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EXELVISION
La triste histoire d'un petit poucet de la micro-informatique française qui a eu le tort d'apparaître au mauvais moment. Au final, seulement deux machines, mais que personne n'a oubliées.
Par Soreal (26 juin 2002)

"L'Exelvision fait des choses incroyables, à la limite ça fait peur !...", tels sont les propos tenus par le comédien qui vante les qualités de l'Exel 100 en France, pendant la seule campagne de pub télévisée qu'ait connue la marque.

1982-84 : entre Thomson, le français aux dents longues qui veut imposer sa gamme de micro-ordinateurs sur le marché local et la horde de machines anglaises ou américaines, trois hommes tentent le pari de lancer une nouvelle marque d'ordinateurs français. Ces trois-là ne viennent pas de n'importe où, ce sont des ingénieurs qui ont fait la preuve de leur talent au sein des équipes françaises du géant Texas Instrument, à qui nous devons le fameux TI99/4A. Entre les mains d'hommes aussi ambitieux que doués, on est en droit d'attendre quelque chose d'unique et à ce que la communication des médias et le soutien de partenaires français soient présents. Malheureusement ça n'est pas vraiment le cas et c'est avec peu de soutien que la marque Exelvision sort 2 ordinateurs, dont les capacités et les innovations technologiques ne sont pas suffisantes pour espérer survivre dans la jungle du business micro-informatique.

Autopsie d'un jeune marque à qui on n'a pas donné la chance de vieillir

C'est pendant leur temps libre chez TI que Jacques Lapacuer, Victor Zébrouck et Christian Petiot mettent au point ce qui deviendra l'Exel 100. La machine étant prête sur le papier, il leur faut trouver le soutien d'investisseurs pour lancer la production du bébé. Un premier contact avec Matra s'avère être un échec pour la simple raison que ce dernier est déjà en association avec la marque américaine Tandy pour lancer un clone de leur MC10, qui sur nos terres prendra les formes de l'Alice. Mais ce n'est pas ça qui arrête nos trois mousquetaires. Le moral est à bloc et ils croient dur comme fer que leur création a sa place sur le marché. Leur croisade les amène à contacter le ministère de l'industrie qui les dirige directement vers la CGCT (Compagnie Générale de Constructions Téléphoniques) dont la nationalisation est récente. Après moultes négociations, l'accord est conclu et c'est donc la CGCT qui s'occupe de la partie "fabrication" des machines, Exelvision s'occupant pour sa part de la partie recherche et développement. Ils s'installent sur ce qui est le plus gros pôle informatique du sud de la France actuellement : Sophia Antipolis.

C'est donc en 1985 que sort l'Exel 100 dont nous regarderons de plus près les caractéristiques un peu plus loin. La machine est séduisante mais sa sortie ne fait pas de bruit pour plusieurs raisons : tout d'abord des chaînes de magasins comme la FNAC refusent de présenter la machine sur leurs rayons. Pourquoi ? La rumeur veut déjà que Thomson ait fait appui pour mettre des bâtons dans les roues de notre nouveau constructeur, et donc pour la FNAC l'Exel 100 est une machine morte-née. De son côté, la presse informatique française ne faire guère d'articles autour de ce qui devait être un évènement français, quelques revues comme l'incomparable Hebdogiciel et l'incontournable bible video-ludique de l'époque, Tilt, font de cette naissance leurs gros titres, mais il n'y a bien qu'eux. Mais la plus grande malchance pour Exelvision vient d'Angleterre. En effet, notre Exel 100 sort en même temps qu'un certain CPC464 dont le rapport qualité / équipement / prix va faire des ravages dans toute l'Europe ! C'est à cette même époque que notre gouvernement met en place le fameux plan "Informatique Pour Tous". Pour ceux qui ne l'ont pas connu, c'est un plan qui permet aux écoles, lycées et collèges d'être équipé en matériel informatique, et de fournir donc aux écoliers de l'époque un apprentissage des bases. Le grand gagnant dans cette histoire de gros sous est encore Thomson qui équipe la majorité des établissements français, et c'est avec des "superbes" TO7 et MO5 que les jeunes Français découvrent les joies du maniement du stylo optique, et l'apprentissage du langage LOGO dont tout le monde se sert encore de nos jours, c'est bien connu...

D'après l'excellent site www.old-computers.com, Lapacuer, furieux, serait allé directement à Paris avec quelques machines et les auraient installées avec ces logiciels éducatifs pour montrer à nos chères têtes gouvernantes de l'éducation que sa machine pouvait faire tout aussi bien, voire mieux que les machines concurrentes. Résultat : 9000 machines auraient été passées en commande ! (j'ai lu d'autres infos donnant le chiffre de 900 livrées dans les écoles maternelles, donc chiffres à prendre avec des pincettes.)

Au niveau softs peu d'éditeurs suivent la machine. Un seul sort du lot et lance des jeux ou des logiciels éducatifs, c'est Minipuce, un éditeur français dont on ne connaîtra rien d'autre sur les autres plates-formes.

