Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Tama (24 décembre 2012) Dans la « carrière » de chaque joueur, il y a des jeux qui rentrent dans des catégories assez nettes. Il y a les excellents jeux qui sont unanimement reconnus comme tels. Pour certains d'entre eux ce sont des jeux cultes qui reviennent très souvent dans la liste des meilleurs jeux sur leur plateforme, ou de leur époque. Dans la vie de joueur, il y a de tout ça. Mais il y a aussi Flower, Sun and Rain. Lui ne rentre pas dans une catégorie précise, et encore maintenant je n'arrive pas à me décider si je l'apprécie ou pas... Les jeux vidéo sont habitués à chatouiller le quatrième mur. Ça ne date pas d'hier, mais on constate une recrudescence des petits clins d'œil ou des moqueries ces dernières années, surtout venant des jeux issus de la scène dite « indépendante ». Mais très souvent elles ne portent pas à conséquence, et sont là pour faire rire, ou pour faire un clin d'œil appuyé, comme un signe de reconnaissance entre vétérans. Sorti en 2001 sur PS2 au Japon, FSR va connaître une seconde vie sur DS en 2009 et aura la chance de sortir des frontières nippones, cette fois. Développé par Grasshopper Manufacture, la décision d'une sortie mondiale a probablement été motivée par le succès de No More Heroes sur Wii, voire du relatif succès d'estime de Killer 7 avant lui. Quoi qu'il en soit, le jeu revient sur la portable de Nintendo avec des énigmes supplémentaires et optionnelles, ainsi que la possibilité de débloquer des costumes avec un New Game +... ce qui est totalement inutile. Le jeu de base se suffisait à lui-même et ces rajouts ne servent à rien, et surtout pas à améliorer l'expérience de jeu... qui n'avait pas besoin de ça de toutes façons. L'histoire donne le ton : vous incarnez Sumio Mondo, un « chercheur » qui est envoyé sur l'île de Lospass pour résoudre un problème insoluble. Un terroriste menace de faire sauter l'avion de Lospass à la fin de la journée, et on doit l'en empêcher. Cependant, on apprend très vite que l'île est prise dans un champ magnétique si particulier que les habitants sont condamnés à revivre le même jour en boucle. Dans la pratique, il s'agit d'un point'n click, où l'on va diriger Sumio sur l'île de Lospass et résoudre des énigmes. Notre « chercheur » (qui semble chercher n'importe quoi, tant qu'on annonce la couleur) est hébergé à l'hôtel Lospass où va se dérouler l'écrasante majorité du jeu. Pour l'aider, le maître d'hôtel Edo MacCallister va donner au héros le guide de voyage de l'hôtel... le rapport ? En fait, toutes, et je dis bien TOUTES les solutions aux énigmes du jeu se trouvent dans ce guide. Bien entendu les réponses sont cryptées et il va falloir deviner comment les interpréter. Parfois c'est tellement simple que c'en est insultant (on retrouvera un peu ce style dans les énigmes de Killer 7), et à d'autres moments c'est si abscons qu'il me paraît difficile de trouver sans l'aide d'une soluce. La structure du jeu, elle, est assez simple : pendant la journée vous allez tenter de résoudre les mystères de l'île avant d'être interrompu par un habitant de l'hôtel qui a besoin d'aide. Bonne poire, Sumio accepte, ce qui vous demandera de vous plonger dans la lecture du guide afin de trouver la solution de l'« énigme ». Je mets des guillemets car je sur-estime les problèmes des résidents ! L'un cherche à discuter de foot et veut connaître la formation de telle équipe nationale pendant telle Coupe du Monde, ou bien le barman vous demande les dosages pour faire un cocktail en particulier ; ou encore ce sera un luchador qui n'arrive pas à progresser dans ses combats et qui a besoin de motivation. Bref, Sumio est trop gentil et sert ouvertement de coursier bénévole. Et le temps que vous finissiez ce que vous avez à faire, l'avion piégé par le terroriste explose et la journée prend fin. Vous recommencez ensuite la journée et un autre résident viendra quémander votre aide, etc. etc. Je mets fin au suspense tout de suite, même si je ne suis pas certain qu'il y avait du suspense au premier abord : le jeu est clairement mauvais. Pour commencer il est très laid, au point que le portage réussit à être pire que l'original sur PS2. Chapeau. Mais je ne le ferai pas, et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, il y a une ambiance complètement géniale qui se dégage de ce jeu. On passe de répliques hilarantes de second degré à des instants où on frise la scène d'horreur indicible. Le jeu s'amuse à sauter du coq à l'âne dans une incohérence de façade qui a un charme incroyable. Cela tient aux dialogues très bien écrits, aux musiques parfaitement insérées dans le