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La naissance du shoot'em'up sur C64 (1983 - 1987)
Lentement, mais sûrement, le C64 s'est imposé dans les années 80 non seulement comme un 8-bits indispensable, mais aussi comme le mieux achalandé en shoot'em'ups excellents influencés par la production arcade de l'époque, grâce à un vivier d'excellents programmeurs.
Par David (09 novembre 2002)

Introduction

Au début, il y eut ça :

Et puis, il y eut ça :

Mais entre temps, on eut droit à... ça :

Après une série de shoots de l'espace particulièrement affreux (Star Fire d'Exidy restant l'un des titres les plus marquants dans ce domaine), Space Invaders, le plus célèbre des shoot'em ups, se décida à prendre d'assaut les salles d'arcade du monde entier. Véritable tournant dans l'histoire du jeu vidéo, le hit de Taito attira à lui des quantités phénoménales de joueurs avides de combattre de l'alien. Du jour au lendemain, le shoot'em'up devint l'un des genres les plus prisés du jeu vidéo. Tout retour en arrière était désormais impossible.

Space Invaders

Commodore: des pics, mais aussi des pocs.

Sorti en 1983, le Commodore 64 disposait de sacrés atouts techniques qui lui permettaient, sur le papier, de concurrencer les jeux d'arcade sur leur propre terrain. Puissance des composants électroniques, graphisme "haute résolution" en 16 couleurs, chip sonore capable de "jouer la 'Toccata et fugue en ré mineur' de Bach de façon si parfaite qu'il serait impossible de ne pas se croire au cœur d'une église" (Tilt n°7, sept/oct 83); les superlatifs ne manquaient pas. La réalité fut toute autre. Certes, le C64 était, pour son époque, l'une des machines les plus extraordinaires qui soient; mais sa programmation, faite de 'peek' et de 'poke' incompréhensibles (d'où le jeu de mot ridicule du titre un peu plus haut, aha), rendait sa maîtrise si difficile que, le temps que les programmeurs en eurent tiré la quintessence, le monde du jeu de café avait déjà pris une avance considérable. La bête de course de Commodore, qui constituait un formidable espoir de rivaliser avec la qualité technique des jeux de café, se laissa donc vite distancer, victime de sa propre complexité. Témoins les tout premiers jeux sortis sur la machine : certes, les graphismes arboraient une finesse rarement vue jusqu'alors -moi qui sortait d'une Atari VCS 2600, la claque fut magistrale-, mais les sprites restaient désespérement monochromes; les sons, nasillards au possible, encourageaient le joueur à baisser le volume; et les saccades, de toutes sortes, finissaient par dégoûter le nouvel acquéreur de la machine, dont le compte en banque s'était vu au passage alléger de la modeste somme de 5500F (environ 850 Euros).
En 1983, le succès des "Galaga" et autres "Exerion" aidant, les shoot'em ups sur C64 tinrent le haut du pavé. Mais qui se souvient du premier vrai shoot'em up à avoir gracié le Commodore 64 ? Donner un titre précis paraît quasi-impossible, même s'il semble fort probable que ce titre fût un des innombrables mauvais clones d'arcade sortis alors. Lorsque le C64 apparut sur le marché, la maigreur de l'offre vidéo-ludique sur cette machine était telle que les fans de shoot'em ups n'avaient d'autre choix que d'acquérir, dans la joie et l'allégresse, des quantités astronomiques de copies faites à la va-vite, et donc, forcément inférieures en qualité à leurs originaux : "Space Invaders", bien sûr, mais aussi "Centipede" et "Scramble" furent les principaux shoots incriminés. Les titres mettant en avant leur vitesse à l'aide d'accroches publicitaires du type "100% langage machine" (ahah) ou "sprites haute-définition qui ne scintillent pas" (ahahah... et ah) pullulaient, mais en général, le jeu en lui-même s'avérait extrêmement décevant. Seulement voilà, il fallait faire avec, et ceux qui avaient été assez chanceux pour se permettre l'achat d'un Commodore étaient, de toute façon, prêts à passer 15 minutes sans sourciller devant leur écran à attendre que leur pathétique clone de "Scramble" finisse de se charger.

