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Shenmue 2
Année : 2001
Système : Dreamcast, Xbox
Développeur : Sega
Éditeur : Sega
Genre : Aventure / Action

Image, texte et son

Une des scènes les plus célèbres du jeu.

Shenmue avait placé la barre assez haut en terme de graphismes. Au premier plan des éloges faites : la modélisation et l'animation des personnages, remarquables. Shenmue 2 n'apporte pas d'améliorations sensibles à ce niveau, et c'est tant mieux, car cela n'était pas vraiment nécessaire, et aurait pu nuire à la cohérence visuelle de la saga. En revanche, des progrès notables ont été faits sur la quantité de personnages qui se promènent à l'écran lorsque Ryo visite une rue ou un centre commercial. Alors qu'à partir de quatre ou cinq passants les premiers ralentissements intervenaient, ici on peut très bien en côtoyer une quinzaine. Cela renforce la sensation d'immersion et de réalisme, et donne une quantité qui paraît infinie de choses à observer, exactement comme lorsqu'on découvre dans la réalité une ville asiatique. Il faut aussi, mais ce n'est pas vraiment utile en présence de captures d'écran, signaler que les décors sont exceptionnels, tant par leur réalisme que par leur beauté. Et que ceux qui n'en sont qu'au CD 3 et croient qu'ils ont déjà vu le plus beau sachent que ce qui les attend dans le quatrième CD est tout simplement... au-delà des mots. Une fois de plus, les graphistes de l'AM2 réussissent à nous faire douter que les capacités de la Dreamcast et de son processeur PowerVR2 aient jamais montré leurs limites.

Immature, Ryo ne trouve pas les mots pour réconforter Xiuying ; la mise en scène des cinématiques souligne les rapports entre les personnages.
Représentation de la vie quotidienne à Hong Kong : le Pachinko, jeu de hasard qui se pratique dans la rue, peut rapporter de l'argent à Ryo ou lui fournir un travail journalier.

Les innombrables cinématiques comme les phases de jeu proprement dit se limitent au moteur 3D du jeu, et conservent tout au long de l'aventure un niveau de réalisation graphique fabuleux, totalement dans le style et les gammes de couleurs auxquels les jeux édités par Sega nous ont habitués. Seule ombre minime au tableau : les ralentissements, assez fréquents dans les ruelles bondées de Hong Kong (surtout, et c'est plutôt mal venu, durant les premières secondes du jeu).

Il est toujours possible, évidemment, d'interpeller la totalité des gens croisés, même si Ryo leur posera à tous la même question, conditionnée par la progression dans le script. Les hong-kongais se montrent particulièrement serviables, n'hésitant pas à faire un détour pour conduire Ryo à l'endroit souhaité. On peut évidemment chipoter sur le fait que les interactions avec ces personnes se limitent à peu de choses (demander son chemin, une indication sur une personne recherchée...), mais elles génèrent leur lot de situations inattendues. Le réalisme est toujours très poussé, surtout dans la représentation de la vie quotidienne des gens, si bien qu'on pardonnera certaines incohérences (comme par exemple le fait que Joy et Ryo ont exactement le même dialogue deux fois, à 24h d'intervalle, sous prétexte qu'il est allé la rejoindre à l'endroit du port où elle à l'habitude de se poster tous les soirs et qu'entre temps aucun évènement important ne s'est produit). Il faut quand même noter que les questions à choix multiples, qui élargissent les possibilités de dialogues, sont plus fréquentes que dans Shenmue 1, dans la mesure où il arrive que Ryo ait à courir plusieurs lièvres en même temps.

La nuit, l'ambiance change et d'autres commerces deviennent accessibles.
Les salles d'arcade sont toujours là.

La musique est bien plus présente et réussie dans ce deuxième volet. De Shenmue 1, on aura surtout retenu le thème "Shenmue", remarquable, mais les musiques de fond étaient plutôt quelconques dans l'ensemble. Shenmue 2 fait beaucoup mieux à ce niveau, proposant une multitude de thèmes élaborés, qui restent en tête même après avoir éteint la console. Quand au 4ème CD, c'est un véritable festival de musiques fabuleuses, dont beaucoup sont interprétées par un orchestre. Shenhua, en tant que personnage central, a donc droit à son thème personnel et réserve en plus au cours d'une cinématique une très belle surprise aux mélomanes (n'en disons pas plus).

Shenmue, une philosophie

Au-delà de la magnificence audiovisuelle de Shenmue 2, il faut noter que Yu Suzuki nous en dit beaucoup dans ce deuxième volet sur sa vision des choses. Amoureux des arts martiaux, il fait de chaque rencontre entre Ryo et l'un des maîtres qui lui dispensent des fragments de formation un hymne au pacifisme de cette discipline. Les arts martiaux ne permettent le combat que face à une situation de conflit ingérable sur l'instant, mais leur finalité suprême est de préserver la vie. Or, Ryo est ivre de vengeance et de rancœur. Cela lui donne une motivation sans faille utile pour faire face aux difficultés d'apprentissage, mais l'empêche d'atteindre cette communion du corps et de l'esprit qui permet de se surpasser dans l'exécution d'un coup ou d'une technique, et qui ne trouve sa source que dans la paix intérieure. Ses maîtres ont donc fort à faire avec lui, et sa démarche comporte une contradiction fondamentale.

