Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Laurent (14 décembre 2002) Atari... À la seule évocation de ce nom magique c’est toute une époque qui ressurgit, hélas disparue à jamais. Pourtant, au cours de son histoire (surtout après son rachat par Warner et le départ de Nolan Bushnell), Atari a plus d’une fois péché par avidité, et s’est souvent comporté en compagnie tentaculaire écrasant toute concurrence, de la même façon qu’un certain pourvoyeur de fenêtres qu’on montre plus facilement du doigt aujourd’hui. Cela méritait d’être dit, de même qu’Atari s’est rendu coupable d’une certaine quantité de daubes historiques dont la plus mémorable est certainement E.T. The Extra-terrestrial. La recette du succèsLa console Atari VCS, notamment la série 2600, est l'une des plus célèbres de l’histoire. Malgré son hardware très seventies, cette machine inoubliable a fait découvrir les jeux vidéo à une grande partie du public européen, détérioré des millions de tubes cathodiques pour le plus grand plaisir de ses possesseurs (elle se branchait dans la prise antenne des téléviseurs) et s’est également longtemps imposé aux US comme un achat incontournable. La maîtrise d’Atari en matière de marketing a permis à la VCS de rester en tête des ventes pendant une bonne partie des années 80, et cela même après que d’autres concurrentes plus attrayantes (Colecovision, Vectrex, Intellivision) eurent fait leur apparition.Ce succès et cette longévité s’expliquent certainement par la ludothèque pléthorique de cette console, où le meilleur à toujours côtoyé joyeusement le pire. Grâce à des licences savamment acquises au bon moment, les ventes de ces cartouches, qui renfermaient parfois des adaptations honteusement bâclées de standard très vendeurs, ont toujours été excellentes et on peut sans problème attribuer à Atari l’invention de la majeure partie des techniques marketing qui ont longtemps régi le lancement d’une console : prix du hardware revu dès que possible à la baisse, parc de jeux grossissant de façon exponentielle, pubs TV insistant sur la fonction sociale de la console plutôt que ses jeux, support résistant (un peu) au piratage, association de tout produit relatif à la console au label Atari, jeux vendus au prix fort etc. Dans certains cas, le joueur fut vraiment le dindon de la farce. C'est par exemple ce qui s'est passé pour la conversion de Pac-Man, qui n’égale même pas les versions en BASIC pour micros 8-bits publiées peu après dans Hebdogiciel. Le responsable de ce scandaleux sabotage (qui fut pourtant un succès éclatant et contribua largement à la réussite de la VCS), à savoir le développeur Todd Frye, s’est toujours justifié en prétendant qu’Atari lui avait imposé une limite de 2 Ko pour le code machine (ce qui est certes assez peu !), ainsi que des temps de développement très serrés. Dans sa volonté de toujours agir avant la concurrence, Atari s’est en effet souvent imposé des plannings impossibles, motivés par l’approche d’une date importante sur le plan commercial : fêtes de fin d’année bien sûr, mais aussi Halloween, Thanksgiving, la finale du Rose Bawl ou même la fête nationale. La faisabilité technique était parfois au second plan des préoocupations, et si les jeux qui en résultaient allaient simplement rejoindre la pile de cartouches disponibles sur VCS, les développeurs qui les réalisaient n’étaient guère mieux considérés. Plutôt grassement payés aux dires de certains d’entre eux, ils restaient toutefois dans un total anonymat, leur nom n’étant mentionné nulle part sur l’emballage ou la notice du jeu. Il ne s’agit pas d’un manque de considération personnel, simplement d’une certaine incapacité, de la part des dirigeants d’Atari, à distinguer un jeu vidéo de n’importe quel produit électronique. Le concepteur d’une télévision ou d’un poste de radio ne signe par son œuvre, alors pourquoi un programmeur de jeu vidéo le ferait-il ? Ce malentendu a fini par se retourner contre Atari lorsque ses meilleurs développeurs ont renoncé à leur salaire confortable pour prendre le risque de monter des studios indépendants comme Activision ou Imagic, et ont prospéré en lançant d’excellents jeux qui ont fait d'eux des célébrités. E.T. The Extra-Terrestrial symbolise à lui seul ce passage de l’histoire d’Atari, et marque pour