En 1986 sortira le second ordinateur de la marque, l'Exeltel, qui est aussi le dernier malgré d'évidentes qualités qui le placent d'entrée comme un adversaire sérieux face à ses concurrents tels que le Téléstrat d'Oric ou le TO9+ de Thomson. Ça ne prendra pas et la marque Exelvision tombera dans l'oubli sur le marché de l'informatique familiale, comme une grande partie des pionniers de l'histoire des 8-bits. Pourtant, peut-être que comme moi vous avez eu une pharmacie prés de chez vous, équipée d'un Exeltel. Oui, vous lisez bien, je m'explique : Exelvision ayant loupé le coche du marché familial, la société s'est retournée logiquement vers une niche du marché professionnel, les pharmacies et les garages. Chez l'apothicaire, Exelvision transforme l'Exeltel en Exeltel TTO, muni d'un lecteur de code barre et d'un lecteur de cartes Farenberger (mini-cartes perforées), qui permet de gérer le renouvellement des stocks de médicaments. Chez le réparateur de chars, l'Exeltel s'appelle Editel, il est équipé d'un petit terminal de saisie conçu pour la saisie des données dans les centres de contrôles techniques. La fonction la plus géniale est celle offerte par l'Exeltel multistandard qui donne l'accés à tous les systèmes vidéotex européens et s'adapte à la langue de chaque pays.

Les machines en détail

EXL 100

La machine se présente en 2 parties : l'unité centrale et le clavier, celui-ci ainsi que les manettes de jeux proposent l'innovation la plus impressionnante de ce micro. En effet ils ne sont reliés par aucun cordon à l'unité centrale. Pour la première fois on voit apparaître la technologie infrarouge dans nos foyers, et je peux vous dire que dans le contexte de l'époque c'est très impressionnant mais pas exempt de défauts. En effet, il faut que le clavier et les manettes ne soient pas trop éloignés du clavier pour que ça fonctionne correctement, et surtout être dirigés toujours en direction du boîtier infrarouge intégré à l'UC. Gros défaut de ce clavier, on y retrouve des touches "guimauves" dont la frappe est aussi imprécise qu'inconfortable, un peu comme sur les premiers Spectrum. Heureusement un témoin sonore à l'appui de chaque touche confirme la prise en compte de l'action sur celle-ci. Sur l'unité centrale, en façade avant, on peut constater l'existence d'un port cartouches et, luxe suprême, 2 rangements pour les manettes de jeu !

La technologie utilisée dans cette machine est en grande partie en provenance de chez Texas Instrument, que ce soit le microprocesseur, le processeur vidéo, le synthétiseur de son (qui donne une synthèse vocale sympathique à l'Exl 100) ou le contrôleur entrée/sortie.

La RAM est de 32 Ko mais elle est extensible à 300 Ko. Les capacités graphiques n'ont pas trop à rougir de la concurrence même si on n'a pas loisir de pouvoir jouer à de grands jeux sur la machine. En effet peu de développeurs s'intéressèrent à son sort, et le souvenir que j'ai de cette machine au niveau jeu c'est le Tennis qui reste le plus connu de tous. À la sortie de l'EXL 100 il y a déjà 150 softs disponibles, en grande partie des éducatifs mais étant donné la faible diffusion de ce micro, il est très dur de se fournir en logiciels.

Exelvision a sorti plusieurs périphériques pour cette machine dont un clavier avec touches mécaniques, qui remplacera avantageusement celui fourni en standard. On peux aussi acheter une nouvelle interface entrée/sortie qui autorise la connexion d'un modem qui donne l'accès au réseau minitel mais aussi un réseau spécialisé qui permet le téléchargement de jeux ou éducatifs. Comme option, on peut aussi lui adjoindre un lecteur de disquette 3.1/2 ainsi qu'un crayon optique comme ses cousins Thomson. Une imprimante, la Exl-80 a été conçue aussi spécialement pour lui.

Spécificités techniques
  • Systéme d'exploitation : ExeldosMicroprocesseur : TMS 7020 de TI, cadencé à 4.91mhz
  • Coprocesseurs : TMS 5220A (synthétiseur vocal) ; TMS 3336 (chip vidéo) ; TMS 7041 (entrées/sorties)
  • Mémoire morte : 4Ko
  • Mémoire vive : 32ko (2Ko du TMS7 7020+ 30 de ram vidéo)
  • Mode graphique : 320x250 en 8 couleurs
  • Mode texte : 40x24
  • Ports entrées/sorties : entrée lecteur de K7, sortie RGB, slot cartouche, slot ramcards, slot d'extension et port infrarouge
  • Alimentation : intégrée de 220V.

Prix : 2990 francs sans écran.

