Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Layer Section
Année : 1993
Système : Arcade
Développeur : Taito
Éditeur : Taito
Genre : Shooter
Par Lyle (15 septembre 2004)

Taito. Monstre sacré de l'arcade, doté d'un sens inné du gameplay immédiat. Sur le plan qualitatif, c'est le développeur capable de tout, du génial (Qix, Puzznic, Rainbow Islands, Liquid Kids...), du nullissime (Kageki, Runark, Rastan Saga 2...), du révolutionnaire (Bubble Bobble, Space Invaders, Puzzle Bobble...), du mauvais réchauffé (Ashura Blasters, Fighting Hawk...), du bon réchauffé (Arkanoid, Elevator Action Returns, Don Doko Don...), du classique (Bonze Adventure, Thunder Fox, Crime City...). On pourra toujours affirmer que c'est à peu vrai chez tous les grands noms du jeu vidéo. Sauf que chez Taito, cette hétérogénéité atteint des sommets, jusqu'à être préjudiciable à sa réputation : parlez arcade avec des retrogamers et si vous entendez Taito associé à un concert d'éloges nostalgiques, ce sera souvent après Capcom, Konami, Irem ou Sega. Pas forcément parce que le développeur au logo triangulaire est moins prestigieux que ces derniers, mais parce que son « œuvre » est plus difficile à saisir dans son ensemble.
Qualitativement parlant, Layer Section est encore un titre à part, un cas de figure relativement isolé, peut-être unique chez Taito. On pourrait le qualifier de « shoot'em up modèle » pour plusieurs raisons. D'abord parce que, comme on va le voir, ses concepteurs ont mis autant d'ardeur dans le détail du jeu que dans ses bases. Ensuite parce qu'ils ont su trouver le point d'équilibre idéal entre classicisme, efficacité et innovation. Classicisme dans l'univers et le design, efficacité et innovation dans le gameplay et la réalisation. L'excellence de Layer Section pourra ne pas sauter aux yeux de celui qui le découvre : ses premiers écrans le font ressembler à beaucoup d'autres. Puis on progresse et, effet après effet, séquence après séquence, boss après boss... les points positifs, les signes de finitions s'accumulent jusqu'à ce qu'il faille se rendre à l'évidence : Layer Section est bien l'un des plus grands shoot'em up des années 90.

Niveau 1 – Red Power to Pierce Through

On commence relativement classique : champ d'asteroids et base spatiale. Le système de lock est tout de suite sollicité, avec dès les premiers écrans une série de vaisseaux-mères à abattre au second plan. Les occasions de « chains » sont nombreuses et faciles à réaliser. Le boss est assez convenu et simple, mais son arrière-plan est agrémenté de superbes effets de lumières.

Vous partez en mission à bord d'un appareil équipé de deux systèmes d'arme complémentaires : un tir rectiligne automatique, destiné à abattre tous les ennemis et obstacles situés au premier plan. Des bonus rouges et jaunes permettent d'upgrader sa puissance et sa largeur. Un grand nombre d'entre eux sont nécessaires pour atteindre le degré final d'upgrade, un épais tir rouge particulièrement efficace qui peut faire la différence dans les situations les plus délicates. Second système, un viseur, situé en haut du vaisseau, permettant de locker les ennemis situés plus bas. En pressant le second bouton de tir, des lasers autoguidés vont détruire eux-mêmes les ennemis lockés. Au départ, un maximum de cinq lasers peuvent être envoyés simultanément, nombre qui peut être ammené à huit grâce aux bonus prévus à cet effet. Voilà donc l'innovation de gameplay, une ingénieuse amélioration du système inventé par Xevious, et plus tard repris par des titres comme Dragon Spirit et sa suite Dragon Saber.

Niveau 2 – The Gravity of the Blue Side

Toujours dans l'espace, on commence dans les structures d'une station équipée de tourelles mobiles pour s'engouffrer soudainement au cœur d'une planète en fusion, à l'assaut d'un énorme vaisseau (la transition est du plus bel effet). On en ressort bien vite pour se trouver face à une immense bataille intergalactique. Il est possible d'aider son camp en lockant les croiseurs ennemis. Le boss, très réussi, a le pouvoir de se dématérialiser, ne laissant plus apparaître que sa forme en « fil de fer » et son cœur névralgique.