Une publicité d'époque, vantant les incroyables qualités de softs tombés depuis dans les oubliettes.

Premiers contacts.

Attack of the Mutant Camels (la licence Star Wars devait coûter trop cher)
Choplifter : un dépouillement total.

Ma première rencontre avec un shoot sur Commodre remonte au début de l'année 1983. J'allais rendre visite à l'ami d'un ami d'un ami qui venait d'acquérir l'objet de toutes les convoitises : un C64. Le seul jeu qu'il possédait alors était Attack of the Mutant Camels, de Jeff Minter, un shoot horizontal très bizarre inspiré du célèbre Defender. Le maniement curieux du vaisseau ainsi que la bande son m'impressionnèrent pour le moins; mais c'est surtout Choplifter de Broderbund, jeu un peu plus ancien que Mutant mais que je vis un peu plus tard, qui me laissa bouche-bée. Le but était de voler en territoire ennemi et de secourir des prisonniers tout en évitant tanks, avions et hélicoptères. Les graphismes étaient basiques, les couleurs limitées à deux ou trois, mais l'animation de tout ce petit monde à l'écran dépassait de loin tout ce que j'avais pu voir jusqu'alors. Comme chacun le sait, le succès de Choplifter fut tel qu'il fut racheté par Sega pour finalement devenir un jeu d'arcade quelques années plus tard. Egalement disponible sur la console Master System lors du lancement de cette dernière, ce titre fut l'argument de vente ultime qui fit que, comme beaucoup, je tombai dans le panneau en 1986 et repartis, satisfait, une console Sega sous le bras.

L'impressionnant Choplifter sur Master System.

Trois autres "classiques" qui me rappellent bien des souvenirs -bons et mauvais- : Paratrooper, Annihilator, de Rabbit; et Lunar Leeper, de Sierra-on-Line. Le premier était un jeu stressant au possible dans lequel il fallait, à l'aide d'un canon, tirer sur des parachutistes lancés d'avions sillonant le ciel. Si suffisamment de soldats parvenaient à atterrir sans encombre, ils construisaient un gros tank et détruisaient le canon. Le graphisme et le son étaient ridiculement mauvais, mais le plaisir de jeu extraordinaire - un véritable défouloir.
"Patrouillez le terrain accidenté d'une planète lointaine et protégez les humanoïdes des griffes des Landers, Baters, Bombers, Pods et Swarmers"
disait la notice d'"Annihilator". Ca sonnait comme "Defender", mais la seule chose que ces deux titres avaient en commun était le scrolling horizontal et le 'décor' (notez les guillemets) censé représenter des montagnes au loin (... très très loin alors). Là encore, graphisme et son étaient affreux -sprites monochromes, décors affligeants, bruitages insupportables-; le gameplay était, de plus, incroyablement répétitif, mais l'on se contentait aisément de toute cette médiocrité.

Paratrooper: des dizaines de balles à l'écran.
Annihilator: inintéressant de nos jours.

Enfin, Lunar Leeper, qui se déroulait en deux phases bien distinctes, se présentait comme un shoot horizontal très largement inspiré, lui-aussi, de Defender. Originalité à revoir, donc; mais l'animation des Leepers, sortes de cyclopes aux grandes jambes, dépassait, à l'époque, l'entendement. Je ne cessai de répéter à qui voulait bien l'entendre : "si CA, ce n'est pas du dessin animé, je ne sais pas ce que c'est !". Plus de vingt ans plus tard, je crois qu'il est temps pour moi de présenter mes excuses à ces mêmes personnes : vous aviez raison, les gars; Lunar Leeper n'avait rien d'un dessin animé. C'était un dessin mal animé.

Lunar Leeper: en bas, les fameux Leepers et leur animation "dantesque".

Les Américains et les Anglais à la rescousse.

