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Les Sherlock Holmes de Frogwares
Le célèbre détective a très souvent été le héros de jeux vidéo et ce studio ukrainien, plus que tout autre, s'en est fait une spécialité avec la série des Adventures of Sherlock Holmes que cet article passe en revue. Un tour d'horizon des innombrables adaptations de Holmes autres que littéraires est aussi au programme.

LES JEUX VIDEOS

Terminons ce tour des adaptations avec notre domaine d'expertise. Contrairement aux autres médias, Sherlock Holmes n’investit pas les jeux vidéo dès leur création et les titres ne furent pas aussi nombreux. Il faudra attendre 1984 et l’arrivée des jeux d’aventure textuels pour pouvoir l’incarner. Les premières machines à le permettre seront le ZX Spectrum et le Commodore 64 avec le jeu Sherlock de Melbourne House.

Voici à quoi ressemblait le tout premier jeu sur Sherlock Holmes

La première adaptation console, elle, sera japonaise et sur Famicom avec Sherlock Holmes: Hakushaku Reijo Yukai Jiken de Towa Chiki, qui aura droit a une suite avec Meitantei Holmes: M-Kara no Chousenjou.

le premier Holmes sur console.

Les jeux textuels sur Sherlock Holmes continueront jusqu’en 1990. Notons en 1991 une curiosité, The Hound of Baskerville pour MS-DOS qui est juste la transposition du roman. Aucun élément de gameplay, simplement les pages qui défilent avec parfois une voix off. En parallèle des jeux textuels, notons l’adaptation du jeu de plateau 221B Baker Street sur divers micro-ordinateurs.

le jeu video et le jeu de plateau 221B Baker Street

En 1991, ICOM Simulations lance la série des Sherlock Holmes: Consulting Detective. Là encore il s’agit d’une adaptation d’un jeu de plateau. Le jeu propose une série d’enquêtes à résoudre et profite de l’arrivée du support CD pour entrecouper les investigations de cinématiques avec des acteurs réels. On retrouve du coup cette série sur les supports CD-ROM de l’époque (Mega CD, PC, PC Engine...). Trois épisodes sortiront à une année d’intervalle. Un autre studio, Mythos Software, reprendra Sherlock Holmes pour les 2 titres de la série Lost Files of Sherlock Holmes : The Case of the Serrated Scalpel en 1992, testé par Laurent sur le site et L'Affaire de la Rose Tatouée en 1996.

Dans L'Affaire de la Rose Tatouée figurent des acteurs digitalisés.

Il faudra attendre 2002 pour qu’un autre studio adapte la licence et en fasse même sa marque de fabrique. C’est donc en cette année que Frogwares lançe le premier jeu de sa série : Sherlock Holmes et le mystère de la momie que nous allons voir en détail.

LES SHERLOCK HOLMES DE FROGWARES (C'EST PARTI)

Sherlock Holmes et le mystère de la momie (2002, PC - Nintendo DS)

Avant toute chose une petite présentation : le studio Frogwares est fondé en 2000, en Ukraine, par deux expatriés français : Waël Amr et Pascal Ensenat. Il est initialement composé d’une équipe de six développeurs, tous ukrainiens. Et pour ceux qui se le demanderaient, les dirigeants l'ont nommé ainsi en référence au surnom donné aux Français de par le monde, notamment dans les pays anglo-saxons, "Froggies", en raison de notre goût pour les cuisses de grenouille (NdL : comme si on mangeait que ça...).

Waël Amr et Pascal Ensenat.
Afin de financer son premier jeu, Frogwares s’associe à plusieurs éditeurs : Wanadoo, Dreamcatcher et Microïds. Pour l’anecdote, le studio connaîtra une panne de chauffage en 2001 obligeant les employés à travailler pendant 3 mois avec des gants. Leur premier jeu est justement Sherlock Holmes et le mystère de la momie, sorti en 2002.

Avant d’attaquer ce titre il faut préciser que le premier épisode de la série Consulting Detective avait pour première enquête une aventure du même titre, mais le jeu de Frogwares ne s’en inspire en rien. Il nous accueille de bien horrible façon avec une cinématique très laide mettant en scène un Holmes modélisé comme un jouet en plastique. Et le reste de l'aventure n’est guère mieux : les écrans sont flous et pixélisés, en basse résolution. Même pour 2002, ce jeu est considéré comme dépassé graphiquement.

