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Runabout 3 Neo Age
Année : 2003
Système : Playstation 2
Développeur : Climax Entertainment
Éditeur : Bam! Entertainment
Genre : Action / Jeu de Course
Par Barbo (22 juillet 2013)

Il y a des instants dans la vie où l'on se sent seul. Par exemple, à l'école, lorsque l’on vomit par terre en plein cours ; face à une personne dont vous êtes profondément et sincèrement amoureux, mais qui vous répond "non" ; ou encore face au jury d'un concours lorsque vous balancez une réponse foireuse à une question et que vous subissez le silence qui suit. Oui, tout cela m'est arrivé. Heureusement tout ça c’est du passé, malheureusement ce n'est pas dit que ce n'est pas du futur.

Reste cependant une manière de se sentir seul, autre que le ridicule et le célibat, et peut-être encore plus violente car elle suppose une solide résistance à une pression sociale quasi-quotidienne : avoir des goûts différents de ceux de la majorité. Ainsi, c’est une puissante sensation de solitude qui me traverse depuis un achat remontant au 7 Janvier 2006 (ne soyons pas modestes : GrosPixels est promis à la postérité alors mettons la date précise).

N’y a-t-il vraiment personne, ne serait-ce qu’en France, qui apprécie un tant soit peu Runabout 3 Neo Age sur Playstation 2 ? Petite revue de presse...

- JeuxVideo.com : "Il n'y a rien à tirer de Runabout 3. En admettant qu'un perfide traître vous ait offert ce jeu, vous pourrez toujours vous faire un dessous de verre avec le CD et une jaquette de rechange avec le boîtier."

- Gamekult : "Décidément, Runabout régresse à chaque opus et ce troisième épisode vient confirmer tout le mal qu'on pensait de la saga. Au coude à coude avec Wreckless au fond du gouffre, ce Runabout 3 surprend tant par sa piteuse réalisation que par son gameplay anémique à faire pâlir son camarade de piquet. Seule la durée de vie raisonnable apporte une touche positive au titre. Pour le reste, c'est moche, c'est lent, c'est inintéressant, et pour finir c'est peu maniable : quelle idée de vendre un pareil truc ?"

- Playstation 2 Magazine : 1/10

- Jeux Video Magazine : 5/20

Pour noircir davantage le tableau, D3 Publisher a édité le jeu au Japon sous son label budget "Simple 2000 Series Ultimate", initiative guère rassurante pour les connaisseurs. Bref, la totale. Et moi, en véritable OVNI de la communauté gamer à peine refroidi par Super Runabout, j'ai osé l'impensable. Je l'ai acheté. Et pire, j'ai réussi à m'amuser avec. Je ne saurais vous dire quelle malformation cérébrale a permis une telle situation, je ne suis pas spécialiste en génétique et de toute façon j’ai d’autres chats à fouetter. Je me contenterai donc de vous expliciter le raisonnement que mon cerveau de quadrisomique en phase terminale a effectué.

Petit rappel des faits : j’ai récemment tenté d'expliquer toute la sympathie que j'ai pour Super Runabout, jeu de course-action sur Dreamcast et certainement l’une des plus piteuses réalisations que le sous-genre ait jamais pu engendrer, en arguant notamment que la majeure partie de ses défauts faisaient l'essence même du titre. Brisons immédiatement un suspense qui n'a de toutes manières jamais pu exister, eu égard à la question posée aux fanboys Sony à présent horrifiés, la bave en coin de bouche, transis de sueurs froides et ne cessant de se décomposer devant leur écran à mesure de la lecture de ce texte (toujouts dramatiser, ça fait de l’audience) : Runabout 3 est le digne fils de son père. Même trip incompréhensible, mêmes situations ubuesques, mêmes défauts considérables : le changement de plate-forme n'a guère changé l'état d'esprit il est vrai déjà altéré de développeurs pourtant théoriquement désaltérés, tant ils donnent toujours le sentiment de s'être joyeusement imbibés tout au long de la gestation. Du coup vous comprendrez mieux pourquoi je lutte contre vents et marées en affirmant que j'aime ce jeu, même s'il faut aussi être un tant soit peu objectif et reconnaître que la série perd un peu de sa superbe (sic !) avec cet épisode.

