Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Laurent (28 juin 2002) L'exploration des jeux vidéo sur micros 16-bits est décidément passionnante. On y trouve des concepts qui aujourd'hui sont à la base des meilleurs jeux, mais parfois en friche, livrés "brut de décoffrage", ce qui les rend, à défaut d'être vraiment agréables à jouer, fascinants et mystérieux, des jeux dont on aimerait bien savoir ce qui a poussé leurs auteurs à les réaliser. Des auteurs de Weird Dreams, Herman Serrano (graphismes) et James Hutchby (programme), on ne sait pas grand chose, si ce n'est qu'ils font partie du staff des jeux les plus novateurs que l'étonnant éditeur britannique Rainbird ait distribués, comme Starglider ou Carrier Command, et que par la suite Serrano a travaillé sur des jeux comme Infestation (Psygnosis), Quartz (Firebird) ou Wing Commander (Origin, premier du nom sur PC). On peut dire que Rainbird, qui bien que n'étant pas un cas unique à son époque a toujours fait preuve d'une certaine volonté de se démarquer de la production courante, est un éditeur comme on n'en voit plus guère aujourd'hui. La majeure partie de ses jeux furent des ovnis vidéoludiques qui n'ont connu aucun équivalent, et ne peuvent que difficilement être décrits autrement que par leur pratique. Les adeptes de ces titres en ont d'ailleurs gardé un souvenir indescriptible, mêlant la nostalgie à une certaine icompréhension. Inutile de dire que Rainbird n'a, d'un point de vue commercial, pas beaucoup fait d'ombre à ces marchands de soupe que furent Ocean et US Gold (à part avec sa conversion de Bubble Bobble, une de ses rares productions grand public), mais sa courte carrière a laissé derrière elle un foisonnement d'idées et de pistes à explorer auxquelles beaucoup de développeurs actuels, quelque soit leur origine et le système sur lequel ils travaillent, semblent n'avoir pas échappé. Tout comme Firebird et Silverbird, d'autres studios qui furent très prolifiques sur ST et Amiga, Rainbird a finalement été démantelé par son propriétaire British Telecom au début des années 90. Weird Dreams reste le jeu le plus étrange et décalé que Rainbird ait édité. Rien de moins que l'oeuvre de deux artistes en totale liberté. Inutile d'essayer de baliser le terrain en classant le jeu dans telle ou telle catégorie connue, c'est impossible. Disons qu'il s'âgit d'un simulateur de cauchemar matiné de jeu de plate-forme / réflexe. Une expérience qui se vit d'abord en lisant l'excellente nouvelle de Ruppert Goodwins incluse dans le manuel du jeu (et dont nous vous proposons en fin d'article une version traduite pas nos soins, ainsi que l'original). La lecture de ces 64 pages d'humour noir british nous apprend que le héros, Steve, souffre de cauchemars récurrents et décide de se faire examiner par le corps médical. Horreur, une énorme tumeur menace son cerveau, et l'opération est lancée sans plus tarder. Steve se retrouve alors plongé dans le monde de ses propres cauchemars, dont il ne peut rester un simple spectateur. Il va s'agir de capter la logique délirante de cet univers, et de survivre à toutes sortes de rencontres qui sont autant de pièges mortels, car la tumeur qui menace Steve lui a été implantée par un mystérieux démon qui n'a pas l'intention de lui laisser une chance de s'en sortir. En cas d'échec c'est la mort cérébrale, et la fin du jeu. Chaque scène onirique fait donc l'objet d'une épreuve ludique lors de laquelle le joueur va dans un premier temps devoir trouver la suite d'actions permettant de s'en sortir, et ensuite les mettre en oeuvre. Les deux étapes sont, à l'évidence, d'égale importance dans le game-design proposé. Autant annoncer maintenant à ceux qui n'ont jamais essayé Weird Dreams que c'est probablement le jeu le plus injustement et cruellement difficile jamais réalisé. Parmi les partis-pris jusqu'au boutistes des auteurs du jeu, celui de mettre le joueur dans la peau du héros en le désorientant, voire même en le plongeant dans un abîme de perpléxité, n'est pas le moins risqué. Aucune explication n'est donnée sur la conduite à tenir à chaque niveau, et surtout aucune approximation dans la combinaison de mouvements nécessaire à l'évitement des différents obstacles n'est tolérée. La moindre action de travers ou un poil en retard, et le héros se fait massacrer, ce qui s'accompagne d'un cri horrible et de la perte d'une vie. Ajoutez à celà la maniabilité discutable du héros et on a donc affaire à un jeu qui ne peut être réussi qu'au prix d'innombrables parties placées sous le signe de la répétition en chaîne des mêmes actions. Mais Weird Dreams est un jeu si beau, si intriguant, si unique en son genre qu'il se passe même d'être jouable pour susciter l'intérêt. Cela tient essentiellement au contenu des fameux mauvais rêves. Sur ce point, l'imagination débridée des auteurs fait merveille. Rarement un jeu vidéo est allé aussi loin dans le surréalisme, et l'aspect épuré de la réalisation graphique fait des diverses scènes montrées autant d'allégories morbides et non-sensiques, dans lesquelles ironie et humoir noir règnent en maître absolu. Ca commence dans une machine à faire de la barbe à Papa. Le héros apparaît dans son unique tenue, un pyjama à carreaux noirs et blancs, réduit à une taille d'environ dix centimètres. Le sucre est balloté par une énorme tige métallique verticale qui suit un mouvement rotatif dont le sens s'inverse par moments. Respirez, c'est le seul et unique passage du jeu qui soit à peu près facile. Il s'agit de se baisser