Yu Suzuki semble avoir choisi de construire son récit autour de ce paradoxe, de le mettre peu à peu au centre de la quête de son héros. Pour rendre les choses plus claires, il classe tous ceux qui utilisent les arts martiaux pour tuer dans le camp des Chiyoumen. Il semble donc inéluctable que les seules compétences en kung-fu de Ryo ne lui permettront jamais d'affronter Lan Di d'homme à homme sans y laisser la vie. Sa quête passe par un cheminement spirituel qui permet à Suzuki de lui donner une épaisseur rarement constatée pour un personnage de jeu vidéo. L'affrontement entre deux clans, qui nourrit le côté aventureux classique du récit, passe totalement au second plan dans la magistrale conclusion de Shenmue 2. Un tel revirement, qui survient alors que le joueur est déjà comblé par de passionnantes phases d'exploration, action et résolution d'énigmes, représente non seulement une surprise totale mais aussi une élévation des enjeux du scénario. Les préoccupations qui sont celles de Ryo à l'issue de sa rencontre avec Shenhua sont essentielles. Elles prennent la forme d'un discours profondément écologiste et universel teinté d'une spiritualité plus asiatique. En clair, Ryo apprend que la plénitude passe par l'adoration exhaustive du monde qui nous entoure et des esprits qui l'habitent. L'amour pour son prochain découle logiquement de cette ouverture de l'esprit.

Guilin : Ryo n'a pas idée de ce qui l'attend derrière ces montagnes.
Shenhua : un personnage primordial.

On comprend alors mieux pourquoi, des dizaines d'heures durant, la saga encourage à explorer de fond en comble le quotidien du héros pour y trouver une multitude de petits détails attachants, et à progresser par le contact. Dans Shenmue, on est toujours récompensé lorsqu'on prend le temps de parler aux gens et faire des zooms sur tout et n'importe quoi. En revanche, toute tentative d'aller droit au but dans une démarche individualiste se solde par une grande frustration. C'est surtout flagrant dans la première partie du jeu, mais par la suite, alors que les phases d'action se multiplient et que le joueur est pris en main, les interventions des amis de Ryo viennent rappeler que sans l'autre on n'est rien. Le plus fascinant est que le joueur est amené, tout en douceur, à ressentir le jeu de la même façon que Ryo doit appréhender sa quête pour la mener à bien. Pour apprécier Shenmue, il faut être patient, curieux, et éviter de se laisser guider par ses impulsions. Cette approche est illustrée par toutes les phases de jeu : recherche d'indices, orientation dans les dédales de ruelles, phases de résolution d'énigmes, phases d'action, combats, QTE... La clé est toujours là, sous nos yeux, mais on ne la verra pas tant que l'on aura pas accepté que tout ce qui nous est montré mérite qu'on s'y intéresse, sans préjugé, en toute sérénité.

Une "méchante" hystérique et ses sbires hideux : assumée, la vision manichéenne de Suzuki s'applique au design des personnages.
Les flashes-back apportent plus de questions que de réponses.

Sans aller jusqu'à dire qu'on en ressort meilleur (ce serait un peu naïf, mais encore une fois la naïveté est glorifiée dans Shenmue), il faut tout de même admettre que rarement un jeu nous aura à ce point manipulés, ne révélant la vraie nature de sa démarche qu'aux deux tiers de sa progression, et encore ! La conclusion de Shenmue ne fait que poser les bases du discours humaniste de Yu Suzuki. Tout est encore en friche, et la suite de l'histoire promet beaucoup d'autres développements.

Signalons enfin que conformément à ce qui avait été établi dans Shenmue 1, la difficulté est ici très modérée. On n'est jamais bloqué, et les phases d'action peuvent être recommencées autant de fois que nécessaire jusqu'à leur inévitable réussite. Les combats en free battle semblent même de moins en moins ardus si on a à les refaire plusieurs fois. Il est évident que la démarche adoptée par les auteurs du jeu ne trouve son sens que dans le cas où le joueur arrive au terme de l'aventure. Il est donc fait en sorte que la progression soit constante, et rythmée avec une maîtrise absolue, ce qui n'est pas un mince exploit vu le nombre de situations possibles. On l'a compris, Yu Suzuki nous demande de renoncer à la façon dont les choses se passent habituellement. Libre à chacun de se laisser tenter ou non, mais le résultat est unique.

Version X-Box et suppléments

Les vestiges de la version Saturn ne laissent pas d'étonner.

Les bonus présents dans le CD 4 de la version Dreamcast se parcourent beaucoup plus vite que le "passport disk" de Shenmue 1, mais ils sont judicieusement choisis. Il y a d'abord la vidéo de la fameuse pré-version Saturn de Shenmue, dont les joueurs se demandaient si elle relevait ou non de la légende. Les images vues prouvent que cette version comportait des passages couvrant les chapitres 1 à 4. La qualité graphique est très correcte, largement supérieure à ce qu'on a généralement vu sur Saturn en terme de jeu 3D.

