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Deathchase
Année : 1983
Système : ZX Spectrum
Développeur : Mervyn J Estcourt
Éditeur : Micromega
Genre : Action
Par Sebinjapan (10 octobre 2011)

Une inspiration venue des étoiles.

C'est en 1983 que sort le troisième volet de la trilogie Star Wars (oui Star Wars : j'écris cet article en 2011, plus personne ne dit "La Guerre des Etoiles" depuis bien longtemps !). Le bien nommé Le Retour du Jedi apporte une fin en apothéose à l'histoire de Luke Skywalker. Cependant certains fans hardcore (ce qui se traduit par "fans chiants" en bon français) reprochent au film une tournure un peu infantile, avec la présence des oursons Ewoks sur la planète Endor. Pourtant, il n'y a pas débat autour de la présence d'une scène culte mettant justement en scène (entre autres) ces petits êtres de fourrure sur leur planète verdoyante : la course-poursuite en speeder-bike dans la forêt.
Non seulement cette scène contient une action à couper le souffle, mais elle alimente immédiatement chez les gamers de l'époque un sacré fantasme : retrouver la même intensité dans une adaptation vidéo-ludique du film qui nous permettrait de reproduire ce slalom endiablé entre les arbres, tout en canardant ses ennemis.

Les adaptations fidèles viendront ... mais pas tout de suite. Le premier jeu à reproduire cette scène étant Return of the Jedi de Atari Games sorti en 1984 en arcade. Mais l'action représentée en 3D isométrique est loin de reproduire les mêmes sensations que la vision du film.
En 1994, le développeur Sculptured Software nous sert Super Return of the Jedi sur Super Nintendo. La scène est présente et jouable, mais l'action est confuse et pas vraiment prenante.
Même Maître SEGA en 1998 ne parvient pas à satisfaire le fan en quête de sensations fortes avec Star Wars Trilogy en arcade. Certes, on s'amuse dans cette phase en vue subjective, mais c'est lent et bien trop facile. On peine encore une fois à retrouver les sensations qu'on s'imaginait éprouver à la vue du film.
En fait, ce n'est qu'en 2003, grâce à Rogue Squadron 3 : Rogue Leader de Factor 5 sur Gamecube qu'on trouvera enfin une scène de poursuite satisfaisante, rapide et bourrée d'action. Il aura donc fallu attendre 20 ans ?!?

La course en speeder-bike dans quelques jeux vidéo. De gauche à droite : Return of the Jedi (Atari - 1984), Super Return of the Jedi (Sculptured Software - 1994) et Rogue Squadron 3 (Factor 5 - 2003).

Et pourtant, dès 1983, soit la même année que la sortie du film, un jeu était déjà présent et offrait toutes les sensations recherchées. De la vitesse, de l'adrénaline, des arbres à esquiver, et des motos ennemies à abattre. En arcade ? Non. Sur consoles ? Non. C'est en fait une misérable cassette destinée auZX Spectrum, contenant un petit programme de moins de 16 kilo-octets qui accomplit cet exploit. Un jeu Star Wars sur ZX ? Même pas ! Le jeu n'a rien à voir avec la licence Star Wars. Et, même si le contraire serait surprenant, rien ne prouve que l'auteur se soit inspiré du Retour du Jedi et ait eu comme ambition de reproduire la scène se déroulant sur Endor. Après cette longue introduction, il est temps de parler de ce programme magnifique, enfourchez votre bécane, et plongez dans le monde de Deathchase.

De Jedi à Chasseur de primes.

La jaquette originale présente une moto volante futuriste, très éloignée du design présent dans le jeu ! La jaquette de la ré-édition chez Zeppelin Games est beaucoup plus fidèle.

Dans Deathchase, ou 3D Deathchase comme il est également appelé (parfois orthographié Death Chase en deux mots), on incarne un mercenaire en l'an 2501 (c'est précis). La Terre a été dévastée suite à la "Grande Guerre" il y a 100 ans et différents seigneurs de guerre se partagent le contrôle de ce qui reste en le conquérant par la force. Engagé par l'un de ces nouveaux maîtres du monde, le joueur enfourche sa moto et part chasser les soldats ennemis en échange d'une prime en dollars qui constitue en fait le score du jeu.
Voilà pour l'histoire qui nous est contée dans la notice du jeu. Mais elle est sans importance car Deathchase est un jeu très simple qui va directement à l'essentiel : l'action !

La page de présentation.
On démarre doucement avec peu d'arbres à éviter.