Reconnu comme étant l'un des premiers gros imports américains, Beach Head d'US Gold fut un sacré choc lorsqu'il sortit en Europe. Ce jeu de guerre, qui comportait 4 scènes distinctes finalement assez éloignées de l'image traditionnelle qu'on se fait d'un shoot'em up, possédait une bande son et des graphismes impressionants; à tel point que je me souviens de la tête que faisaient la dizaine de personnes réunies autour du moniteur d'un magasin d'ordinateur du coin : les yeux figés et la bouche grande ouverte. La presse informatique l'encensa, tant et si bien qu'il n'eut aucun mal à atteindre le sommet des hits-parades. Succès considérable, donc; mais succès excessif. Le gameplay était, en effet, un peu trop simpliste; chose qu'on ne réalisait, hélas, qu'une fois le jeu acheté et terminé en deux coups de cuillère à pot à la maison !

Beach Head: une scène qui resta gravée dans les mémoires.

Autre grand hit américain: Fort Apocalypse, de Synapse Software qui, s'inspirant de Choplifter, mit en scène un hélicoptère devant se frayer un chemin dans un dédale de cavernes à la recherche d'hotages - un jeu absolument formidable qui fit naître un grand nombre de clone, tel le très britannique Caverns of Sillahc, édité par le célèbre plagieur Interceptor Software, mais non dénué d'intérêt.

Fort Apocalypse, à découvrir de toute urgence.
Caverns of Sillahc et ses voix digitalisées.

En Angleterre, justement, deux programmeurs de Sheffield particulièrement rapides au travail, Tony Crowther et Steve Evans, développèrent quelques bons shoot'em ups pour Alligata, une des marques assez célèbres de l'époque, entre fin 1983 et début 1984. En quelques mois, Tony Crowther programma Loco, remarqué alors pour sa superbe musique et son gameplay intuitif, et Killerwatt, un shoot horizontal original dans lequel évoluaient baleines, ampoules et canards (!). Ce dernier titre devint très vite culte. Evans, moins prolifique, créa un clone de Phoenix, Eagle Empire, qui reproduisait à la perfection le jeu d'arcade, et Rocket Roger - à ne pas confondre avec le futur Rocket Ranger de Cinemaware -, dans lequel le joueur explorait un vaste complexe de grottes à la recherche de cristaux. Evans atteignit l'apogée de sa carrière avec Guardian, un clone brillantissime de Defender qui avait su conserver tous les éléments et la jouabilité de l'original. Guardian reste l'un des meilleurs shoot'em ups disponibles sur C64.

Loco, évidente repompe d'un jeu d'arcade.
Killerwatt: ses baleines, ses orcs volants,...
Eagle Empire
Rocket Roger
Guardian

Vers fin 84, Crowther quitta Alligata pour rejoindre une compagnie bien plus réputée: Gremlin Graphics. Le premier shoot qu'il offrit à ses nouveaux employeurs fut Potty Pigeon, un jeu étrange dans lequel un oiseau se démenait pour construire son nid. Ensuite vint la suite de Loco, le très impressionnant Suicide Express, aux graphismes et aux sons ravageurs.

Potty Pigeon
Suicide Express

Peu de temps après, Crowther, qui ne tenait décidemment pas en place, quitta Gremlin et rejoignit Quicksilva, pour lequel il développa le superbe, mais hélas buggé, Gryphon. En effet, il était impossible de terminer le niveau 2 ! Malheureusement, cet énorme bug ne fut constaté qu'une fois le premier master créé, et Quicksilva ne chercha jamais à en refaire un autre. Attitude très professionnelle s'il en est, il fallut attendre qu'une version corrigée 'illégalement' circule sur le réseau pirate pour pouvoir s'essayer à ce qui s'avéra être le meilleur shoot de Crowther. Plus tard, l'incident Gryphon pas tout à fait oublié, Crowther termina son travail chez Quicksilva avec une copie éhontée de Suicide Express, intitulée Black Thunder. Seuls les graphismes et le son distinguaient les deux titres.

Gryphon, vraiment beau, mais vraiment difficile.

1984 : le C64 finit à peine de prendre ses marques.

L'un des meilleurs jeux de 1984 fut Encounter, de Novagen, un FPS à la Battlezone, très, très rapide. Le gameplay était extraordinaire - je ne pouvais m'empêcher de faire des bonds sur mon siège lors de mes premières parties ! Encounter fut très bien acccueilli par la presse de l'époque, mais son succès commercial resta limité; sans doute parce que ce type de jeu n'impressionnait guère sur une photo d'écran statique.