Le système de score repose avant tout sur une bonne utilisation de l'arme secondaire. Pour entrer dans le tableau des meilleurs pilotes, il est indispensable de locker un maximum d'ennemis avant d'envoyer ses lasers puisque de tels enchaînements font exploser les points, et les gains décuplent d'autant plus que les derniers ennemis détruits sont importants en taille. Dans ce domaine, Layer Section peut être décrit comme un shoot de transition, en ce qu'il représente une nette progression vers les systèmes de score très élaborés qui caractérisent les shoot'em up modernes et autres manic shooters. Travailler le score implique une connaissance très pointue des ennemis, de leurs attaques, et surtout de leurs trajectoires étant donné qu'un vaisseau locké quittant l'écran est une cible perdue. Réaliser des chains devient très risqué dans les niveaux avancés. En contrepartie, abattre un maximum d'ennemis d'une traite offre l'avantage considérable de faire un peu le vide à l'écran, ce qui représente un léger paliatif à l'absence de smart bomb.

Niveau 3 – The Phantasm of Silver

La planète est en vue. Mais sitôt rentré dans l'atmosphère, les hostilités reprennent. Vous êtes accueilli dans les nuages par un vaisseau aux bras articulés. Plus bas, le ciel est envahi par des morceaux de terre en suspension. Vous pouvez même en faire s'écrouler un en abattant les structures porteuses qui le maintiennent en l'air. Les graphismes de ce passage sont parmi les plus réussis du jeu, même s'il est difficile d'en profiter car l'ennemi commence à canarder sec. Le boss, que l'on retrouve dans Raystorm, ne fait pas de cadeaux non plus.

Là où le jeu est, en revanche, bien de son temps, c'est dans le « masque de collision » de l'appareil (i.e sa partie vulnérable), particulièrement large. C'est un shoot'em up de manœuvre autant que d'esquive. Les tirs les plus lents ne sont pas forcément les moins dangereux et il suffit de laisser traîner un aileron ici ou là pour perdre un vaisseau. Les double tirs des tanks et des batteries d'artillerie, par exemple, deviennent rapidement une plaie si on les laisse s'accumuler. D'autre part, contrairement à tous ces shoot'em up qui ne misent que sur le classique petit projectile circulaire, le panel offensif de l'ennemi est ici très varié. Vous devez slalomer entre des lasers de toute taille, certains faisant des virages en angle droit, d'autres vous suivant à la trace pendant plusieurs secondes, des bombes dont l'éclat reste à l'écran, des missiles à tête chercheuse, de gros tirs lents, apparemment anodins, qui soudainement se décomposent en petits lasers bien serrés juste devant votre cockpit...et attendez de faire face au boss de fin !

Niveau 4 – The Fissure of Consciousness

Vous voilà à la surface de la planète. Les tanks et les tourelles ne vous lâchent pas, pas plus que les nombreuses vagues de robots et vaisseaux. Il est temps d'amorcer une descente à l'intérieur de la planète via une déchirure terrestre (remarquez à quel point, dans les shoot'em up, l'ennemi a toujours la courtoisie de vous ouvrir lui-même ses portes quand vous parvenez à son lieu de résidence !) L'araignée mécanique de fin de niveau est redoutable et possède une grande variété d'attaques. Attention en particulier à ses lasers et à ses bombes sur lesquelles il vaut mieux éviter de tirer !

