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Shenmue 2
Année : 2001
Système : Dreamcast, Xbox
Développeur : Sega
Éditeur : Sega
Genre : Aventure / Action
[voir détails]
Par Laurent (09 avril 2003)

Avant propos

J'ai tenu dans cet article à donner mon sentiment sur des aspects du jeu dont on ne peut parler sans révéler quelque peu son scénario. J'ai tenté de me limiter aux informations qui sont présentes dans la présentation des personnages incluse avec la notice du jeu, mais cela n'a pas toujours été possible. Bien que je ne pense pas avoir abusé des "spoilers", je m'excuse d'avance auprès de ceux à qui j'aurai gâché quelque effet de surprise.

"Shenmue ça a été un délire de Sega, ça leur a coûté dans les 400 millions de Francs. En plus ils se sont un peu plantés sur le jeu. Ils ont fait un jeu d'aventure, genre qui n'attire pas le plus grand monde. De toute façon à ce tarif, on ne peut plus amortir un jeu !"

Ces paroles sont de Frédérick Raynal, auteur de Alone in the Dark et Little Big Adventure, penseur et prophète du jeu vidéo à la française. Elles sont tirées d'une interview donnée au site Les voisins du dessous. Expédier ainsi l'affaire Shenmue en le réduisant à ses coûts de production et un genre vidéo-ludique bien balisé sans faire l'effort d'une quelconque analyse, c'est illustrer un phénomène qui nous attriste tous profondément. L'univers des jeux vidéo est peut-être trop étriqué pour mériter qu'une œuvre de ce genre en soit le porte-parole. Pourtant, les exemples de jeux audacieux bousculant convictions et habitudes sont nombreux, et certains font partie des plus gros succès observés récemment. Au-delà du fait que ces jeux sont souvent sortis sur Playstation 1 ou 2, touchant ainsi dix fois plus de joueurs que Shenmue, on notera que beaucoup font appel à l'imaginaire, au fantastique ou à la science-fiction. À l'opposé de cette recherche d'irréalité, Shenmue nous dit qu'il suffit d'observer les choses qui nous entourent pour y trouver le merveilleux dont nous avons besoin. Un voyage auquel tous les joueurs sont invités, car dans l'univers ici créé, il n'y a pas de "hardcore gamers" ou de "casual gamers", il n'y a que des humains, capables de tout lorsqu'ils prennent la peine d'aller à la rencontre les uns des autres.

Rappel des faits

Ryo Hazuki, 18 ans, vit avec son père Iwao Hazuki, senseï respecté, dans la ville japonaise de Yokosuka. Il va au lycée et son père lui apprend les arts martiaux. Un jour, un homme qu'on appelle Lan Di pénètre le dojo de Iwao Hazuki, et sous les yeux de Ryo, l'assassine sauvagement, au moyen d'une technique de combat inconnue et mortelle (technique d'origine chinoise si on en juge au costume que porte cet inquiétant personnage). Avant de le tuer et de disparaître, Lan Di force Iwao Hazuki à révéler l'emplacement d'un miroir, et l'accuse du meurtre d'un homme nommé Zhao Sun Ming. Incapable d'admettre que son père ait pu tuer quelqu'un et empreint d'un fort désir de vengeance, Ryo commence alors à mener son enquête.

Dans le premier Shenmue, qui se déroulait entièrement à Yokosuka, Ryo apprenait que son père entretenait un rapport mystérieux avec la Chine, où il s'était rendu dans le passé. Il découvrait également dans un recoin secret de sa demeure un deuxième miroir, dont Lan Di n'avait pu s'emparer. Le secret que cachent ces deux miroirs restait entier à la fin de ce premier chapitre, mais ils semblaient au cœur d'une conspiration menée par les Chiyoumen, une organisation criminelle chinoise dont Lan Di fait partie, et que combattait Iwao Hazuki. Ryo entrait en contact avec les alliés de son père, notamment Master Chen et un solide combattant nommé Ghuizang, et apprenait qu'en Chine se cachait un vieux maître en art martiaux, Yuanda Zhu, qui pourrait l'aider dans sa quête. Ryo se trouvait donc pris au milieu d'une lutte dont les protagonistes se montraient de plus en plus nombreux et dangereux à mesure qu'il recueillait de nouvelles informations. Il semblait par ailleurs qu'il n'était qu'un pion dans cette sombre histoire, dont les enjeux dépassaient sa seule quête de vengeance.

Shenmue.