Encounter. Bon d'accord, ce n'est pas très beau, mais qu'est-ce-que c'était amusant !

Chez Virgin, Steve Lee sortit Falcon Patrol I & II, deux shoots à scroll horizontal ayant remporté un certain succès d'estime. Tous deux se déroulaient au Moyen-Orient et plaçaient le joueur aux commandes de jets Harrier Jump capables d'anéantir des cibles en vol et au sol. A l'époque, le scrolling de ces deux titres paraissait fluide, même si, quand j'y ai rejoué il y a peu, cela était loin d'être le cas ! La série des Falcon Patrol n'en demeure pas moins une série relativement plaisante.

Falcon Patrol I & II

Habitué aux conversions d'arcade sur Atari 2600, Mattel Intellivision et CBS Colecovision, Parker Brothers devait, suite au fiasco des consoles première génération, tenter de sauver sa peau en s'imposant au plus vite sur micro-ordinateurs. Hélas, la situation ne fit qu'empirer suite à la sortie très attendue de la conversion officielle de Gyruss; conversion pourtant très, très fidèle au jeu d'arcade original, et incluant des musiques démentes. Où donc se situait le problème ? Du côté du support! Gyruss n'était en effet disponible que sur cartouche, au prix d'environ 35 Euros. Pas de quoi crier scandale, me direz-vous; oui mais encore faut-il se rappeler qu'à l'époque, les jeux C64 tournaient aux alentours de 10-15 Euros! Les conséquences furent désastreuses : à un tel prix, seule une poignée de joueurs fortunés purent s'essayer à ce petit bijou, et Parker voyait la fermeture de sa division jeux vidéo approcher à grands pas. La conversion officielle de Star Wars, qui suivit peu après, n'était pas mauvaise; mais n'étant disponible, elle aussi, qu'en cartouche, elle entraîna Parker Bros vers la faillite.

Gyruss, excellente conversion.
Star Wars et ses graphismes vectoriels.

Jeff Minter fut extrêmement productif pendant l'année 84, réalisant quantité de shoot'em ups de très grande qualité. Revenge of the Mutant Camels, suite d'AMC, réunissait quelques uns des sprites les plus débiles qui soient, couplés à un gameplay totalement dingue. Cette fois, le joueur endossait le rôle d'un chameau bondissant, et s'attaquait à un véritable carnaval d'aliens, allant de 'touches en caoutchouc' (allusion au Spectrum) à des 'Irata' (Atari à l'envers... Minter rime avec farceur), des cabines télephoniques, des Pac-Men... Bref, un jeu complétement idiot, mais véritablement passionnant grâce à ses innombrables vagues d'aliens aux modes d'attaque très différents. Puis vint Sheep in Space, un jeu un tout petit peu plus 'sérieux' (... n'exagérons rien). Dans ce titre devenu un classique de la machine, le joueur contrôlait un mouton volant, capable de cracher des projectiles mortels à la figure de toutes sortes d'ennemis. Le but était de protéger de vastes écosystèmes des attaques répétées de vaisseaux aliens. L'action rappelait Defender, mais de nombreux idées originales venaient parsemer le jeu.

Revenge of the Mutant Camels, ou Minter sous LSD.
Sheep in Space.

Le meilleur titre à être sorti de l'écurie Llamasoft en 84 fut indéniablement Ancipital, un shoot totalement novateur dans lequel une étrange créature, mi-homme mi-chêvre, parcourait une centaine d'écrans franchement bizarres, mais bourrés d'action. Un "Emulateur Phil Collins", des sprites pour le moins étonnants, une force de gravité surprenante et une jouabilité de tout premier ordre élevèrent très vite Ancipital au rang de jeu culte.
Excellent mais très controversé, Raid Over Moscow, de l'Américain Access, fut lancé en Europe par US Gold. L'objectif de ce jeu, découpé en 5 parties, était d'anéantir les défenses russes en pénétrant le rideau de fer, puis en détruisant le robot qui contrôlait la salle du réacteur située en-dessous du Kremlin, seule source d'énergie de la défense russe. Sacré jeu à la réalisation étonnante pour l'époque, ce titre donna évidemment naissance à de nombreuses polémiques, pour ne pas parler de scandale. Outre l'affront ressenti par les autorités russes, de nombreuses organisations se rassemblèrent devant le siège social d'US Gold et protestèrent contre le fait que les tendances militaristes du jeu rendaient l'idée de guerre acceptable aux yeux des jeunes. Parfois retiré de la vente par des boutiques un peu frileuses, Raid over Moscow se vit très vite rebaptiser Raid, titre à l'évidence moins tendancieux.

