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Dragon Quest IV, V, VI - La Trilogie Zénithienne
Année : 1990
Système : NES, SNES ...
Développeur : Chunsoft & Heartbeat
Éditeur : Enix
Genre : RPG / Aventure / Stratégie
[voir détails]
Par MTF (06 avril 2020)

Au contraire des trois premiers épisodes, qui ne sont guère connus de nos jours que des curieux ou des initiés, Dragon Quest IV, V et VI ont connu une meilleure renommée par le biais de leurs rééditions sur Nintendo DS à compter du début des années 2000. Les versions portables notamment comptent parmi les premières à être sorties en Europe depuis les vénérables Dragon Warrior sur NES, comblant ainsi une absence de près de vingt ans pour nous autres, originaires du vieux continent. Par la suite, et à l'exception du dixième épisode réservé à l'archipel nippon, tous les Dragon Quest connaîtront une sortie officielle au moins aux États-Unis, en Europe également à compter de Dragon Quest VIII. Il faut souligner ici que l'événement est plus ou moins concomittant à la fusion de la compagnie Enix avec sa rivale de toujours, SquareSoft. Moins qu'à un changement de philosophie, on doit alors sans doute davantage ce revirement aux succès fracassants de la localisation des Final Fantasy en Europe et ce depuis le septième épisode. Il y avait ainsi une certaine ironie, à voir la concurrente aider sa vieille ennemie à faire connaître ses chefs d'œuvre au plus grand nombre...
Revenons un peu en arrière cependant : c'est en effet aux épisodes originaux, et non aux remakes qu'a déjà évoqués Minimage sur le site, que j'aimerais revenir. De la même façon que les trois premiers épisodes formaient une trilogie, ainsi en va-t-il de ceux-ci, bien que le lien les unissant soit un peu plus ténu. Les relations entre ces jeux sont effectivement bien distinctes des précédentes, puisqu'il s'agit là davantage d'une filiation de gameplay et non d'histoire, d'une continuité de design et non de narration. Ce qui ne change pas, c'est que ces trois jeux sont encore d'une importance déterminante et pour leur genre, et pour le jeu vidéo en général, tant et si bien qu'on ne saurait comprendre son histoire sans les avoir parcourus au moins une fois ; de plus, l'époque avançant, ils sont bien plus agréables à parcourir que leurs vénérables ancêtres, les améliorations d'interface et de gameplay étant des mieux venues.

Seule véritable constante de cette trilogie : le palais de Zénithia, dont le roi, ici représenté, est un dragon... sauf dans le sixième épisode où il a une forme humaine.

Les épisodes IV, V et VI composent ce qu'on a depuis appelé la « Trilogie Zénithienne ». De différentes façons, ces jeux illustrent un combat opposant un peuple vivant dans un château céleste, Zénithia, aux monstres habitant au plus profond de la planète, Nadiria (notons que cette appellation fut établie à compter des remakes sur DS uniquement, les originaux ne précisant nullement ce terme). Entre ces deux forces démiurges, il est évidemment les êtres humains, dont font partie les héros et héroïnes que nous contrôlerons, et qui devront œuvrer à leur façon à la résolution de ces conflits millénaires, généralement en défouraillant tout ce qui apparaîtrait comme menaçant, de près comme de loin. Outre ce canevas néanmoins, il n'y aura pas vraiment de points communs entre ces univers : les cartes du monde, les lieux, les assaillants finaux et leurs objectifs n'entretiennent pas de relations de parenté similaires à celles qu'illustrent les jeux de la première trilogie. Partant, et quand bien même retrouverait-on, occassionnellement, quelques objets magiques communs, voire quelques indications laissant lointainement croire que tel épisode se situerait avant ou après tel autre, nous serions ici davantage dans une perspective rappelant la plupart des épisodes de The Legend of Zelda, soit une filiation spirituelle avant toutes choses.
Ce sera alors surtout dans le gameplay et le « sentement », comme disaient les anciens, que l'on fera des comparaisons pertinentes. Si les trois premiers épisodes étaient somme tout concentrés vers la création d'un genre, ces trois-là sont dans l'exploration de ses virtualités, tant d'ailleurs dans ce que l'on attend de ce type de jeu, c'est-à-dire des combats stimulants, des environnements surprenants, des magies dévastatrices et des armes légendaires, que dans la partie plus scénarisée de son développement. Sans considérer que les histoires de ces jeux comptent parmi les plus intéressantes du média, la comparaison avec les Final Fantasy qui leur sont contemporains, comme je le montrerai plus au long du dossier, n'étant sûrement pas en leur faveur, leurs propositions en termes de narration et d'idées de récit sont en revanche notables, même audacieuses par endroit : et si le détail de la texture est sans doute aucun perfectible, et si les images restant en mémoire sont finalement assez faibles, les concepts les portant sont, en revanche, d'une pertinence particulière, et d'une modernité qui m'a personnellement laissé pantois.

