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Index du Forum » » Jeux » » Papers, please
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Auteur Papers, please
Laurent
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Joue à Super Mario Bros. Wonder

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Posté le: 2017-12-13 12:57
Pour finir l'année, j'essaie de rattraper mon retard sur les jeux indie dont les gens ont beaucoup parlé, en attendant de déballer une Switch et de jouer à Super Mario Odyssey pendant des mois. Hier, j'ai donc pris Papers, Please, jeu développé en solo par Lucas Pope, qui ne pèse que 41Mo à télécharger et coûte à ce jour 6€ sur Steam.

Je crée ce topic car je n'en ai pas trouvé sur le forum, alors que les bilans annuels indiquent que pas mal de gens y ont joué par ici. Mais je ne pense pas, pour l'instant, développer beaucoup mon avis car après environ 3h et une quinzaine de "journées" de jeu, je n'arrive pas à vraiment l'aimer. Mais peut-être que je suis à côté de la plaque ?

Tout d'abord le gameplay, que je trouve terriblement redondant. D'accord les tâches sont répétitives, ça fait partie du trip, mais quand même, ouvrir sans arrêt le mode d'emploi de l'agent des douanes, notamment, qu'est-ce que c'est gonflant... Que ce soit pour vérifier les préfectures et districts d'émission des passeports et carte d'identité, ou pointer du doigt l'élément de règlement qui n'est pas respecté. On se traîne tout le temps ce carnet sur l'espace de jeu et il prend trop de place. En plus, j'ai horreur de jouer en temps limité. Certes, il y a des énigmes et de nombreuses petites finesses à exploiter pour aller loin, mais ça se fait à coup de défaites successives et la routine de jeu n'est pas du tout pensée pour donner envie d'y revenir. Reprendre du début est déprimant, et reprendre de la sauvegarde en cours un non-sens.

Second point : l'émotion. Ca va peut-être un peu trop loin dans le less-is-more. Les personnes contrôlées encore ça va, au moins on voit un peu leur visage. Mais la famille du personnage incarné, ce sont juste des chiffres dans un tableau à chaque fin de jourée. Et puis c'est un peu ridicule à la fin, même nourris et chauffés ils tombent sans arrêt malades, et sans médicaments crèvent en deux jours. A un moment je me suis retrouvé avec un pot-de-vin monstrueux, et même en remplissant tous leurs besoins pendant plusieurs jours d'affilée leur vie semblait ne tenir qu'à un fil. Quant aux raccourcis-clavier qu'on peut s'acheter, quel intérêt ?

Troisième point : le propos. Ce jeu devrait m'apprendre quelque chose, mais quoi au juste ? Que les dictatures inhumaines c'est pas cool ? Qu'avec la bureaucratie vient la corruption ? Qu'il est vain de rogner les libertés individuelles et fermer les frontières pour lutter contre le terrorisme ? Que le bloc de l'Est au début des années 80 c'était l'horreur ? Ben désolé, mais je savais déjà tout ça et pour tout dire je suis un peu passé à autre chose dans les questions que je me pose sur le monde.

Quatrième point (et non des moindres) : la hype. Sans blague, à un moment j'ai cru qu'il y avait une note de service nationale intimant l'ordre à tous les gens qui s'expriment sur le jeu vidéo de dire du bien de Papers Please, de le décrire comme une expérience incontournable, comme un truc qui peut secouer tout ce que tout le monde pense sur le médium. Je me dis que sans ce ramdam je l'aurais davantage apprécié. J'en attendais beaucoup trop, je croyais qu'il allait me vriller le cerveau, me marquer, que j'allais avoir envie d'en parler au plus de monde possible. Mais c'est pas le cas pour l'instant.

A présent, je compte sur vous pour m'expliquer que j'ai tout faux ! Sans quoi je crains que ce jeu parte aux oubliettes de ma ludothèque après une ou deux séances supplémentaires.
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Posté le: 2017-12-13 13:27
J'ai beaucoup aimé Papers, Please de mon côté (ainsi que le jeu subséquent de son auteur, Please, don't touch anything, qui est très différent), mais je ne pense pas pouvoir dire quoi que ce soit qui te ferait changer d'avis, Laurent : les éléments que tu donnes sont très pertinents. Juste, j'en ai une autre lecture.

Déjà, je trouve tout l'habillage du jeu particulièrement bien fait. Le thème principal fait à présent partie de mes favoris, je trouve que les graphismes servent intelligemment le propos et participent à la froidure de cet univers, les mécaniques de gameplay sont volontairement enquiquinantes pour t'obliger à moduler ton expérience de jeu en fonction des objectifs que tu veux atteindre (absolument tout vérifier mais perdre du temps et, finalement, risquer de voir sa famille péricliter, ou alors être moins regardant mais risquer de faire passer un terroriste). Du coup, je l'ai aussi vu comme une réflexion sur le HUD dans les jeux vidéo, la façon dont il interagit avec l'histoire, et toutes ces choses-là : le coup des raccourcis-clavier est de cet ordre, puisqu'il s'agit de privilégier ton propre confort de jeu au regard de ta famille numérique, et d'instaurer alors une balance entre les éléments. Si PP est loin d'être le premier jeu à proposer ça, je trouve qu'il le fait de façon assez maligne.

Pour ce qui est précisément du fond des choses, le fait que ta famille ne soit "que des chiffres", cela retranscrit bien la déshumanisation à l'œuvre dans les sociétés dictatoriales. J'ai sinon pris le jeu d'une façon plus large : outre le discours sur les frontières, qui est important effectivement, j'ai vu la chose sous l'angle de l'aliénation et même d'une critique des sociétés capitalistes, d'une sorte de vision marxiste de l'histoire et d'une réflexion sur le rationalisme à l'œuvre dans nos sociétés contemporaines et qui, pour certains philosophes comme Adorno, est à l'image de celui observé dans les dictatures fascistes. C'est comme un effet de déplacement, que l'on connaît bien en littérature ou au théâtre : parler d'endroits lointains, dans le temps ou l'espace, pour décrire une situation très proche de nous (cf. Les Mouches ou La Guerre de Troie n'aura pas lieu). Après, peut-être ai-je vu plus loin que les ambitions de son auteur, mais c'est ainsi que le jeu m'aura parlé, et ma petite amie, qui est elle aussi tombée sous le charme, a compris la même chose.

Concernant la "hype", je t'avoue être à l'époque passé à côté, donc je ne saurais pas quoi en dire... Si je trouve le jeu intéressant, je n'irais pas jusqu'à le qualifier de chef d'œuvre intemporel ou que sais-je : je trouve cependant intéressant qu'un jeu vidéo s'empare de questions politiques, finalement, presque controversées, et il peut être vu comme une étape importante d'une tendance qui s'illustre de mieux en mieux aujourd'hui (par exemple avec les jeux parlant des guerres mondiales ou que sais-je).

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Posté le: 2017-12-13 16:43   [ Edité le: 2017-12-13 20:07 ]
Moi j'ai plutôt bien aimé Papers, Please, même si je n'ai pas encore pris le temps d'aller au bout. J'avais adoré la démo, mais le fait de pouvoir réessayer une journée dans la version définitive est un cadeau empoisonné: on est tenté de réessayer en boucle jusqu'à tout maîtriser, et du coup on finit par voir beaucoup trop clairement le script de chaque journée, ce qui flingue totalement l'immersion et la prise de décision et tue l'envie de continuer. Le jeu aurait dû ne débloquer cette option qu'après un premier run complet (quitte à moduler la difficulté) pour nous aider à traquer toutes les fins en new game+ mais pas avant. En jouant à la démo sans pouvoir recommencer, j'étais captivé, alors que là j'arrête toujours assez vite. Il faudrait que je me force à ne pas recommencer de moi-même.