Anticipal: une animation sans reproche.
Raid (over Moscow) et ses multiples séquences de jeu.

1985 : année de transition.

Début 85 vit la sortie de deux superbes imports américains : Pastfinder d'Activision, et Spy Hunter d'US Gold. Comment ne pas se souvenir de Pastfinder ? Le mélange exploration / shoot vertical fonctionnait à merveille. Aux commandes d'un engin tout terrain, le joueur devait silloner des décors irréels à la recherches d'objets divers. Très riche et bien pensé, Pastfinder devint, malgré son look désuet, un classique.
Spy Hunter fut une bonne conversion d'un jeu d'arcade autrefois très populaire sorti chez Bally, qui plaçait le joueur aux commandes d'une voiture de sport fonçant à toute allure sur une route semée d'embuches. Très largement inspiré du très vieux hit d'arcade Bump'n'Jump / Burnin' Rubber (au principe des autos-tamponneuses s'ajoutait la possibilité de tirer sur l'ennemi ainsi que la possibilité de transformer sa voiture en hors-bord), Spy Hunter procura aux afficionados du C64 des heures et des heures d'amusement.

Pastfinder
Spy Hunter

Chris Butler, qui sera responsable bien plus tard de l'adaptation de Commando et Space Harrier sur 64, réalisa son tout premier jeu en mai 85. Hypercircuit, édité par Alligata, était un shoot au scrolling multi-directionnel plutôt banal qui n'offrait rien que le 64 n'eût déjà offert, mais qui restait plaisant à jouer.
L'un des grands moments de l'année 85 fut la sortie du Defender-like créé par Archer -IK- Maclean, Dropzone. Au contrôle d'un astronaute volant, le joueur devait patrouiller la surface de la lune de Jupiter, Io, à la recherche de scientifiques perdus. Des hordes d'ennemis aux déplacements très inattendus rendaient la tâche particulièrement ardue, surtout dans les niveaux les plus élevés. Réalisation impeccable, action frénétique... Dropzone était incroyablement prenant et mettait les réflexes à rude épreuve.

Hyper Circuit
Drop Zone, extraordinaire clone de Defender.

La fin de l'année 85 fut une période propice aux shoot'em ups. Témoin le retour de la vengeance de Jeff Minter qui, après un Mama Llama plutôt décevant début 85, sortit de son escarcelle Batalyx. Attendu au tournant par toute la presse, Minter ne déçut pas, et se vit récompensé par un des Sizzlers du magazine Zzap 64. Le gameplay était typiquement minter-esque, le joueur devant terminer 6 mini-jeux complétements délirants afin d'en finir avec l'empire Zzyaxian. Le graphisme, d'une grande originalité, et la bande son pétaradante ne furent que la cerise sur un gâteau déjà fort appétissant.

Batalyx: des couleurs très whiz.

Martech, de son côté, sortit Crazy Comets, un shoot très rapide basé sur le jeu d'arcade culte, Mad Planets. La bande son avait de quoi impressionner : elle était l'œuvre de notre maître à tous, Rob Hubbard.
Le troisième shoot à sortir pour Noël fut Z de Rino, clone du bon vieux Time Pilot 84 de Konami. Plutôt réussi graphiquement, il vous mettait aux commandes d'un minuscule vaisseau bataillant dur contre des escadrons d'engins ennemis au travers de 5 niveaux défilant de façon multi-directionnelle.

Crazy Comets
Z

1986 : l'amateurisme laisse peu à peu place au professionalisme.

