Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par MTF (17 septembre 2022) De mon enfance à maintenant, la figure de Donkey Kong ne m'a jamais franchement quitté. De la révolution qu'incarna, jadis, Donkey Kong Country et surtout, pour moi, Donkey Kong Country 2 qui demeure l'un de mes jeux préférés de tous les temps, jusqu'à Donkey Kong: Jungle Beat sur Game Cube en passant par les Donkey Kong Land sur Game Boy et les adaptations sur Game Boy Advance, je n'ai jamais vraiment cessé d'incarner des singes poilus. Aussi, lorsque fut annoncé en 2008 le grand retour des macaques sur la Nintendo Wii, je ne pouvais manquer d'être particulièrement excité... mais également assez circonspect. Basé à Austin, au Texas, Retro Studios a dès le commencement collaboré étroitement avec Nintendo qui voyait là l'occasion d'avoir un studio américain pour agrémenter et varier leur catalogue. Leur premier projet d'envergure fut également celui d'un grand retour, car il s'agissait de nul autre que Metroid Prime, nouvel épisode de la fameuse saga près de huit années après Super Metroid et reçu à l'acclamation quasi générale et des critiques, et du public. Ce sera peu après la fin du développement de Metroid Prime 2: Echoes, là encore assez bien reçu bien qu'il ait moins soulevé les passions, que Retro Studios fit connaître son intention de plancher sur un nouvel épisode de Donkey Kong Country. Le développement du projet, nom de code « Fate », commença finalement après la sortie, en 2007, de Metroid Prime 3: Corruption. Tracas timbréQue l'on ne croie pas l'apostille « Returns » innocemment offerte : DKCR est, dans son ADN propre, un nouveau départ pour la série Donkey Kong Country et il s'efforce de revenir, anachroniquement presque, à l'essence du tout premier épisode de 1994. Le mouvement n'est pas sans rappeler celui que Mario lui-même opéra avec la série des New Super Mario Bros. comme si le présent, à l'époque, ne pouvait s'écrire qu'au passé. L'on oublie donc la plupart des animal buddies à l'exception de Rambi, les mouvements en duo introduits par DKC2, le jet de copain et de copine qui dynamisait beaucoup la partie ; oublié, le monde semi-ouvert de Donkey Kong Country 3: Dixie's Double Trouble. Cet épisode s'installe certes sur les épaules des géants, et les clins d'œil sont sans doute plus nombreux qu'on ne le penserait de prime abord, mais il entend écrire une légende solipsiste. Comme on le voit, ce prétexte est on ne peut plus proche de celui du premier épisode avec, néanmoins, deux différences de taille. D'une part, l'imagerie développée par les antagonistes. Jadis, les Kremlings étaient certes des boucaniers, mais ils étaient notablement associés à des figures militaires et mécaniques. Ce fil est présent dès le premier jeu, que ce soit par l'intermédiaire d'ennemis en treillis ou au ceinturon rempli de munitions, ou encore par ce monde dédié entièrement à des usines polluantes et mortifères. Par la suite, leur chef King K. Rool ne cessera de développer des machines et des engins pour lutter contre nos singes, à la façon d'un duel épique entre culture et nature, entre progrès et tradition. C'était un canevas somme toute convenu mais assez bien efficace et, surtout, particulièrement clair et compréhensible. On pourra sans doute se moquer des paragraphes précédents, à me voir ainsi philosopher sur une histoire opposant des instruments de musique démoniaques à des gorilles et des chimpanzés, et ce à propos de vol de bananes. Je ne fais cependant pas cela gratuitement et je trouve que ces aspérités et ces nuances représentent bien à la fois toutes les belles qualités, et tous les notables défauts, de cet épisode. DKCR est effectivement un jeu qui est à la fois obnubilé par des ancêtres qui demeurent, encore aujourd'hui, indépassables historiquement tant ils ont marqué culturellement leur temps, et orgueilleux comme un adolescent qui se découvre une force nouvelle, veut crier à la face du monde « Me voilà ! », mais gesticule et se fatigue plus qu'il n'accomplit quoi que ce soit. Filon filantLe cheminement de Donkey Kong et de son acolyte Diddy, qui viendra lui prêter main forte, prendra la forme d'un parcours linéaire autour de leur île et ce au long de huit mondes segmentés en plusieurs niveaux et se soldant, comme on peut s'y attendre, par un patron particulièrement belliqueux. On ne trouve là point de warp-zones et si ce n'est le choix de débloquer, dans chaque univers, un niveau alternatif au moyen d'une clé achetée à Cranky Kong, on n'aura guère de liberté pour notre prochaine destination. Le monde de DKCR, à ce que l'on croit voir dans cette aventure, donne plus que jamais l'impression tenace d'une nature hostile et impénétrable, dans laquelle il faut tailler un chemin périlleux. Au gré de notre parcours, nous défoncerons des montagnes et des pitons rocheux, nous ouvrirons des trouées et le moindre des sols, dévorés par le temps, peine à résister sous notre poids. Les rares traces de civilisation, les rails de chariots-miniers ou les ruines millénaires, se pulvérisent sur notre passage quand ce ne sont pas les vagues, les pieuvres géantes et les plantes carnivores qui ont juré notre perte. Plus que jamais, les plates-formes et les éléments du décor doivent être maîtrisés et appréhendés pour progresser, tant sont rares les interventions dirigées par un esprit quelconque. DKCR est un spectacle époustouflant, voire éreintant lors de longues sessions de jeu tant nous en prenons plein les mirettes. Rares sont, dans les niveaux, les moments de repos, et ils iront diminuant au fur et à mesure de l'aventure jusqu'à ce qu'on ne puisse plus, dans le stage du volcan, que temporairement rester ci et là avant de devoir reprendre sa folle traversée. Le rythme de la progression en devient donc particulièrement enlevé et DKCR rejoint ainsi une philosophie de la plate-forme 2D que fera sienne à la même période un jeu comme Rayman Origins. C'est l'extase qui doit à présent guider nos mouvements, les réflexes assurés et l'audace constante. C'est dès lors d'autant plus frustrant, voire incompréhensible, lorsque le jeu choisit au contraire d'immobiliser jusqu'à l'artificiel sa progression, lorsqu'il nous enferme dans une petite arène en exigeant de tuer tous les ennemis ou qu'il nous demande d'amener l'obstacle à cet endroit précis pour bénéficier d'une impulsion nous permettant d'atteindre une plate-forme surélevée. Si on pouvait éventuellement accepter ces moments s'ils étaient sur le chemin de tel ou tel secret, ils confèrent à certains niveaux un rythme syncopé et sont autant de fausses notes dans une fugue inarrêtable. On dira de même pour les quelques phases verticales du jeu, lambines et peu intéressantes, et qui font regretter le temps pas si lointain où l'on traversait l'horizon sans même s'en rendre compte. Plates-formes périlleusesSi DKCR réussit à maîtriser cette énergie folle, c'est qu'il est globalement irréprochable dans son maniement et dans les sentiments extraordinaires qu'il procure manette en main. Nintendo Wii oblige, deux modes de jeu sont proposés : celui avec avec le Nunchuk et la Wiimote dans chaque main, et celui avec la seule Wiimote tenue à l'horizontale, à la façon d'une manette NES. Disons-le tout de go, pour se débarasser de ça au plus tôt : aucune de ces solutions n'est parfaitement satisfaisante. Jouer avec une manette dans chaque main, c'est déléguer les directions au stick analogique et, dans un jeu de la sorte, cela ne peut aller qu'avec une certaine imprécision des plus dangereuses compte tenu de l'exigence qu'on nous demande assez tôt dans l'aventure. Quant à la Wiimote seule, si elle apparaît au commencement plus apte à nous seconder, elle s'avèrera à la longue plutôt inconfortable et demandera à limiter les sessions de jeu. Si je m'attarde assez sur cet aspect, c'est qu'il entrave constamment le plaisir de jeu inégalable partout ailleurs. Les membres de Retro Studios, et ils