Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par MTF (09 juillet 2017)
Je fais un peu ici les choses à l'envers ; l'année dernière, j'avais parlé du deuxième épisode de Crash Bandicoot, que je considère comme le meilleur de la trilogie originale pour sa perfection modeste, même si rien de ce qu'il propose n'est réellement novateur. J'ai ensuite parlé du troisième opus, certes plus beau mais comme éparpillé et, je trouve, moins peaufiné, plus laborieux ; je termine par le premier épisode, refait récemment avec ses compères. C'est un jeu historiquement important, et pour sa compagnie, qui tenait là son premier grand succès, et pour la Playstation, première du nom, qui s'offrait une démo technique qui resta dans les mémoires. Cela fut même un jeu important pour Sony, même si ce fut à contrecœur et comme je l'expliquerai plus loin. La mascotte dont on ne voulait pasLes détails du développement de Crash Bandicoot, bien connu à présent et résumé longuement sur Wikipedia, ne serait-ce, sont passionnants à parcourir ; je n'en dirai cependant ici que le strict minimum, pour me concentrer davantage sur son gameplay. Avant la sortie de Crash Bandicoot, la Playstation n'était pas réellement reconnue comme une console associée au genre de la plate-forme. Il y avait bien eu quelques tentatives auparavant, des adaptations comme celles de Mickey Mania, Rayman, The Adventures of Lomax dans le courant de l'année 1996, Pandemonium!, mais les joueurs s'orientaient davantage vers l'aventure ou l'action. La Saturn de Sega et la Nintendo 64 paraissaient plus équipées pour le genre. La Saturn, évidemment, était toute orientée vers la gestion de gros sprites ou de jeux inspirés de la génération antérieure de machine, et il suffit de voir Bug!, Clockwork Knight, Mr. Bones ou Astal pour s'en convaincre ; quant à la N64, elle avait fait de Super Mario 64 son ambassadeur et elle parvenait à gérer, nonobstant parfois quelques effets de brouillard cache-misère, des univers entiers. Reprenons ces trois points les uns après les autres. La nouvelle direction du jeu vidéo, c'était celle d'un univers, d'un héros, qui se faisait bien moins lisse que les Mario, les Sonic ou les PC Kid d'alors. On peut considérer que Crash Bandicoot fut au jeu vidéo ce que Screwball Squirell fut au dessin animé : on vit apparaître alors une sorte d'anti-héros d'inspiration psychotique, au regard fou et à l'attaque étrange - un tourbillon inspiré du diable de Tasmanie -, affrontant des savants fous modifiant génétiquement de gentils animaux et confiant à ces derniers des mitrailleuses et des cigares... Les campagnes de publicité de l'époque, jouant sur la « folie » prenant les joueurs s'essayant au jeu, fleuraient bon l'esprit MTV de la première moitié des années 1990 et mettaient l'accent sur le « fun » et l'énergie de la jeunesse pour séduire tout un public adolescent, ou de jeunes adultes, qui se lassaient des papillons de Mario ou des lapins de Sonic. Mais de l'autre côté, Crash Bandicoot s'habillait des oripeaux de ses pères et notamment de Donkey Kong Country, le dernier succès grand public du genre, dont il reprend nombre de thèmes : le decorum tropical, ici vaguement inspiré de l'Australie, est mis en péril par une industrialisation massive et la pollution de différentes usines ; des temples antiques dissimulent d'anciens pièges, et des objets en bois octroient différents bonus, ici ce sont des caisses plutôt que des tonneaux. Le lien était évident pour les joueurs de l'époque et conférait ce faisant au jeu une sorte d'hérédité manifeste qui, à défaut de présager des qualités du jeu lui-même, dévoilait le pédigrée de ses développeurs. Un nouveau visage du jeu vidéo ?Ces éléments historiques ont beaucoup compté dans la postérité du jeu car, sans cela, on ne saurait attribuer un quelconque génie, ou une quelconque nouveauté, à Crash Bandicoot. Celui-ci se présente comme un jeu de plates-formes composé d'une trentaine de niveaux et de six boss, linéairement disposés sur trois îles qui peuvent être considérés comme des « mondes », même si la chose est plus empirique que régulièrement pensée. Par exemple, le second boss, Ripper Roo, est situé au début de la seconde île et non pas, comme l'on s'y attendrait, à la fin de la première. L'histoire est des plus classiques : Crash Bandicoot est un cobaye, enlevé par le professeur Néo-Cortex pour subir des expériences diverses. Ce dernier veut effectivement se constituer une armée d'animaux mutants pour conquérir le monde. Crash, par trop stupide pour le rayon mutagène, parvient à s'échapper