Trois mois passèrent et l'actualité du shoot'em up traversa une période de vache folle... jusqu'au moment où Andrew Braybrook lança, chez Hewson - firme mythique ! -, le célèbre Uridium. Vu de haut comme dans le précédent Z, le décor, tout en ombres et lumières, défilait horizontalement dans les 2 sens et à vitesse variable, laissant ainsi la possibilité au joueur de filer comme l'éclair (attention alors aux murs !) ou de revenir sur ses pas au gré de ses envies (attention : un mur peut se prendre dans les deux sens). La présentation soignée, le scrolling d'une fluidité exemplaire et les graphismes de qualité arcade en séduisirent plus d'un, mais beaucoup réalisèrent un peu plus tard que le jeu avait un gros défaut : il devenait très - trop - vite répétitif.

Uridium allait très vite... trop vite.

Enième clone d'un titre d'arcade, Thrust, chez Firebird, n'était autre que la version domestique du hit d'arcade Gravitar. Beaucoup plus subtil dans son maniement que tout autre shoot, Thrust proposait au joueur de récupérer différentes cargaisons à la surface d'une planète, puis de diriger le plus habilement possible un vaisseau ressemblant à s'y méprendre à celui de l'illustre Asteroids au travers d'une série de grottes et de ravins tous plus escarpés les uns que les autres. L'aspect shoot'em up y tenait une place importante, puisque la destruction massive d'ennemis au sol comme dans les airs s'avérait essentielle dans les niveaux élevés. Toutefois, la gravité à laquelle était sujette le vaisseau rendait toute manœuvre particulièrement délicate. Quand, de plus, les niveaux les plus élevés commençaient à inverser la gravité, voire à rendre le décor invisible, vous imaginerez aisément les crises de nerf que ne manqua pas de provoquer ce titre vendu alors à tout petit prix (3 Euros ! Une misère).

Thrust: des graphismes simplistes pour un jeu très accrocheur.

Il fallut de nouveau attendre fin 86 pour se remettre quelque chose sous la dent. En septembre, Jeff Minter mit la touche final à son dernier bébé, Iridis Alpha. Dans ce jeu, le joueur patrouillait une planète, représentée sur deux écrans, à bord d'un Gilby, sorte de robot capable de voler et de marcher. Le joueur se dématérialisait d'un écran à l'autre tout en détruisant les aliens afin de conserver l''entropie' du Gilby en équilibre. Certes, ça paraît compliqué - et à vrai dire, ça l'est ! -, mais une fois le principe assimilé, l'ensemble procurait un plaisir de jeu assez incroyable. On trouvait également dans ce titre des mini-jeux ayant tous pour point commun une vitesse de jeu décoiffante, des sprites et des bruitages superbes. Fidèle à la tradition Llamasoft, Iridis Alpha ne se laissait pas dompter facilement, mais pour peu qu'on s'en soit donné la peine, il pouvait devenir l'un des shoot'em ups les plus passionnants qui soient.

Iridis Alpha

Andrew Braybrook, à qui l'on devait déjà Uridium, termina pour les fêtes de fin d'année ce qui allait constituer, pour moi, un chef-d'œuvre. Alley Kat était un jeu hybride entre le shoot classique et le jeu de course. A bord d'un vaisseau fort bien animé, le joueur avait pour but de parcourir les différentes planètes d'une galaxie très, très lointaine afin de participer à des courses d'une extrême violence. Gagner les premières courses, gratuites permettait d'acquérir de précieuses sommes d'argent en vue de concourir dans des tournois plus prestigieux. Difficile au premier abord, Alley Kat méritait très largement qu'on s'y intéresse de près en raison de la variété étonnante dont il savait faire preuve tout au long d'une partie.

Alley Kat. Que l'apparente pauvreté des graphismes ne vous trompe pas: il s'agit bien là d'un des meilleurs titresdu C64.

Thalamus , nouvelle société qui n'allait pas tarder à devenir l'un des acteurs majeurs du Commodore, mit sur le marché son premier titre en novembre 86. Shoot à scrolling horizontal, Sanxion avait été développé par un programmeur finlandais extrêmement talentueux, Stavros Fasoulas, qui obtint avec ce premier essai une renommée amplement méritée. Cependant, le jeu en lui-même valut plus pour la qualité de sa réalisation que pour son intérêt : vite lassant, on retint de Sanxion l'originalité de l'écran splitté - à la mode depuis Iridis Alpha -, la fluidité absolue de l'animation ainsi que sa célèbre musique de chargement, composée une fois de plus de main de maître par Rob Hubbard et souvent considérée comme le meilleur module jamais réalisé sur C64 (voir aussi dossier Musique & Jeu vidéo Part I).

