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Interstate 76
Année : 1996
Système : Windows
Développeur : Activision
Éditeur : Activision
Genre : Arcade / Jeu de Course / Aventure
Par Laurent (03 décembre 2000)

Au cas où vous feriez partie des gens pour qui Bullitt, French Connection et Mad Max sont des films culte et Starsky et Hutch ou Kojak des pilliers télévisuels, je vous signale qu'un des meilleurs jeux sortis sur PC dans les années 90 matérialise tous vos fantasmes. Interstate 76, produit par Activision (sous la direction de Sean Pesce et Zachary Norman, des anciens de Cinemaware) en 1996, vous invite à un voyage dans un univers à la fois ultra-référentiel et totalement original. Se présentant comme 'une simulation de voiture (à ne pas confondre avec le genre jeu de course dont il n'est nullement question ici) agrémentée d'un scénario très élaboré, le jeu baigne dans une ambiance très particulière qui ne se résume pas en quelques mots.

Vous êtes Groove, vous portez de grosses moustaches, des rouflaquettes travaillées quotidiennement, un pantalon à pattes d'éléphant, une chemise moulante à col "pelle à tarte" ouverte sur un poitrail velu et une encombrante coupe de cheveux. Ne parlons pas du lookde votre compère Taurus, un black qui à la rythme dans la peau, une voix proche de celle du Samuel Jackson de Pulp Fiction (du reste c'est la même en VF), et qui arbore en guise de coiffure une boule noire d'un diamètre impressionnant. Vous ne rêvez pas, le 76 du titre indique bien l'année durant laquelle se déroule le jeu.

En fait ce ne sont pas tout à fait les vraies seventies. On est ici dans un univers parallèle où seuls les fringues, les bagnoles et la musique correspondent à la réalité de 1976 . Pour le reste, la situation se résume ainsi : l'Amérique, sans qu'on sache très bien pourquoi ni comment, connaît une crise pétrolière sans précédent qui s'est bien sûr traduite par une augmentation effrénée du prix des carburants, puis leur raréfaction. On imagine sans mal le chaos conséquent et le règne du banditisme et de la mafia, qui ont pris le dessus face à une police complètement dépassée.L'action se passe au Texas, vous savez, cet état où l'on compte une exécution capitale par semaine. Le terrain est propice à l'autodéfense et des milices vont se monter pour faire face à la crise.

Votre sœur, Jade, fait équipe avec Taurus dans une de ces milices. Au volant de sa Piranha, une énorme voiture équipée d'armes aussi puissantes qu'un lance-roquettes ou une mitraillette de calibre 30mm, elle pourchasse les bandits qui ont fait main basse sur les réserves d'essence et peuvent en toute impunité commettre leurs méfaits sans être arrêtés.

Groove, Taurus, Jade, Malochio et Skeeter, principaux protagonistes d'I76.

Le jeu commence alors que Jade vient d'être prise en chasse par Antonio Malochio, un caïd redoutable. Après avoir commis la pire des erreurs, sortir de sa voiture, Jade est abattue, dans le dos. Taurus est arrivé à la rescousse mais trop tard pour la sauver, et elle meurt dans ses bras. Il vous propose alors de prendre le volant de la Piranha et de vous joindre à lui pour venger votre sœur. Comme vous n'avez aucune expérience de ce genre de conduite il vous formera, avant de vous emmener à la chasse au bandit, au cours des 17 missions que comprend le jeu.

Interstate 76 est à la base un projet très ambitieux et la réussite incontestable qu'il représente dans tous ses aspects en fait l'un de ces produits qui ont changé la face des jeux vidéo lors de l'avènement du PC en tant que machine dédiée au divertissement. Tout d'abord le contenu : une simulation de conduite, en 3d, complète, d'un réalisme époustouflant,des missions variées et passionnantes, la possibilité de faire évoluer son véhicule ou d'en peaufiner les réglages, un scénario plein de rebondissements, une intelligence artificielle surprenante et un mode multi-joueur excellent, le tout sans qu'aucun de ces éléments ne soit mis en valeur au détriment des autres. Le contenant, ensuite : des graphismes réussis et une bande sonore fabuleuse font baigner le jeu dans une ambiance seventies parfaitement recrée mais dans laquelle s'intègrent parfaitement les éléments futuristes du jeu.