De la fin de vie de la NES à la fin de vie de la SNES, la trilogie fait le grand écart, et enjambe un moment clé de l'histoire du jeu vidéo.

S'il fallait cependant subsumer ces trois jeux sous un seul drapeau, ce serait celui de l'adelphique. Pour la première fois de son histoire, peut-être même de l'histoire des J-RPG, la trilogie zénitihienne propose au joueur de contrôler une équipe composée non plus de trois ou de quatre membres uniquement, mais de cinq, six, sept ou huit membres alternativement, voire plus encore. Généralement, trois ou quatre personnages affrontent les dangers et les autres attendent, patiemment, dans une caravane qui accompagne ce premier aréopage. À n'importe quel moment, exception faite de rares donjons ou de moments scénarisés où ladite caravane se retrouve coincée dans le relief, l'on pourra alors permuter tel ou tel membre de son équipe au début d'un tour de jeu, pour affiner sa stratégie ou remplacer au pied levé un compagnon ou une comparse mal au point. Cela se fait sans réelle contrainte ni punition ; en contrepartie, les adversaires, et notoirement les boss, en deviennent bien plus ardus. Ce n'est cependant pas pour autant que le grinding, ou l'entraînement déraisonné pour augmenter son niveau et sa force, en devienne indispensable. S'il est toujours recommandé, comme le veut le génie particulier de cette série et pour s'éviter des rencontres par trop risquées, l'équilibrage général des jeux permet d'exploiter sans problème aucun cette équipe multiple, et d'avancer tranquillement en profitant du paysage, de l'intrigue, des mécanismes de jeu et de l'incroyable richesse qu'ils autorisent en retour.
Ne serait-ce, la certaine plasticité avec laquelle nous pouvons composer nos équipes, puisque souvent même le héros anonyme peut attendre, sagement, dans la caravane pendant que ses compagnons éradiquent des monstres à la pelle, ouvrent des perspectives que Dragon Quest III avait certes caressées jadis, mais qui s'accomplissent parfaitement ici. On peut ainsi envisager une équipe surtout composée de guerriers, ne maîtrisant quasiment aucune magie ; ou à l'inverse, une compagnie entretenant des mages les plus puissants, sans qu'il ne soit besoin d'acheter une épée. Comme on peut, de plus, changer à la volée les membres de notre équipe sans difficulté aucune, cela permet de franches expérimentations voire des idées neuves, dont certaines seront d'ailleurs à l'origine d'une des plus grandes sagas du jeu vidéo moderne, mais n'anticipons point.

Dans les volcans (DQV) comme dans les plaines (DQVI), la caravane accompagne toujours les héros, et confère un aspect collégial charmant à leur quête.