Sanxion: une représentation discutable de l'action.

1987 : attention, chefs-d'œuvre.

En février 87 apparut sur les étalages, une fois n'est pas coutume, un shoot à scrolling vertical très bien fichu : Light Force, de FTL. Accompagné, une nouvelle fois, d'une musique extraordinaire de Rob Hubbard, ce titre présentait des graphismes assez inhabituels : peu de couleurs, mais une animation suffisamment rapide pour que tout le monde y trouve son compte.
Le mois suivant, Thalamus sortit le deuxième programme de Stavros Fasoulas, Delta. Beaucoup plus classique que Sanxion, Delta était un jeu dans la plus pure tradition des shoots horizontaux à la Nemesis, l'armement progressif basé sur un système d'icônes en bas de l'écran étant l'un des clins d'œil les plus évidents à la serie encore naissante de Konami. Le jeu était très -trop- difficile, mais au moins était-il bien réalisé. L'animation sans faille, les graphismes de qualité ainsi que la musique à pleurer (© Rob Hubbard) valurent à ce deuxième hit de Thalamus la première place des charts pendant de longues semaines.

Light Force: du bon shoot vertical.
Light Force: du bon shoot vertical.

Nemesis, justement, sortit peu de temps après. Sans cesse retardé, et finalement édité par Konami lui-même, ce premier essai s'avéra un coup de maître, laissant augurer du meilleur pour l'avenir de la célèbre firme nippone sur le C64 (... les jeux qui suivirent prouvèrent, hélas, le contraire). Plus connu de nos jours sous le nom de "Gradius" -nom originale de la série au Japon-, Nemesis reprenait tous les niveaux du jeu d'arcade avec une maestria qui fit perdre leur sang froid à beaucoup de MSXiens à l'époque. Fluide, rapide, colorée, la version C64 laissait sur place la version MSX dans bien des domaines (NdL : Fabuleuse, la version MSX reprenait AUSSI tous les niveaux de l'arcade, avec en prime deux niveaux secrets, et tout y était fluide, sauf le scrolling et les mouvements des boss - NdD: moui. En gros donc, le jeu n'était pas très fluide ;)).

Nemesis sur C64
Nemesis sur MSX.

Dans la même période, Mastertronic, spécialiste des jeux à petit prix, sortait deux titres qui allaient rapidement voler la vedette à bien des hits vendus au prix fort. Il s'agissait de Void Runner, de l'inénarable Jeff Minter; et de Pod (ne pas confondre avec le Pod d'UBI Soft sur PC), deux shoots qui ne brillaient pas par leur graphisme simpliste, mais par leur vitesse hallucinante. Prenants comme jamais, ces deux monstres de la destruction sauvage valaient amplement les 3 ou 4 Euros qu'ils coûtaient.

Void Runner: moche mais très prenant.
Pod: moche mais très prenant. Aussi.

La fin de l'année 87 laissa entrevoir ce que l'avenir du C64 réservait comme réelles surprises pour les années suivantes. Plutôt simplistes jusqu'alors, les shoot'em ups sur la bête de Commodore allaient, petit à petit, gagner en richesse et, surtout, en beauté graphique afin d'approcher le plus possible les sensations que procuraient les modèles du genre en arcade. Indéniablement, le C64 aura mis son temps.
Slap Fight, d'Imagine, et Zynaps, de Hewson, s'inscrivaient directement dans cette logique, en proposant des niveaux nombreux, variés, et riches en ennemis. C'est également à cette époque que les boss de fin de niveau devinrent le passage obligé de tout shoot qui se respectait - évidence depuis longtemps en arcade sous l'impulsion des grandes marques japonaises; détail pour encore un très grand nombre de développeurs sur C64. Slap Fight, dont la beauté n'était certes pas renversante, avait le mérite de regrouper en un seul chargement absolument tous les éléments du hit d'arcade de Taito auquel j'avais joué en boucle lors de l'été 86 : mêmes décors, apparition identique des ennemis, armes à la puissance de feu toujours aussi destructrice (raah les missiles téléguidés), thèmes musicaux incroyablement fidèles à l'original (vous ai-je déjà parlé de Martin Galway ?)... tout y était ! Le principe d'armement évolutif, encore une fois inspiré de Nemesis mais, cette fois, intégré à un shoot vertical, faisait des merveilles dans un jeu à la difficulté savamment dosée. Zynaps, quant à lui, n'était adapté d'aucune borne d'arcade, même si, de nouveau, l'inspiration Nemesisienne ne faisait aucun doute. Réalisé de main de maître par un John Cumming (futur programmeur des versions 16-bits de Stunt Car Racer) si motivé qu'il se chargea lui-même des graphismes, Zynaps était un shoot'em up horizontal très difficile, à réserver aux pros du joystick uniquement.