Encore une preuve de transition : avec recul, je trouve que c'est avec des titres comme Layer Section que la notion de motifs (« bullet patterns » en anglais) commence à prendre un sens clairement défini, encore que l'on pourrait aisément remonter jusqu'à Raiden. On sent en tout cas que les programmeurs ont soigneusement réfléchi à l'influence de chaque type de projectile sur notre manière de jouer, mais aussi sur les difficultés que font naître leurs combinaisons. Résultat : les différentes associations de projectiles vont toujours très bien ensemble, et même dans les situations où les motifs sont particulièrement denses, on n'a pas une seule fois, du premier ou dernier niveau, le sentiment d'être pris au piège. Il y a toujours une porte de sortie aussi minuscule soit-elle. On éprouve une grande satisfaction après une série de belles esquives face aux boss des derniers niveaux ; on se tape le front en se traitant de tous les noms d'oiseaux dès qu'on se prend un tir en pleine poire. L'intégrité, cette éternelle marque des grands...

Niveau 5 – Toward the Darkness

Vous voilà en pleine mégapole souterraine, toujours en descente progressive. Vous êtes d'abord au niveau des buildings, assailli de toute part par des esquadrilles de vaisseaux (attention à ceux qui attaquent de derrière). Puis vous parvenez au niveau d'un réseau autoroutier, où il faudra en découdre avec de nombreux tanks. Le boss, un robot au design très classieux, vous envoie entre autres des décharges électriques et de gros tirs lents à tête chercheuse.

Autre qualité exemplaire, la constance du rythme, avec une action soutenue comme il faut, loin de ces shoot'em up à l'intensité « dent de scie » comme on en voyait tant dans la deuxième moitié des années 90 (n'étant par nature pas médisant, je ne citerai pas de noms). Idem pour la progression de difficulté, idéale. Tout à fait accessible dans les premiers niveaux, puis une montée de plus en plus appuyée jusqu'au boss de fin, dont la dernière phase d'attaque s'avère cauchemardesque. Il faut beaucoup de pratique pour espérer le finir avec un unique crédit. D'un autre côté, il est naturel qu'un jeu laisse toujours la possibilité aux joueurs les plus persévérants de se distinguer. Les cinq crédits accordés dans la version Saturn ne sont pas de trop pour le joueur moyen. Sur cette même version, il est également possible de règler la difficulté suivant six degrès qui influent surtout sur la vitesse des tirs ennemis.

Niveau 6 – The End of Deep Layer

On arrive au quartier général de l'ennemi. D'abord c'est une base avec des plates-formes élévatrices, et de très nombreux tirs à esquiver. Il ne suffit plus de bien connaître les niveaux, il faut aussi être agile et faire preuve de sang froid : la plupart des tirs sont lents mais rappelez-vous, le masque de collision ne pardonne pas. Dans une seconde séquence à obstacles, qui n'est pas sans rappeler le troisième niveau d'Axelay, vous avez tout juste le temps de franchir des portes qui se referment aussitôt après les avoir détruites. Puis le boss, une machine aussi immobile que dangereuse et très résistante.

Un soin tout aussi manifeste a été apporté aux boss. Tous ont pas mal de phases d'attaque différentes et certains ont parfois quelques sursauts d'orgueil avec des offensives qu'on ne voit que rarement. D'une manière générale, il vaut mieux en finir au plus vite car ils ont tendance à être de plus en plus agressifs au cours de l'affrontement. On a droit au cours des niveaux à des sous-boss très réussis et à de nombreux changements d'environnements et de perspectives. En effet, bien que le jeu soit entièrement en 2D, il inclut, grâce aux possibilités graphiques du système F3 de Taito, énormément d'effets de zoom et de parallaxes. En un sens, le jeu dans son ensemble est lui-même un grand zoom, une plongée très progressive de l'espace vers le cœur de la planète à détruire, chaque niveau représentant une série de strates (d'où le nom du jeu). Joli détail technique : pas la moindre coupure ne vient interrompre cette progression, même entre les niveaux : un plan-séquence, appelerait-on ça en cinéma.

Niveau 7 – Releasing Infinity

Dernier niveau, ultime voyage vers l'ordinateur central de la planète. Superbe graphiquement avec tous ses détails futuristes. Le niveau en lui-même n'est pas le plus difficile du jeu et les derniers écrans vous laissent bien le temps de vous armer. On comprend vite pourquoi : le boss final est vraiment difficile. Ne vous laissez pas déconcentrer par les jolies déformations lors de son apparition, bien vite ses motifs d'attaque vous demanderont les meilleurs réflexes. Dans sa dernière forme, il vous force à l'approcher de très près en vous encerclant avec ses tirs et en tentant de vous absorber avec une sorte de trou noir...

