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De Genji's Journey et du mélange des genres
Sur la base d'un test de Genji's Journey, jeu sur PC Engine qui mêle shoot'em up et plate-forme, Michael s'est livré à une anthologie analytique des jeux qui mélangent avec bonheur plusieurs styles, une pratique qui d'ailleurs semble se généraliser à mesure que le jeu vidéo gagne de nouveaux adeptes dans le grand public.
Par Michael (29 août 2003)

Genji's Journey
(ou "Genji Tsu(u)shin Agadema" ou encore parfois "Hero Agent")
Année : 1990 - Système : PC Engine - Développeur & Editeur : NEC Home Electronics - Support : HuCard

Introduction : Qui ? Par Qui ? Sur Quoi ? Pourquoi ? Sans déconner ?

Noël 1991. A une époque où les jeux d'aventure n'en finissent pas de couper le monde en tranches latérales, Genji, lui aussi, se met à courir de profil derrière la vitre, bien décidé à devenir un nouveau roi de la plate-forme 2D.

Nous devons cette tentative à NEC Home Electronics, soit une des filiales de NEC, le constructeur de la bécane (la PC Engine, bien sûr). Cette société est déjà à l'origine du développement et surtout de l'édition d'un bon nombre de jeux PC Engine en HuCards, en CD-ROM, puis de la majorité des jeux sortis sur PC-FX, la 32-Bits de NEC. Après l'échec commercial de cette dernière, NEC Home Electronics, avant tout développeur de processeurs et chipsets en tout genre, sort tout de même quelques jeux en tant qu'éditeur tiers sur des consoles d'autres firmes telle que la Saturn de Sega. Fin des 90's, tout n'est pas rose pour NEC. Le géant aux trois lettres ne fait plus de bénéfices et doit restructurer sa filiale "NEC Home Electronics", le département software de cette dernière termine le deuxième millénaire avec quelques projets sur DreamCast (Seventh Cross, Sengoku Turb...), avant de fermer ses portes en mars 2000, mais bon en fait, il s'agit plutôt d'une restructuration de fond de la multinationale toute entière (arrêt de la mythique filiale Nec Avenue, création de Nec Interchannel...). Que c'est compliqué de travailler dans le divertissement !

Mais revenons au début des années 90 : NEC Home Electronics, encore sur les rails en matière de softs, décide d'adapter Genji. En effet, ils "adaptent", car même s'il ne dit pas grand chose aux Européens lambdas que nous sommes, ce jeu est tiré d'une série télévisée de Studio Gallop et TV Tokyo comptant une cinquantaine d'épisodes diffusés pour la première fois au japon entre 91 et 92. Cette série d'animation a donc pour Héros Genji, un jeune garçon qui semble être un écolier tout à fait ordinaire mais qui mène secrètement une double vie : il est en réalité un "apprenti super héros" surnommé Agedama. Ben oui, on ne devient pas un valeureux justicier du jour au lendemain, alors il vaut mieux s'entrainer depuis son plus jeune âge. Ainsi, avec Wapuro, un robot volant très serviable, il déjoue -pour se faire la main- les projets d'une vilaine organisation criminelle sur le point de transformer les humains en monstres de toutes sortes. Attendons quelques instants avant de crier au lieu commun (au liiEEUUU CCOOOMMMMUUUUNNNNNN ! ! - trop tard). Cette série est justement construite sur un mode parodique, tournant à la dérision les classiques japonais du genre, avec parfois des références très précises et des scènes entièrement copiés sur les mangas les plus connus.

Non content de faire le beau à la télé, le super héros rigolo en veut toujours plus, et voilà qu'il part aussi en croisade sur la PC Engine, pour croquer du méchant pixelisé. Dans le livret, quelques dizaines de lignes et deux illustrations déposent lâchement le sort du monde sur vos frèles épaules en pleine croissance. On continue de feuilleter le bouquin et un rapide coup d'œil sur les autres pages laissent augurer d'un très beau jeu de plates-formes, dans la lignée des classiques du genre. Cela pourrait même être le défaut 'anticipé' par ce rapide tour d'horizon des origines du soft : encore un jeu de plates-formes ultra classique, un scénario bateau et issu d'une licence en plus. Mais qu'en est-il vraiment ? Ami Genji, il est temps de jouer.

Le jeu est ouvert, inséré, allumé.