l'avaient déjà montré avec la série des Metroid Prime, ont un talent d'ingénierie certain qui les rend virtuoses quant aux aspects les plus techniques de la maniabilité de leurs jeux. Diriger Donkey est, dès les premières secondes de la partie, une évidence certaine, organique, jouissive, que trop rarement atteinte dans l'histoire des jeux de plates-formes. Les cycles d'animation, la célérité avec laquelle Donkey se déplace, récupère d'un saut ou d'une attaque, la vitesse des plates-formes et des autres éléments mouvants : tout est d'une horlogerie à en faire pâlir un chronomètre suisse, avec la force de l'évidence et une apparente simplicité, comme si tout cela était bien normal, naturel, attendu et légitime. Profitons-en d'ailleurs pour revenir sur quelques uns des mouvements inédits qu'on nous propose ici. Je passerai rapidement sur les baffes et le souffle, gestes circonstanciés que l'on a tôt fait d'oublier. Parlons un peu plus de la roulade, car elle sera votre plus grande alliée au long de cette aventure. Elle peut non seulement écraser certains ennemis mais ce faisant, elle vous octroie surtout une impulsion complémentaire et pour peu que vous séquenciez les culbutes, il est possible d'atteindre une vitesse des plus honorables. Il faudra même ne pas hésiter à se propulser au-dessus du vide, Donkey pouvant magiquement rebondir sur l'éther et effacer des distances inédites en un clignement de cil. Ces nombreuses options et cette maniabilité au poil font de DKCR un jeu plutôt exigeant et même, je trouve, assez ardu à finir la première fois tant votre timing doit rapidement souffrir d'aucune incertitude. Le jeu a beau être plutôt généreux en vies, vous donner le droit à l'erreur avec deux cœurs d'énergie (quatre avec Diddy) et distribuer libéralement ses checkpoints, il n'est pas rare malgré cela de mourir à répétition face aux mêmes pièges. Un sens aigu du rythme sera sans doute une belle qualité pour affronter les dangers, et une bonne dose d'abnégation ne sera sans doute pas de refus dans les derniers stages du volcan. Il faut noter que le jeu propose, comme Nintendo le faisait assez à l'époque, un mode « Super Guide » particulièrement adapté aux plus jeunes. Si vous mourrez trop souvent au même endroit, le jeu vous proposera de prendre les contrôles et de finir le niveau à votre place, pour que vous puissiez profiter du reste. Cela reste parfaitement facultatif et même si je ne m'en suis jamais servi, je pense que plus jeune, j'aurais béni cette option, moi qui fus resté longtemps coincé dans les tout derniers stages de Donkey Kong Country 2. Il en sera en revanche tout autrement des ultimes secrets du jeu qui, quant à eux, vous occuperont bien, bien davantage et demanderont de repousser au plus loin votre dextérité. Chaque niveau demande à récolter deux types de bonus en priorité, afin de débloquer du contenu supplémentaire. Tout d'abord, les pièces de puzzle. Cachées un peu partout dans les niveaux, derrière des faux murs ou en récoltant toutes les bananes d'une zone, elles débloquent quelques artworks dans le menu du jeu. On pourrait pester contre la récompense, mais comme elles ne sont pas si dures à dénicher, cela n'a pas vraiment d'importance. Allée du tambourToute cette abnégation et tous ses efforts pèseraient si le jeu ne parvenait pas à convaincre techniquement. Là encore, mon tableau sera globalement positif, à quelques fortes nuances près. Déjà, parlons graphismes et mise en scène. Si l'on oublie la sortie vidéo détestable de la console et que l'on joue à DKCR ou bien sur WiiU, ou bien sur émulateur, je pense que nous tenons là l'un des jeux les plus jolis de la Wii. Il est vivement coloré, ne connaît pour ainsi dire jamais les ralentissements, est d'une bonhommie plaisante dans ses moindres animations. La caméra qui accompagne l'action n'accuse aucun retard et s'amuse même à quelques effets puissants de zoom et d'éloignement qui, en association de la vitesse folle à laquelle nous