Certes, je paraîs horriblement méprisant quand je dis que les développeurs de "Lannabaouto Sli" (hum oui le katakana ça a plus de gueule quand même) étaient bourrés quand ils ont réalisé leur œuvre. Et bien je le redis : ils étaient bourrés. Je vous imagine pantois d'admiration à la vue de la témérité inouïe dont je fais preuve, surtout qu'à Climax Entertainment ils ne doivent pas comprendre un seul mot de français. Accrochez-vous car ce n'est pas fini, je ne dis jamais de paroles en l'air. Non seulement je l'ai dit et redit, mais en plus je le prouve : il n'y a pas de scénario ! ARGH !!! Inacceptable !!! Ils n'ont même pas été capables de renouveler l'effort surhumain qu'ils avaient accompli sur Super Runabout ! N'est-ce pas la preuve d'un laisser-aller que seul un état d'ébriété aiguë est en mesure de provoquer ?

Bon d'accord. J'en rajoute. Beaucoup même. Il est vrai qu'effectuer une relation de cause à effet entre l'alcoolisme et l'incapacité à écrire une histoire est un raccourci UN PEU rapide, Bukowski a dû se retourner dans sa tombe en lisant ces lignes. De plus le scénario de Super Runabout n'est pas nanti de qualités pouvant nourrir des ambitions hollywoodiennes, bien qu'on pense à lui pour une parodie. Et puis d'abord, qu'est-ce qu'on en a à battre du scénario ? Aujourd'hui encore il y a un paquet de jeux de course qui font sans, et personne ne crie au blasphème. Plat de résistance s'il vous plait, on a la dalle.

Changement total de décor pour ce nouvel épisode. Après avoir foutu le boxon à San Francisco, Runabout débarque en fanfare à New York, toujours aussi débordant d’ambitions foutraques, bordéliques (hum c’est la même chose, non ?) et explosives (avec un éditeur européen qui s’appelle Bam! ça ne pouvait pas mieux tomber). Il vous est proposé d'accomplir neuf missions à travers les rues de la grande pomme à bord de divers véhicules dont la plupart sont comme d’habitude à débloquer. Récupération d'objets précieux ou de personnes enlevées, filature, vol d'argent ou encore transport de copine et de produits dangereux sont les principaux prétextes dénichés par Climax pour foncer dans des quartiers tels que Manhattan ou Chinatown. La nature des tâches à accomplir est un peu moins foldingue qu’autrefois sur le fond, mais certainement pas sur la forme.

Neuf missions, c'est trois de moins que ce que proposait Super Runabout sans même compter les missions spéciales. Pour compenser cela, chaque mission ou presque peut être jouée selon quatre niveaux de difficulté : Free, qui ne vous impose ni limite de temps ni contrainte particulière, Spec-A qui pose une ou plusieurs conditions à la réussite de la mission, Spec-B, qui ajoute des critères supplémentaires ou reprend ceux de Spec-A tout en les durcissant, et Spec-R qui fait de même avec Spec-B. Vous pouvez oublier le niveau Free, dénué d'intérêt (sauf pour qui veut simplement se balader un peu), et attaquer directement le niveau Spec-A, qui outre le fait qu'il soit plus excitant permet en cas de succès de débloquer le mode Spec-B de la mission en cours, qui lui-même débloque ensuite le mode Spec-R. Chaque mission propose des records à battre en matière de temps, de vitesse maximale atteinte à un point précis à la manière de Speed Busters ou Speed Kings, de longueur de saut (des tremplins sont disséminés dans la ville), et d'argent amassé, dont l'importance dépendra essentiellement de ce que vous aurez détruit en chemin.

Pour mener à bien vos différentes tâches, toute une palanquée de véhicules sera à votre disposition. Le garage est dans la droite lignée de Super Runabout, tant dans la variété que dans l'incongruité : muscle car américaine, bus, tank, voiture de F1, moto, 4X4, monospace, GT Japonaise, camion de pompiers et autre taxi sont de retour et se mettent à votre disposition au fil de vos succès. Bien que la conduite de chaque véhicule soit différente, le moteur physique a des réactions toujours aussi absurdes : dérapages interminables si l'on ne freine pas suffisamment fort avant le prochain virage, véhicules qui voltigent sur dix à vingt mètres quand on leur cogne dedans à pleine vitesse, tonneaux qui durent des lustres, sans oublier les bonds énormes lorsque vous roulez sur une mine et les saltos multiples qui vont avec.