Enfin, remarquons que même si ces trois jeux capitalisent sur les immenses avancées de Dragon Quest III – mais le contraire aurait été étonnant –, il n'est pas nécessairement idiot de faire des parallèles de loin en loin. Le quatrième épisode a ainsi quelque chose du premier, dans ses expérimentations et l'essai de telle ou telle idée, qui ne sera pas nécessairement reprise par la suite ; le cinquième fait nécessairement penser au deuxième, par l'intérêt qu'il porte à la famille et à la multiplication des possibles ; enfin, le sixième clôt magistralement cette deuxième trilogie en s'imposant comme une nouvelle référence... plus ou moins, cependant. Si Dragon Quest VI est effectivement mon favori absolu dans cette nouvelle triade, tant au plan du gameplay qu'au plan de l'histoire, il est régulièrement en ballotage, pour la critique comme pour le public, avec le cinquième épisode. C'est sans doute davantage une question de sensibilité que d'objectivité, car je suis le premier à admettre que tout, dans sa narration comme dans son gameplay, lui est supérieur : j'ai cependant préféré la façon dont le sixième opus gérait sa progression, comme je le montrerai plus bas, mais nous retombons surtout ici sur des querelles de clochers que connaissent bien les fanatiques des séries fleuves, des Final Fantasy ou des The Legend of Zelda pour ne donner que les plus illustres exemples.
Terminons cependant cette introduction par ce conseil, avant de consacrer, comme je l'ai fait précédemment, un moment à chaque jeu : je vous encourage fortement à jouer à ces épisodes, et même à y jouer dans leurs versions originales. Si Dragon Quest IV, sur la vénérable NES, pourra sembler archaïque par endroit, il n'en demeure pas moins l'un des meilleurs jeux de la console, étant sorti à la toute fin de sa vie commerciale ; mais pour Dragon Quest V et Dragon Quest VI, la Super Nintendo déploie des trésors d'intelligence, musicale et graphique, qui surprendront même celles et ceux qui connaissent bien le support. Que l'on soit on ne peut plus d'accord cependant : si je vous encourage à les faire, ce n'est pas uniquement à des fins encyclopédiques comme je le disais jadis, mais bien parce qu'il s'agit d'authentiques trésors du jeu de rôle japonais, que l'émulation et les traductions amatrices nous permettent, à présent, d'essayer dans les conditions les meilleures.

De plus, ces versions originales (ici et respectivement, DQV et DQVI) permettent de profiter de certains éléments qui auraient été censurés aux États-Unis ou en Europe, telles ces croix chrétiennes.

Dragon Quest IV: Chapters of the Chosen (Doragon Kuesuto Fo: Michibikareshi Monotachi)
Famicom (1990) / Playstation (2001) / Nintendo DS (2007) / Android, iOS (2014)

Dans un monde lointain, d'étranges événements semblent commencer à se mouvoir, troublant l'équilibre de l'univers et la paix de ses habitants. Dans le royaume de Burland, des enfants disparaissent mystérieusement, soi-disant emportés par une figure énigmatique recherchant un héros légendaire. Ailleurs, une princesse audacieuse, accompagnée de son tuteur et de son chancellier, gagne un tournoi attendu de longue date grâce au forfait consenti par un mystérieux combattant du nom de Psaro, qui terrifie tous ceux s'adressant à lui ; ailleurs, un marchand itinérant entend parler d'un ensemble d'équipements légendaires, autour desquels s'agitent tant les monstres que les cupides ; enfin, deux sœurs, filles d'un puissant alchimiste, pourchassent sans relâche l'assassin de leur père, qui travaillait sur le secret de l'évolution. Tous ces personnages finiront par rencontrer le héros (ou l'héroïne, son genre étant laissé à notre discrétion), enfant au destin légendaire appelé au monde lorsque les circonstances l'exigent. Ensemble, ils découvriront ce qui se trame dans l'ombre et la façon dont tous ces petits événements, semble-t-il détachés les uns les autres, sont au contraire mus par une même force.
Au regard de l'histoire des précédents Dragon Quest, le scénario de ce quatrième épisode se fait bien plus complexe et bien plus enchevêtré. Si l'on ne s'éloigne jamais totalement de la simplicité des débuts, et si tous les problèmes finiront toujours par être résolus en trouvant un monstre à tuer, on appréciera la densité bienvenue de ce quatrième épisode. Certes, la concurrence, Final Fantasy en premier lieu mais Phantasy Star également, commençait à se revendiquer de traditions autres que la Matière de Bretagne et développait, même si maladroitement, des prétentions à la réflexion et à la morale. La série de Yuji Horii se devait ainsi de suivre le mouvement, sous peine d'être mise de côté. Partant, même si l'intrigue développée ne sera, toutes choses égales par ailleurs, pas plus élaborée qu'une autre, elle sait cruellement bien ménager son rythme, en inaugurant notamment une méthode narrative qui sied parfaitement bien à son ambition et que l'on retrouvera, avec grand succès, dans Final Fantasy VI : le récit choral.

