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Ashen
Année : 2004
Système : N-Gage
Développeur : Torus Games
Éditeur : Nokia
Genre : FPS
Par Barbo (26 janvier 2009)

Le ridicule ne tue pas, donc il me rend plus fort. Le jour où je reçus ma N-Gage les femmes que je croisais dans la rue firent brusquement preuve d'une grande docilité à mon égard. Puis elles ont vu que j'avais le modèle QD et que je jouais à Ashen, un bon jeu exclusif à la console. Elles sont toutes parties. Hé oui. Un jeu N-Gage sur Grospixels. J'imagine déjà tous les lecteurs se munir de leur imprimante laser pour la positionner sur l'épaule, arborer un sourire niais et se faire photographier en vue d'un quart d'heure de gloire Warholien sur Sidetalking.com. Problème : le site a eu le bon goût de cesser son activité après avoir pris connaissance des caractéristiques de la N-Gage QD. J'espère qu'en découvrant cette information vous avez laissé tomber votre imprimante par terre et que celle-ci n'est plus fonctionnelle après avoir atterri sur votre gros orteil. C'est bien fait pour vous.

À gauche : la N-Gage, lancée par Nokia en 2003, est à la fois un téléphone mobile évolué (téléphonie, lecture mp3, surf sur Internet, GPS) et une console de jeu portable. Mal positionnée sur un marché encore hésitant elle ne trouvera pas son public, et en tant que téléphone elle a un gros inconvénient : on doit coller la tranche de la console sur son oreille ("Side Talking"), ce qui est ridicule. La seconde version, à droite, nommée N-Gage QD, corrigera ce problème et proposera un design général plus centré sur le jeu, mais ce ne sera pas suffisant, et Nokia jette l'éponge en 2006 après avoir vendu un total 3 millions de N-Gage environ. Avec un catalogue de 60 jeux la N-Gage deviendra une technologie intégrée à la gamme traditionnelle Nokia, mais le projet semble passé au second plan des préoccupations du constructeur.

Ashen fut un événement majeur dans la courte vie de la N-Gage : ce fut le point de départ d'un vrai soutien de la part de Nokia envers sa machine. Jusque là le constructeur finlandais avait fait preuve d'un laxisme considérable en comptant beaucoup trop sur les éditeurs tiers, lesquels ne s'étaient pas pris la tête, se bornant à quelques adaptations de leurs franchises populaires. Il manquait toujours un titre vraiment nouveau et exclusif qui puisse éveiller un minimum l'intérêt de joueurs globalement indifférents à l'égard de l'hybride portable. Ashen permit, parallèlement à la sortie du modèle QD, d'atténuer un tant soit peu cette période de doutes, de discrétion et de railleries diverses subis par la N-Gage, et ce même si le mal était d'ores et déjà fait aux yeux de beaucoup de monde.

Vous êtes Jacob Ward, un ancien militaire réformé depuis dix ans. L'histoire débute alors que la ville de Seven River City est touchée par des phénomènes surnaturels qui ont poussé les habitants à fuir : des hordes de monstres ont envahi les constructions et les rues de la cité. Jacob est convaincu que sa sœur Vanessa, une historienne passionnée par les sciences occultes et les civilisations anciennes, est à l'origine de ces événements. Il décide d'investir la cité pour retrouver Vanessa et tenter de percer le mystère derrière cette apparition malsaine.

Réalisé par Torus Games (studio australien), Ashen est un FPS où décors et ennemis sont intégralement en 3D, chose à l'époque très inhabituelle sur portable. L'action se déroule sur huit chapitres, lesquels sont parfois divisés en deux niveaux, et à l'instar de nombreux FPS console il n'y a aucune possibilité de sauvegarde en cours de jeu, ni même par check-point : si l'on meurt il faut recommencer le niveau depuis le début. Les niveaux sont eux-mêmes divisés en objectifs à accomplir, la plupart se bornant à rejoindre tel ou tel endroit, ce qui n'est pas franchement justifié vu le caractère globalement très linéaire du jeu. Côté commandes on retrouve les actions de base (moins l'ouverture des portes, automatique).