La variété des situations, à faire palir d'envie cent autres shoot'em up, n'en est que plus importante et le jeu propose des séquences de jeu franchement mémorables, avec des accélérations de scrolling, des descentes vertigineuses, sans compter les divers effets présents à titres décoratifs, les déformations... Décidément, on a voulu bien faire les choses du début à la fin... La bande son a été composée par Zuntata, ensemble de compositeurs responsables d'un très grand nombre de titres produits chez Taito. Plus qu'une équipe, il s'agit d'un groupe assez reconnu au Japon et qui a l'habitude de réarranger ses compositions, de les éditer en CD et même de faire des concerts. Difficile de décrire leur style. Pour les shoot'em up, ils ont tendance à faire dans le mélange techno / indutriel / musique d'ascenseur. Vous êtes prévenus, leur style est assez spécial et les avis sur leur production sont partagés, même parmi les amateurs de shoot'em up. Reste qu'ils ont une identité musicale bien à eux, une marque de fabrique et Layer Section la représente assez bien. Les thèmes et leurs arrangements s'accordent tout à fait avec l'ambiance futuriste du jeu, que je trouve curieusement assez fascinante, comme si elle révelait le rapport unique qu'on les Japonais à la technologie en générale.

Fin – Vous êtes encore en vie ? C'est le moment de tenter l'ultime lock : envoyez vos derniers lasers sur l'ordinateur central et vous aurez accompli votre mission. La dernière image rappelle une de celles qu'on voit à la fin de Thunder Force 4.

Il existe trois versions de Layer Section. Oubliez la version PC, conversion grossière et dont la configuration par défaut fait tourner le jeu en accéléré. L'arcade, version originale, souffre d'un unique problème technique : des ralentissements parfois très présents et du coup assez gênants. Bonne surprise, pour la conversion Saturn, Taito s'est appliqué à les supprimer intégralement, et ce même à deux joueurs. Toujours sur Saturn, les musiques ont par moments été légèrement réarrangées. Il s'agit donc de la version à privilégier. Par chance, elle est facilement trouvable, grâce à son succès auprès des retrogamers, et se négocie à un prix raisonnable (15-20 euro est une fourchette honnête). Taito a réussi l'exploit de renommer trois fois son jeu. A l'origine, c'était Rayforce, nom japonais de l'arcade, qui est devenu Gunlock en arrivant aux Etats-Unis et en Europe. Layer Section est le nom japonais de la version Saturn. Pourquoi ont-ils eu l'idée saugrenue de la renommer Galactic Attack pour l'occident (à moins que ce ne soit le fait d'un éditeur chargé de la distribution locale) ? Quoi qu'il en soit, quatre noms pour un même jeu, le voilà bon pour le Guiness...

Raystorm Raycrisis

Layer Section est devenu une série grâce à deux suites, Raystorm (arcade, Playstation,Saturn et PC) et Raycrisis (arcade, Playstation et PC). Deux suites en 3D (sur des plan 2D) de très bonne facture sans toutefois avoir le degrès exceptionnel de finition dont Layer Section a fait l'objet. Et même si, sur un plan graphique, ces deux suites ont moins bien vieilli que leur ainé, elles en gardent la jouabilité, l'ambiance et bien sûr le système de lock si plaisant. La 3D a aussi permis un sens du spectaculaire encore plus développé. La série mérite donc d'être découverte dans son ensemble. Elle mériterait même d'être prolongée, n'est-ce pas Taito ?

Lyle
(15 septembre 2004)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Le site http://www.shmup.com a réalisé une excellente et très complète review vidéo de Layer Section, dont je me suis quelque peu inspiré pour cet article, et que je ne peux que vous recommander.
Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum
(14 réactions)