récit, aux silences parfaitement bien gérés...C'est trop bon pour être honnête, j'ai eu l'impression de me retrouver dans un épisode de la série Twin Peaks, il faut creuser le sujet. Ensuite, et ça va faire très « fanboy », c'est un jeu estampillé Grasshopper, et donc il y a Suda Goichi aux commandes. Et il est à la fois trop sérieux et trop cinglé pour se contenter de faire un jeu pareil sans arrière-pensée. Après tout on commence à le connaître, l'animal. Et pour finir sur une note plus pragmatique, le jeu semble vouloir parler au joueur. Et c'est ce point, très dérangeant dans son élaboration, que je vais aborder. Les jeux vidéo, comme toute œuvre de fiction, partent du principe que le joueur et le créateur forment un « pacte » implicite. Le premier fait semblant de ne pas voir qu'il effectue des tâches similaires et répétitives à longueur de temps ; et le second donne son maximum pour que la répétitivité - et au fond, l'ennui - de son gameplay se voit le moins possible, voire pas du tout...L'idéal étant que le joueur croit vraiment qu'il fait sans cesse quelque chose de différent et d'intéressant, alors que tout ce qu'il fait est d'appuyer sur des boutons au bon endroit et au bon moment. Pour faire une comparaison, il y a des trucages dans les films d'action, que ce soit des câbles, des fausses explosions ou des cascadeurs. Le spectateur se doute bien que les gens ne meurent pas pour de vrai, ne volent pas à des mètres de hauteur ou ne se font pas vraiment tirer dessus ! Tout ça, c'est du chiqué, c'est pour de faux. Mais on fait semblant, et tout le monde y trouve son compte, créateur comme spectateur (NDMTF : Gérard Genette parle pour la Littérature de « pacte fictionnel », bien qu'on utilise plus régulièrement l'expression « suspension d'incrédulité » [suspension of disbelief en anglais] pour les arts visuels en général.) (NDChatpopeye : j'allais le dire.) Avant de continuer, je me permets un petit écart. Cette déconstruction, analyse et moquerie des gestes du joueur moyen a été au centre des réflexions de Suda Goichi pendant un bon moment, au moins pendant le trio Flower, Sun and Rain/Killer 7/No More Heroes. Il a changé de fusil d'épaule récemment avec Shadows of the Damned et Lollipop Chainsaw où il aborde la place des genres et des sexes dans le couple, ainsi que le concept de virilité et de féminité. Bref, revenons à notre hôtel et à notre boucle temporelle. C'est en cela qu'il fait exprès d'être mauvais : FSR prend un malin plaisir à exposer au grand jour les ficelles du jeu vidéo, et à s'en moquer à haute voix. Seul Sumio semble respectueux des apparences et fait tout pour préserver un tant soit peu de mystère, en vain. Le jeu est radical car il ne prend pas de gants et va jusqu'au bout de son idée : à aucun moment il ne va être plaisant à jouer sur le plan du gameplay. Tout est archi-guidé, linéaire au possible (le jeu se moquera même de vos piètres tentatives de faire des écarts) et vous devez sans cesse ouvrir ce satané guide pour trouver des solutions. Que ce soit clair : on ne joue pas à FSR pour le plaisir de jeu, mais pour le plaisir de voir qu'un jeu peut être jusqu'au-boutiste en alliant son gameplay (et ses carences) à son propos. Mais dans ce cas, c'est fait de manière si extrémiste et carrément nihiliste qu'il est très difficile de dire si on a affaire à un bon jeu. En cela, je pense que le jeu est très représentatif de la période Grasshopper à ses débuts, alors que Suda Goichi se cherchait un peu et n'avait pas encore affiné son style. Ses jeux suivants seront en effet bien plus agréables à prendre en main et garderont toujours cet aspect iconoclaste... même si on pourra leur reprocher d'être plus « gentils ». Et encore. Mais comment cela se traduit-il dans les faits ? En général, quand un jeu s'essaie à l'art de titiller le quatrième mur, il le fait via son personnage principal. Le héros fera montre d'une répartie cinglante, et peut-être même que le narrateur fera des siennes, de sorte à faire du joueur une sorte de voyageur omnipotent, un complice dans la blague que constitue le petit affront à ce fameux pacte. Le jeu fera donc de nombreux clins d'œil au joueur avec beaucoup d'humour et des références vidéo-ludiques. Dans le jeu, on voit que cette « comédie » est exposée de la plus brutale des manières via le personnage de Shotaro. Pour faire court, c'est un sale gosse résidant à l'hôtel qui va vous demander d'aller chercher son ballon...et vous couvrir d'insultes en tous genres. Si ce n'était que des remarques d'enfant de 8 ans, on aurait passé l'éponge ou Sumio aurait rapporté les faits à sa maman. Mais non, Shotaro se fout éperdument