Slap Fight: du très bon Taito.
Zynaps

Il serait injuste de terminer ce tour d'horizon 83-87 en ne citant pas deux des développeurs ayant compté parmi les plus talentueux du C64, à savoir John Hare et Chris Yates. Responsables de 3 des plus grands titres ayant jamais gracié le C64 pendant la période qui nous intéresse, ces deux concepteurs ont parfaitement leur place dans ce dossier puisque les trois jeux en question ont tous un rapport direct avec le shoot'em up. En réalisant Parallax, puis Wizball, Sensible Software intégra au 'tire-zi d'ssus' des idées vraiment novatrices qui apportèrent un réel plus à un genre pour le moins dénué de toute originalité. Entre Parallax, parsemé de séquences de recherche à pied sur le sol d'une une base futuriste; et Wizball, dont la destruction de l'ennemi n'était qu'un habile prétexte à rendre au décor sa couleur, tout Commodoriste ne pouvait qu'applaudir des deux mains les efforts des deux compères. Grâce à eux, de nombreux joueurs, hostiles au shoot'em up, acceptèrent bien volontiers de friter de l'alien tant les idées qui gravitaient autour paraissaient séduisantes.

Parallax et son superbe scrolling en... parallax.
Wizball fait partie du top 5 des meilleurs jeux jamais sortis sur C64. Carrément.

Mais c'est fin 1987 que le duo de choc fit le plus parler de lui, en lançant l'utilitaire ultime pour tout fan de shoot : Shoot'Em Up Construction Kit, plus connu sous le nom de S.E.U.C.K. Le principe était simple : permettre au joueur lambda de développer lui-même son propre shoot'em up sans aucune connaissance en informatique. Le résultat fut à la hauteur des espérances : d'une simplicité déconcertante, toutes les étapes de la création du jeu se faisaient par le biais de fenêtres s'ouvrant ou se superposant à d'autres lors de l'accès à divers menus et sous-menus. Un utilitaire graphique permettait la création de sprites et d'éléments de décor; un autre gérait la création de bruitages pour l'habillage sonore du jeu; un dernier permettait au développeur en herbe de positionner et rentrer les déplacements des divers ennemis à l'écran. Pas moins de quatre jeux "tests" étaient inclus à l'utilitaire, et justifiaient à eux-seuls l'achat du logiciel tant la qualité de leur réalisation et leur intérêt dépassaient de loin bon nombre de shoots vendus au prix fort.
Sorti plus tard sur ordinateurs 16-bits, S.E.U.C.K. reste d'actualité puisque des sites internet lui sont encore consacrés : échanges d'info, mise en ligne de créations personnelles... le monde lié à SEUCK est grand et montre, si besoin est, à quel point Sensible Software a pu marquer les esprits il y a maintenant plus de 15 ans.

S.E.U.C.K

Après pareils chefs-d'œuvre, l'année 88 sur C64 promettait beaucoup. Io, Cybernoid ou surtout Armalyte, alors encore en gestation, s'apprêtaient à parachever un tableau idylique en signant quelques unes de plus grandes réussites du genre sur cette machine.

Le meilleur restait à venir.

Io, Cybernoid, et Armalyte.
David
(09 novembre 2002)