Le gameplay est similaire à celui de la série des Myst. En vue à la première personne, on déplace le curseur afin de trouver des objets et changer de lieu. L’originalité vient du fait qu’il est possible de tourner la vue sur 360 degrés, donc d’examiner entièrement l'endroit où l’on se trouve. Si l’idée semble sympathique à la base, elle ne fait qu’accentuer un défaut fréquent dans les jeux d’aventure point & click : l'obligation de scruter l’écran à la souris. Dites-vous bien que si ça vous ennuie de balayer un écran avec un curseur de souris afin de trouver un objet dissimulé sous 3 pixels, le fait de pouvoir tourner sur soi-même multiplie la chose plus que de raison.

Le jeu se décompose en chapitres. Vous évoluez dans une partie d'un manoir où vous devrez résoudre diverses épreuves de recherche/réflexion et passer de zone en zone sans possibilité de revenir en arrière. Là, on se retrouve face à un premier problème pour un titre estampillé Sherlock Holmes : ce n’est pas un jeu d’enquête mais une série d’énigmes. Il n’y a aucun personnage en dehors des cinématiques et à aucun moment vous n’aurez à opérer de déductions ou réfléchir sur l’identité d’un potentiel coupable. Non, tout ce que vous ferez durant l’aventure est de ramasser des objets afin de les utiliser et résoudre des casse-têtes allant du jeu du taquin (qui personnellement m’a toujours agacé) au déchiffrage de code.

Le jeu trahit donc les attentes légitimes envers un titre où on incarne le grand détective. Il faut donc aimer les puzzles et être très motivé pour s'y lancer et y progresser, car outre le fait que l'histoire n'est pas des plus palpitantes (j’y reviendrai), Le mystère de la momie se plaît à ne pas vous aiguiller sur la marche à suivre ou vous donner des indices. Il fait en outre partie de ces jeux d’aventure où les occasions de mourir sont assez nombreuses et ,pire, où il est possible de rester bloqué pour peu qu'on ait sauvegardé au mauvais moment, plusieurs passages en temps limité étant au programme.

Là, par exemple, il faudra rapidement trouver un moyen d'isoler les scorpions au sol pour atteindre la salle suivante.

Bref, aller au bout de ce jeu est tout sauf passionnant, en plus de se montrer frustrant et techniquement à la rue. Et je ne vous ai pas encore parlé du scénario, grotesque, qui ne prouve qu’une chose : les développeurs ne connaissent pas Sherlock Holmes. Outre le fait d'aligner les clichés, l'écriture n’a aucune consistance et s’éloigne totalement de l’esprit des aventures du détective. Première aberration : Watson est absent. Oui, le témoin et narrateur de toutes les aventures de Holmes est parti en vacance et n’apparaîtra que dans la cinématique de fin.

Ah ! Watson, vous tombez bien, on a failli oublier de vous mettre dans l'intrigue !

Mais ce n’est encore rien par rapport au reste de l’histoire : Holmes, après avoir reçu une lettre de sa cousine, va enquêter sur la mort du père de cette dernière et se retrouve dans cet immense manoir vide dont la gestion et l’architecture font passer celui de Resident Evil pour une habitation fonctionnelle et censée. Il se rend vite compte que quelque chose cloche et semble lié à une malédiction. D’ailleurs, très vite une momie fera son apparition et tuera une par une les rare personnes présentes. Oui vous avez bien lu, une momie. Le pire étant que les auteurs essayent de nous faire peur avec cet élément, qui se montre plus ridicule qu’autre chose.

Holmes devra donc mener une enquête digne d’une célèbre série animée dont le héros est un chien, afin de trouver le fin mot de l’affaire et coincer le coupable, qui aurait fait fortune sans ce détective fouineur qui se mêle de tout. Le tout sur fond de musique égyptienne et jazzy. Oui, du jazz pour l’époque victorienne et une histoire de malédiction, c'est logique... Et le doublage n’est guère réussi, que ce soit en français ou en anglais (où Holmes parle du nez).

Cette séquence est plus hilarante qu'autre chose et résume bien l'atmosphère du jeu.