Pour ce qui est de la redondance du gameplay, ça fait vraiment partie du truc, et au bout d'un moment on se met à connaître certains éléments par cœur et à mettre au point une méthode d'examen des demandes assez efficace, ce qui fluidifie beaucoup les choses. Évidemment, tu n'as pas l'air d'être dans une démarche où tu veux t'investir puisque tu abordes le jeu sous l'angle "je me débarrasse de mes jeux en retard en attendant de jouer à ce que je veux vraiment, à savoir Super Mario Odyssey" donc ça ne doit pas aider. Pour te simplifier la vie, on trouve facilement des fonds d'écran qui aident énormément en jouant en mode fenêtré (en voici sur Steam), par exemple:

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J'avoue m'en être bricolé un pour mon écran 1280x1024. On peut voir ça comme un échec de la part du jeu, mais c'est un peu comme la maniabilité dans les survival horror, si le jeu par défaut ne jouait pas avec nos nerfs (par exemple avec la petitesse de notre bureau sur lequel le parti amoncelle les idioties genre tracts ou récompenses bidon), le propos serait moins servi.

Pour la famille qui n'est qu'une statistique, je ne pense pas que ça soit gênant: personnellement, à l'écran de bilan, je projette immédiatement ma propre famille dans mon esprit, alors que s'il y avait des cinématiques (lesquelles, d'ailleurs? et à quels risques de redondance?) ça créerait au contraire une distance. J'aime bien que le jeu soit vu tout du long "en vue subjective" sans personnaliser le héros. Pour moi le fait que leur vie ne tient qu'à un fil est une bonne méthode de suggérer la misère dans laquelle tout le monde se trouve sans utiliser de grosses ficelles traditionnelles, justement (et puis vu le climat qu'il y a l'air d'y avoir en Arstotzka, ça ne m'étonne pas que l'on ne tienne pas longtemps sans chauffage).

Mais en dehors du gameplay et des énigmes, la chose qui est pour moi principale dans le jeu est le naturel avec lequel il marie la narration/l'immersion et le gameplay. Par exemple quand des résistants débarquent avec des codes compliqués pour déterminer qui laisser passer secrètement ou non, mon premier réflexe a été de me dire "j'ai pas le temps pour ces conneries, j'ai déjà assez de mal avec mon taf, ma famille est malade, ils vont me faire perdre, ces cons", et j'ai alors réalisé que c'est très probablement ce qu'une personne réelle se dirait plus ou moins dans la situation du héros sans pour autant être un monstre.
Les dynamiques ludiques du jeu émulent très bien la problématique de risque/récompense d'une personne réellement dans la situation du héros, par exemple, si quelqu'un devrait réellement humainement passer vu la situation qu'il décrit et malgré ses papiers, je fais un rapide calcul pour déterminer si je peux me permettre un avertissement/moins de rentrées d'argent, quand on me propose de la corruption, j'essaie de deviner si c'est un piège ou pas (je refuse si ça a l'air d'être trop beau pour être vrai ou qu'on me demande un truc louche en échange), quand on se met à gagner une prime de détention pour toute personne en infraction, j'essaie selon les cas de juger rapidement si ce que je fais est trop mal ou non selon mes besoins matériels du moment, il y a un curseur "morale au pif/impératifs matériels/parano" qui nous fait réellement réfléchir sous un autre angle sur la situation des gens qui ont été concernés par ce type de système dans l'Histoire.
Et il y a le doute: spontanément, je me dis que si ça se trouve, les gens que je laisse passer parce qu'ils ont une jolie histoire me mentent peut-être, que les gens que je refoule mais qui ne disent rien ont peut-être une histoire analogue ou pire mais qu'ils ne le disent pas, que laisser passer des résistants c'est bien gentil, mais est-ce que ce sont les mêmes qui se font exploser au milieu de pauvres gens qui ne sont pour rien dans cette histoire, est-ce que ce ne sont pas tout simplement des contrebandiers, sur quoi au juste serai-je jugé à la fin du jeu, quelle fin vais-je obtenir, etc? Il y a une espèce de compromission permanente, de confusion sur ce que l'on devrait faire ou non (moralement, pour sauver notre famille, pour avoir une bonne fin) qui me semble réellement profonde, plus à mon avis que beaucoup de films sur le sujet, surtout récents, qui sont bien trop lisses, commodes et manichéens.

Donc tu vois, je trouve que le fond du jeu est beaucoup plus riche que "les systèmes totalitaires, c'est mal", je trouve au contraire qu'il nous montre par l'exemple qu'on ne peut pas juger depuis notre situation actuelle, dans notre confort matériel et moral actuel, telle ou telle situation lointaine géographiquement, culturellement ou historiquement, ou en tout cas, pas avant de s'être réellement informé ou posé de questions.

En dehors de la problématique des pays totalitaires, pour le truc tout bête de l'administration, je pense que ça nous est tous arrivés de donner des papiers à un employé administratif, puis de voir l'employé en question nous dire qu'il manque telle ou telle chose en ayant l'air extrêmement satisfait (et à ce moment je pense qu'on a tous eu envie de lui mettre notre poing sur le nez). Eh bien en jouant à ce jeu, j'ai compris pourquoi: quand on pense que quelqu'un est en règle et qu'on tamponne son truc avant de le laisser partir, on a toujours un doute, on se demande toujours si on n'a pas oublié quelque chose, alors que quand on découvre un problème, on est tout content car ça clôt clairement le dossier sans la moindre ambigüité, comme si on avait gagné à un puzzle.

Tout le jeu est fait pour ça, pour nous confronter à des situations différentes et compliquées et nous faire réfléchir. C'est tout de même assez fort pour un petit jeu avec des gros pixels.

Après, pour ce qui est de la hype, tu ne crois pas que tu es aussi victime de l'anti-hype? J'ai l'impression que ça t'arrive assez souvent de démarrer un jeu hypé avec un apriori négatif.
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Posté le: 2017-12-13 19:32
Vos messages sont clairs, convaincants et c'est cool que vous ayez aimé le jeu, mais ils confirment aussi ce que je craignais, à savoir que j'ai déjà quasiment tout vu de Papers Please. Oui il y a les énigmes à base de résistants à identifier et laisser ou non passer, les pots-de-vin trop beaux pour être acceptables, et ce genre de choses, mais je n'ai pas l'impression que ça débouche sur de véritables récits qui remettraient tout en perspective.

On dirait que le but est dans tous les cas de mettre en pratique cette mécanique de compromis dont tu parles, Simbabbad, et qui m'a paru un peu forcée : est-il possible de gagner si on applique les consignes à la lettre ? Est-ce qu'on peut aller assez vite pour gagner assez d'argent ? J'ai un peu essayé au début et ça m'a paru impossible.

Il faut aussi préciser, et c'est pour ça que j'ai une réaction un peu blasée, qu'étant moi-même fonctionnaire je vis des choses assez comparables sur le principe à ce que le jeu décrit, sous une forme bien moins extrême bien sûr, mais la manière dont les choses s'enchaînent est la même (les consignes qui changent sans cesse, s'accumulent et se contredisent, les relations ambivalentes avec les usagers, le devoir de réserve…). Pas besoin d'être dans un pays totalitaire. Je dirais même que c'est encore plus insidieux quand on est entre citoyens privilégiés car ça mine sur la durée, ça épuise des forces qui s'étaient lentement consolidées, des certitudes qu'on chérissait

Pour ce qui est de ma réaction face à la hype sur les jeux indie : non, ça ne me braque pas réellement, et d'ailleurs je joue la plupart du temps à des jeux hypés. Les avis positifs que je lis sur un jeu ici, dans JV Le Mag ou sur le forum de Merlanfrit (les trois sources qui m'influencent le plus), me poussent en général à l'acheter en priorité, et depuis trois ou quatre ans, ça n'a abouti qu'à peu de déceptions.