filons, parvient à toujours cadrer l'action comme il faut et à nous accompagner dans nos acrobaties. Le plus grand point de rupture, ce me semble, vient du dessin général des personnages. On ne retrouvera pas ici le style si caractéristique de la série originale, dans la mesure où plutôt que des modèles précalculés, c'est par des polygones que tout a été fait. C'est un choix légitime, dans l'air du temps, mais qui empêche DKCR d'avoir cette patte unique qui a fait jadis le succès de la trilogie de RareWare. Plus grave en revanche, je trouve la cohorte des Tikis particulièrement peu inspirée au regard de la diversité des Kremlings d'antan. Même s'ils remplissent convenablement leur office, ils semblent tout de même assez génériques et on ne quitte pas cette impression de toujours croiser les mêmes tams-tams tout au long de l'aventure. Quant à la piétaille, elle peut même être assez moche et peine à convaincre. Et puis, à côté de ça, il y a une fois encore les coups de génie, les trouvailles fulgurantes, la réussite inédite : il y a ces niveaux crépusculaires où l'on ne voit que les silhouettes des pièges, des héros et des ennemis, entièrement plongés dans le noir pour mieux laisser transparaître un soleil couchant ou une usine embrumée ; ces courses-poursuites en tonneau à réaction parfaitement folles où l'on affronte des chauve-souris géantes ; ces taupes fouisseuses qui nous attaquent à renfort de piolets. Ces moments sont rares somme toute, mais on les retient des années plus tard et on regrette qu'ils ne soient pas plus nombreux. Musicalement en revanche, c'est presque tout le contraire. La quasi intégralité des pistes de jeu sont des reprises des morceaux iconiques composés, jadis, par David Wise et son équipe. Ces reprises sont, une fois encore, assez planes : si elles restent agréables et, bien entendu, inattaquables quant à leur écriture, elles n'ont pas la profondeur et surtout l'intelligence qu'avaient les originales de jadis. Elles étaient impressionnantes sur Super Nintendo, du fait de leur orchestration savamment programmée et qui étonnait même les plus fins connaisseurs de la console ; elles sont communes en 2010 et ne se risquent pas, comme Rayman Origins pour en reparler, aux instruments rares ou exotiques, ou encore aux sonorités nouvelles. Jungle JajaJe pense, après ce tour d'horizon général, qu'il est temps de conclure sur Donkey Kong Country Returns. Le défi que releva Retro Studios n'était pas des plus minces : proposer un nouveau Donkey Kong Country qui soit un digne successeur, sans que la copie ne soit trop fidèle et sans que l'on ne regrette les temps passés. Après quinze ans d'absence et différents projets notables, mais qui jamais n'égalèrent dans le cœur du public, comme dans celui de la critique, le succès de l'original, voilà l'héritier. Partant, que dire et que faire de DKCR ? Mais à côté de cela, il lui manque trop de choses, et il échoue trop souvent, pour se hisser un peu plus haut. Ses contrôles sont empâtés par cette option du motion control qui empêchera nombre de perfectionner son maniement ; la généricité de son univers ne lui permet pas d'avoir une identité particulière, qui le démarquerait de la concurrence ; le dessin de ses ennemis est peu inspiré, peut-être même raté quand on y regarde de plus près ; il a du talent, mais il n'a aucun génie. Or, et il fallait bien en parler une fois dernière, les Donkey Kong Country avaient du génie. Qu'on ne se méprenne, ils étaient loin d'être des jeux parfaits : le premier épisode est lui-même assez générique dans sa progression, le design du troisième est bien imparfait, même le second pèche par une difficulté mal dosée dans son dernier tiers. Mais ils étaient révolutionnaires, c'était les enfants de leur temps et de cette période si étrange entre les consoles 16 et 32 bits ; et malgré toutes leurs imperfections, ils ont su apporter un souffle inédit à leur domaine. Envie de réagir ? Cliquez ici pour accéder au forum |