Notons pour finir que le jeu connaitra un portage très tardif sur Nintendo DS, en 2009 (sept ans plus tard tout de même), sans aucune amélioration si ce n'est l'utilisation de l'écran tactile. Vous l’aurez compris, que ce soit sur la forme ou le fond, Sherlock Holmes et le mystère de la momie est mauvais. Et les critiques le font savoir à travers les tests encore lisibles. Pire que tout, le site de la Société Sherlock Holmes de France l'a incendié, confirmant ce que tout le monde pense : ce jeu n’a de Sherlock Holmes que le nom, en plus d’être un piètre jeu d’aventure dans l'absolu. Pourtant, il ne mettra pas fin à l’histoire d'amour entre Frogwares et Sherlock Holmes. Au contraire et contre toute attente, il sera la base du développement de la série. De quelle façon ? Vous le découvrirez ci-dessous.

Sherlock Holmes et la boucle d’argent (2004, PC - Wii)

Le mystère de la momie était un échec critique mais il s’est montré bien rentable. Hélas, ses éditeurs Wanadoo Éditions, Dreamcatcher et MC2/Microïds, à qui les droits en avaient été cédés, n'ont rien reversé à Frogwares. Les dirigeants du studio, agacés et décidant qu’on ne les y reprendrait plus, poursuivent Wanadoo et consort en justice et deviennent une société indépendante avant de trouver un nouveau distributeur. Ce sera chose faite avec Focus Home Interactive. Frogwares signera un contrat qualifié d’"accord parfait", ce qui doit être vrai puisque 14 ans plus tard, le partenariat tient toujours.

L'éditeur de Frogwares est également une entreprise française, créée en 1996 et qui s'est spécialisée avec succès dans l'édition de jeux dits "de niche", que les gros bonnets de l'industrie considèrent comme trop spécialisés ou démodés (simulations diverses, point'n'clicks, jeux de stratégie...).

Mais outre les problèmes économiques, Frogwares doit aussi faire face aux critiques essuyées par son premier jeu, notamment le fait qu'on l'ait qualifié de "faux Sherlock Holmes". Face à ce tollé, les dirigeants du studio réagissent de la façon la plus censée possible afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs. C’est ainsi qu’ils s'imposent, eux et leur équipe, la lecture de toutes les histoires de Sherlock Holmes (soit, je le rappelle, 60 récits sous forme de nouvelles et romans) afin de se débarrasser des clichés et partir sur de bonnes bases. Wael Amr ira même jusqu’à devenir membre de la Société Sherlock Holmes de France et dira dans une interview : "Pour moi, Le mystère de la momie a été une erreur et en voulant réparer cette erreur avec La boucle d'argent, en voulant connaître Sherlock Holmes comme des auteurs, nous nous sommes pris au jeu et nous sommes devenus holmesiens."

C’est donc dans cet esprit "holmesien" que se développe Sherlock Holmes et la Boucle d’Argent. D’ailleurs pour finir avec les anecdotes, l'un des éléments les plus difficiles à établir fut le titre : le jeu a failli s’appeler L'Affaire Sherringford Hall et certaines versions portent le titre de Sherlock Holmes et le mystère de la boucle d'argent. Maintenant, reste à voir si les promesses sont tenues.

Place à l’histoire : Holmes reçoit une lettre d’un de ses anciens clients, Mr Smith. Ce dernier est invité chez Sir Melvyn Bromsby, homme riche et puissant. Mr Smith ne pouvant participer à la fête, il décide d’offrir les invitations à Holmes et Watson, qu’il a en grande estime, afin de ne pas froisser Mr Bromsby. Holmes et Watson acceptent et se rendent au manoir. Mais à peine Sir Bromsby commence-t-il son discours qu’un coup de feu retentit. C’est le début d’une enquête où s’accumuleront les cadavres.

Un meutre a eu lieu, On prend le temps d'interroger les témoins.

Cette fois Watson est bien présent et participe à la fête dans tous les sens du terme vu qu’il sera possible, par moments, de l’incarner. Ce n’est d’ailleurs pas la seule erreur de son prédecesseur que le jeu corrige. Vous l’aurez remarqué, on a là une figure classique des histoires policières : un assassinat lors d'une réception et un coupable à trouver parmi les invités, situation prévisible mais loin d’être inintéressante et qui évite les errements du précédent titre.