Il faut savoir que les jeux vidéos d'antan, surtout ceux sortis dans les années 80, se contentaient souvent d'offrir un seul de tous ces aspects, du style : "Les graphismes et le son sont magnifiques et restituent parfaitement telle ou telle ambiance ? OK, pas la peine d'essayer de faire un jeu jouable et intéressant", ou "Le scénario est excellent ? OK, laisse tomber la qualité de la réalisation, on peut vendre comme ça". Aujourd'hui, et on peut considérer que ce "aujourd'hui" à commencé vers 1994 avec le ralliement du grand public à la cause vidéo-ludique, un jeu doit être une expérience pleine si ses auteurs veulent convaincre. On ne peut donc que féliciter Activision d'avoir suivi le mouvement en sortant des titres comme Interstate 76, devenant un des seuls éditeurs de l'âge d'or à jouer un rôle de premier plan de nos jours.

Revenons au jeu : les premières missions d'entraînement en compagnie de Taurus vous font découvrir les paysages texans, désertiques et traversés d'interminables routes goudronnées dont on peut sortir quand on veut pour poursuivre un ennemi ou prendre un raccourci. Ces paysages rappelleront aux connaisseurs ceux de Mechwarrior2, et pour cause, le moteur 3d du jeu est le même. Comme les vision répétées de Point Limite Zéro et Police Fédérale Los Angeles vous l'avaient laissé penser, ces grosses voitures américaines qu'on appelle Muscle Cars, bien que surpuissantes, ne tiennent pas la route, freinent très mal et bougent dans tous les sens dès qu'on dépasse la vitesse réglementairede 50MPH, c'est à dire tout le temps. Les sensations de conduite de tels véhicules sont ici rendues de façon très réaliste. Pour peu que l'on joue avec un volant, c'en est même si cool que le jeu pourrait se contenter de proposer des courses dans lesdits véhicules sans qu'on puisse crier au scandale.

Les premiers combats ne se feront pas attendre. Ceux-ci sont omniprésents dans les missions et s'apparentent à du dog-fighting en voiture, avec tir à la mitrailleuse de près et missiles de loin. A noter que l'on tire aussi bien vers l'avant que vers l'arrière (avec l'aide du rétroviseur équipé d'un collimateur) ou sur les côtés en vue latérale, le pistolet à la main. Les ennemis se comportent plutôt bien : ils essaient de vous contourner, de se dissimuler dans un tournant pour vous sauter dessus par surprise, et s'enfuient parfois lorsqu'ils sont dominés. Les cartes sont énormes et on s'y perd d'autant plus facilement que des véhicules y circulent de partout, y compris dans les endroits où l'on n'est pas censé se rendre. Heureusement, une carte avec les objectifs et la position de départ est consultable à tout moment, ainsi qu'un calepin où sont notés les objectifs en cours.

Chaque mission est précédée d'une cinématique qui montre l'évolution du scénario. Pendant le jeu effectif, les voix sont très présentes, les voitures étant équipées de radios, et l'ensemble est très cohérent. En dehors de leur look de circonstance, les personnages sont représentés en 3d en utilisant un nombre réduit de polygones. On ne peut voir ni leurs yeux, ni leur bouche. N'allez pas croire que les cinématiques soient de mauvaise qualité. Au contraire, elles sont superbes, le parti-pris artistique seventies du jeu expliquant leurs limitations techniques, qui sont compensées par la qualité de l'animation.