Et voici venir la première surprise : un scrolling continu de toute beauté. Nous parlions tout à l'heure de l'aspect classique et très ciblé de l'HuCard, et effectivement, il suffit d'admirer quelques images d'Agedama pour se rendre compte qu'il s'agit, sans l'ombre d'un doute, d'un ravissant jeu de plates-formes comme il pourrait en exister -et comme il en existe- tant d'autres. Pourtant, lorsque l'on commence à jouer, un autre genre vient immédiatement à l'esprit : le shoot' em up. En effet, en plus de ce scrolling horizontal complètement permanent (sauf durant la dernière ligne droite), on nous balance des items d'armes variés et surtout, il ne faut jamais arrêter de shooter pour dégommer, dégommer et dégommer encore. Et pour dégommer quoi donc ? Des vilains qui sortent en bandes, en ribambelle même, à l'image des espèces de pêches volantes ou des rondins de bois sautillants du début.

Les ennemis, souvent à la queue leu leu, suivent une trajectoire bien définie, histoire qu'on puisse anticiper leurs mouvements, comme dans les jeux où on dézingue à la pelle des vaisseaux d'aliens... C'est alors qu'une question s'impose : Nec H. E. aurait-il fait rentrer les vaisseaux et les décors d' R Type dans un costume à la Mario Bros ? C'est vrai, c'est absolument comme un shoot avec un écran qui force à avancer, la frénésie des tirs et les attaques qu'il faut savoir éviter... Et avec en plus les exigences spécifiques à la plate-forme, c'est à dire le sol à appréhender, parce qu'on saute mais on ne vole pas, et les chutes à éviter... Ca fait beaucoup de "à éviter..." surtout qu'avec un personnage qui avance tout seul, l'équilibre devient précaire quand il faut rester sur une petite plaque de terre (c'est le cas dès le début). Il faut sans cesse sautiller et se re-placer au centre de celle-ci, sauter sur la suivante dès que possible, réajuster à nouveau sa position... Alors imaginez les deux exigences propres à deux genres différents que l'on doit satisfaire en même temps, il n'y a pas un dixième de seconde de répit.

Guerrier, acrobate, magicien, cracheur de feu...

Ceci dit, le jeu n'est pas trop difficile pour autant. La maniabilité est réglée de telle sorte qu'on prend rapidement ses marques. Grâce au super saut que l'on effectue en appuyant simultanément sur le bouton de saut et le haut de la croix, on devient vite un acrobate monté sur ressorts alignant sauts de biche et entrechats tout en esquivant cailloux, boules de feu et autres projectiles venant tout droit de l'arsenal du camp adverse. Sans oublier de tirer avec la frénésie nécessaire à la survie. D'ailleurs le système de tir reprend un peu l'interface de certains shoots : Il faut accumuler divers pouvoirs magiques (symbolisés par des couleurs et des caractères japonais : Hiragana). Sur la barre placée en haut de l'écran, leur puissance est croissante. Pour accéder à une magie plus forte que les quelques flammèches immédiatement accessibles, il faut bien sûr récupérer l'item en question, puis, laisser le bouton de tir enfoncé jusqu'à ce que le sort soit sélectionné. Les mains du gamin libéreront alors une puissance de tir supérieure : tourbillons, flammes vertes rapides, bons génies redoutables, éclairs très mobiles.... En plus, dans les intervalles que laissent chacune de ces cinq grosses magies principales, il y en a deux autres intermédiaires, c'est à dire pas moins 15 attaques différentes en tout ! Et si votre barre de magie est complète, en bonus vous pourrez balancer un super tir, énorme, impressionnant, avec le temps qui s'arrête, l'écran qui tremble (on croirait presque que la télé va imploser), un gros crâne qui apparaît au centre, et plein d'éclairs qui se propagent dans tous les sens. En contrepartie, lorsque l'on laisse le bouton tir enfoncé, on n'envoie plus rien pendant ce laps de temps, donc on est exposé au danger.

Mais c'est un risque à prendre, les attaques magiques fortes sont le seul moyen de battre les boss qui vous attendent au milieu, mais surtout à la fin, de chaque niveau. Pour peu que vous sachiez gérer vos attaques, ces affrontement ne seront que de simple formalités vous laissant à peine le temps d'admirer ces jolis monstres.

