J'ai longtemps entretenu un malentendu avec les jeux de course, celui qui consiste à croire que pour aimer ce genre, il faut aimer les voitures elles-même, la mécanique et la conduite en général. C'est directement relié à ma relation avec le patriarcat et la perception de la virilité, mais je me suis longtemps trouvé en porte-à-faux avec tout ce qui semblait nécessaire pour « être un homme », et rejeter en bloc tout ce qui y avait trait de près ou de loin. Tout ceci m'a laissé nombre de bleus à l'âme – et au corps ! - que je m'emploie à soigner encore aujourd'hui, mais les jeux de course ont été la victime collatérale de cette lutte identitaire,
Gran Turismo n'ayant rien fait pour arranger les choses avec son côté techos amoureux des belles bagnoles.
Depuis, d'autres jeux sont passés par là, surtout
Crash Team Racing,
Outrun et
Sonic Vroom, et comme d'autres genres comme le FPS (mais pour d'autres raisons), je m'emploie à la reconstruction de ce pont métaphoriquement détruit – ben oui, il faut bien une route sur quoi rouler !
Ce qui m'amène à Slipstream, jeu pris un peu sur un coup de tête en voyant de bonnes évaluations (surtout celle de Simbabaad en fait), et comme après avoir fini un jeu, j'aime changer radicalement de genre, il rentrait tout à fait dans mes critères. Je l'ai lancé sans trop être convaincu, sans m'attendre une seule seconde à prendre une telle baffe, à me retrouver devant ce qui doit être un des tous meilleurs jeux de course auquel j'ai pu jouer.
Slipstream, c'est un peu le petit frère néo-rétro d'
Outrun qui serait tombé amoureux de Sega, et surtout de Sonic en fait, la moitié des pistes portant des noms comme Chemical Plant ou Mystic Caves. Il en reprend les mécaniques générales, soit les courses en temps limité, les embranchements à la fin des pistes et l'ambiance décontractée.
En lançant une partie, on arrive sur le menu des modes de jeu, nombreux et assez complets.
Le mode
Grand Tour est ce qui se rapproche le plus de
Outrun structurellement parlant : une suite de pistes avec un chrono qui signe la fin de partie quand il touche 0, et un choix de pistes entre chaque finish.
Le
Cannonball vous met en compétition avec ce qui représente la véritable difficulté du jeu : les
rivaux. Bien meilleurs que les voitures lambda que vous croiserez sur la route, vous devrez tous les dépasser avant la fin de la course pour remporter ce mode.
Single Race et
Time Trial font office d’entraînement, mais
Grand Prix est un cousin de
Gran Turismo dans lequel vous allez commencer avec une voiture nulle (tous ses attributs sont au minimum) et un peu d'argent. En fonction de votre performance, vous allez toucher un pactole qui permettra de mettre l'engin à niveau, le tout étant bien sûr de remporter les 5 courses proposées à la fin.
Quant au
Battle Royale, c'est une sorte de Cannonball plus épicé puisque sur une longue course de 16 pistes, le dernier est systématiquement éliminé à la fin de chacune des pistes ! Sachant que vous partez forcément bon dernier, il va falloir foncer pied au plancher pour non seulement finir premier, mais avant tout ne pas se faire sortir de la course.
Mais avant tout ça, il vous faudra passer quelques minutes dans le
Tutorial. Pas bien long, il explique tout de même les deux mécaniques de jeu indispensables, sans lesquelles vous ne finirez même pas la première piste - en fait, vous ne passerez même pas le premier virage :
le dérapage et l'aspiration.
Il faut bien se mettre dans la tête que dans Slipstream, on dérape. On
doit déraper, il est impossible de prendre le moindre virage à vitesse normale sans se gaufrer dans le décor. Cela nécessite une manipulation qui devient vite une seconde nature, celle de relâcher l’accélérateur, mettre un très bref coup de frein, puis vite appuyer de nouveau sur le champignon. Sur un pad Playstation, on fait R2 > L2 > R2, très vite, il faut comprendre le timing. Ici, il n'est pas question de trajectoire, du moins pas dans le sens "
extérieur, intérieur, extérieur", mais plutôt dans le sens où il faut se positionner pour ne pas rentrer dans le pare-choc arrière d'une autre voiture tout en dérapant, ce qui est tout un art !
D'ailleurs, on en voit beaucoup, des pare-choc arrière, grâce à la seconde mécanique indispensable, l'aspiration (
slipstream, en anglais). En restant derrière une autre voiture, on remplit une jauge qui, lorsqu'elle est pleine, propulse la voiture dans un boost de vitesse brutal, permettant de dépasser tout le monde. Tant qu'on reste à peu près derrière, on bénéficie de l'aspiration pendant assez longtemps pour remonter le peloton, à condition de savoir se placer dans les lignes droites et les virages. C'est la seule solution viable pour espérer vaincre les rivaux, qui conduisent bien et ne commettent que peu d'erreurs, mais ne bénéficient pas de ce boost ! Sans elle, vous serez immanquablement condamné aux dernières places...
Le gros point fort du jeu, c'est que les mécaniques n'ont pas été créées après avoir dessiné les circuits, mais le contraire : tous les circuits et modes de jeu ont été construits en pensant que le joueur devait courser ses rivaux en dérapant comme un malade et en tentant de prendre l'aspi. Ça donne un jeu «
facile à comprendre, difficile à maîtriser » des plus grisants. Il y a une sensation de vitesse et de pilotage au cordeau parfaitement retranscrite, et qui pousse naturellement à compléter tout ce que le jeu a à proposer.
Et il en a, des choses à proposer. En fait, il a même un système de succès interne qui constitue la motivation principale à faire toutes les pistes, débloquer celles qui sont cachées, essayer tous les modes de jeu, apprendre tous les embranchements...Certains m'ont fait frôler la crise de nerfs, notamment celui consiste à vaincre tous les rivaux en mode Grand Tour sur une même course. Il m'a fallu une grosse dizaine d'heures avant de pouvoir prendre ce screenshot au-dessus, j'étais super fier

C'est surtout dû au fait qu'en plus d'être très agréable à prendre en main, il a aussi un côté bluesky-détente, où on conduit une grosse bagnole avec des musiques synthwave en mettant des vieilles cassettes dans l'auto-radio, les cheveux au vent sur des pistes qui n'ont pas grand chose de réaliste...
J'ai totalement adoré, de bout en bout, même si il m'a bien énervé par moments ! J'ai encore ce bout de carnet où j'ai noté toutes les routes, les musiques qui me restent en tête (
Gonna Get It est la meilleure à mon avis), et je l'ai bouclé à 100% en ignorant les succès que Steam a ajoutés qui n'apportent rien car soumis à l'aléatoire. Une de mes meilleures expériences de 2020.
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"Si Kage t'y arrives pas, essaie les pruneaux d'Agen !"
Shenron, pendant une soirée Virtua Fighter 5 Ultimate Showdown.