Ashen commence plutôt calmement. Au début de l'aventure, Jacob ne semble pas très au courant de ce qui se passe vraiment à Seven River City. Il y va donc les mains vides, mais une fois sur place il découvre après une courte marche un cadavre de monstre avec un pistolet alien à ses pieds. Il récupère l'arme et c'est là que commence véritablement le jeu. On est alors plongé dans une ambiance sombre, parfois gothique, très bien soutenue par une bande-son à l'avenant qui se paie le luxe d'être dynamique en s'adaptant aux phases de jeu. Néanmoins, on ne peut pas se contenter de s'extasier : le pistolet alien, bien qu'il ne nécessite pas de munitions, est peu puissant et d'autres armes devront être ramassées pour espérer rester en vie dans Seven River City. Revolver, fusil à pompe, mitraillette, Gatling et autres lance-grenades sont autant de joujoux qu'il faudra utiliser à bon escient en fonction de leur cadence de tir, de leur portée, des ennemis rencontrés et des situations de jeu plus ou moins retorses dont il faudra vous sortir.

Puisqu'on parle de situations délicates, les ennemis à affronter sont un des points les plus intéressants d'Ashen. Bien qu'ils soient peu variés (sept espèces différentes au total), ils ont bénéficié pour la plupart d'un minimum d'IA. Pour anecdote, Classified - The Sentinel Crisis, un FPS de gamme budget sorti en avril 2006 aux États-Unis sur Xbox et réalisé par Torus Games, a été remarqué pour l'intelligence artificielle de ses ennemis, et ce malgré la médiocrité manifeste de l'ensemble, ce qui prouve que c'est un point que les Australiens semblent bien maîtriser (l'intelligence artificielle hein, pas la médiocrité). Voici une présentation des différents ennemis rencontrés au cours du jeu.

- Le Chasseur (Hunter) est le premier ennemi rencontré en cours de jeu, il est armé du même pistolet que celui ramassé par Jacob au début de l'aventure. Son comportement est assez basique, mais il est tout de même capable d'éviter les tirs pour essayer de se rapprocher autant que possible du joueur. Il ne pose pas de problème s'il agit en solo, mais se montre plutôt redoutable en groupe.
- La Créature de Crypte (Crypt Crawler) est un monstre qui prend un malin plaisir à grimper aux murs voire aux plafonds, et à ramper le long de ceux-ci pour être plus difficile à viser. Ce sympathique effet de surprise est le seul véritable atout de cet ennemi qui s'avère assez peu résistant.

- Le Spectre (Wraith) a pour particularité d'être invisible, il faut utiliser les lunettes de vision nocturne afin de le voir, lorsqu'il manifeste sa présence par son grognement spécifique, ce qui n'est pas sans rappeler la façon d'aborder les fameux Heaven Smiles de Killer7. Il fonce rapidement sur le joueur pour lui infliger des blessures, on conseillera donc une arme à forte cadence de tir pour s'en débarrasser, éventuellement le fusil à pompe si l'on a de la place pour reculer.
- De tous les ennemis régulièrement rencontrés dans Ashen, le Diacre de Feu (Fire Deacon) est clairement le plus redoutable. Bien qu'il se comporte de façon primaire il est très résistant, ce qui lui permet de jouer les poseurs et de s'approcher tout en encaissant plusieurs assauts du joueur. Une arme puissante est vivement recommandée pour tuer cette véritable teigne.

- Le Jabot Flottant (Broodmaw) est une créature que l'on croise assez peu dans Ashen et c'est plutôt dommage. Cet ennemi volant attaque d'abord par rayons plasma, mais quand il est sur le point de mourir, il se suicide en fonçant sur le joueur pour exploser à son contact ! Effet garanti si vous réagissez trop lentement.
- La Douve Foudroyante (Storm Fluke) est une créature aquatique vraiment sadique : elle attaque le joueur avec des ondes électriques, ce qui peut évidemment provoquer des dégâts importants au contact de l'eau. Néanmoins ces ondes sont de faible portée, on pourra donc toujours l'attaquer à distance, tout en prenant garde à ne pas rester trop longtemps immergé.

- L'Aquagore est un monstre amphibie qui fait office de premier boss dans Ashen, bien qu'on le rencontre à plusieurs reprises. Puissant, résistant et plutôt agile, il est cependant peu dangereux sur la terre ferme si l'on se tient à distance. Il est en revanche plus agressif dans l'eau, où il peut lancer des piques.