Ce qui m'agace un peu, voire plus si au bout du compte le jeu ne me satisfait pas, ce sont ces moments où j'ai l'impression que certains encensent un jeu non pas pour le plaisir qu'il leur a donné, mais pour la qualité de l'article qu'il leur a donné l'occasion d'écrire. Je ne vise personne en particulier, surtout pas vous MTF et Sim, qui le plus souvent écrivez des trucs très fouillés sur des jeux pas intellos pour un sou. Mais il faut reconnaître que depuis une dizaine d'années, la critique de jeu vidéo a considérablement évolué, il y a une course à celui qui en tirera les réflexions les plus sophistiquées, parfois au mépris de la nature même du support qui est d'amuser, divertir, donner du plaisir. Et en réponse à ça, les jeux indie tombent parfois dans le même travers : privilégier la réflexion quitte à ce qu'elle aille à l'encontre du fun.

Si je compare Papers Please avec The Stanley Parable, qui est lui aussi une sorte d'essai où le gameplay n'est pas une fin en soi, et qui lui aussi à été le chouchou des critiques qui intellectualisent un poil trop d'après moi, au moins dans ce dernier on a veillé à ce que l'expérience soit confortable et simple à manier pour que le joueur tienne sans problème les deux ou trois heures nécessaires à tout boucler. Pourtant, là aussi on se fait malmener. Malgré l'humour on est assez mal à l'aise dans l'ensemble, certaines fins sont même traumatisantes. J'ai bien aimé ce contraste et cette formule me convient mieux, donc The Stanley Parable, pour moi, ne dépasse pas les limites que je me fixe pour dire que j'aime un jeu vidéo même si ça n'en est pas totalement un. Pour Papers Please je vais encore insister un peu mais c'est pas gagné
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Posté le: 2017-12-13 20:55
Papers Please est dans ma bibliothèque depuis des mois, vous m'avez donné envie de m'y mettre

Citation :
Et en réponse à ça, les jeux indie tombent parfois dans le même travers : privilégier la réflexion quitte à ce qu'elle aille à l'encontre du fun.

Je ne trouve pas ça choquant ; je ne pense pas que tous les jeux doivent forcément être funs. Que certains jeux alignent les lieux communs en se croyant plus intelligents que les autres, ça arrive certainement souvent, mais c'est un autre sujet je trouve.
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Posté le: 2017-12-13 22:42   [ Edité le: 2017-12-14 00:38 ]
Citation :
Le 2017-12-13 19:32, Laurent a écrit :
Oui il y a les énigmes à base de résistants à identifier et laisser ou non passer, les pots-de-vin trop beaux pour être acceptables, et ce genre de choses, mais je n'ai pas l'impression que ça débouche sur de véritables récits qui remettraient tout en perspective.

On dirait que le but est dans tous les cas de mettre en pratique cette mécanique de compromis dont tu parles, Simbabbad, et qui m'a paru un peu forcée : est-il possible de gagner si on applique les consignes à la lettre ? Est-ce qu'on peut aller assez vite pour gagner assez d'argent ? J'ai un peu essayé au début et ça m'a paru impossible.

Le jeu est difficile mais on peut s'en sortir en jouant comme un robot en respectant toutes les consignes et sans corruption, ça je le sais même si je moi je navigue à vue. Avec de la pratique et surtout le fond d'écran qui affiche les infos du manuel, ça se fait, le fond d'écran aide vraiment beaucoup.

Mais dans Papers, Please le gameplay est un moyen plutôt qu'une fin de toute façon, c'est l'immersion dans la situation qui est intéressante. Du coup, si tu es fonctionnaire et que ton boulot est connexe à ce type de déroulé, ça ne m'étonne pas que tu aies plus de mal à accrocher, mais quelque part ça veut dire que le jeu est vraiment bien fait! Ici au moins tu peux désobéir de temps en temps.

Tiens, après notre échange, j'ai relancé le jeu pour voir (j'en suis au 16ème jour, c'est-à-dire à la moitié).

Mis à part le fait que décidément c'est dur de s'y remettre quand on n'y a pas joué depuis un certain temps, j'ai été frappé très vite par une rencontre: un type arrive, il n'est pas en règle, me supplie de le laisser passer parce qu'il a besoin d'une opération qu'il ne peut pas faire dans son pays. Il me file du pognon en douce.

Quatre options:

- Je le laisse passer sans prendre son argent, et je suis un ange (ou un benêt parce qu'il me raconte peut-être des cracks, et inversement, peut-être que de pauvres gens que je renvoie ont eux besoin d'une opération mais je n'en sais rien parce qu'ils souffrent en silence).

- Je le laisse passer en prenant son argent, et je suis ambigu.

- Je le renvoie sans prendre son argent, et je suis un héros de l'Arstotzka!

- Je le renvoie et je prends son pognon, et je suis un monstre. Sauf que dans cette partie je l'ai fait et je ne suis pourtant pas un monstre, je l'ai fait parce que je m'étais déjà trompé deux fois (ça faisait longtemps que je n'avais pas joué) et je ne pouvais pas me permettre une nouvelle "erreur", et la pression de l'argent est atroce dans le jeu et j'avais donc besoin d'un peu d'oxygène. Avec l'argent que m'a filé le garde en début de journée pour les gens que j'ai mis en détention les jours précédents, peut-être que j'allais enfin avoir assez d'économies pour souffler un peu... et c'est comme ça qu'on finit condamné à Nuremberg.

(bon, de toute façon je recommencerai cette journée)

Il y a plein de petites décisions comme ça avec différents degrés, dont on ne sait pas trop si elles comptent ou non dans l'obtention de telle ou telle fin (il y en a plusieurs) ou dans celle de tel ou tel succès ou dans le déroulé des événements du jeu (un choix à un moment peut influencer un événement dans les jours suivants), et ce, même si ces décisions ne semblent pas faire partie d'un gros fil narratif comme les résistants et leur code bizarre (résistants qui au passage ressemblent à des illuminés ou à une secte et qui n'inspirent pas forcément confiance). Pour moi c'est ce genre de passage qui fait le sel du jeu, toutes ces petites anecdotes, les réactions des gens, etc. Il y a aussi des événements marquants narrativement (quand il y a un attentat, etc.)

En plus, les émotions sont d'autant plus fortes et les décisions révélatrices que l'on est constamment minuté dans le jeu, il faut prendre une décision rapidement, le temps c'est de l'argent, et l'argent c'est la survie. Sur ce plan la possibilité de recommencer la dernière journée est d'ailleurs regrettable.

Quelle image est-on prêt à accepter de soi-même? A-t-on assez de talent administratif pour se permettre d'être une bonne personne sans faire crever ses proches? Est-ce que faire ce que l'on peut sans être une mauvaise personne et sans faire le mal exprès est suffisant?

Sans forcément de gros virages narratifs ou de grosses différences de gameplay, c'est ça qui fait la richesse du jeu à mon avis. Il y a des moments excellents, comme l'espèce de paumé qui vient et revient à la charge avec des faux qu'on dirait faits par un enfant de quatre ans, alors qu'on est partagé entre l'agacement (il nous fait perdre du temps) et l'amusement. Et puis, le gameplay réserve quand même des surprises intéressantes en ajoutant régulièrement des mécaniques.