Niveau(x) technique(s)

Jolis, les décors le sont aussi. Très fins, très détaillés et surtout très variés. Chacun de ces univers est très cohérent et différent des autres, grâce à la diversité des décors bien sûr, mais aussi celle des ennemis. A part quelques oiseaux, migrateurs donc, que l'on retrouve dans tous les niveaux, tous les autres vilains ne se rencontrent que dans leur stage résidentiel : ainsi, des taupes sortant du sable viennent aider les cactus ballons et les sphinx à vous pourrir la vie dans le désert ; dans la grotte, des grosses pierres à pattes, des fantômes à bonnets et des chauves souris forment la cauchemardesque "dream team" de l'endroit...

Et si d'autres élément rajoutent encore un peu plus de cohérence et de singularité aux niveaux, ce sont sans aucun doute les effets techniques propres à chacun de ces stages. Dans le premier, nous avons un défilement du trottoir au premier plan décalé du reste et renforçant l'impression de profondeur. Dans le deuxième, ce sont les trois bandes nuages qui ont un défilement indépendant. Dans le troisième, on pourrait citer le caractère mouvant du sable homonyme, justement très bien animé. Et si lors du premier stage, une longue chute d'eau vient déjà rafraîchir les idées à l'arrière plan, c'est plutôt dans le quatrième qu'une autre cascade marque définitivement l'œil du joueur avec un joli effet de transparence... Bref, l'artillerie technique, remarquable pour une 8-16-bits, est variée et vraiment au service du jeu.

D.Z.R.O.2.B.B. (des aides héros... qui aident un peu trop)

Globalement ce jeu est plutôt facile, encore qu'on a que trois vie en tout et pour tout... En fait, ce sont plutôt trois continues. Quand on en perd un, on revient au début du niveau, et ce complètement à poil, enfin sans aucune magie ni défense j'entends. Et oui, hormis les magies offensives, il en existe beaucoup d'autres servant à se protéger : Des gouttes jaunes qui rendent invincible soit en vous faisant clignoter soit en vous faisant grandir ou rapetisser, des boites oranges libèrant un de vos potes, qui, en balayant l'écran, fera bobo aux pas beaux... On retiendra aussi les gouttes bleues qui libérent le Tengu, une vénérable divinité protectrice qui ressemble un peu à une vénérable poulette. Peut-être le connaissez-vous ? C'est déjà le Tengu que l'on dirige dans l'admirable Super Long Nose Gobblin de Taito également sur PC Engine. Vous avez déjà libéré le Tengu et vous récoltez une autre de ces boites bleues ? Pas de problème, c'est une autre amie, toute rondelette, nommée Okaha, qui sera libérée et tournera autour de vous comme un satellite. Et enfin, si vous apercevez un petit lapin mécanique au court de votre route, n'hésitez pas lui rendre une petite visite, c'est en réalité Wapuro, il vous mettra en contact avec une gentille demoiselle qui se fera une joie de panser vos blessures. Que de mains tendues !

Toutes ces cartes en main, les quatre ou cinq premiers niveaux se passent relativement facilement. La difficulté est tellement progressive et l'ensemble si bien léché, qu'avancer est un réel plaisir. Au cours du cinquième stage, le scrolling, peut-être le véritable héros du jeu, s'arrête... et pour de bon. Dommage, le dynamisme et l'originalité du soft en pâtissent vraiment. Puis, vient le sixième et dernier stage, moins joli et bien plus coriace. Celui-là même où, après avoir évité des dizaines de soldats aussi rapides que blessants, vous aurez droit à un nouvel affront de tous les boss précédemment rencontrés. Une nouvelle fois, jamais dans un Sonic, un Mario, un Bonk ou chez une autre vedette de la plate-forme pure aura-t-on observé ce genre de re-bataille groupée en guise de "bouquet pré-finale".

Et oui, réitérer les combats des anciens boss à la fin du jeu, voici encore un élément qui est dans la pure tradition shootesque : souvenez-vous de Super Star Soldier et des autres... Voici également un moyen artificiel, et pour le moins efficace, d'augmenter la durée de vie. Mais bon, ne disons rien, là encore on est dans le domaine de l'humainement accessible.