Shenmue avait surtout pour but de nous familiariser avec le système de jeu imaginé par Yu Suzuki, basé sur une interactivité poussée et une liberté d'action maximale, dans un contexte ou le temps et l'espace sont gérés de façon réaliste. Son enquête progressait à tous petits pas, tandis qu'elle lui permettait de rencontrer une foule de personnages singuliers, donnant au jeu une dimension humaine alors jamais vue. Des évènements sans importance survenaient régulièrement, allant le plus souvent à l'encontre du déroulement du scénario tel qu'il aurait été dans le cadre d'un jeu d'aventure de facture classique. Les situations en rapport avec la quête principale étaient volontairement espacées dans le temps du jeu (par exemple, les rendez-vous étaient toujours pour le lendemain soir), afin que le joueur se laisse aller à la douceur de vivre du village recréé virtuellement, et en explore tous les recoins. Pour rompre la monotonie d'un script composé d'un grand nombre de rencontres et de dialogues, Suzuki avait introduit les QTE et les phases de combats libre, qui venaient régulièrement rappeler au joueur que les arts martiaux et leur état d'esprit restaient au cœur de l'histoire (n'oublions pas que Shenmue résulte d'une volonté initiale de transposer la série des Virtua Fighter sous la forme d'un RPG).

La fin du premier épisode nous montrait un Ryo déjà enrichi de nombreuses expériences, plus décidé que jamais à venger la mort de son père. Il quittait le Japon pour Hong Kong. Ce voyage vers le danger, Ryo l'entamait avec bien peu en poche en dehors d'un contact à rencontrer sur place : Lishao Tao, un autre maître qui œuvre contre les Chiyoumen.

Promo de Shenmue au Japon : le jeu en démonstration sur des bornes Dreamcast, et des acteurs incarnent Nozomi, Shenhua et Ryo.

Si la notion de destinée intervient fréquemment dans l'histoire imaginée par Yu Suzuki, il est ironique de constater que celle de la saga Shenmue n'a pas du tout été conforme à ce que ses géniteurs en attendaient. Le jeu s'est mal vendu au Japon (environ 300.000 exemplaires lors des premières semaines, soit au moins 4 fois moins que prévu), et a fonctionné correctement en Occident, mais certes pas suffisamment pour compenser son énorme budget, l'un des plus élevés dont un jeu vidéo ait bénéficié. À partir de là, Shenmue est entré dans la catégorie des "chefs-d'œuvre en péril". Ses adeptes le vénéraient, tandis que les autres en avaient à peine entendu parler, en raison d'une campagne marketing inexistante et d'une localisation scandaleusement bâclée (textes et voix en anglais dans toute l'Europe). La poursuite du projet n'a pas été clairement remise en cause, mais après que la Dreamcast a été abandonnée par Sega, la finalisation d'une version de Shenmue 2 sur ce support était loin d'être acquise. On murmurait que le jeu ne sortirait finalement que sur XBox, console choisie par Sega pour assurer la relève en raison de ses capacités graphiques et de sa simplicité de programmation. Finalement, la version Dreamcast est sortie en Europe, mais pas aux États-Unis, ce qui n'est pas très honnête vu que c'est là que le premier épisode avait le mieux marché. On y verra surtout une volonté de la part de Microsoft de ne pas faire de l'ombre à la version XBox (il est vrai que posséder les deux est d'un intérêt limité).

Yu Suzuki : 45 ans, dont 20 chez Sega.

Alors que Shenmue ne couvrait avec ses 3 CD que le premier chapitre des 16 écrits par Yu Suzuki, ce qui semblait logique et annonçait la plus vaste saga vidéo-ludique jamais conçue, Shenmue 2 contient les chapitres 2, 3 et 4, et oublie en route un fragment de scénario original se déroulant sur le bateau entre Yokosuka et Hong Kong. Il semble que ce remaniement ait été voulu pour limiter les frais, Sega étant au bord de la faillite (des rumeurs ont même évoqué un rachat par Microsoft, puis par Nintendo et même Electronic Arts), et la conclure en trois volets. Des contrats d'exclusivité qu'on imagine juteux négociés avec les mastodontes Sony, Microsoft et Nintendo, ainsi que la vente de jeux au développement peu coûteux (voire bâclé) pendant l'année 2002 ont permis à Sega de redresser un peu la barre, et Shenmue 3 a été annoncé début 2003 (sans date de sortie précise, et sur XBox exclusivement). On imagine déjà qu'il va devoir prendre de sérieux raccourcis s'il contient 11 chapitres ! Ceci dit, on ne sait encore rien de ce jeu, sinon que Sega a promis à ses fans qu'il n'envisageait pas de l'annuler.