de lui en lui signalant que la musique du jeu n'est faite que de remixes de Debussy, que son guide est tout pourri et que c'est vraiment crétin que le jeu l'oblige à faire sans cesse des allers-retours alors que son objectif est juste derrière le portail de l'hôtel, bloqué par un mur invisible ! Et là, Sumio craque. Lui que l'on croyait placide, professionnel, gentil, serviable et toujours maître de lui-même entre dans une colère noire ! Il lui hurle dessus comme un acteur engueulerait un caméraman qui aurait raté sa prise alors qu'on tourne pour de vrai, là. Va jusqu'à réclamer son expulsion du jeu, si ce n'est pas son exécution pour crime majeur ! Sumio résiste et se pose comme le gardien, fragilisé, d'un secret ancestral. C'est l'exemple le plus brutal, et à partir de là le jeu commence à prendre une tournure assez... incroyable. Imaginez que vous soyez au cinéma avec le réalisateur du film en personne, qui vous commente et vous fait lire le script en même temps que vous visionnez le film. C'est presque s'il ne vous raconterait pas des anecdotes croustillantes sur le tournage ! Toute l'histoire de FSR, et de la vraie quête de Sumio Mondo, se trouve là. Cette histoire de boucle temporelle et de menace terroriste est directement liée à la condition du détective, avatar indispensable mais remplaçable du joueur. Car Sumio se sait indispensable... mais n'arrive pas à saisir pourquoi il a si peu d'importance au final. Pourquoi est-ce qu'il échoue sans cesse, recommence la même journée et ne progresse pas ? C'est ce que le jeu va lui apprendre, car tous les autres protagonistes du jeu sont partie prenante de cette quête initiatique qui fait office de mise en abyme spectaculaire. Ils vont essayer de « réveiller » Sumio et de lui faire comprendre qu'il est remplaçable, qu'il n'est qu'une « vie » au compteur du joueur et qu'il doit tirer partie de cela pour « battre » le terroriste Sundance Shot et finir le jeu pour de bon. Que c'est lui qui va sauver l'île, mais ce ne sera pas nécessairement « lui ». Résumons : Sumio arrive sur Lospass pour qu'il fasse montre de ses talents de détective, afin de délivrer l'île d'un mal qui la ronge. Il ne sait rien de cette île et se retrouve plongé malgré lui dans un univers dont il va devoir apprendre les codes. Sumio utilise Catherine, une valise ultra-perfectionnée, pour se « brancher » aux énigmes et pouvoir les résoudre. Sumio se lève chaque jour et accomplit les tâches qui lui sont imposées pour, lui dit-on, sauver l'île de la double menace qui la ronge. Sumio effectue les mêmes tâches rébarbatives et sans intérêt, s'en rend compte et finit par comprendre que sa présence dans ce décor grotesque n'est pas celle qu'il espérait. Que sa quête n'a pas du tout le sens qu'il lui prêtait. Sumio est très déçu car ce n'est pas à ça qu'il était préparé. Cette déception vient du propos central du jeu : l'illusion du choix. Cet angle de vue fait encore plus sens quand on se souvient du contexte. En effet, les jeux vidéo étaient de plus en plus photo-réalistes mais aussi de plus en plus vastes. Les mondes explorés devenaient de plus en plus grands, et les joueurs avaient la sensation de pouvoir faire ce qu'ils voulaient à l'intérieur. FSR ne se donnera même pas cette peine. Vous allez faire ces fichus trajets pour que les deux protagonistes se racontent leur vie et disent ce dont ils auraient besoin si...bref, vous ferez ça pour rien. Et pendant que vous faites le coursier, l'avion décolle et explose, vous forçant à recommencer la journée en espérant trouver une autre solution. Toute cette argumentation pour vous montrer à quel point FSR est un jeu qui va loin dans son entreprise. Trop loin ? Suffisamment pour que son propos soit parfaitement intelligible. Comment faire réaliser que les jeux vidéo sont par nature une succession de faits rébarbatifs et de tâches ennuyeuses ? En mettant le joueur devant les faits. Ça paraît logique, non ? Je vais être sincère : je n'en sais rien. Il y a quelques années j'aurais répondu par la négative, mais FSR est venu bousculer mes certitudes. Parce qu'il n'est pas amusant au sens courant du terme, pas au sens de jeu. Mais il l'est dans ce qu'il fait passer via le jeu. Je ne le conseille pas à tout le monde, loin de là ! Il faut pas mal de patience, de compréhension et même de masochisme pour jouer à un jeu pareil. Vous aurez la sensation de vous être fait voler votre temps en le lui donnant...mais il vous rendra autre chose. Est-ce que cet « autre chose » en vaut la peine ? C'est à vous de voir. Sources, remerciements, liens supplémentaires : Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (19 réactions) |