Dans le jeu, les graphismes s'avèrent plutôt dépouillés. Cela s'explique par le moteur 3d, qui permet des déplacements très réalistes mais n'est pas vraiment à la pointe. Les cartes 3d ne sont pas gérées, les textures sont pauvres et l'animation nécessite, pour ne pas saccader, un Pentium 233 au minimum, ce qui est une énorme config en 1996.

Au fil de la progression le jeu s'avère difficile. En voir le bout demandera de nombreux essais sur certaines missions, d'autant plus que la sauvegarde n'est autorisée qu'après la réussite complète de chacune. C'est aussi à ce moment que vous pouvez faire installer par votre copain mécano Skeeter les équipements dérobés sur les voitures ennemies vaincues (gentes, armes, suspension etc...) et réparer les dégâts subis. Le tout se fait par des menus d'un aspect sibyllin (ils ressemblent à des factures de garagiste) qui nécessitent pour s'y retrouver un petit coup d'œil à la doc du jeu (scandale !).

Passons au mode multi-joueur, qui a eu son heure de gloire sur le net. Il s'agit d'un death-match classique, nommé "Multi-melee", qui donne la possibilité de conduire toutes les voitures présentes dans le jeu (alors que le mode solo, nommée "Trip",vous limite à la Piranha). Il est possible de pratiquer ce mode seul, contre des joueurs virtuels ("Melee"). Les acharnés du réseau nous disent qu'I76 est longtemps resté le jeu le plus éclatant en multi-joueur, croyons-les sur parole.

Interstate 76 à connu deux add-ons, I76 Gold Edition et I76 Arsenal, et une suite, Interstate 82, qui baigne bien sûr dans une autre ambiance, celle des années 80. La Gold Edition reprend le jeu avec des améliorations sur lemoteur 3d. L'Arsenal apporte des missions complémentaires et une refonte totale des graphismes du jeu s'appliquant aussi aux missions initiales et permettant à I76 de rivaliser avec d'autres titres 3d plus performants. Quant à la suite Interstate 82, j'ai franchement la flemme de vous en parler car ce fut un bide, en raison de la conduite simplifiées qui en sabotait l'intérêt. Le jeu a reçu de très mauvaises critiques à sa sortie.

Quelques mots sur la musique d'Interstate 76, pour finir : il s'agit d'une série d'instrumentaux funky qui constituent une des meilleures créations musicales pour un jeu qu'on ait entendu dans ce style. Evidemment, c'est le genre de musique que l'on écoute en conduisant, alors ça groove tout le temps, même si le style varie un peu, du funk au disco, en passant par des rythmiques blues-rock plus lourdes. On croirait entendre de vieilles gloires des années 70 jouer mais il s'agit en fait de musiciens actuels de très haut niveau, tous originaires de San Francisco. Les compositions sont signées par le bassiste Arion Salazar qui en est également le producteur et a réuni Bullmark, le groupe formé pour l'occasion, comprenant Salazar lui-même, le guitariste Dave Schul, le batteur Bryan Mantia (du groupe Primus) et les saxophoniste Les Harris et John Mendich. Figure aussi dans la bande le clavier Tom Coster qui affiche beaucoup plus d'heure de vol que ses petits copains puisqu'on le trouvait auprès de Carlos Santana dès les années 70 (il a même cosigné des titres comme Europa ou Moonflower).

Peu après la sortie du jeu, Arion Salazar a rejoint le groupe Third Eye Blind, qui a obtenu un hit en 1997 avec le single Semi-Charmed Life (figurant sur la BO du film American Pie), et a sorti plusieurs albums par la suite.

Arion Salazar

Les musiques d'I76 ont été éditées en CD et on peut les acheter sur le net, ou plus simplement se contenter d'insérer le deuxième CD du jeu, où elles sont gravées, dans son autoradio. Cela dit, attention aux excès de vitesse provoqués par le groove monstrueux qui va vous assaillir tout au long des 16 titres, ça coûte cher !

Laurent
(03 décembre 2000)