En vue subjective, le joueur dirige donc une moto qui file à vive allure alors que le scrolling frontal, fluide et très rapide, le fait avancer vers son but, vers ses cibles : il s'agit de deux autres motos qu'il faut impérativement abattre pour passer au niveau suivant. Pour cela, une pression sur le bouton de tir du joystick provoquera l'envoi d'un projectile mortel. Le joueur peut légèrement influer sur la trajectoire de ce dernier en bougeant la manette, afin de le diriger avec plus de précision vers ses ennemis. Mais attention à ne pas se prendre un arbre en pleine face en effectuant cette manoeuvre !
En effet, la principale difficulté du jeu n'est pas de toucher ses cibles, mais de rester en vie en évitant les arbres qui, au fil des niveaux, se font de plus en plus nombreux. Pour cela, il faut vivement pencher son joystick vers la gauche ou la droite tandis que les directions haut et bas permettent de contrôler sa vitesse. Si ralentir peut vous sauver la vie, on sera forcé de ne pas recourir à cette option trop souvent, d'une part parce que sinon il sera impossible de rattraper les autres motos, et d'autre part car le jeu ne nous laisse tirer que quand on se déplace à la vitesse maximale ! Ces contraintes obligent donc à prendre des risques, à frôler la mort à chaque instant, et garantissent des parties haletantes et passionnantes.

Les deux motos à abattre se trouvent à droite. Un tank offrant un bonus de points arrive par la gauche. L'indicateur "range" en bas à droite clignote lorsque les motos sont à portée de tir.

Les deux motos ennemies doivent donc obligatoirement être détruites pour avancer dans le jeu, mais d'autres véhicules sont également présents pour gonfler son score. Des tanks et des hélicoptères traversent ainsi de gauche à droite le fond de l'écran. Les seconds sont particulièrement difficiles à atteindre puisqu'on ne peut les toucher que quand ils se posent à terre pendant un court instant. Ces cibles bonus sont toujours éloignées et obligent à aller très vite pour pouvoir les abattre. D'ailleurs, lorsqu'un ennemi est à portée de tir, l'indicateur "range" en bas et à droite de l'écran s'allume. C'est fort bien vu, car cela permet d'éviter de tirer inutilement et ainsi on peut se concentrer sur son slalom entre les arbres.

Patrouille de nuit.
Ce tir atteindra-t-il le tank au fond de l'écran ?

Chaque niveau est divisé en deux "patrouilles" : une se déroulant de jour et une de nuit. Une fois les deux motos détruites dans chacune des deux patrouilles, on passe au niveau suivant, qui suit la même configuration de jeu mais avec plus d'arbres et une difficulté donc accrue.
Après huit niveaux, donc 16 patrouilles, on obtient un important bonus de points, puis le jeu reboucle au 1er niveau.
Notons que les décors ne changent jamais, ni les adversaires. La réalisation graphique comme sonore (bruit du moteur de la moto) est minimaliste, mais l'animation et la maniabilité sont absolument parfaits, et c'est là le plus important.

Deathchase : le meilleur jeu du Spectrum ?

Le numéro 74 du magazine Your Sinclair rend hommage à Deathchase. Lisez l'article ici.

En 1992, soit presque 10 ans après sa sortie, Deathchase fut désigné comme étant le meilleur jeu Spectrum de tous les temps par le magazine Your Sinclair. C'est une sacrée reconnaissance quand on sait qu'il s'agit d'un des premiers titres de la machine, machine qui après 10 ans d'exploitation compte une ludothèque de plus de 10,000 jeux, riche en titres de qualité à l'image des réalisations de Ultimate Play the Game (voir notre dossier). Comment expliquer une telle popularité ?
C'est simple : Deathchase est un jeu d'action sans fioriture, parfaitement calibré, rapide, et procurant des sensations comme aucun autre jeu sur micro-ordinateur en 1983. Des sensations fortes même. Car la concentration dont on doit faire preuve, alors qu'on est littéralement aspiré dans l'action, plonge le joueur dans un état second, un état où tous ses sens sont en ébullition et ses réflexes au comble de leur sollicitation.

Entre la vitesse de défilement du scrolling et les très nombreux arbres, les derniers niveaux sont jouissifs !

Esquiver les arbres dans les niveaux avancés peut sembler impossible, surhumain, à un spectateur observant une partie de Deathchase. On retrouve là, dans ce slalom de l'extrême entre ces obstacles qui nous frôlent, les mêmes mécaniques de jeu (et les mêmes poussées d'adrénaline) que dans l'évitement des multiples projectiles d'un danmaku, un "manic-shooter" comme Cave en a le secret dans des titres survoltés comme Dodonpachi. L'extrême vitesse qui règne dans une partie de F-Zero GX sur Gamecube, ou Burnout 3 sur PS2/Xbox livre une expérience également proche de Deathchase, certes magnifiée par une réalisation grandiose et quelque peu complexifiée par un gameplay plus profond, mais qui parvient cependant à retenir la même action pure que ce qui est proposé dans le jeu Spectrum.