beaucoup le début de ce qu’on appelle le North American 1983 video game crash, qui a abouti à la disparition des VCS, Intellivision, Coleco et Vectrex. Spielby le petit génieOn ne s’étendra pas trop sur E.T. L’Extra-Terrestre, film de Steven Spielberg sorti début 1982. C’est un des plus gros succès de l’histoire du cinéma et tout le monde l'a vu (9 millions d’entrées en France, 700 millions de $ de recettes mondiales, de nombreuses diffusions télé, plusieurs sorties en salles et éditions DVD...). Il faut tout de même insister sur le fait qu’en 1982 ce fut une sensation mondiale, un véritable phénomène de société. Même si Spielberg n’en était pas à son coup d’essai (Les Dents de la Mer, Rencontres du 3ème Type et Les Aventuriers de l’Arche Perdue sont antérieurs), c’est avec ce film que tout le monde a commencé à retenir son nom et y associer le visage d’un homme de 35 ans (c'est plutôt jeune por un metteur en scène), barbu, capable de toutes les magies, comme les autres wonderboys que sont Francis Coppola, Martin Scorcese, Georges Lucas et Brian de Palma, tous barbus (à l'époque) et qui se connaissent, s’apprécient et se concertent souvent.L’exploitation d’un film à travers ses produits dérivés étant une invention de Georges Lucas, vieil ami de Spielberg, il est logique qu’E.T. ait fait l’objet d’une vaste promotion à base de figurines, jouets, autocollants... Ainsi, durant l’été 1982, le petit extra-terrestre porteur d’un message humaniste (paradoxe typiquement spielbergien qui émut le monde entier) apparaît un peu partout. L’idée d’un jeu vidéo s’impose d’elle même, d’autant que les personnages principaux du film sont des enfants sevrés à la borne d’arcade (l’un d’eux, le grand-frère d’Elliott, porte même un t-shirt Space Invaders), et aussitôt Atari se met sur les rangs. La licence est obtenue moyennant un chèque d'un montant estimé entre 20 à 25 millions de dollars, ce qui est alors un record (pour comparaison, le film n’a coûté que 11 millions de $). Les négociations ayant un peu traîné, et on comprend aisément pourquoi, le développement ne peut commencer avant juillet 82. Howard Scott WarshawYar’s Revenge est un des plus gros succès obtenu par Atari sur VCS, de même que Raiders of the Lost Ark. Il s’agit de titres accrocheurs, innovants et bien réalisés qui font honneur à la ludothèque de la console . Leur auteur est Howard Scott Warshaw, un des meilleurs éléments de l’écurie Atari.À l’été 82, la mission de concevoir et programmer un jeu sur le thème d'E.T. lui est confiée. Atari entend sortir le jeu pour Noël, ce qui signifie, compte tenu des délais d’édition et de fabrication de cartouches, que le jeu doit être prêt début septembre. Warshaw ne dispose donc que de 6 semaines, ce qui est au bas-mot trois fois moins que le temps généralement consacré au développement d’un bon jeu VCS. Il se met au travail, procédant comme on le fait en ces temps où les jeux vidéo ne sont encore l’œuvre que d’une seule personne : il conçoit et met au point divers éléments animés et cherche à les combiner pour en tirer un concept intéressant. On se souvient qu'Eugene Jarvis, créateur de Defender, avait, de la même façon, passé de longues semaines à animer les personnages qui se promènent sur la surface de la planète durant la partie, sans savoir encore quel serait le but de son jeu. Au final, ces animations ne sont qu’un élément décoratif du jeu, mais c’est pendant le temps passé à les programmer que Jarvis a fini par trouver l’inspiration, au prix de circonvolutions dont lui seul se souvient. Si on l’avait obligé à sortir son jeu au beau milieu de ce processus créatif, celui-ci aurait été complètement décousu et n’aurait rien eu à voir avec le résultat fulgurant qu’on connaît. C’est exactement ce qui s’est passé pour Howard Philip Warshaw. Au bout de 5 semaines de travail, alors que l’échéance de septembre 82 approche à grands pas, il ne dispose que de quelques éléments constitutifs d’un jeu sans lien aucun entre eux, sinon qu’ils s’inspirent tous de scènes-clés du film. À quelques jours de la livraison, il rend même visite à Spielberg et lui montre le jeu. Poliment, Spielberg lui répond : "Pourquoi n’avez-vous pas fait une sorte de Pac-Man ?", ce qui n’aurait pas été si bête compte-tenu des circonstances : un concept déjà établi, adapté