pour éviter le passage de la tige, puis lorsque celle-ci arrive face au héros, de sauter au bon moment, et voilà Steve qui se sort sans encombre de la machine infernale. Une fois au dehors, ça se corse déjà. Steve se retrouve dans une fête foraine, décor à priori apaisant et joyeux, mais soudain arrive devant lui une guêpe géante. Le jeu n'est commencé que depuis quelques secondes, et déjà une épreuve délicate est à réussir. Il faut tout d'abord avoir pensé à laisser le héros, durant le passage de la barbe à Papa, se faire recouvrir par quelques morceaux de sucre soufflé. Ceux-ci servent à retarder la guêpe géante pendant qu'on prépare une attaque. Ensuite, il suffit de ramasser par terre un bâton de barbe à Papa, et de tuer la grosse bébête avec. Simple au premier abord, mais déjà bien difficile à réussir sans se planter sur le dard de l'insecte monstrueux. Par la suite, toutes les scènes fonctionnent sur un principe similaire. Le plus souvent, l'action à accomplir pour s'en sortir est relativement simple à trouver, mais c'est la maîtrise et surtout le timing qui doivent être parfaits. Après chaque vie perdue, une courte et angoissante cinématique montre les chirurgiens penchés sur le malade, pendant que l'écran est traversé par un encéphalogramme plat qui repart in extremis s'il reste encore des vies au compteur, et reste plat lors du game over fatidique, qui, jeu séminal sur 16-bits oblige, ne conduit à rien d'autre qu'à la reprise de l'aventure depuis le tout début. Hard. Heureusement, un palais des glace fait office de choix du prochain niveau joué, et permet de s'exercer sur un passage particulier, certains n'étant pas tout de suite accessibles. D'autres scènes mémorables rivalisent dans le bizarre. On se retrouve par exemple dans un désert dont le ciel est parsemé de poissons qui flottent comme dans un aquarium (le premier qui dit que Emir Kusturica a pompé l'idée pour Arizona Dream n'aura pas forcément tort, c'est à vérifier), et soudain apparaissent des créatures bipèdes à démarche de crapaud arborant une tête de statues de l'île de Pâques. Ce passage est similaire à celui de la guêpe, mais cette fois le salut vient des poissons volants. Un peu plus loin, un jardin bucolique avec un parterre de roses peut devenir un enfer si on s'approche un peu trop de ces jolies fleurs, qui en réalité sont des monstres sanguinaires (en plus si on tarde à les vaincre, une énorme tondeuse vient mettre tout le monde d'accord). Dans un autre jardin, une petite fille souriante vous invite à jouer au ballon, mais ne vous y méprenez pas, c'est une terrible brute qui veut votre peau. D'autres créatures composites, qui semblent sorties de l'imagination d'un Dali dépressif parsèment l'aventure jusqu'au duel final contre un énorme cerveau, qui symbolise le jeu dans son ensemble en confrontant le héros à la source de ses rêveries infernales. Hélas, bien peu de joueurs ont pu voir ces remarquables créations tant le jeu est difficile, et ce n'est pas l'unique cheat mode connu qui aide beaucoup : pour avoir les vies infinies, il faut, dans la salle des miroirs, taper "S.O.S" en morse avec le bouton de tir, suivi de la touche + du pavé numérique ! Si vous y arrivez, faites-moi signe. Les graphismes sont superbes, très colorés, notamment les décors qui changent comme on l'a vu du tout au tout d'une scène à l'autre. Il semble acquis que les auteurs du jeu ont un peu trop axé leurs efforts de ce côté là, oubliant au passage de rendre leur jeu fluide et jouable. L'animation des différents personnages est parfaite, et la bande sonore assez discrète laisse entendre par moments quelques thèmes musicaux de David Whittaker qui ont du mal à se montrer aussi innovants que le reste du design du jeu. La version Amiga (700 Ko) reste la meilleur moyen de tester le jeu dans de bonnes conditions. Pour la trouver, rendez vous chez http://www.planetemu.net. Si vous êtes vraiment attiré par le jeu mais butez sur sa difficulté, nous vous proposons en fin d'article une solution complète en français, offerte au site par Raphaël Rignier, qui s'est acharné à terminer le jeu sur émulateur (dans cette solution vous pourrez admirer une capture d'écran du combat final contre le cerveau). Weird Dreams est un jeu qui mérite surtout qu'on se penche dessus par l'utilisation qu'il fait du surréalisme pour instaurer une ambiance onirique qui ne laisse pas d'effrayer. C'est sur ce point qu'on a affaire à un précurseur, dans la mesure ou la plupart des survival horror (Resident Evil, Silent Hill, Parasite Eve) ont par la suite utilisé des recettes similaires, mais sans toutefois aller aussi loin dans l'absurde. On pourra essuyer une petite larme sur cette époque révolue ou les créateurs de jeux savaient être subversifs sans donner dans la provoc' basique... D'ailleurs, même en ces temps où tout semblait permis, y compris les expérimentations les plus décalées laissant volontiers le joueur à la traîne, Weird Dreams connut quelques déboires d'édition, et fut l'un des premiers vaporwares célèbres, sa sortie ayant été annoncée et repoussée sans cesse sur plus d'un an, durant lequel les magazines eurent largement le temps de baver devant les quelques photos d'écrans disponibles, avant d'afficher un réel désapointement lorsque le jeu, jugé inachevé, sortit finalement. Il y a des choses qu'on ne pardonne pas à un jeu vidéo, notamment le fait d'être injouable et élitiste. Injouable et élitiste, mais si attachant...
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