Je sais que le rugby n'excite pas trop les foules sur notre forum, mais tout de même, voici un retour sur la coupe du monde que la France a accueillie et qui vient de s'achever.
L'Afrique du Sud, tenant du titre, l'a de nouveau emporté avec sensiblement les mêmes joueurs qu'en 2019. C'est leur quatrième titre en huit participations. Si vous avez suivi ça de loin, vous avez sans doute entendu dire que cette coupe du monde fut gangrénée par les polémiques concernant son organisation et son arbitrage, que le rugby ne sort pas forcément grandi de cette victoire sud-africaine car les autres équipes affichaient un jeu plus à même de donner envie de pratiquer ce sport, et que décidément le rugby mondial est plus que jamais une oligarchie du Commonwealth avec préférence donnée aux nations de l'hémisphère sud.
Vous vous dites peut-être qu'on dit ça parce qu'on a la rage de s'être fait sortir en quarts de finale. Mais je crois que c'est un petit peu plus compliqué que ça.
Voilà quelques éléments de réflexion :
La France faisait partie des favoris de la compétition, d'une part en tant que pays organisateur mais aussi parce que depuis quatre ans elle affiche le meilleur niveau de son histoire. A partir de 2020, elle a bénéficié d'une génération exceptionelle de joueurs (deux fois vainqueurs de la coupe du monde annuelle des -19 ans), d'un staff aux méthodes bien plus modernes et scientifiques que les précédents, et surtout de moyens d'action accrus avec toute une réorganisation des fédérations visant à ce que le XV de France soit la vitrine du rugby français, que les joueurs soient plus disponibles pour la préparation des matches internationaux, qu'ils aient du temps de jeu garanti en club etc. De cet énorme effort a découlé une période d'un an et demi (automne 2021 jusqu'à fin 2022) où l'équipe était invulnérable : 12 victoires consécutives contre toutes les grandes nations, un grand chelem au Tournoi des VI 2022, des matches maîtrisés avec une équipe-type reconduite chaque fois, certains joueurs élus meilleurs mondiaux à leur poste par la presse, des commentaires élogieux de la part des sélectionneurs étrangers...
Deux faits viennent pondérer ce constat :
- En réalité la France n'a jamais été n°1 au classement mondial des nations tenu scrupuleusement à jour de match en match, mais n°2. L'Irlande a toujours été juste devant car elle a rencontré plus souvent que nous la Nouvelle Zélande et l'Afrique du Sud et les a battus presque à chaque fois. Les confrontations France-Irlande depuis deux ans se sont soldées par une victoire de chaque côté.
- Le XV de France a eu une cascade de blessures juste avant la coupe du monde. 5 joueurs parmi les 15 titulaires habituels ont soit raté la coupe du monde, soit l'ont jouée diminués car revenant de blessure (Paul Willemse, Romain Ntamack, Anthony Jelonch, Julien Marchand, Gabin Villière). D'autre part, le tournoi 2023 a été moins probant que le 2022 avec 4 victoires au lieu de 5 et de soudaines difficultés à adapter la stratégie de l'équipe aux nouvelles tendances en matière d'arbitrage.
Cette coupe du monde est donc peut-être arrivée un an trop tard pour qu'on la gagne, mais malgré tout, on y croyait. Et globalement tout le monde estimait que le dernier carré logique de la compétition comprendrait la France, l'Irlande, la Nouvelle Zélande et l'Afrique du Sud. Avec un petit bonus pour le XV de France : des joueurs plus jeunes donc une meilleure capacité à enchaîner 7 matches sur deux mois. Sans parler du soutien du public, bien sûr.
Et finalement, donc, la France a été sortie en quarts comme lors des deux dernières éditions. Une défaite d'un seul point (29-28) contre l'Afrique du Sud, assortie de commentaires acerbes contre le dispositif arbitral (arbitre de champ + juges de touche + vidéo), par le capitaine et le sélectionneur français, en conférence de presse d'après-match. Match dont quasiment tous les chiffres mesurés en cours de jeu (et il y en a un paquet) indiquent que la France l'a nettement dominé.
Cette amertume dans le camp français a été largement relayée les jours suivants par toutes sortes d'observateurs (dont certains étrangers). Il y a bien eu quelques techniciens pour décortiquer le match et justifier les diverses décisions litigieuses. Mais leurs explications sont très alambiquées et donnent au rugby l'image d'un sport d'une infinie complexité où l'arbitre a un pouvoir démesuré. Elles échouent complètement à convaincre que l'esprit du jeu a été respecté. De quoi perdre en route pas mal de gens qui pensaient que le rugby était un sport où règnent la correction, le franc-parler et la logique sportive.
Cette polémique n'a fait qu'enfler encore quand les instances de World Rugby ont reconnu par communiqué 5 erreurs majeures d'arbitrage sur ce match... avant d'ajouter que l'arbitre serait reconduit pour la demie-finales Angleterre - Afrique du sud ! Un arbitre néo-zélandais d'ailleurs, alors que la Nouvelle Zélande jouait l'autre demie. Il n'y a qu'au rugby qu'on voit des choses pareilles, vraiment. Bien entendu, cet arbitre a rendu fous les Anglais, en sifflant une pénalité bien litigieuse pour l'Afrique du Sud en fin de match, qui leur fait prendre un avantage décisif d'un point (encore !). Il faut le souligner : il n'y a pas que les Français qui se sont plaints de l'arbitrage, la plupart des sélectionneurs des autres nations l'ont fait à un moment ou l'autre, le mot "incohérence" revenant systématiquement, bien davantage que des accusations de malhonnêteté ou de complots.