Là par exemple on me donne une clef pour ouvrir une boîte dans laquelle il y a un flingue pour tirer sur les fuyards ou pour me défendre. Dans la notice, il est bien dit qu'on a un bonus si on neutralise notre opposant, et un bonus moindre si on tire mais qu'on le rate - pour moi, cette dernière précision est une perche qu'on nous tend pour suggérer qu'on peut faire semblant et tirer à côté exprès. De même qu'on peut faire exprès de se prendre un avertissement pour laisser passer telle ou telle personne.

J'avais essayé The Stanley Parable mais j'ai ressenti un rejet immédiat. En plus j'ai eu un bug qui a fait perdre un objet dont j'avais besoin. Je ne peux pas le juger parce que je n'ai pas passé assez de temps dessus, mais le côté organique gameplay/narration de Papers, Please est pour moi bien plus intéressant.

Dans cette même partie j'ai aussi retrouvé un gars qui m'avait demandé de donner sa carte de visite à tous les ingénieurs que je croise, ça aussi c'est une quête secondaire intéressante.

Citation :
Le 2017-12-13 20:55, Shenron a écrit :
je ne pense pas que tous les jeux doivent forcément être funs.

Je suis d'accord avec ça et d'ailleurs, Laurent, ton désarroi me rappelle celui face à Silent Hill 2, je me souviens que tu étais déçu de ne pas réussir à rentrer dedans. Papers, Please, c'est un peu comme un survival horror: le gameplay n'est pas très intéressant tout seul (le mode infini c'est sans moi) mais il sert l'immersion, et selon les gens, les moments, etc. des fois ça passe, des fois ça casse.

Quand j'ai joué pour la première fois à Silent Hill 2 sur une PS2 prêtée par un ami, je n'étais pas rentré dedans à cause de certains passages de gameplay et je me suis forcé tout du long, je me suis donc complètement retrouvé dans ce que tu en avais dit. Et puis il y a quelques mois, j'ai réessayé le jeu sur mon nouveau PC qui peut faire tourner un émulateur PS2 en HD, je ne me souvenais de rien sauf des grandes lignes et des passages qui m'avaient gonflé, et ça a été une claque monumentale, une des plus grosses expériences immersives de ma vie, j'en ai pris plein la gueule - bref, tout ce que les gens disent habituellement de Silent Hill 2. Comme je me souvenais des passages idiots qui m'avaient sorti du truc (l'énigme du vide-ordure, la première confrontation contre Pyramid Head où il suffit de tourner en rond, etc.) cette fois-ci j'ai pu profiter de l'univers sans anicroche. Pourtant, le gameplay est anti-fun, conçu justement pour qu'on souffre, et si on enlevait le gameplay, ça ne marcherait pas non plus.

Pour la hype, c'est compliqué. Les gens qui prennent des poses, ça existe, mais il n'est pas exclu que les gens soient sincères, et même si un jeu est bancal, quand on teste des jeux à la chaîne et qu'on tombe sur un jeu original, et qu'en plus on n'a pas passé assez de temps dessus avant d'en rédiger la critique pour aller au-delà des premières impressions positives, eh bien on le surnote. Mais dans le cas de Papers, Please je pense qu'il mérite son succès, bancal ou pas.

EDIT: bah Laurent, tu m'auras fait me remettre au jeu, c'est plus addictif que dans mon souvenir. D'accord, j'ai mis en détention des gens en infraction et j'ai descendu des gens qui tentaient de passer en force (à ma décharge, les derniers qui ont fait ça se sont fait exploser et ont tué des gens), n'empêche que grâce à ça, j'ai pu offrir à mon gosse une boîte de crayons et j'ai ses dessins à mon boulot (tout petit spoiler qui répond à ce que tu disais sur la famille du héros, Laurent). J'adore ce jeu.
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Posté le: 2017-12-14 09:20
Citation :
Le 2017-12-13 20:55, Shenron a écrit :
Je ne trouve pas ça choquant ; je ne pense pas que tous les jeux doivent forcément être funs.

Tu nous diras ce que tu en penses quand tu y aura joué, mais Papers Please va plus loin que ça, il est carrément anti-fun (contre-fun ?), il fait reposer son propos la lourdeur du gameplay. Et quand c'est quelque chose de permanent ça me gâche l'expérience, effectivement, comme dans Silent Hill 2. C'est radical, c'est courageux, mais j'ai du mal à adhérer.

Citation :
Le 2017-12-13 22:42, Simbabbad a écrit :
Le jeu est difficile mais on peut s'en sortir en jouant comme un robot en respectant toutes les consignes et sans corruption, ça je le sais même si je moi je navigue à vue. Avec de la pratique et surtout le fond d'écran qui affiche les infos du manuel, ça se fait, le fond d'écran aide vraiment beaucoup.

Merci beaucoup pour le coup des fonds d'écran, je pense que je vais m'en servir. Le problème vient de moi, il faut dire, je n'ai jamais aimé que les fenêtres se chevauchent sur un écran d'ordinateur. Je sais pas pourquoi

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Posté le: 2017-12-14 12:46
C'est rigolo, je trouve, vos opinions respectives sur PP d'un côté, The Stanley Parable de l'autre : pour les avoir bien aimés tous les deux (j'ai même consacré une de mes émissions de radio à ce dernier), je trouve leur démarche assez proche, finalement même si les thématiques sont distinctes initialement. Je trouve, Sim, que tu as parfaitement résumé les enjeux diégétiques de PP, que j'ai pourtant de mon côté rapidement délaissés pour me concentrer sur les points de gameplay. Pareillement, ta stratégie du fond d'écran, que je n'avais pas adoptée (mais comme j'ai deux moniteurs, j'avais mis les informations nécessaires sur l'un des deux, tandis que le jeu tournait sur l'autre), est vraiment symptomatique de la façon dont le jeu envisage sa relation avec le joueur.

On retrouve ça dans l'autre jeu du créateur, que j'évoquais plus haut (Don't touch anything), soit un environnement parfaitement vidé de HUD ou de tout type de langage vidéoludique, ou encore que l'on doit acheter à l'instar des raccourcis-claviers. Stanley Parable développe il me semble également ce type de propos, mais l'aspect diégétique passe au second plan pour se concentrer quasi exclusivement sur la notion de "choix", la relation avec la narration et ainsi de suite. Je n'ai pas le temps ces jours-ci de développer plus en long mes idées, mais je suis le thread avec un grand intérêt : je trouve ça passionnant.

Aussi, je vous encourage à essayer The Beginner's Guide, qui pourrait tomber dans cette mouvance de "jeu anti/contre-fun".

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Posté le: 2017-12-14 13:56   [ Edité le: 2017-12-14 15:10 ]
Pour relativiser cette idée d'anti-fun (et donc relativiser ce que j'ai dit aussi), il faut quand même dire que je me suis amusé dans ma partie d'hier, par exemple. On est tout content et on se sent malin quand on détecte un problème de cohérence dans les papiers, on a le cœur qui bat plus vite alors qu'on lorgne une personne que l'on a laissé passer qui marche lentement vers la frontière, s'attendant au petit crissement de l'imprimante qui indique une sanction, et on fait un mouvement avec le poing avec un "YES!" quand le petit crissement en question n'arrive pas, on ressent du suspens quand on fait un scan d'une personne dont le poids ne correspond pas à son poids déclaré - va-t-on voir qu'elle est plus grosse que prévu (c'est rare dans la région), des marchandises, des armes? Quand une personne passe la frontière de force et qu'on doit lui tirer dessus, malgré soi on ressent de l'excitation.