- À l'instar de l'Aquagore, on croise plus d’une fois le Traqueur Psi (Psi Stalker) qui sert de deuxième boss dans le jeu. Encore plus puissant et résistant que son confrère, il est indispensable de se servir du décor pour battre en retraite puis revenir rapidement afin de le canarder jusqu'à ce que mort s'ensuive pour lui. Sa lenteur est son seul défaut.

Comme évoqué plus haut, les niveaux d'Ashen sont globalement très linéaires mais assez agréables à parcourir, alternant régulièrement structures classiques et alambiquées, en intérieur comme en extérieur (les derniers niveaux sont cependant à proscrire aux claustrophobes). La touche de saut est assez peu sollicitée au départ avant de devenir indispensable dans les contrées les plus avancées. Côté difficulté vous serez servis : dès le mode normal le challenge est rendu âpre par la ténacité des ennemis, ce qui ajouté à l'absence de sauvegarde à volonté requiert une grande patience de la part du joueur. Le fameux « die and retry » est une constante dans Ashen et nécessite une bonne connaissance des lieux et de l'emplacement des dangers qui posent problème. Il faut apprendre à choisir son arme en fonction de la situation, et faire attention à ne pas récupérer les armures disséminées dans le niveau de façon systématique, car celles-ci font effet immédiatement même si l'on a déjà atteint le niveau maximal de protection. De ce fait, si Ashen est un FPS qui laisse une place de choix à l'action brute, le joueur doit parfois analyser le contexte avant d'agir, surtout en cas de morts répétées au même endroit. À ce propos, je vous recommande vivement, lorsque vous arriverez au boss final du jeu, de changer d'arme et de commencer l'affrontement au pistolet alien : ainsi vous pourrez étudier le comportement du boss et détecter le moment précis où vous pourrez le mitrailler. Une fois que vous avez saisi le truc, faites parler l'artillerie lourde, ainsi vous éviterez comme moi de commencer par vider les grosses munitions sans que cela lui fasse quoi que ce soit, et de passer trois quarts d'heure à comprendre sa façon d'attaquer puis à le combattre au pistolet alien. Je précise que malgré cela j'ai vécu un grand moment.

La réalisation d'Ashen est de très bonne facture dans l'ensemble : le jeu tient bien la route techniquement, les ennemis en 3D évoqués plus haut étant un bon indice du sérieux dont les développeurs ont fait preuve sur ce plan. Les niveaux sont vastes et le frame-rate, sans être très élevé, reste globalement constant. Côté design, outre le style graphique et les musiques, l'atmosphère est aussi soutenue par les bruitages d'ambiance : on entend régulièrement les sinistres geignements des ennemis rodant aux alentours, ce qui rappelle immanquablement Doom. D'ailleurs Ashen fait d'autres clins d'œil au jeu d'Id Software via les ennemis volants et les lunettes de vision nocturne. On sent que les gars de Torus Games sont amateurs de FPS et que leur brillantissime travail sur la conversion de Doom 2 sur Gameboy Advance, qui a précédé le développement d'Ashen, les a fortement marqués. La jouabilité nécessite certes un temps d'adaptation au vu de l'ergonomie de la N-Gage, mais la possibilité de redéfinir intégralement les commandes du jeu et la bonne réactivité de celles-ci compensent très bien. J'ai terminé le jeu en mode Normal, et globalement j'ai bien plus souvent pesté contre le caractère coriace des ennemis, même si certains éléments de maniabilité (la gestion du fusil de sniper notamment) laissent à désirer.

Ashen est un très bon jeu qui mérite amplement sa place dans toute ludothèque N-Gage qui se respecte. Bien réalisé, doté d'un gameplay tout à fait satisfaisant dans son ensemble, il justifie pleinement l'existence de la fonction console de jeu de la machine de Nokia, comme le firent plus tard d'autres jeux exclusifs que j'espère avoir l'occasion d'analyser ici, histoire de faire un peu de réhabilitation, de gonfler la hype et de voir des « RARE !!! N-GAGE COMPLÈTE EN BOÎTE !!!!! » sur Ebay. Notre cher site n'a pas fini de montrer l'étendue de sa puissance...

Barbo
(26 janvier 2009)
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