Et puis il y a cette finale : jouant en superiorité numérique les trois quarts du temps (expulsion du capitaine All Black en début de rencontre, rien que ça), les Sud-Africains l'ont (encore !!) emporté d'un point. Sans avoir marqué d'essai, ni même marqué de points pendant les 50 dernières minutes, et avec une possession de balle de 35%. Ils ont gagné les quarts, les demies et la finale essentiellement comme ça, en défendant et en jouant au pied : un dégagement tous les 28 secondes en moyenne sur trois matches. On a même vu l'un d'entre eux, le n°13 Jesse Kriel (qui intervient principalement dans les lancements de jeu à la main), ne toucher aucun ballon lors de la demi-finale contre l'Angleterre. Du jamais vu.
De tout cela découle un certain dépit des amoureux du rugby envers cette coupe du monde. La presse étrangère parle d'un vainqueur "qui a été le meilleur pour ne pas jouer", de "victoire du non-rugby", de phases finales "magnifiquement laides"... A tout ça il faut ajouter des retransmissions télé fournies par World Rugby (les chaînes devaient se contenter de diffuser les images reçues sans avoir la main sur la réalisation), globalement jugées catastrophiques avec des ralentis d'action montrés tantôt oui tantôt non selon ce qu'on a envie que les gens voient, et des gros plans absurdes sur les joueurs (on pouvait leur compter les poils du nez) ou les plus jolies supportrices (le foot en a pourtant terminé avec cette manie). Le tout, en France, fut diffusé très majoritairement par TF1 (normalement c'est France 2 qui s'occupe du rugby) avec pub entre les hymnes et le coup d'envoi, un commentateur de niveau bistrot première année, et des débats d'après-match 100% langue de bois en présence d'anciens joueurs pour lesquels on se sentait bien embarrassé (si on n'était pas parti se coucher).
On pourrait parler du tirage des poules, aussi, absurde et qui a conduit les meilleures équipes à s'affronter prématurément. Mais j'ai la flemme de rentrer dans le détail.
Voilà ce que j'ai vu, personnellement, et si vous tombez sur un article dont le titre ressemble à "
râler contre l'arbitre, un mal très français", repensez à tout ça. Si vous voulez mon avis, le seul mal très français qui existe est la capacité à déféquer sur son propre pays (ça n'engage que moi).
Du positif pour finir :
- Le Portugal a participé à cette coupe du monde et a rempli de joie tous ceux qui les ont vus jouer. La progression qu'ils ont affichée par rapport à leur précédente apparition en coupe du monde (en 2007) est irréelle. Avec une équipe composée seulement pour moitié de joueurs professionnels (formés dans des clubs français de 2de division, mais en France la seconde division c'est presque aussi costaud que la première), ils ont réussi à battre les Fidji qui sortaient d'une victoire contre l'Australie, et faire match nul contre la Géorgie supposée plus forte. Et surtout, ils ont pratiqué un rugby spectaculaire ressemblant à celui des All Blacks, avec un talent surprenant, soutenus par un public natif mais peut-être résident en France car très nombreux, qui mettait une ambiance de fou dans le stade.
- Les Fidji ont fait un très beau parcours en allant jusqu'aux quarts de finale, c'est la seule "petite" nation dans ce cas. Leurs joueurs sont de classe mondiale. Ils ont une fois de plus joué un rugby inspiré du rugby à 7, c'est à dire tout porté vers les passes et les essais (bon ils sont très costauds aussi, certes). Ne leur manque que la capacité à rester deux mois loin du pays sans se désunir pour être au niveau de l'Ecosse ou du Pays de Galle dans une telle compétition.
- On ne peut que saluer les All Blacks qui étaient en perdition avant la coupe du monde (des défaites contre à peu près tout le monde depuis deux ans), perdent le match d'ouverture contre la France, puis retrouvent progressivement leur efficacité, éliminent le favori irlandais à l'issue d'un match fabuleux, et se hissent jusqu'en finale où ils auraient sans doute dû gagner.
- L'Angleterre était au fond du trou en 2023 et finalement atteint les demi-finales, certes grâce à ce fameux tirage qui leur a permis d'éviter les favoris, et avec un jeu aussi ennuyeux que celui de l'Afrique du Sud. Mais bon, ça les relance assez bien.
- On était en France mais pas de bagarres dans les stades, pas de projectiles lancés sur les joueurs, pas de sifflets ni de rires pendant les minutes de silence, pas de caillassages de bus, pas de supporters parqués dans des cages, pas de mecs agressés parce qu'ils ont embrassé leur maillot, pas de vandalisme autour des stades, tout ça malgré une forte consommation de bière pendant les matches. C'était du rugby, pas du foot (et j'aime le foot). Autant pour ceux qui disent des trucs comme "le foot est le miroir de notre société, notre société est violente c'est pour ça qu'il y a des violences dans les stades". C'est de la foutaise.
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