D'ailleurs, par rapport à ce dernier point (petit spoiler narratif), le dessin de son môme si on a choisi de lui payer des crayons hors de prix, c'est un dessin qui nous représente avec un fusil et un couteau façon Rambo, avec le texte "mon papa est un héros" et le symbole de l'Arstotzka à côté. D'un côté on est tout content parce que notre gosse est fier de nous, de l'autre évidemment on est ennuyé parce que c'est bien plus compliqué que ça (et on n'est pas particulièrement fier) mais on ne peut sans doute pas lui dire, ne serait-ce que parce qu'il pourrait répéter ce qu'on lui dit innocemment, mais en ne disant rien on risque de le laisser se faire embrigader - et là encore on se rend compte naturellement d'une problématique réelle dans ces contextes-là. C'est tout de même très fort de réussir une immersion pareille de façon aussi minimaliste et en étant fondamentalement un jeu à gameplay sur le plan mécanique (dans un autre genre, World of Goo fait quelque chose comme ça, techniquement c'est un jeu à gameplay mais sur le fond c'est un jeu narratif).

L'aspect puzzle du jeu est aussi bien plus plaisant et fluide quand on n'a pas à farfouiller dans le carnet de règles (auquel il vaut mieux ajouter les onglets dès qu'on peut, d'ailleurs) jusqu'à parfois être vraiment amusant, tout comme tabasser les monstres peut quand même être plaisant par moments dans Silent Hill. Sur ce plan, comme MTF, je me demande si le concepteur du jeu n'a pas fait exprès de rendre la manipulation compliquée pour nous forcer à se faire des guides plus simples, qu'on les fasse à la main, en les imprimant, les affichant sur un second écran ou avec un fond d'écran (à ce sujet, tu peux ne pas afficher les icônes de ton bureau pour ne pas masquer le fond d'écran en faisant sur Windows 10 clic droit sur le bureau -> Affichage -> décocher "Afficher les éléments du bureau" puis recocher après ta partie, Laurent).

Citation :
Le 2017-12-14 12:46, MTF a écrit :
On retrouve ça dans l'autre jeu du créateur, que j'évoquais plus haut (Don't touch anything), soit un environnement parfaitement vidé de HUD ou de tout type de langage vidéoludique, ou encore que l'on doit acheter à l'instar des raccourcis-claviers.

Pour le coup ça a l'air un peu ce que reproche Laurent à Papers, Please, à savoir très limité au niveau du gameplay (et très cher pour ce qu'il est). Ludiquement c'est intéressant, ou c'est juste dans l'analyse qu'on lui trouve un intérêt?

Pour The Stanley Parable il faudrait peut-être que je réessaie, mais un peu comme Thomas Was Alone j'ai trouvé ça immédiatement agaçant (Thomas Was Alone, je l'ai juste jugé sur sa bande-annonce, donc ça vaut ce que ça vaut comme ressenti).

Je trouve quand même que Papers, Please est différent de Don't touch anything ou The Stanley Parable (et est comme je l'ai dit plus proche de World of Goo) car il a tout de même un gameplay très solide comme socle, fun ou pas.

EDIT: en fait, Lucas Pope n'a pas fait Don't touch anything, j'avoue que ça m'étonnait parce que ce n'est pas du tout son style, ses jeux ont généralement un gameplay reposant sur la surabondance kafkaïenne plutôt que le minimalisme. Tous ses jeux (tous en Flash à part Papers, Please) sont sur http://dukope.com/.

Son dernier jeu en cours, Return of the Obra Dinn, a ceci dit l'air très différent, plus dans la lignée d'un jeu d'aventure.
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Posté le: 2017-12-14 15:27
J'ai vraiment aimé ce jeu. Court, mais intense!
Je pense que la lourdeur de l'interface veut aussi faire référence à la lourdeur de l'administration, et ça participe à mon sens grandement à l'immersion. Un peu comme dans un Resident Evil où la lourdeur du perso et le manque de place dans l'inventaire participe au stress.

Dommage que tu n'aies pas apprécié plus que ça, mais chacun a son ressenti. Moi par exemple je suis passé complètement au dessus de Undertale

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Posté le: 2017-12-14 15:39
Au temps pour moi Don't Touch... j'étais persuadé qu'il s'agissait du même concepteur ! Je maintiens que le jeu est intéressant à faire, surtout si on aime les puzzles.

Thomas Was Alone, en revanche, jamais entendu parler, je vais voir ça.

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Posté le: 2017-12-14 16:28
Il faut dire que le style graphique est voisin et apparemment Pope est cité à la fin du jeu, alors forcément ... si le jeu a une réelle dimension puzzle, je le laisse dans ma liste d'envies!

Thomas Was Alone est assez intéressant dans sa dichotomie entre action et narration pour le coup, c'est un petit cas d'école qui devrait t'intéresser et je devrais peut-être lui laisser sa chance.

En tout cas, bien content que cette discussion m'ait remis sur Papers, Please et m'ait branché sur des jeux (dont Return of the Obra Dinn qui maintenant me fait très envie).
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Posté le: 2017-12-14 17:05
C'est cool, le topic a un peu "pris".

J'ai relancé une partie du début, et j'ai tâché de faire un max de chiffre dans les deux premiers jours, quand il y a encore très peu de choses à vérifier dans les papiers. J'ai aussi pris le parti de laisser crever l'oncle et la belle-mère, et j'encaisse le pot-de-vin de 1000 crédits mais j'évite absolument d'acheter un appart plus grand ou des améliorations de box. Je vais voir si ça fonctionne mieux, ma précédente partie avait l'air vouée à se finir par une dénonciation des voisins pour signe extérieur de richesse

Sim, si tu as The Stanley Parable redonne lui sa chance, tu auras tout fait en deux heures (à part un ou deux succès totalement absurdes), et c'est vraiment pas mal. Ceci dit, en termes de jeux indie où le gameplay est au second plan, mon préféré rétrospectivement reste Gone Home, du moins pour l'instant. Celui-là m'a vraiment laissé un gros souvenir (il y a un topic). Et il est un peu plus long, dans les 6-7h de jeu.
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Posté le: 2017-12-14 18:48
Je suis dans le même cas que Shenron, j'ai Papers, Please, mais je ne l'ai pas encore lancé. Et je me permets d'approfondir la pensée :

Citation :
Je ne trouve pas ça choquant ; je ne pense pas que tous les jeux doivent forcément être funs.


Tout à fait d'accord, et j'irais même un poil plus loin : perso, je ne pense pas que tous les jeux se doivent d'obéir à la définition communément admise du fun. Le JV en tant que média et groupe de personnes (je ne veux pas parler de "communauté"), comme bien d'autres, est déchiré en permanence entre les différentes manières de s'amuser sur un jeu, et on a vu s'ériger ce que j'aime appeler les "fascistes du fun".

On a :
- ceux qui défendent une pratique "décontractée", appliquant la maxime "ce n'est que du jeu, on est là pour s'amuser". Pour eux, un JV est comme se poser sur une planche de surf et se laisser porter sur une vague. Pourquoi pas. Il est simplement dommage que leur temps de visite sur les sites et forums spécialisés, leur temps de jeu et/ou leurs différents écrits sur le Net viennent les contredire. Il me semble indéfendable de prôner qu'on joue seulement pour s'amuser, tout en possédant plusieurs consoles de jeu (parfois des pièces rares !) et en ayant plusieurs heures de présence sur leurs sites favoris, un temps consacré au JV sans jouer au JV.