Shenmue 2 : La vitesse supérieure

Ryo débarque à Hong Kong. Tout ce qu'il possède se trouve dans son sac à dos, mais il peut tout de même s'essayer aux jeux de hasard.

L'aventure occupe cette fois les 4 CD fournis, le 4ème contenant en plus les traditionnels suppléments. Il en résulte comme on pouvait le prévoir que l'ampleur du jeu est sans commune mesure avec celle du premier épisode. Une bonne trentaine d'heures sont nécessaires pour en voir le bout, et au moins le triple si on s'attèle à tout explorer. L'introduction nous montre Ryo débarquant à Hong Kong. On est tout de suite frappé par les améliorations apportées au moteur 3D : les personnages affichés sont plus nombreux, et les quartiers visités plus grands, tandis que les textures sont manifestement plus détaillées.

Même s'il est ici limité à son port et une zone piétonne, Hong Kong n'est pas Yokosuka. Non seulement l'ambiance change du tout au tout, mais le nombre de rues et lieux qui peuvent être visités semble multiplié par cent. Les premières heures de jeu désorientent donc quelque peu. L'habitué de Shenmue ne retrouvera pas la sobre intimité du village ou de la maison de Ryo, et le novice (il est bien sûr possible de commencer la saga par cet épisode, un résumé vidéo du premier étant disponible dans les suppléments) prendra en pleine face l'immensité de la ville tout en faisant ses premiers pas dans le système de jeu, si particulier. Ce n'est certes pas l'idéal pour découvrir l'univers de Shenmue, d'autant que la localisation est toujours placée sous le signe du n'importe quoi et de l'incompétence : les dialogues sont en japonais, ce qui est une excellente chose, mais les sous-titres sont en anglais, tandis que le carnet de route de Ryo est dans un français approximatif qui va jusqu'à écorcher certains noms de personnes ou de lieux ! Certains "exécutifs" (on devrait dire plutôt bourreaux) ont dû croire que ce carnet de route suffirait pour les non-anglophones à progresser dans l'aventure. Il faut croire qu'il n'ont pas essayé le même jeu que nous... enfin bref, gageons que cela a permis quelques économies.

Un labyrinthe de rues animées, remplies de boutiques que l'on peut toutes visiter.

En dehors de la nouvelle répartition des chapitres qui accélère la narration, il faut noter que les temps de latence ont disparu du quotidien de Ryo tel qu'il nous est permis de le vivre. Lorsqu'un évènement d'importance est en vue, une option "wait" permet d'accélérer le temps jusqu'à sa survenue. Cela est plutôt surprenant au départ, et pour tout dire contraire au principe qui avait été introduit dans le premier volet, mais vue la densité extrême atteinte par le récit et la tension qui en découle, ces raccourcis ne sont finalement pas trop nocifs, pas plus que les "téléportations" de Ryo vers certains endroits qui sont proposées au joueur au début de chaque journée du jeu. De nombreuses petites quêtes dans les rues de Hong Kong se chargent de nous en faire parcourir l'ensemble (et on s'y perd facilement). Par ailleurs, ce qui relève de l'intendance est toujours absent du système de jeu. Pas besoin en conséquence de se demander bien longtemps où Ryo va dormir, par exemple, et les offres d'emploi ne manquent pas. Par ailleurs, il rencontrera très vite des alliés précieux, qui l'assisteront dans sa quête tout en lui fournissant de nouvelles pistes à explorer.

Les deux premiers CD se déroulent donc à Hong Kong, ou Ryo fait connaissance avec un nouvel allié et instructeur en arts martiaux, une très belle jeune femme nommée Xiuying Hong. D'autres personnages interviennent, dont les motivations restent à éclaircir, notamment Ren, un jeune voyou qui, à partir du moment où Ryo le rencontre, le suit partout. Leur complicité apporte une touche d'humour au scénario, dans la mesure ou Ren est un petit malin qui trouve toujours le moyen d'envoyer le naïf Ryo au casse-pipe à sa place. Joy, qui intervient dès l'arrivée de Ryo à Hong Kong, est une jeune fille au look un peu racoleur (on se demande au départ ou les designers veulent en venir avec elle), qui vient parfois prêter main forte, mais dans ce deuxième volet elle semble surtout être là pour compenser l'absence de Nozomi, l'amie d'enfance de Ryo avec laquelle une émouvante relation de tendresse se nouait tout en douceur dans Shenmue.