Deux autres suppléments sympathiques : les traditionnels jeux d'arcade estampillés Suzuki. Shenmue 2 comprend 4 bornes d'arcade, situées à Hong Kong et Kowloon que Ryo peut utiliser quand il le veut. Space Harrier et Hang On, déjà présents dans Shenmue 1, sont toujours là et Outrun et Afterburner font leur apparition. Ces deux derniers sont très difficiles (c'est bien connu), et Ryo est souvent à court d'argent dans Shenmue 2, aussi n'aura-t-on pas forcément l'occasion de beaucoup y jouer. Leur présence dans les bonus est une très bonne idée.

Jaquette de la version X-Box : un remède contre l'envie de l'acheter.

La version X-Box, sortie en avril 2003 en France, comprend en supplément une vidéo résumant Shenmue 1 (à l'aide de séquences directement tirées du jeu), pour les possesseurs de XBox qui ne viennent pas de la Dreamcast (il paraît qu'il y en a :) ). Shenmue 2 suffit amplement pour combler le joueur exigeant, mais il est rageant de savoir qu'aucune console ne sera capable dans l'immédiat de faire tourner l'ensemble de la saga, et encore une fois, le système de jeu mérite qu'on le découvre tranquillement par l'exploration de Yokosuka... Le plus impardonnable dans cette conversion est encore une fois la localisation : à se taper la tête contre les murs ! C'est encore pire que sur Dreamcast. Voix en anglais (adieu les remarquables voix japonaises si bien intégrées à la bande son, bonjour l'accent chewing-gum), sous-titres en anglais, carnet de route en anglais, et le film Shenmue 1 ne dispose pas de sous-titres ! Un mot aussi sur la jaquette XBox. Celle de la version Dreamcast était plutôt réussie, mais cette fois on a voulu semble-t-il retrouver l'ambiance des affiches de cinéma hong-kongaises. Le résultat est des plus kitsh, et en plus Ryo et Shenhua n'y ont pas le même visage que dans le jeu (sans parler du résumé au dos, sur la version française, qui nous parle d'une quête pour se venger d'un certain "Dan Li"). Bref, si le jeu est un succès, on pourra crier au miracle.

D'un point de vue graphique, cette version est à 90% identique à l'original sur Dreamcast, ce qui n'est pas choquant vu que le jeu n'a en rien vieilli techniquement. Quelques effets visuels de traînée ont été ajoutés lors des combats, et les ralentissements ont (a priori) disparu. On est donc proche de la perfection si on oublie les problèmes de localisation, et il s'agit à coup sûr d'un des titres phares de la XBox. À noter également une petite fonction en plus : l'appareil-photo, que Ryo peut utiliser à tout moment, et qui permet de se constituer un album et débloquer divers petits bonus.

Shenmue 1 et 2 font partie des jeux Dreamcast les plus difficiles à trouver en occasion pour un prix modique. On recommandera donc l'achat de la version XBox, de bonnes ventes pour celle-ci ayant été considérées comme une condition pour que Shenmue 3 soit mis en chantier. Peu après sa sortie, les fans ont été rassurés sur ce point, et Shenmue 2 sur Dreamcast a connu un succès correct au Japon (bien meilleur en tout cas que son prédécesseur). La version XBox semble se placer parmi les meilleures ventes sur le support dans plusieurs pays (et il est même en tête en Angleterre, ou la XBox marche plutôt bien), mais il faut relativiser les chiffres vu le peu de part de marché global que la console de Microsoft représente en ce mois d'avril 2003.

Conclusion

Avec Shenmue 2, Yu Suzuki nous donne des pistes précieuses. On commence à voir où il veut en venir, sans pour autant être privé de mystères à éclaircir. Ce qui se présentait au départ comme une histoire de vengeance sur fond de mafia chinoise prend une vraie dimension métaphysique qui donne à la saga toute l'ampleur qu'on était en droit d'en attendre. Le joueur n'est toutefois jamais laissé sur la touche. À mesure que le jeu devient plus complexe, tous les éléments nécessaires lui sont fournis pour qu'il se sentent au cœur de ce qui se passe. La frontière entre ce qu'il ressent et ce qui est vécu intérieurement par le personnage qu'il dirige est alors plus ténue, et le plaisir ressenti en devient vertigineux. Même alors que le jeu est terminé, l'évidente beauté de ce que le joueur y a vu continue à faire son chemin dans son esprit, et il en saisit tout le sens sans qu'aucune théorisation ne soit nécessaire.

Que ressent-on lorsqu'on a terminé Shenmue 2 ? Simplement de la gratitude.

Laurent
(09 avril 2003)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
Une reprise d'une des musiques de ce jeu est disponible en mp3 sur la page Gromix :
http://www.grospixels.com/site/remix.php
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