Le jeu se présente désormais sous la forme d’un point & click à la troisième personne, plutôt classique dans son gameplay. On déplace le personnage à l’aide de la souris et on ramasse divers objet. Mais ça ne s'arrête pas là car plusieurs personnes sont présentes sur le lieu du crime et il faudra leur parler, les interroger afin de récolter des indices et faire progresser l’enquête. Le jeu ne vous cloisonnera pas au manoir Bromsby vu que plus d’une fois, l’enquête voyagera aux quatre coins de Londres avec plusieurs crochets à votre appartement, au 221B Baker Street, élément essentiel car c’est là que se trouve le laboratoire où Holmes analysera divers indices.

Le laboratoire, passage récurent de tous les épisodes.

Par ailleurs tous les dialogues et documents que vous trouverez seront enregistrés dans le carnet de Holmes. Lorsque vous aurez suffisamment progressé dans les recherches, un quiz apparaîtra. Vous devrez alors choisir un document ou un dialogue, voire plusieurs, afin de répondre à des questions pour continuer l’aventure. On a donc droit à une véritable enquête avec interrogatoires, récolte d’indices, déductions et analyses. Bref tout ce que l’on attend d’une aventure interactive de Sherlock Holmes. Le jeu ne délaisse pas pour autant les énigmes et les casse-têtes, ce sera d’ailleurs une des marques de la fabrique de la série.

Il est parfois dur de repérer l'objet a trouver.

Un mot sur le doublage : il est globalement médiocre à une exception près : Benoit Allemane. Vous ne connaissez peut être pas son nom mais vous connaissez sans doute sa voix. Il est le doubleur officiel de Morgan Freeman et c’est lui qui donnera une voix à Holmes dans La boucle d’argent et les épisodes suivants. Un choix on ne peut plus pertinent car si à première vue la voix parait trop âgée pour le personnage, Benoit Allemane à ce timbre particulier qui fait qu’à chaque fois qu’il parle, on aime l’écouter. Acteur et doubleur professionnel depuis des années, il offre ici une très bonne prestation, jouant comme il faut l’ironie et le sérieux.

Benoit Allemane double Sherlock Holmes.

Mais comme je l’ai dit, c’est l’exception car le reste du doublage oscille entre le mauvais et le médiocre. Ce n’est malheureusement pas le seul défaut du jeu : outre l’aspect graphique qui a terriblement vieilli (car il faisait déjà vieux à l’époque), il est affublé de bugs parfois bloquants, obligeant à garder plusieurs sauvegardes. Le scénario se montre parfois trop chiche en explication, on est promené ici et là sans forcément savoir pourquoi, le héros gardant ses déductions pour plus tard. Certes c’est caractéristique de la plupart des histoires de Holmes, mais c’est au final le genre d’élément qui agace plus que ça n'amuse au sein d'un jeu.

On notera également des passages plutôt ratés comme une séquence d’infiltration et un labyrinthe dans une forêt où il faudra réaliser plusieurs actions dans un temps limité. De même, le quiz peut se montrer bien plus difficile que prévu et il m’a parfois fallu beaucoup de temps pour trouver quels éléments utiliser. Autre défaut récurrent dans les point & click imparfaits (outre le balayage de l’écran), il ne sera possible de récupérer certains objets que lorsque le scénario l’exigera, obligeant à des allers-retours qu'on aurait pu éviter.

Ne vous y fiez pas, c'est loin d'être aussi simple que ça.

Notons qu'encore une fois, le jeu a eu droit a un portage tardif, sur Nintendo Wii, en 2011. Pour conclure sur son cas, Sherlock Holmes et la boucle d’argent n’est pas mauvais mais il souffre du passage du temps et surtout de la comparaison avec les épisodes suivants. Je dirais que c’est une sorte de brouillon, qui pose certaines bases et montre que Frogwares a retenu la leçon du Mystère de la momie. Le studio a pris en compte les critiques et offre une histoire inédite, tout à fait dans l’esprit de l’univers du détective. Mais si cet épisode se montre très classique dans son scénario, ce ne sera pas le cas du prochain, plus audacieux sur ce point. On va voir ça en page suivante.

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