Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Corentin M. (12 novembre 2003)
Condamné par les siens à être emmuré vivant le jour de ses douze ans dans une gigantesque forteresse pour être né avec une paire de cornes, le jeune Ico n’échappe à son terrible destin que grâce à un providentiel tremblement de terre qui brise son lourd tombeau de pierre. Très vite, après quelques errements, le garçon rencontre, prisonnière d’une cage de métal, une jeune femme transpirant la grâce et la fragilité. Sans se poser de question, Ico délivre la jolie dame. Aussitôt, d’étranges créatures faites d’ombre et de fumée noire s’en prennent à elle. Ne parvenant pas à sauver la pauvre femme car pris de court, Ico se retrouve changé en pierre, figé pour l’éternité. Game Over. Le joueur comprend très vite que sa survie dépendra de celle de la jolie Yorda. Quitter cette étouffante prison de pierre sera donc un long périple pas du tout solitaire. Véritable OVNI vidéo-ludique, Ico débarque en 2001 sur une PlayStation 2 qui n’a pas vu le coup venir. Elle qui cherchait alors depuis un an et demi à nous prouver que, forte de l’Emotion Engine qui battait dans ses entrailles, elle était la seule à pourvoir faire tourner des emotion-games à grand renfort de visages polygonisés et motion-capturés à outrance, la voilà forcée d’admettre que l’émotion la plus crédible ne passe pas forcément par la puissance la plus brute. Ico est en effet un jeu qui ne compte ni sur le bluff ni sur l’esbroufe technique, préférant s’appuyer sur un game-design riche et travaillé jusque dans ses moindres détails. C’est ainsi que la gigantesque citadelle prend vie, brique après brique, mur après mur, chaînes après chaînes, et tente d’étouffer notre couple de fugitifs. L’architecture est précise, presque crédible malgré son gigantisme outré qui rappelle quelque peu le monde du dessin animé Le Roi et l’Oiseau, présentant des mécanismes à base de poulies, de treuils, de cordes, de poids et de contrepoids qu’il faudra comprendre pour parvenir à s’échapper. Mais ce dangereux monde de la forteresse, même s’il faut le fuir pour survivre, reste empreint d’une étrange et grande beauté. Des jardins magnifiques où le temps semble figé, avec leurs arbres balayés par le vent et inondés par le soleil, où volettent de jolies colombes qui bercent les lieux de leurs chants innocents, deviennent de véritables havres de paix, où seule compte la contemplation. D’autant plus que si Ico n’est pas arrogant, la prouesse technique des développeurs vient tout de même souvent s’ajouter à celle des designers, et ce alors que l’on s’y attend le moins. Ico longe par exemple ce qui semble n’être qu’un simple petit étang et, comprenant vite qu’il faut le traverser, le joueur se jette à l’eau, et là, sublime du sublime, l’eau s’anime, ondule et brille de mille reflets insoupçonnés. Idem lorsque le joueur, à la recherche d’un mécanisme qu’il imagine bien caché, effectue un zoom sur un arbre qui révèle alors un feuillage touffu en véritable 3D, animé avec une rare finesse, sur lequel le soleil vient faire élégamment danser ses rayons lumineux. Ou encore lorsque la caméra, d’humeur vagabonde, s’aventure en une lente contre-plongée sous une cascade qui dévoile alors toute son intimité, faite de transparence, de reflets et de diffraction lumineuse lorsqu’un soleil rougeoyant de fin de journée vient s’y reposer. Un mot également pour souligner à quel point le travail sur l’animation est renversant : voir Ico prendre Yorda par la main, sans le moindre bug de collision qui ferait vraiment tache dans un si gracieux moment, pour la bousculer un peu afin de fuir le danger ou pour la rattraper après un saut périlleux, en apnée au-dessus du vide, ou, plus simplement, voir Ico se balancer au bout d’une chaîne, sont des purs moments d’émerveillement. C’est donc fort d’une esthétique inattaquable qu’Ico s’apprête à happer le joueur dans son monde d’une grande interactivité. Se débarrassant des habituels artifices que sont la barre de vie, la carte des lieux ou les items à collecter, le jeu propose un écran vierge de toute fioriture forcément mal placée et s’articule autour d’un gameplay simple et limpide, pour finalement mettre l’accent sur la plus pure beauté de l’instant de jeu. C’est ainsi qu’il va s’agir de déjouer les nombreux mécanismes et pièges constitués par l’imposante forteresse, en sautant de rempart en rempart, basculant des blocs, abaissant des ponts,... Ces problèmes posés au joueur ne sont jamais insurmontables mais pas forcément évidents, étant donné qu’aucune indication n’est donnée, toujours dans cette logique de vouloir éliminer toute indication à l’écran. C’est alors au joueur d’imaginer les éléments avec lesquels il peut interagir et ce sur quoi il n’a aucun pouvoir afin de débloquer la situation. Un exercice ardu tant les jeux habituels nous gavent de commentaires du style « rien d’intéressant » ou « je pourrai peut-être », mais qui permet enfin de s’adonner véritablement aux plaisirs de la recherche, de l’exploration, tout en multipliant les moments de pure contemplation... Une véritable bouffée d’air frais pour le gameplay. Mais attention ! Il ne faudra jamais oublier votre frêle compagne, puisque c’est à deux qu’il vous faut progresser. Car si Ico s’en tire toujours avec brio, endurant et souple qu’il est, Yorda demandera, elle, des passages toujours moins étriqués, moins tortueux, moins ardus. Le joueur se voit donc parfois obligé de quitter des yeux sa belle pour débloquer le passage en amont, mais ce sera toujours avec une certaine angoisse car, tôt ou tard, les créatures des ténèbres viendront tenter de lui arracher sa protégée. Ico devra alors repousser les assaillants, parfois très nombreux et de plus en plus hargneux, avec pour seule arme un mince bâton ou une simple épée. La partie est parfois loin d’être gagnée et les combats s’avèrent souvent assez stratégiques, pour empêcher les créatures de s’emparer de Yorda, ou, au contraire, se servir d’elle comme appât, car les créatures vous craignent... Les deux personnages progressent donc entre les remparts sinistres et froids de la citadelle, ne s’arrêtant que de temps en temps sur un banc de pierre pour se reposer et... sauvegarder. Toujours cette logique de simplicité qui fait mouche car elle étonne par sa légèreté. La fin du jeu verra Ico confronté au mal absolu dans un combat contre un inévitable boss d’anthologie où, là encore, la technique pour en venir à bout ne fera ni appel à moult items récoltés puis combinés à un instant t ni à une furie de magie level 3, mais bien à une réflexion logique ainsi qu’à une certaine dextérité au rond, croix, triangle et carré. L’ultime scène du jeu survient après le générique de fin et dévoile enfin au joueur le sort réservé à sa compagne d’aventure, pour un moment de pur recueillement. Purement évanescent. Sans doute l’un des meilleurs ambassadeurs du jeu vidéo en tant qu’art à part entière, Ico fait partie de ces jeux qui marquent et que l’on aimerait vivre plus souvent. Alors que ces lignes sont écrites, on est toujours dans l’attente d’une hypothétique suite, pour le moment officieusement baptisée Nico et qui tarde vraiment à se dévoiler. On se prend alors à espérer que le révoltant échec commercial d’Ico (17.000 exemplaires en 1ère semaine au Japon alors qu'un hit sur PS2 dépasse les 500.000 sur la même période) n’ait pas coupé les ailes de ces développeurs de talent. Comme c’est, hélas, souvent le cas. (NDMTF : Cette suite sortira finalement sous le nom Shadow of the Colossus). Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (89 réactions) |