- ceux, à l'inverse, qui prônent l'amusement comme la recherche permanente de défis, du challenge à foison. Plus c'est dur, plus la vis est serrée, mieux c'est. Là aussi, pourquoi pas. Il est dommage, là encore, que les pires spécimens extrémistes soient venus infecter plusieurs grands groupes de joueurs. Ils gangrènent les communautés de VS depuis des années avec leur comportement exécrable - et certains ont migré sur les Souls, allant jusqu'à influer indirectement sur le développement du jeu. Là aussi, c'est un extrême indéfendable par définition : même si on considère les rapports de domination comme étant un jeu (ce qui peut être le cas), un "jeu" induit que tous les participants en acceptent les règles et jouent en accord avec elles : eux jouent à leur jeu (Celuiquialaplusgrosse 2 EX + Alpha) et écrasent de leur mépris tous les autres.

L'avantage de voir des jeux comme Papers, Please débarquer, c'est qu'il met en lumière l'absurdité et le pathétique de ces deux positions. Ce ne sont pas deux "camps" s'affrontant dans un corpus binaire, mais les extrémités d'un spectre très large, celui de l'amusement. Il y a probablement autant de manières de s'amuser sur un jeu qu'il y a de joueurs, un fait que Papers, Please prouve car on peut tout à fait prendre du plaisir en effectuant une tâche rébarbative - et passablement inhumaine - de la manière la plus optimale possible !
Je me permets de citer le psychologue Mihály Csíkszentmihályi (oui, j'ai c/c son nom, je l'avoue !), qui parlait de la notion de flow, cet état d'esprit second au cours duquel on a l'impression de pouvoir tout faire, de ne faire qu'un avec le jeu, que la pensée et les réflexes sont synchronisés ; je suis certain que beaucoup de grospixeliens et d'autres ont déjà ressenti dans un JV ! Une des caractéristiques du flow posées par Mihaly est qu'il n'a rien à faire de la morale de l'acte en lui-même : on peut être en état de flow au cours d'un acte ennuyeux, comme trier des papiers d'identité pour le compte d'un état communiste. De même que le flow n'a aucun lien avec un supposé "talent" ou l'existence de "génies".

Je me suis amusé dans Flower, Sun and Rain, et je me suis amusé dans Puyo Puyo. Donc je ne vois pas pourquoi Papers, Please ne serait pas fun, tant qu'on comprend où le jeu veut en venir, et qu'on ne placarde pas son égo et ses attentes déplacées sur le jeu lui-même.

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Posté le: 2017-12-15 21:01
En l'occurrence je ne pense pas que tu abordes la question sous le bon angle, Tama.

Quand Laurent ou d'autres on parle de "fun" à propos de Papers, Please, ce n'est pas par rapport à l'axe casual/hardcore ou "plaisant car pas prise de tête"/"trop bon parce que douloureux", c'est par rapport à la différence entre le moyen et la fin.

Il n'y a aucun angle sous lequel le gameplay de Papers, Please est fun sur son fond ludique, ça saute d'ailleurs aux yeux dans le mode "infini", il n'y a pas de finesse ou de performance ou de subtilité, c'est juste un algorithme à suivre, une machine ferait ça beaucoup mieux que nous (et le fait, d'ailleurs, puisque le Parti a une machine magique qui sait mieux que nous si on s'est trompé ou non, on pourrait se demander à quoi on sert si on était dupe de l'artifice). Le gameplay est juste là pour le propos, l'immersion.

La question c'est: jusqu'où c'est efficace, jusqu'où c'est tolérable? À partir de quand c'est trop facile/plaisant, et du coup ça désamorce le sentiment d'oppression et le discours du jeu, et à partir de quand c'est tellement relou qu'on sort du jeu et qu'on se dit qu'on a mieux à faire.

Ce que j'ai dit sur Silent Hill 2 est une bonne illustration de ça: c'était le même jeu, mais à ma première partie je ne suis pas entré dedans, et à ma seconde je me souvenais assez des passages qui m'avaient gêné pour que la formule fonctionne.

Il y a aussi l'exemple Dead Space: les gens qui disent que le jeu ne fait pas peur y ont généralement joué en Normal, qui est vraiment très, très facile. Mais quand Laurent y a joué en Difficile et n'avait pas compris au début que l'on pouvait casser les caisses de ravitaillement, ça l'a forcé de trouver des techniques qui ont cassé l'immersion. C'est un équilibre compliqué.
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Posté le: 2017-12-16 09:06
Mais finalement, pourquoi pas les deux ? Papers, Please est sans doute un jeu qui pousse à l'extrême limite cette balance fin/moyen, et je pense que tu expliques assez bien les ambitions ici, Sim, mais la chose est aussi corrélée avec l'opposition "distraction/challenge" qu'évoque Tama. On pourrait par exemple dire que dans PP, le "hardcore gamer" sera celui dont le seuil de tolérance à l'épreuve de l'infini est maximal. En fait, ne peut-on pas dire que ce dernier joueur ne voit plus dans le jeu de l'immersion, mais uniquement des mécaniques de gameplay, développant des stratégies qui de vitesse, qui d'efficacité ?

Cette théorie du "flow", je l'aime bien : Extra Credits, sur Youtube, en parle souvent et on la retrouve dans pas mal de jeux. Papers, Please serait alors plutôt un jeu "anti-flow", si l'on peut dire : le moment où l'automatisation absolue ne devient plus tolérable, et où l'immersion se complaît à briser l'habitude, là résiderait l'intérêt de PP, dans une forme de transgression des habitudes traditionnelles des joueurs.

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Posté le: 2017-12-16 10:27
Je ne sais pas si tu te souviens, mais il y a quelques années je t'avais envoyé en MP un brouillon de texte sur l'art du jeu vidéo que j'écrivais pour mon blog.
Ce texte est d'ailleurs toujours en brouillon dans mon blog et il a beaucoup évolué depuis (mais il n'est toujours pas prêt d'être publié, il faut dire que j'accumule les retards alors que j'ai je ne sais combien de textes en rédaction, mais c'est un autre sujet). Une de mes conclusions et un de mes propos principaux, c'est que je vois trois piliers fondamentaux faisant le jeu vidéo:

- Le gameplay.

- L'univers (au sens large, par exemple Rez a un univers très important par rapport à ce qu'il est même si c'est un jeu d'action, et Pac-Man est plus attrayant que Mouse Trap par exemple, ce n'est pas juste la narration).

- Le plaisir de manipulation, qui est très souvent mésestimé ou sous les radars de la critique mais qui est bien plus important qu'on ne se l'imagine dans un jeu vidéo, certains jeux étant plaisants rien que par ce biais.

Par rapport à ces piliers, la balance distraction/challenge est plutôt relative au gameplay, la balance fin/moyen est relative à l'immersion, et par rapport à ce dont on parlait avec Tama sur Papers, Please, à savoir le fun, le plus important serait donc la balance du troisième pilier, la balance qu'on pourrait décrire comme agréable/désagréable.

L'originalité de Papers, Please ou d'un survival horror, c'est qu'ils jouent avec le troisième pilier en faisant exprès d'être désagréables (ou inconfortables) pour servir l'immersion, la balance de l'immersion étant ainsi réglée sur le gameplay comme moyen et non comme fin. Mais que le jeu soit dur ou non est juste un outil parmi d'autres pour rendre le jeu oppressant/désagréable, ce n'est pas forcément le sujet. Un joueur hardcore ne va pas forcément jouer à un jeu sous le simple prétexte qu'il est dur, il faut qu'il y ait des mécaniques ludiques approfondies ou que l'univers lui plaise ou que le jeu soit agréable. C'est pour ça que je pense qu'en l'occurrence cet axe n'est pas central dans Papers, Please, dont le gameplay est quand même fondamentalement assez con.