du complexe mais sa bien-aimée Tawna, une bandicoot à la longue chevelure blonde, est encore prisonnière. Tandis qu'il s'échoue sur une plage, bien loin de sa promise, Crash entreprend un long périple pour vaincre le docteur Cortex et sauver sa fiancée. Les niveaux sont constitués d'un cheminement linéaire, proposant parfois une intersection. Ils peuvent se présenter soit sous la forme d'un couloir s'étendant du bas de l'écran vers son sommet, soit vu de côté à la façon des consoles d'antan soit, encore, comme un mélange des deux vues. Une fois l'issue d'un niveau atteinte, le chemin vers le suivant s'ouvre et ainsi de suite, jusqu'au boss final. Toujours plus loin...Pour atteindre la « vraie » fin du jeu, il faudra au joueur non seulement finir tous les niveaux mais également dégoter, dans chacun d'entre eux, une gemme colorée, leur totalité permettant de s'échapper de l'île de Cortex avec Tawna. Pour obtenir ces gemmes, rien de plus simple, du moins en théorie : il suffit de briser l'intégralité des caisses d'un niveau en une seule vie. La tâche, aussi simple soit-elle à décrire, est pourtant très difficilement atteignable pour plus d'une raison. Tout d'abord, la chose est délicate à cause d'un choix de gameplay malheureux : dans certains niveaux, il faut avoir obtenu ailleurs une gemme colorée pour ouvrir un sentier parallèle, menant à tout un pan caché du stage et inaccessible autrement. Hélas, comme rien sur la carte n'indique si une gemme est exigée pour ce faire ; que dans le niveau un tout petit indice, difficilement visible sur un petit écran, le montre effectivement ; enfin, que la chose est souvent située à proximité de la sortie du stage, et qu'il est donc facile de la rater ; l'objectif est moins simple qu'il n'y paraît. On commence alors souvent un niveau dans l'espoir de le finir totalement avant de s'apercevoir qu'il nous manque deux, cinq, dix caisses et qu'il nous faudra y revenir ultérieurement. La gestion de la profondeur, dans les jeux vidéo en trois dimensions, a été l'un des problèmes les plus délicats au commencement de la 3D. Les développeurs, souvent, ont donné à leurs héros des mouvements et des capacités susceptibles d'amollir, ou d'aménager la difficulté sans compromettre pour autant l'exigeance de la maniabilité. Mario, dans Super Mario 64, peut à présent s'accrocher et se suspendre aux corniches, pour se rattraper suite à un saut trop court ; Kazooie plane légèrement et permet à Banjo de mieux gérer sa chute, pour éviter la frustration. Crash Bandicoot refuse ses artifices, mais cela joue contre lui : tous les sauts finissent par avoir la même amplitude, et il faut constamment aller au plus loin de ses capacités pour survivre, malgré son intuition. En un mot, dans Crash Bandicoot, les plates-formes sont toujours plus loin qu'on ne le croit. Lorsque l'on doit, au contraire, faire des petits sauts, comme en traversant des ponts constitués de caisses pour les détruire successivement, on finit une fois sur deux par mourir injustement tant le maniement se fait délicat. Le jeu de la chance et du hasardCrash Bandicoot est, du pur point de vue de son gameplay, un jeu éminemment perfectible. Encore une fois, on ne peut manquer de le comparer à Donkey Kong Country, premier du nom, à qui l'on reprochait un certain manque de profondeur au regard des autres jeux Nintendo du temps. Quand bien même cela serait-il vrai, DKC avait pour lui une jouabilité irréprochable et savait alterner son rythme et les exigences de saut, de vitesse, qu'il demandait au joueur. En comparaison, Crash Bandicoot est bien plus monotone et, en l'absence de nouvelles mécaniques de gameplay, en serait presque ennuyeux, surtout lorsque l'on essaie de le compléter totalement et de s'essayer à ses ultimes challenges. On a voulu en faire le fer de lance d'un « nouvel esprit du jeu vidéo », mais il n'en avait sans doute point les épaules : preuve s'il en est, il ne survivra pas réellement à la console pour laquelle il avait été pensé. Je ne le verrai jamais que comme une démonstration technique, qui sera certes, avec sa suite, suffisamment travaillée pour s'émanciper de son rôle publicitaire, mais qui ne parviendra jamais à se hisser dans un quelconque panthéon de joueurs ; tout au plus ne sera-t-il qu'une notule, dans une étude de diachronicien. Sources, remerciements, liens supplémentaires : L'article est disponible en lecture à voix haute, avec commentaires de l'auteur, sur cette page (lien extérieur) ou via le lecteur suivant : Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (125 réactions) |