Deathchase et les shmups Cave : même combat ! (ils sont pas bien chez Grospixels ...)

La comparaison avec un manic-shooter vous semble exagérée ? On a pourtant ici aussi cette nécessité de gérer à la milliseconde près son environnement à deux niveaux : de près, au niveau de son véhicule, où l'on va esquiver les obstacles/projectiles, et de loin, au niveau du décor, où on va devoir repérer un passage, un chemin, entre les grappes de boulettes dans l'un et la disposition des arbres dans l'autre.

Deathchase est donc un formidable jeu d'action, l'un des tout meilleurs jamais produits au début des années 80. Il ne paie pas de mine, et les premiers niveaux, dans lesquels les arbres sont peu nombreux, n'en révèlent pas toute sa grande qualité liée à son rythme infernal.
De plus, grâce à son concept simple et sa maniabilité abordable, Deathchase a formidablement bien résisté au poids des années. J'en sais quelque chose car je n'ai pas découvert Deathchase en 1983, mais en 1994. C'est en fait le tout premier jeu que j'ai lancé sur mon tout premier émulateur ! Un émulateur ZX Spectrum, vous vous en doutez, tournant sur un Amiga 1200. Et le jeu m'a littéralement hypnotisé, éclipsant pour un temps les Super Hang-On, No Second Prize et RVF Honda que j'avais alors l'habitude de lancer quand j'avais envie d'une balade à moto !

Une très bonne adaptation "homebrew" sur Amstrad CPC.

Pour vous donner envie, regardez donc cette video (avancez aux trois quarts de la vidéo pour voir les niveaux avancés).

Aussi dingue que ça puisse paraître pour un jeu aussi bon, Deathchase est resté une exclusivité ZX Spectrum. Du moins, officiellement. Car c'est en 2008 qu'une autre machine 8-bits accueille ce morceau d'anthologie. C'est ainsi qu'un amateur passionné nommé "The Executioner" produit une version destinée à l'Amstrad CPC. Cette dernière se montre extrêmement fidèle, aussi rapide et haletante, et bénéficie d'un peu plus de couleurs et d'un effet sonore et graphique supplémentaire quand un ennemi est touché.
De nombreux remakes sont également sortis sur PC mais, ironiquement, aucun ne propose les mêmes sensations que la bonne vieille version Spectrum !

Du même auteur...

L'auteur de Deathchase est un britannique qui se nomme Mervyn Estcourt. À ma connaissance, il n'a encore jamais donné d'interview à un quelconque site de jeux vidéo et on ne sait donc pas dans quelles conditions il a réalisé ce jeu, ni si l'idée lui est venue en regardant "Le Retour du Jedi". On ne sait pas non plus malheureusement si l'excellent gameplay provient de longues sessions de tests ou est simplement le fruit de quelques paramètres mis plus ou moins au hasard dans le programme du jeu.

Ce qu'on sait en revanche, c'est que Mervyn Estcourt est l'auteur de deux autres jeux également sortis sur ZX Spectrum.

Luna Crabs
(Micromega - 1983)

Luna Crabs est un shoot-them-up à la Space Invaders. On dirige un canon en bas de l'écran qu'on peut bouger latéralement avec les touches 1 et 0 et faire tirer avec la touche 9. Il faut détruire des crabes extra-terrestres qui balancent des boules d'acide et qui se déplacent rapidement sur tout l'écran. La surface de jeu est plus grande que l'écran qu'on peut faire défiler avec un scrolling horizontal. Répétitif mais amusant, ce jeu de tir classique est le tout premier jeu de Mervyn Estcourt. Et il dispose déjà d'un point commun avec Deathchase : il est en effet déjà possible dans ce jeu de diriger légèrement son tir en appuyant sur les touches de déplacement.

Full Throttle
(Micromega - 1984)

On reste dans les motos avec Full Throttle. Il s'agit ici de disputer une course "arcade" façon Pole Position sur 10 circuits face à 39 concurrents. Le jeu n'est pas très joli et la maniabilité demande un certain temps d'adaptation, mais le défilement de la route est particulièrement convaincant et rapide, grâce à un scrolling frontal quasi-parfait, ce qui n'étonnera personne de la part de l'auteur de Deathchase. Le jeu a été bien accueilli sur Spectrum et a ainsi été adapté sur d'autres micro-ordinateurs 8-bits tels que l'Amstrad CPC, l'Atari XL, le Commodore 64 et le MSX, parfois sous le nom de Speed King, mais il ne rencontrera pas énormément de succès sur ces machines. Bien que très (trop ?) difficile, Full Throttle est un des meilleurs jeux du genre sur Spectrum.

Sebinjapan
(10 octobre 2011)
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