Xiuying : sa maîtrise des arts martiaux est impressionnate, et son passé mystérieux
Joy : l'attitude de Ryo à son égard n'engage que lui !
Fangmei : idéale pour se réveiller de bonne humeur

Après le passage à Hong Kong, très riche en exploration et recherche d'indices, Ryo part pour Kowloon, une cité perchée sur une colline qui semble totalement aux mains de la pègre. Il faut noter que cette migration ne fait l'objet d'aucune quête pour un moyen de transport (on voit simplement Ryo prendre un bus), alors que dans Shenmue un CD complet était dévolu à la récolte des fonds nécessaires au départ pour Hong Kong. Là encore, la présence de trois chapitres au sein du même jeu implique donc une tendance à expédier plus rapidement les affaires courantes.

Ce troisième CD change totalement d'ambiance. On nous fait vite comprendre que Kowloon est un labyrinthe que Ryo perdra son temps à explorer. Aussi ira-t-il le plus souvent droit au but, guidé par des indices très clairs obtenus sans difficulté. Ses alliés lui seront fort précieux dans sa nouvelle quête : être recruté parmi les hommes de main des Chiyoumen. Place à l'action, et les QTE et combats en free battle (à la Virtua Fighter, donc) deviennent prépondérants. La ville de Kowloon comprend, outre les habituelles rues piétonnes, plusieurs buildings dont l'architecture étonnante (on y trouve des boutiques à tous les étages ! Ça donne vraiment envie d'y faire un tour) fait de l'exploration un des moments les plus plaisants de l'aventure, mais on les découvre aussi via deux longues phases de jeu bourrées de QTE nettement plus longs et difficiles que ceux de Shenmue.

Ryo s'adonne au "street fights" en deux rounds. Des phases qui se déroulent comme un jeu de combat 3D à part entière et en atteignent l'intensité.

Les rues sont aussi jalonnées de petites arènes improvisées où se déroulent des combats de rues. Ryo devra faire ses preuves en y participant, avant que les hommes de Lan Di ne le recrutent, et la suite de l'aventure lui en réserve plusieurs autres contre des ennemis de plus en plus coriaces. On a alors droit à une série de combats donc l'intensité et la mise en scène sont conformes à ce qui se passe dans un bon épisode de Virtua Fighter. La difficulté est bien sûr moindre (et des QTE viennent parfois interrompre l'action), mais ces phases nécessitent d'exploiter un tant soit peu l'éventail de coups dont Ryo dispose, d'autant que la maniabilité est parfaite et l'animation a toute la nervosité voulue. On rêve alors de voir un jour tous ces personnages intégrés dans un Virtua Fighter qui pourrait très bien utiliser le même moteur graphique. Nul doute que si Soucalibur 2 était aussi sorti sur Dreamcast (ce qui n'aurait été que justice !), Ryo aurait été choisi comme guest-star locale.

Ryo et ses alliés dans l'action : Ren et Joy.
Certains QTE comportent des combinaisons à 5 boutons.

Après ce troisième CD riche en action et passages hautement spectaculaires, Ryo sera amené à faire un nouveau voyage, vers Guilin, une petit ville du sud de la Chine aux paysages sublimes. C'est non loin de là que se trouve le village de Bailou, au sein duquel toute l'histoire trouve ses origines. C'est aussi là que Ryo va faire sa rencontre la plus déterminante : la douce Shenhua, jeune fille qu'on n'a aperçue jusqu'ici que dans les cinématiques d'intro des deux épisodes. On peut le dire sans trop gâcher le plaisir de la surprise : le quatrième CD contient les moments les plus surprenants et audacieux qu'on ait vus depuis le début de la saga Shenmue. Les plus beaux, aussi. Au contact de cette jeune fille de 16 ans profondément naïve et fragile (elle personnifie magnifiquement la saga en ce sens), Ryo va voir sa vision du monde bouleversée. La fin du jeu le verra plus mûr, apte à ressentir des choses qu'il n'imaginait même pas auparavant. Pour le joueur, cette transition se passe sous la forme de plusieurs heures de jeu presque totalement contemplatives (il y a bien quelques QTE et une courte phase d'exploration, mais ils paraissent presque hors de propos), empreintes d'une spiritualité que l'on ressentait à tout moment du jeu, mais qui cette fois prend toute sa signification dans le cadre du récit. Cette conclusion introduit également les premiers éléments fantastiques du scénario, qui seront certainement plus développés par la suite. On en ressort totalement transporté, la tête pleine de souvenirs. En repensant aux centaines de découvertes faites depuis le début de l'aventure, on est pris d'un vertige agréable, mêlé d'impatience...

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