Exeltel

Ce micro-ordinateur est, selon les dires de Lapacuer, plus qu'un simple ordinateur, c'est l'ordinateur familial communiquant par excellence, un ordinateur-robot dixit son concepteur : son concept est basé sur la télématique et une ouverture sur les applications ludiques, éducatives, téléphoniques et informatiques. Il représente l'ordinateur à tout faire à la maison. Son aspect général est beaucoup plus pro que son prédécesseur, exit le port infrarouge et bienvenue au clavier mécanique de haut niveau, adieu les rangements pour manettes si sympas, on veut faire moins plastoc et il faut avouer que sa robe noire lui donne une certaine classe. Le plus important ne se trouve pas à l'extérieur mais bien à l'intérieur. Si l'ensemble de son architecture est une presque copie de l'Exl 100, il en corrige les petites faiblesses et ajoute l'élément clé de son orientation avouée : un modem 1200/75 est intégré à la bête, ce qui fait de l'Exeltel un engin taillé pour la télématique. Non seulement il peut accéder à tous les services du minitel mais en plus il peut lui-même devenir serveur et c'est là que son innovation est grande ! Pour gérer tout ça Exelcom a été créé, qui prend 34ko en rom et s'occupe de toutes les taches de communication. Exelwindow (ben oui, avant Billou !) vous permet pour sa part de sélectionner des menus grâce à un système de fenêtres. Tout ce petit monde autorise le plus newbie en info à se connecter le plus simplement du monde au minitel, après avoir choisi un serveur Transpac par le biais d'une commande de numérotation et de connexion automatique.

Mais encore plus fort, votre Exeltel peut vous servir de répondeur téléphonique si vous êtes absent, la sympathique synthèse vocale se faisant la voix de vos messages, et si vous avez un magnétophone il vous sert à enregistrer les messages de vos interlocuteurs. Quelle machine géniale, dont les vocations sont les bases de la domotiques actuellement. Et pourtant même si un réseau permet, comme pour son grand frère, de télécharger jeux et éducatifs pour le prix d'un communication téléphonique (1F la minute quand même), le pari du presque tout télématique ne prend pas. Les éditeurs ne suivent pas non plus, sûrement, entre autres, parce que le choix d'utiliser des processeurs TI qui sont moins connus que les Z80 ou autres 6502 empêche le développement de logiciels sur cette bécane. De plus, l'orientation "ordinateur éducatif " a freiné l'engouement du jeune public de l'époque, qui préfère s'amuser sur les meilleurs jeux sortis sur C64 ou Amstrad CPC, ceux-ci ayant le soutien des plus grands éditeurs. C'est donc dans le milieu bien spécifique des pharmacies et garages automobiles qu'il termine sa petite carrière qu'il méritait moins anonyme.

Différents périphériques sont développés pour lui comme l'inévitable imprimante appelé Exelwriter, une souris, un lecteur de disquette, un lecteur de K7 ou des cartes d"extension mémoires.

Spécificités techniques
  • Système : ExeldosMicroprocesseur : TMS 7040 de TI, cadencé à 4.91mhz
  • Coprocesseurs : TMS 5220A (synthétiseur vocal); TMS 7042 (entrées/sorties)
  • Mémoire morte : 96Ko dont 16 pour le système, et 80 pour les intégrés que sont Exelcom, Exelspeech (voix synthétique avec 184 mots) et Exelquad (langage pour développement de softs éducatifs)
  • Mémoire vive : 82 ko
  • Mode graphique : 320x250 en 8 couleurs
  • Mode texte : 40x24
  • Ports entrées/sorties : slot cartouches, slot Exelmémoire, slot d'extension, clavier et lecteur de K7

En conclusion

Encore une histoire qui commence bien : un concept novateur, de l'enthousiasme et de la motivation, un projet auquel on croit. Puis vient le temps des réalités qui font mal, les idées c'est bien mais si c'est David qui les a alors Goliath se fera un plaisir de lui mettre des bâtons dans les roues. Il en connaît du monde Goliath et du monde influent bien évidemment, et la concrétisation de cette belle idée de l'informatique familiale se voit anéantie par le jeu de la manipulation et du manque de chance. C'est le jeu du plus fort qui a eu encore une fois le dernier mot mais pas seulement bien évidemment. L'EXL-100 et l'Exeltel furent des machines et un concept peut-être trop en avance sur leur temps, et il faudra attendre l'ère Internet pour voir des machines "familiales" communiquer entre elles, télécharger des programmes et servir de répondeur. Le public n'était pas prêt pour Exelvision et ses ordinateurs, l'ère de la communication pas chère n'étant pas encore au programme à l'époque. D'ailleurs le sera-t-elle vraiment un jour ?

En France on a des idées formidables, mais on a aussi le chic pour laisser filer ces idées à l'étranger car on ne sait pas soutenir ses compétences nationales. Quand comprendront-ils un jour ? Du Minitel que le monde entier nous enviait, on n'a pas su rebondir et améliorer le système et c'est de l'Internet américain qu'on nous vend maintenant. De l'Exeltel on a fait le vilain petit canard de l'informatique française parce qu'on ne lui a pas laissé la chance de développer son concept, c'est vraiment du gâchis...

Sur cette machine je n'ai point trouvé d'émulateur donc rien à vous mettre sous la dent, il ne vous reste plus qu'à en acheter un d'occasion si ça vous tente !

Soreal
(26 juin 2002)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Je tiens à remercier Xavier Bonnefoy qui m'a autorisé à utiliser les photos qu'il y a sur son site : http://membres.lycos.fr/soyouz/musee.php
- Merci aussi à Tilt n°39 ! :)