Dans Papers, Please, les seuls moments agréables (en dehors du plaisir "négatif" de l'immersion, comme quand on voit un film horrible qu'on aime bien), ce sont les moments de soulagement (par exemple quand une personne passe la frontière sans le grésillement de l'imprimante qui nous dit qu'on s'est trompé), et sur le plan de la manipulation, ce sont les moments cathartiques qui sont agréables, comme quand on tamponne rageusement un "DENIED" sur un passeport (le "GRANTED" est source de stress puisque lié à un doute), quand on appuie sur le bouton "DETAIN" pour faire enfermer le type (et régler le dossier en un clic tout en gagnant de l'argent de la part des gardes), quand on ouvre la boîte donnant accès au flingue pour tirer sur quelqu'un qui force la frontière - bref, tout plaisir manipulatoire est négatif et aliénant, et consiste à malmener la personne qui vient nous enquiquiner avec ses papiers. Alors que les choses positives, comme faire passer quelqu'un qui (croit-on) mérite de passer ou aider l'opposition au régime, sont sources de doute, de surcharge et de stress.

C'est ça finalement qui fait qu'on accroche ou pas: à partir de quand le punitif fonctionne et fait rentrer dans le jeu en servant son propos et donc nous touche, et à partir de quand il repousse et sort du jeu? Le hardcore n'est pas décisif en soi. Par exemple, Dead Space est franchement hardcore dans ses niveaux de difficulté les plus élevés, mais contrairement à Silent Hill 2 il a de vraies mécaniques de TPS assez plaisantes, et du coup ça passe et Laurent ne s'est pas bloqué dessus.

Quant au flow, je ne pense pas que Papers, Please soit de l'anti-flow, au contraire, il devient bien plus agréable avec la pratique parce qu'on finit par mettre au point une routine efficace, par connaître par cœur les régions et les règles, la forme des sceaux, etc. et qu'à force on se retrouve dans un état second qui fait stopper le côté pénible du gameplay et fait entrer dans une transe assez agréable. Un peu comme le travail à la chaîne, en fait. Sur ce plan, Unsolicited que l'on peut jouer en Flash sur le site de Lucas Pope est exemplaire puisque pour le coup c'est uniquement du travail stupide et répétitif (on envoie des courriers non sollicités, des pubs à la con en d'autres termes, et notre boulot est de les remplir pour les personnaliser), c'est sans enjeu, sans intérêt, sans histoire sans rien, et pourtant ça devient assez vite étonnamment addictif.
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Posté le: 2017-12-16 18:33
Bon, j'ai réussi à atteindre le dernier jour et voir deux des trois fins considérées comme un achèvement du jeu. Dans les deux cas, j'ai du assumer d'avoir collaboré avec les opposants au régime sans possibilité d'annuler ce choix, même en abusant du système de sauvegarde.

Cette partie s'est beaucoup mieux passée que les précédentes car arrivé à mi-parcours j'ai reçu des arriérés de pots-de-vin de la part de personnages qui m'avaient demandé des petits services, et à partir de là je n'ai plus jamais manqué de nourriture ni de médicaments (en m'interdisant toute amélioration de confort et en ne sauvant que trois membres de ma famille, en comptant la nièce qui arrive vers la fin).

Je me demande si parmi les 20 fins il y en a certaines qui soient vraiment heureuses, mais ça m'étonnerait. J'ai cru comprendre que les 17 fins prématurées sont toutes des game over. Je vais peut-être essayer de refaire une partie en dénonçant les opposants quand j'en ai l'opportunité et tâchant d'arriver au bout, ça ne devrait pas trop poser de problème. Après, pour encore améliorer mes performances, je devrai normalement essayer de sauvegarder toute ma famille, même la belle-mère, et là ça risque d'être très difficile.

J'ai fini par trouver pas mal de petites astuces pour gagner du temps, et mémoriser les préfectures n'est pas si difficile que ça. De toute façon, à partir du 15e jour je n'ai plus jamais rencontré de passeport avec une préfecture erronée, et je parie que le jeu est codé dans ce sens. Je reconnais que toutes ces petites victoires sont gratifiantes, finalement, donc oui le gameplay de ce jeu finit par procurer un certain plaisir, parfois coupable ou créant un malaise, mais sensible. J'ai utilisé au départ le mot fun de manière un peu simpliste sans me douter que le topic approfondirait le sujet, mais c'est vrai que le mot était mal choisi. Ce jeu, et d'autres, prouvent qu'un gameplay peut briller d'une manière plus subtile que ce qu'on résume en général avec ces trois lettres.

Un autre point que j'ai reconsidéré est le message du jeu : non seulement j'étais dubitatif sur la façon de le transmettre, mais en plus je trouvais qu'il arrivait après la bataille. Et puis en lisant des tests du jeu j'ai réalisé que l'effondrement de l'URSS ça commence à sérieusement dater, et les joueurs ont peut-être oublié comment ça se passait. 70 ans après la guerre on se retrouve bien avec des types qui prennent mal qu'on insulte les nazis, alors il y en a peut-être aussi qui se sont remis à fantasmer sur la culture soviétique, allez savoir.

Donc, sans être vraiment tombé amoureux de ce jeu, j'ai aimé sa pertinence, son utilité et l'originalité de sa proposition : ce qu'il dit, d'autres jeux l'avaient déjà très bien dit avec des moyens plus conventionnels et par le biais de la fiction (les Witcher, les Fallout…), mais cette idée d'argumentation directe par le gameplay, de se faire mettre le nez dans le caca pour vraiment comprendre que ça pue, c'est très intéressant

Le prochain jeu de Lucas Pope s'appellera Return of the Obra Dinn et cette fois-ci on ne voit pas du tout où il veut en venir avec les informations de base connues avant que la partie commence. Ça, ça me plaît.
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Posté le: 2017-12-16 19:07
Je me souviens de ce brouillon, et je suis assez d'accord avec ce que tu développes : j'ai plus ou moins les mêmes théories concernant le JV et la façon dont tu décris les éléments s'apparente à celle que je conduis dans mon émission Ludographie Comparée sur radiokawa, si ce n'est que je raisonne avec un palier inférieur d'analyse.

Avant d'explorer un peu ça, je reviens sur ce que tu appelles "le plaisir de manipulation", car cela m'a immédiatement fait penser à Super Mario Odyssey, et à la revue Youtube qui avait été postée le concernant (de Mea je crois), à propos des transformations. Comme tu le soulignais en réponse à ladite vidéo, le critique ne fait pas mention du "plaisir transgressif" de posséder un ennemi avec Mario. J'ai alors compris pourquoi je n'avais pas sciemment relevé, avant d'avoir vu cette critique, un élément qui me semble tout pertinent : l'idée qu'au regard des anciennes aventures de Mario, les transformations ne lui ajoutent pas de mouvements, mais en retranchent. Par exemple, avec la casquette rouge de SM64, on peut voler en plus de toute la panoplie de mouvements du plombier ; mais dans SMO, chaque transformation focalise un seul geste, quel qu'il soit (voler, sauter, voir l'invisible, etc.). Une fois que j'ai entendu ça, j'ai été comme frappé par l'évidence : mais je n'en étais jamais aperçu au long de ma partie. C'est, je pense, parce que ce plaisir transgressif, ce plaisir de la "manipulation alternative" si l'on peut dire, a compensé la perte des mouvements. Il était tellement bon, et tellement intéressant, de trouver quoi posséder, et les nouvelles possibilités de jeu offertes, que j'en ai oublié le caractère parfois contraint de la chose.