vite fait bien fait à la sauce voulue. Mais Warshaw est ambitieux et veut que son jeu reflète l'enchaînement d'émotions que le public a ressenti au cours du film : peur qu'E.T. soit capturé, compassion face à son désir de retrouver les siens, attendrissement devant son amitié avec un petit garçon, émerveillement face à ses pouvoirs télépathiques et psychokinétiques, désespoir de le voir agoniser, mélange de joie et de tristesse lorsqu'il quitte la Terre. Il estime, pour cela, que le jeu doit être divisé en séquences clairement définies et se dérouler en temps limité sur sa globalité. VerdictE.T. est, de tous les jeux Atari sortis sur VCS, celui qui dispose du manuel d’utilisation le plus soigné. Il faut avouer que ça en jette lorsqu’on ouvre le boîtier qui avait déjà fait forte impression en arborant une magnifique illustration inspirée du film. En fait, les instructions sont complètes et richement illustrées car elles expliquent le jeu dans sa totalité. Elles en donnent même la solution. Pourquoi ? Parce que le jeu est tout simplement incompréhensible. Y jouer sans avoir longuement lu le livret en question est, ceci dit, une expérience hors du commun (que votre serviteur vécut et vous conseille). On navigue en pleine abstraction, quelque part entre Ionesco et Chapi-Chapo. Le jeu commence plutôt bien, par une page de présentation (chose très rare dans les jeux VCS) représentant le visage d’E.T. reproduit avec des pixels d’une petitesse dont on n’aurait pas cru la console capable. L’image fait sa petite impression, et pourtant la musique qui l’accompagne, reprenant la mélodie composée par John Williams pour le film -mais reproduite de façon assez risible sur une seule petite voie sonore (sur les deux dont disposait la VCS)- devrait nous inciter à nous méfier. C’est alors que le jeu proprement dit commence et qu’on sombre dans l’abscons. E.T. apparaît au milieu d’un fouillis graphique dont la vision du film nous aidera à deviner qu’il s’agit d’une forêt. Un vaisseau un peu plus grand que lui le dépose, puis s’en va, l’oubliant sur place (là encore, heureusement qu’on a vu le film). Bonne surprise, E.T. répond quand on tortille du joystick et soulève la tête quand on presse le bouton, même si la chose ne semble pas servir à grand chose dans un premier temps. On commence à se promener, et dans chacun des 6 écrans qui constituent le décor du jeu (vous avez bien lu : 6, pas un de plus) figurent des formes géométriques. Celles-ci sont en réalité des gouffres. On se demande quel est le rapport avec le film, mais une chose est sûre, dès qu’on s’approche à moins d’un centimètre de ces gouffres, on y tombe. C’est alors qu’on comprend à quoi sert le lever de tête de E.T. : à sortir des gouffres.Au bas de l'écran figure un compteur qui diminue à chaque action d’E.T. (déplacements compris). On comprend vite qu’il s’agit de son compteur d’énergie. Mais que faut-il faire ? Cette question trouve une réponse, rassurez-vous, mais uniquement dans le manuel : il faut trouver les pièces qui constituent le téléphone intergalactique qu’E.T. s’est bricolé, revenir à la forêt initiale, actionner le "téléphone maison", et attendre que le vaisseau arrive pour pouvoir rentrer. Autant le dire tout de suite, la mission est pratiquement impossible à moins d’atteindre les sommets du zen et de la dextérité. Deux personnages apparaissent à tous les coins d’écran : un agent du FBI en imperméable et une sorte de sosie de la statue de la liberté qui est, à bien y regarder (et avec beaucoup d’imagination), un scientifique en blouse blanche avec une lampe frontale sur la tête. Ces deux méchants ne font rien d’autre que trimbaler E.T. dans un écran qui est censé représenter la ville de Washington (au moyen de formes géométriques représentant la Maison Blanche). Cela ne le tue pas, mais il gaspille de l’énergie pour retourner là où il a quelque chose à faire (en plus de la confiscation des pièces de son téléphone par l'agent), et le compteur descend sans cesse. Entre les gouffres dans lesquels on tombe sans arrêt, les méchants qui débarquent à tout bout de champ et sont quasiment impossibles à éviter, et l’indigence extrême des graphismes (même pour un jeu VCS), inutile de dire que n’importe quel forme de vie terrestre normalement constituée aura démoli