À peine l'écran titre passé, on nous parle d'un premier chapitre, et on nous met aux commandes d'un chevalier aux longues moustaches, portant une armure rose. Je pense que je n'ai pas été le seul à être surpris !

Les premières heures du jeu sont effectivement dédiées à un personnage, ou à un groupe de personnages, de cet assemblage disparate, au gré de plusieurs chapitres où alterneront, dans un ordre figé néanmoins, les différents protagonistes. Le premier est ainsi dédié à Ragnar, chevalier du royaume de Burland qui doit enquêter sur la disparition des enfants ; le second, à la princesse Alena, son tuteur Boya et son chancellier Kiryl. Le troisième est dédié à Torneko le marchand, et le quatrième à Maya et Meena, qui feront équipe avec Oojam pour venger la mort de leur père. Enfin, le cinquième et dernier chapitre, le plus long de tous, est dédié au Héros, ou à l'Héroïne, qui devra retrouver et embaucher ces différents personnages avant de se diriger vers Psaro, l'instigateur secret des désordres de cet univers.
Quelque part, il n'est pas interdit d'envisager les quatre premiers chapitres du jeu comme autant de tutoriels distincts, dans une sorte de prologue progressif où sont établis tant les tenants et aboutissants de l'histoire que les mécanismes fondamentaux du jeu. Ragnar fera ainsi cavalier (presque) seul et ne sait point se servir de magie ; l'esprit du premier chapitre fait alors directement écho à celui du tout premier Dragon Quest. Alena, Boya et Kiryl semblent des reprises des personnages de Dragon Quest II, en mettant en scène une équipe composée d'un guerrier, d'un paladin et d'un sage. Torneko est une sorte de chapitre plus léger, un entracte où ce rond personnage de marchand doit surtout vendre et acheter des armes plutôt que combattre, et permet d'introduire les nouveaux concepts du jeu en termes de gestion de la chance et de l'inventaire ; enfin, il y a quelque chose de Dragon Quest III dans l'esprit du chapitre de Maya et Meena, ne serait-ce que par la prédominance de la figure du père qui ne peut que faire penser à Ortega, sans que cela ne soit la dernière fois dans l'histoire de la saga.

Si, d'apparence, le jeu copie la présentation du précédent, des scènes comme l'arène du chapitre d'Alena, et ses dizaines de sprites mouvants, révèlent un jeu plus ambitieux qu'il n'y paraît de prime abord.