Cela, pour dire que je suis parfaitement d'accord avec la façon dont tu songes l'équilibre entre ces différents aspects. Dans l'absolu, je dirais qu'il est même parfaitement possible d'avoir un pôle "univers" incroyablement développé pour compenser d'autres éléments réduits à leur portion congrue. "Dear Esther" par exemple, qui mise tout sur sa narration, peut se permettre d'avoir un gameplay ou une manipulation très pauvre et à l'inverse, si l'on excuse les histoires prétextes de Mario, c'est aussi parce qu'il a un gameplay et des contrôles, un plaisir de la manipulation, exacerbés au combien. Partant, la question de savoir quand le jeu devient intolérable, il me semble qu'on peut envisager deux aspects :

- Ou bien il y a une rupture de l'équilibre entre les différents pôles du jeu ; l'un est atrophié sans qu'un autre ne compense, par exemple ;
- Ou bien l'un des pôles en lui-même est mauvais, de façon inhérente, soit parce qu'il est injouable, soit parce que l'univers n'a pas de sens, etc.

En ce sens, il me semble que le "hardcore" est pourtant un argument mis en avant par certains développeurs pour développer ses tares, ou encore pour tâcher de dissimuler, comme un gâte-sauce le ferait, son incompétence. C'est l'idée du "faisons le premier niveau très difficile, comme ça personne ne le passera et ne se rendra compte que le reste du jeu est horrible".

J'ai finalement peu parlé de PP ici, il faudrait que j'y revienne en détail pour préciser ma pensée, mais j'apprécie de lire les échanges sur ces questions, lorsqu'appliquées au jeu.

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Posté le: 2017-12-17 10:24
Sim, je me permets de reprendre ta théorie des "3 piliers" pour illustrer qu'un gameplay comme celui de Papers, Please, aussi désgréable qu'il soit ou qu'il puisse paraître, peut générer du fun, voire du flow.

Citation :
- Le plaisir de manipulation, qui est très souvent mésestimé ou sous les radars de la critique mais qui est bien plus important qu'on ne se l'imagine dans un jeu vidéo, certains jeux étant plaisants rien que par ce biais.


Il est effectivement très négligé dans la critique JV en général, mais le simple fait de manipuler quelque chose de constater les conséquences de ses actions, de sentir qu'on incarne l'avatar (et ça, nul besoin de VR), c'est déjà un point en faveur du jeu, et du JV en général. Il m'arrive même de relancer certains jeux même pas pour avancer, mais juste pour le plaisir de manipuler le personnage, de sentir son poids, son inertie, les sons que le jeu émet lorsqu'on interagit !

De ce plaisir de manipulation en découle un autre : le fait de parvenir à dompter une maniabilité revêche, une interface peu intuitive, etc. L'histoire du JV est littéralement criblée de jeux qui font du simple fait de manier l'avatar un défi en soi, on peut citer Prince of Persia et tous ceux qui ont adopté cette jouabilité si typique (Flashback, Blackthorne, Tomb Raider...), mais aussi Sonic et son inertie, ou encore Jet Set Radio. On pourra remarquer que peu de ces jeux se retrouvent chez Nintendo, d'ailleurs, chez qui le leitmotiv a toujours été d'adopter un maniement le plus intuitif possible, et ce même sur des jeux expérimentaux (comme Kirby ou Wario).
Je n'ai pas usé du verbe "dompter" au hasard : il y a un combat entre l'homme et la machine, un vrai plaisir de domination dans la lutte contre la maniabilité du jeu, qui n'est pas moins bon que celui d'enfiler une maniabilité réglée au poil comme on enfile un gant de velours. Face à un Mario, ni Monster Hunter ni les Souls n'ont à rougir de leur parti-pris d'utiliser le poids et l'inertie des mouvements comme un défi lancé au joueur : "avant de mater cet univers hostile, commence par me dominer, moi, ta manette !". Il s'agit bel et bien de mater le jeu, malgré lui !

A mon sens, cette lutte découle d'un plaisir coupable chez le joueur, celui de vouloir tuer le Créateur. Si on peut voir les développeurs comme des accompagnateurs bienveillants, qui mèneront le joueur doucement jusqu'à un grand plaisir de jeu, on peut aussi voir dans cette relation (car il n'y a pas d'erreur : malgré le fait qu'ils ne se connaissent pas, la relation entre un joueur et le développeur est très intense une fois le jeu démarré !) un combat, la plupart du temps truqué, dans lequel les deux camps se rendent coup pour coup. Et je crois que les créateurs de jeux ont bien compris, et ce très tôt, le plaisir incomparable qui réside dans la maîtrise d'une maniabilité qui n'épouse pas parfaitement la forme des mains et des habitudes. Et cette impression de dompter une maniabilité retorse est comparable à celle de se rebeller contre son créateur, de lui cracher à la figure en lui signifiant qu'on a gagné, contre toute attente. Une victoire bien évidemment parfaitement prévue par le développeur, et quelque part le joueur le sait très bien, cela fait partie de la suspension d'incrédulité propre au JV. Je pense que seuls certains superplayers et les speedrunners peuvent prétendre au titre de vrais "rebelles" puisqu'ils s'appliquent à "briser" le jeu initialement prévu.
Je paraphrase un petit peu, mais ce plaisir est comparable à celui que l'on éprouve lors de la pratique des sports ou des arts martiaux : les premières semaines on a l'impression qu'on y arrivera jamais, que répéter sans cesse les mêmes mouvements basiques n'amène à rien alors qu'on aimerait apprendre "cette fameuse technique de pro qu'on a vu à la TV". Et plus les semaines passent, et plus la mémoire musculaire fait son travail, ce qui paraissait difficile et fatiguant se grave dans le corps comme une seconde nature ; et quand on repense, des années plus tard, à tout le chemin parcouru pour faire rentrer de force tous ces mouvements contre-intuitifs, on a un petit sourire aux lèvres en pensant qu'à un moment, comme un idiot, on a pensé abandonner.

Papers, Please, avec son interface qui fait tout pour que le joueur peste contre son poste de travail, contre l'administration, peut tout à fait générer un grand plaisir de jeu, voire même du flow. J'ai été ouvrier pendant 8 ans, et je peux dire, la mort dans l'âme, que l'être humain se débrouille toujours pour s'amuser, même et surtout dans les situations qui ne sont pas amusantes. A vrai dire, c'est la condition sine qua non pour ne pas tourner la carte trop vite, dans ce milieu professionnel...
Tu as précisé plus haut, je crois, que tu t'étais installé un fond d'écran spécial pour jouer au jeu en fenêtré. Tu t'es donc approprié ton espace de jeu, tout comme un travailleur s'approprie son espace de travail à l'usine pour rendre son boulot moins désagréable. Ce plaisir d'appropriation, voire de transgression, est totalement générateur de plaisir pour soi, puisqu'il rend le jeu plus agréable à jouer, mais aussi en soi car cela donne l'impression de briser les règles, de se rebeller, ne serait-ce qu'un petit peu, contre un système qui nous a été imposé de force.

J'ajoute que ça fait très plaisir de lire ces échanges par ce dimanche matin enneigé
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"Si Kage t'y arrives pas, essaie les pruneaux d'Agen !"

Shenron, pendant une soirée Virtua Fighter 5 Ultimate Showdown.



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