sa console, ses joysticks et sa télé dans un accès de rage au bout d’une dizaine de minutes de jeu, soit à peine plus de temps qu'en avait pris la lecture du manuel. Le summum est atteint lorsqu’on a enfin réuni les pièces du téléphone. Il faut alors se rendre dans la forêt et appeler le vaisseau-mère, mais celui-ci ne vient pas tout de suite, et en l’attendant il faut esquiver les deux cerbères, gaspillant les dernières réserves d’énergie du pauvre E.T. Il y a d’autres choses à signaler dans le jeu, comme les bonbons que laisse Elliott par endroits, qui donnent un peu d'énergie, ou l’apparition occasionnelle de celui-ci, venant réconforter E.T. Dans certains gouffres il y a une fleur fanée qu’E.T. peut ramener à la vie, ce qui lui octroie aussi un bonus d’énergie. C’est à peu près tout. À noter que le personnage d’Elliott et la fleur sont étonnamment bien animés et dessinés, confirmant que le jeu aurait pu être réussi si son auteur avait eu plus de temps. Le manuel stipule, non sans un certain humour, que : " ...la réussite dans la reconstitution du téléphone et l’appel du vaisseau permettent à E.T. de rentrer chez lui. Le joueur débute alors un autre niveau. La partie s’achève quand E.T. n’a plus d’énergie ou quand le joueur décide d’y mettre fin."... Devinez ce qui arrivait en premier la plupart du temps... Soudain le bideOn l’aura compris : la page de présentation soignée, l’illustration de boîtier très travaillée et le manuel imposant ne sont que des ajouts de dernière minute opérés par Atari pour essayer de faire passer la vente au prix fort d’un produit non fini. Ce genre de pratique est courant, mais dans le cas d’E.T. le destin a eu l’honnêteté de faire de l’opération un échec commercial sans précédent, qui a causé un tort inestimable à Atari. Pourtant lorsque le jeu est lancé pour les fêtes de noël 82, personne chez Atari ne doute de son succès. Après tout, Pac-Man s’était vendu sur son seul nom, en dépit d’une réalisation catastrophique. C'est oublier que dans ce cas, il s’agissait tout de même d’un vrai jeu vidéo qui présentait un certain intérêt à être joué. E.T. est donc annoncé en grandes pompes, avec force promotion, et pas moins de 6 millions de cartouches sont fabriquées, ce qui est grosso modo le nombre de consoles VCS, clones et systèmes d’adaptation de jeux VCS pour Intellivision et Colecovision vendus jusque là... Seulement 1 million et demi de cartouches trouveront preneur (un bon score dans l'absolu mais une déconvenue terrible vu le contexte). Selon la légende, les autres exemplaires auraient fini au Nouveau-Mexique, abandonnés dans un hangar ou enterrés quelque part. Ces cartouches perdues sont, avec les exemplaires du Tetris sur NES commercialisé par Atari (label Tengen) et qui fut retiré de la vente, très recherchées par les collectionneurs. En-dehors d'une perte financière colossale (on parle de 100 millions de dollars), l'affaire E.T. aura largement contribué à dégrader l’image d’Atari, cette mauvaise réputation concernant aussi, et de manière injuste, ces futures consoles (Atari 5200 et 7800 notamment). Howard Scott Warshaw ne sortira pas trop terni de l’affaire. On le considère encore comme une sommité de la programmation de jeux VCS et il n’est pas du tout rancunier envers ses employeurs, reconnaissant sans problème que lui et ses pairs étaient infiniment mieux rémunérés à l’époque que les game-designers d’aujourd’hui. Après l’abandon des consoles par Atari, il quitte le monde des jeux vidéo et se lance dans la réalisation d’une série de documentaires intitulés Once Upon Atari, racontant l’histoire de la firme. Il finira pas revenir aux jeux vidéo à la fin des années 80 en rejoignant la compagnie 3DO, participant au développement du système 3DO et aux jeux créés par la société. ConclusionAvec une telle licence, il fallait vraiment le faire exprès pour ne pas obtenir un franc succès commercial, et Atari a réussi cet exploit. Par la suite, avec l’arrivée de Jack Tramiel, la compagnie retrouvera son flair et son savoir-faire, et tirera un trait sur ce genre de pratique. Peut-être doit-on voir dans cette histoire un exemple de ce qui peut arriver quand la production de jeux vidéo est confiée à des gens qui ne s’y entendent qu’en affaires. Envie de réagir ? Cliquez ici pour accéder au forum |