Cette progression tutorée permet également d'introduire progressivement les lieux et autres personnages du jeu, d'une façon bien plus élaborée qu'auparavant. On nous parle ainsi dans tel chapitre du pays d'Endor, que nous connaîtrons juste après car étant le point de départ d'une autre histoire ; ailleurs, on croise un personnage se rappelant d'une princesse audacieuse, que l'on contrôlait pourtant auparavant. Tous ces micro-événements donnent une cohésion folle à cet univers, qui n'est plus qu'une simple marqueterie de zones détachées les unes des autres mais un ensemble complet, continu, qui possède un poids et une force certaine. Cette entrée progressive dans l'aventure, puisqu'il faut tout de même attendre entre cinq et dix heures de jeu avant de finalement contrôler le Héros, permet également de développer des pistes intéressantes concernant l'histoire, bien plus rocambolesque qu'auparavant. Si l'on se doute ainsi, et dès le commencement, que ce personnage de Psaro dont tout le monde parle jouera un rôle notable dans l'aventure, difficile avant le début du dernier acte de savoir précisément quels sont ses buts et quel est son plan. Il est notamment des rebondissements incroyables lorsqu'on découvre, quasiment au milieu de notre parcours, qu'un geste tout insignifiant, effectué dans le courant du second chapitre, a une importance considérable sur la suite du récit ! Si la chose demeure sans doute aucun timorée, et si elle aurait gagné à être davantage amplifiée par des moments de dialogue ou de réflexion qu'offriront, quoi qu'il en soit, les rééditions du jeu, elle n'en demeure pas moins surprenante pour un titre sorti en 1990.
Les bonnes idées ne s'arrêtent pas là. De Ragnar qui devra faire équipe avec un monstre, une première dans la série et qui aura des conséquences déterminantes sur son évolution, aux sœurs orphelines qui jouent les espionnes en se faisant passer pour des danseuses exotiques et des diseuses de bonne aventure, chacun des quatre premiers chapitres est une micro-révolution dans la narration du J-RPG. Il n'est, ainsi, nul besoin de bornoyer pour voir les inspirations directes de tel ou tel futur succès du genre et la reconnaissance éternelle qu'ils devront à Dragon Quest IV dans leur écriture. Le summum de la créativité sera cependant toujours pour moi atteint dans le chapitre de Torneko le marchand, puisque celui-ci étant trop faible pour combattre, l'on doit lui faire tenir la boutique de son patron pour pouvoir gagner assez d'argent et acheter un équipement digne de ce nom. Pour peu, cette phase de jeu anticipe le genre de délire de la scène indépendante que l'on verra quelque vingt ans plus tard, et elle est tellement culottée qu'elle semble même anachronique pour un jeu issu des derniers temps de la NES.

Ne nous y trompons pas : c'est bien Torneko le vendeur, et non l'acheteur ! Sa chance permet également de rencontrer aléatoirement des camelots plutôt que des monstres errants. Le personnage a été très bien accueilli au Japon, tant et si bien qu'il est à l'origine du premier spin-off de la saga.

Il est néanmoins dommage, une fois le cinquième chapitre inauguré, que ces perles de narration passent au second plan. Plutôt, tout l'effort de la partie est à présent dirigé vers la lutte contre Psaro, dans un processus évoquant les traditionnelles lubies de la saga. Ici, ce ne sera ni des emblêmes, ni des orbes qu'il faudra collecter, mais quatre pièces d'équipement légendaires, dites « zénithiennes ». Cette épée, ce casque, cette armure et ce bouclier ne peuvent être brandis que par le héros et donneront accès à Zénithia, le château céleste. Là, nos héros feront la connaissance d'un Dieu Dragon, et ils pourront s'introduire dans le Monde Diabolique pour empêcher une bonne fois pour toute Psaro de détruire l'humanité. Cette phase de jeu, sans doute la plus longue, est du point de vue ludique des plus stimulantes : l'on doit effectivement s'attacher à collecter des indices, recouper les informations que nous donnent les personnages, résoudre quelques énigmes voire revisiter d'anciennes places fortes pour récupérer ces objets mythiques. Malheureusement, cette enquête phagocyte lourdement la sympathie que l'on pouvait éprouver pour nos compagnons, et bien que le lien tissé avec eux au commencement soit assez fort, on s'aperçoit que l'histoire échoue à s'attarder sur leurs états d'âmes pour densifier leurs riches personnalités.
On n'y perdra cependant pas tout à fait au change : le jeu laisse ainsi la place à une psychologisation de son grand méchant, qui déborde de son rôle attendu d'incarnation absolue du mal. On nous offrira ainsi plusieurs saynètes détaillant son parcours personnel, son passé, les raisons de son entreprise délétère. Une fois encore, il convient ici de recontextualiser les choses : si le J-RPG nous a depuis, et magistralement, proposé des figures d'opposants particulières fortes, des Sephiroth (Final Fantasy VII) et des Lynx (Chrono Cross), cela faisait vraisemblablement figure d'exception à son époque. Certes, un jeu comme Mother (prédécesseur d'Earthbound, ou Mother 2), au Japon tout du moins, développait déjà cette idée avec Giygas, d'heureuse mémoire : mais qu'une série aussi bien installée que celle des Dragon Quest prenne ce risque est appréciable, surtout quand elle le fait d'une façon aussi sincère.