Mais la physique du jeu n'est pas le seul élément facteur de situations burlesques : à l'instar de Super Runabout, certaines circonstances dans lesquelles les missions se déroulent relèvent également du délire. Citons par exemple la sixième mission qui se termine sur un porte-avions, référence évidente à l'épisode précédent. Cependant une mention spéciale doit être décernée à la seconde mission, où vous devez espionner une jeune femme. Vous devrez la suivre à distance pendant presque un quart d'heure dont au moins la moitié en roulant sur les chemins de fer souterrains new-yorkais, sans oublier de noter l'indication qui apparaît lorsqu'elle s'arrête à un endroit précis, car vous devrez répondre à une question à la fin, directement en rapport. Le plus comique est que selon la position du joueur par rapport à l'endroit concerné, le jeu bugge et l'on ne voit qu'une partie de l'indication à l'écran.

Ce souci est une transition parfaite pour nous permettre d’évoquer les défauts du jeu. Le bug que je viens de citer n'est qu'une goutte dans l’océan de problèmes dans lequel Runabout 3 s’est englouti, là où Super Runabout n’avait fait que patauger. Le frame-rate est très inconstant, en particulier dans certains quartiers comme Chinatown, où c'est la bérézina. Lorsque vous cognez un véhicule, celui-ci se déforme toujours de la même manière et en une seule fois. Les graphismes sont absolument hideux, nullement supérieurs à Super Runabout, d'autant plus que les belles couleurs de ce dernier ont disparu : la plupart des décors sont ternes, seul le ciel n'a pas été touché par ce revirement esthétique. Enfin, et malgré le second degré dont on fait forcément preuve lorsqu'on s'investit dans un jeu tel que celui-ci, certains véhicules sont un calvaire incontestable à conduire, notamment la Muscle Car. Cela dit il est ici question d’une véritable marque de fabrique de la série...

Une fois tout ceci énoncé, que reste-t-il ? Quelques petites choses, quand même. Commençons par le contexte sonore, probablement la partie la plus réussie du jeu. Côté musique, on retrouve l’archétype de ce que l’on trouve fréquemment dans un nanar : le groupe japonais Surf Coasters a été sollicité une nouvelle fois et nous délivre une bande-son rock'n roll absolument impeccable malgré des gimmicks que l'on connaît depuis Bill Haley et son Rock Around The Clock. Les voix et bruitages sont impeccablement adaptés à l'ambiance, je songe entre autres au "Let's go out and kick some butt !!!" du début de la première mission qui se fait brusquement discret lors du début de la seconde (la fameuse mission de filature). Le décor compte de très nombreux éléments destructibles, ce qui ravira les amateurs de high-scores. D’une manière plus générale, le jeu suit une optique similaire à Maximum Chase en proposant un nombre considérable de challenges annexes pour rallonger sa durée de vie.

Alors ? Que peut-on conclure de cela ? C’est très simple : si Super Runabout est une Lada, Runabout 3 est certainement une Scortchwaska, le tarif excessif en moins. Je doute que ce texte fasse, comme pour les Lada, le plein (de hype) pour démultiplier son prix et proposer un crédit sur trois générations après acceptation du dossier, alors n’insistons pas inutilement. Retenez juste que Runabout 3 fait preuve d'une crétinerie digne de son illustre prédécesseur, reprenant joyeusement la majeure partie de ses ingrédients. On peut évidemment lui faire une litanie de reproches puisqu'il conserve les défauts de Super Runabout tout en les alourdissant, mais l'esprit est toujours là, rappelant qu'il est totalement inutile de prendre ce jeu et cette série au sérieux, ce que la presse ne saisira sans doute jamais. Néanmoins, force est de constater qu’on est ici en présence d’un cas hardcore de chez hardcore, que seuls ceux qui ont tenu jusqu’au bout de Super Runabout sauront apprécier avec le recul nécessaire.

En attendant de voir si un Runabout 4 osera pointer un jour le bout de son nez, ce qui sera finalement le cas en 2012 sur la Nintendo 3DS, Climax Entertainment a très largement mérité son 5/5 en nanardise. Et si l’on vous a autrefois pointé du doigt parce que vous possédiez une Dreamcast, vous voilà enfin vengé.

Barbo

Barbo
(22 juillet 2013)