains, des animaux et des créatures légendaires interagissent entre eux.
Souvent de taille démesurée, ces automates préfigurent la notion de borne d'arcade, ce pour trois raisons essentielles :
- elles sont conçues pour amuser
- elles répondent partiellement aux directions des utilisateurs
- elles sont basées sur des programmes que l'on peut modifier
Pour autant, ces automates ne sont pas des jeux à proprement parler, mais plutôt des curiosités dont les aspects techniques sont floués par leur caractère ludique.
Dans le lot des dizaines de machines conçues, nous en retiendrons trois.
La première est un automate - une automate pour être précis - verseuse d'eau.
En vérité, il s'agit d'un procédé que nous utilisons encore aujourd'hui sans même le savoir: la chasse d'eau.
Une fois ses besoins faits, l'utilisateur tire le levier présent sous la forme d'un bec de jarre pour activer le mécanisme. La servante baisse alors le bras créant ainsi un flux suffisamment important pour évacuer les eaux sales puis remplie automatiquement la jarre grâce à un système de pompe qui puise l'eau dans la réserve, en hauteur.
Le système de contre-poids sert à modifier la quantité d'eau versée, plus le poids étant lourd, plus cette quantité étant importante.
La deuxième est une horloge hydraulique particulièrement complexe.
L'image ci-dessus est une reproduction présente à Dubaï. Une autre est visible en Suisse, au musée d'horlogerie du Locle.
Cette horloge qui sonne toute les demi-heures voit son mécanisme fonctionner à l'aide de l'eau qui circule depuis l'intérieur de l'éléphant. Un système de pompe en cycle continue fait passer cette eau dans une série d'engrenages qui activent respectivement différents éléments de l'automate. Comme pour la servante, si l'on modifie la quantité d'eau, les mécanismes se déclenchent différemment, donc la mise en scène est modifiée.
La troisième machine est peut-être celle qui représente le mieux cette notion de borne d'arcade, à savoir le groupe de musiciens.
Ce véritable bijou, destiné à divertir la cour lors des dîners royaux, mettait en scène plusieurs automates musiciens.
Fonctionnant comme toujours à l'aide de systèmes hydrauliques élaborés, le mécanisme était également soutenu par un moteur à vapeur, dont une partie de l'énergie fournie servait à faire jouer les instruments à vent ainsi que les percussions. Les musiciens possédaient vraisemblablement plus de cinquante animations, dont plusieurs faciales.
Mieux encore, les convives pouvaient choisir la mélodie jouée parmi une liste pré-programmée par Al-Jazari, ce via un système de sélection à la façon d'un juke-box.
On notera ici l'apparition de ce qui est sans doute la première véritable interface homme-machine.
S'il est difficile de dénombrer et définir les inventions d'Al-Jazari, son apport dans le domaine qui nous intéresse ici est indéniable. Programmation, interaction, amusement, voici quelques-uns des points développés par cet ingénieur encore méconnu dont a hérité l'arcade.
Hélas, quelques siècles après sa mort, ses travaux tomberont dans l'oubli et seront même bannis des bibliothèques orientales pour reprendre leur droit dans celles de l'Europe.
Si le sujet vous intéresse, vous pourrez en apprendre d'avantage encore à travers
ce documentaire en français réalisé par la chaîne Planète, où l'on découvre par exemple la première torpille marine.