Une phase de jeu nous fait contrôler un colosse d'argile, qui est peut-être d'ailleurs une inspiration pour le « Dungeon Man » d'Earthbound. Quant à Psaro, ou Necrosaro sous sa dernière forme, son combat est sans doute le plus long, et le plus dur, des six premiers Dragon Quest confondus...

Les innovations ne s'arrêtent pas ici. Dragon Quest IV propose également un système finalement assez avancé d'intelligence artificielle pour ses opposants, qui tendent à développer des personnalités s'installant dans des bribes légères de gameplay. Tel ennemi commencera alors le combat endormi ou confus ; tel autre essaiera de lancer des sorts, sans avoir assez de magie pour ce faire ; d'autres feront du soutien en soignant leurs alliés, ou au contraire n'y regarderont pas à deux fois pour lancer une attaque les frappant autant que nous. Cela confère aux rencontres, des plus nombreuses encore dans cet épisode, un charme particulier auquel j'ai toujours, personnellement, été sensible. Leur essence ne change sinon d'un iota au regard du jeu précédent. Si on ne retrouve pas ici le système de classes que j'apprécie tout particulièrement, on considérera que chaque personnage illustre un métier particulier, du paladin au mage noir en passant par le guerrier, sans qu'on n'y perde alors sensiblement au change.
Il est en revanche dommage que le soin apporté à cette intelligence artificielle ait amené les développeurs à opérer des compromis discutables du côté du joueur : car, hélas !, il nous est impossible de contrôler comme nous le désirons notre équipe une fois arrivé au cinquième chapitre. Autant l'on pouvait encore, et sans problème aucun, donner à chacun de nos héros et héroïnes des commandes précises dans le passage avec Alena ou avec les sœurs vengeresses, autant cela nous sera impossible une fois le cinquième chapitre inauguré, le Héros étant la seule entité dont on peut moduler les faits et gestes. En contrepartie, l'on choisira des comportements divers, économiser la magie, se protéger, attaquer à corps perdu..., et on laissera la console sélectionner les meilleures actions en accord avec cette direction première. Si la chose est, globalement, d'assez bonne facture, on perd nécessairement en stratégie ; de plus, il convient de ne pas laisser dans l'inventaire de nos compagnons trop d'objets de soin, sous peine de les voir malheureusement dilapidés alors qu'un petit sort curatif aurait pu, à ce moment-là, faire largement l'affaire !

Les habitués du jeu précédent ne seront, sinon, nullement dépaysés, entre la reprise du système de groupes d'ennemis, du nom des sorts, ou du cycle jour/nuit, qui donne encore beaucoup de cachet à cet univers.

Ce compromis étrange, puisque Dragon Quest III nous autorisait encore à diriger finement tous nos compagnons, est sans doute à mettre sur le compte des ajouts colossaux du point de vue technique. Déjà, en termes de gestion d'équipe, puisque bien que l'on ne dirige que quatre personnages au grand maximum, les cinq autres sont dans la caravane, récupèrent des points d'expérience, sont équipés, peuvent interagir quand bon leur semble ; ensuite, en termes d'espace de jeu, puisque l'univers proposé est d'une certaine étendue, sans pour autant compromettre le nombre de donjons et de places fortes, dont certaines facultatives ; enfin, en termes de quêtes, notamment par l'introduction, à présent passage attendu de la saga, des « mini-médailles », des petits symboles récompensant la fin d'un challenge ou, le plus souvent, la fouille d'une armoire ou d'un puits innocent et qui donnent accès à certaines récompenses rares, lorsque suffisamment cumulées.
Tout cela, auquel il faut ajouter les aspects plus directement techniques du jeu. Dragon Quest IV propose à quelques reprises des scènes de multitude incroyables pour la NES, qui parvient à afficher un grand nombre de sprites simultanés à l'écran sans souffrir de ces facétieux clignotements qui faisaient sa renommée. Les mélodies, toujours du chef de Koichi Sugiyama, font sans nul doute partie du panthéon de la console ; les couleurs sont vibrantes et contrastées. Le design du jeu est, une fois encore, pris en charge par Akira Toriyama, dont le style évolue cependant nettement : nous étions effectivement au moment de sa transition entre Dragon Ball et Dragon Ball Z, et la rondeur caractérisée du début de la série laissait progressivement sa place, notamment pour les protagonistes, à un trait plus ferme et plus sévère, qui va cependant très bien avec la nouvelle maturité qu'assumait alors Dragon Quest IV. Il y a quelque chose de presque touchant de voir ainsi évoluer parallèlement deux créateurs dans leurs arts respectifs, Yuji Horii d'un côté, Akira Toriyama de l'autre, s'influençant mutuellement et écrivant de concert les plus belles pages de la culture populaire, japonaise comme internationale.

Le jeu fourmille de belles idées, comme cette ville sur pilotis, que l'on doit explorer en navire, ou ce village ravagé par les monstres, que l'on arpente avant et après l'invasion.

Aussi, et même si l'on ne peut que regretter, ne serait-ce, que ce choix fait de subtiliser la main du joueur dans les phases de combat du fait d'un manque patent de place sur la cartouche de jeu, Dragon Quest IV demeure pour toutes ces raisons une petite merveille du J-RPG console. Il représente une pierre de touche dans l'histoire de la saga, faisant la somme de ses acquis et développant de nouvelles pistes stimulantes pour son avenir, lorgnant même occasionnellement du côté de l'expérimental ou du post-moderne, sans sacrifier cependant à la simplicité qui avait su résonner dans le cœur de nombre. Il est également le période de ce que son support, la Famicom ou la NES, pouvait offrir, arrivant quelques mois à peine avant la sortie de la Super Famicom au Japon.
Ce délai notable entre ce jeu et le précédent d'ailleurs, puisque deux ans les séparent effectivement – ce qui était une éternité alors ! –, est le signe d'un développement difficile et tumultueux, rythmé par les difficultés techniques qui devaient être surmontées, notamment concernant la programmation de l'intelligence artificielle. Dragon Quest IV fut une arlésienne du média, qui en compta d'autres depuis ; et on s'en moque même dans Mother que j'évoquais plus haut. On ne peut néanmoins s'empêcher de rire jaune tant la finition exemplaire du retardaire toise sereinement le dernier acte empressé et brouillon de ce dernier. Reste, néanmoins, que ce retardement eut une influence décisive sur les rapports de force, au Japon ne serait-ce : Final Fantasy, et Squaresoft en général, produisait plus rapidement, plus régulièrement, apprenait davantage de ses erreurs. Si Enix, et les Dragon Quest en général, continuaient à truster les plus hauts classements des ventes, les concurrents se faisaient plus hargneux, pire même : plus audacieux et plus malins qu'eux. Cet article est peut-être alors l'occasion de renouer avec cette perle peu connue du genre, du moins hors du Japon : et j'espère que vous en sortirez comme j'en sortis, heureux et d'un amour renouvelé pour la série et le J-RPG.

Une petite photo de famille pour finir ! Avec, de gauche à droite et de haut en bas Ragnar le soldat, les deux versions du héros, Maya, Alena, Borya et Torneko. Kiryl et Meena doivent être en train de prendre la photo !
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