En revanche pour le vrai dernier boss, on entre dans une autre catégorie, celle des jeux pour machines de guerre. Il faut toucher plusieurs fois une sorte de grand moustachu bizarre avec deux grand yeux tout moches... Tant qu'il reste vert ça va encore, c'est juste un rythme à prendre. En revanche, quand il revient en violet avec des attaques multiples... Un conseil pour voir la fin : jouez plutôt sur votre PC avec un "magic engin" dont je tairais le nom et ralentissez le défilement du jeu au maximum ou vous risqueriez fort de faire une crise cardiaque avant de terrasser cet ultime ennemi polymorphe.

Bilan ludique, financier et un peu existentiel aussi, sur les bords...

Genji's journey est vraiment sympa, atypique, vif, une vraie fête du pixel, ça clignote de tous côtés. Même le son est entraînant avec des bruitages aussi nombreux que réussis et plus d'une douzaine de mélodies très enjouées. C'est tellement bon qu'on en voudrait plus, beaucoup plus... Plus de niveaux entièrement scrollés comme les quatre premiers. Les deux suivants sont déjà moins jolis, surtout le dernier qui est carrément vide - en ce qui concerne les décors et les effets visuels, pour les ennemis c'est pas vide du tout, c'est même un peu trop.

Il est vraiment dommage qu'il n'y ait pas plus de niveaux, mais bon, les premiers, même s'ils sont peu nombreux, offrent déjà beaucoup de passages originaux, et sans jamais tomber dans la redite. C'est peut-être ça l'essentiel : mieux vaut un jeu court, mais auquel on a souvent envie de retoucher que l'inverse. Un autre regret éventuel : la difficulté pour y jouer, enfin pour y jouer en vrai. On en voit rarement. Ce n'est pas qu'il soit cher (et Dieu sait qu'il y a des jeux PC Engine chers !) mais il est plutôt rare. En même temps, si certains entretiennent leur collection de jeux vidéo comme une véritable collection d'œuvre art, Magritte, lui, considérait que la reproduction d'une toile de maître avait autant de valeur que l'original. Pas con ce René. Il aurait adoré les roms. Et puis, faut que vous y jouiez, à Genji, pour vous faire votre opinion, sans être obligé d'arpenter les sites d'enchères et les boutiques parisiennes, non ? Au fait, il a marché ? Difficile à dire. En tout cas, chez nous, ce jeu n'est pas très connu, sans être méconnu, on en parle presque jamais, ou très succinctement, même sur les sites consacrés à l'engin, on le cite juste parfois, dans des listes de jeu.

Il faut dire qu'il n'y a qu'une version japonaise, donc il n'a même pas de version américaine pour les TurboGrafx and co. Pas plus qu'il n'y a possède de suite, ni sur HuCard, ni en CD-ROM, ni ailleurs. Enfin, il n'y a pas eu, non plus - et n'y aura sans doute jamais - d'adaptation sur une autre plate-forme, même en ces périodes de refontes portatives généralisées. Rien. Queue d'alle. C'est ça qui est fort. Car après tout, quels jeux mieux que les exclusivités participent à la création d'un esprit pour une console ? Vraiment, je l'aime bien ce jeu. Même s'il n a pas eu d'influence directe, ou même indirecte, sur le reste de l'industrie.

Conclusion

Oui, tout laissait penser qu'Agedama était ultra classique : un jeu bien réalisé mais pas transcendant. C'était compter sans Genji, l'homme de 10 ans qui n'est jamais là où on l'attend. Traitez-le de Mario, et préparez-vous à esquiver les rafales, traitez-le alors de Darius et il tapera du pied par terre de la même façon, comme pour mieux rappeler le sol et le caractère plate-forme de sa noble quête. Et oui, n'oubliez pas, loin d'être un vaisseau, Genji c'est quelqu'un, c'est à dire un humain avec ses faiblesses, d'ailleurs s'il était parfait, il pourrait explorer deux ou trois mondes de plus. Mais bon, là, le plaisir est sans cesse renouvelé donc on a envie d'y rejouer pour re-re-refroidir sans cesse tous ces monstres marrants. Et retrouver toutes ces couleurs... Et ces musiques ! Ca me rend fou, ça me donne envie d'avoir à mon tour une double vie de héros, alors vous aussi, ne soyez pas celui ou celle que l'on croit. Allez fouiller dans le coffre à jouer, retrouvez votre costume de justicier, celui qui avait fait tant d'effet, jadis, au défilé du carnaval. Il ne vous va plus ? Les collants sont filés ? Qu'importe, ce n'est pas une raison pour se défiler : vous serez un Super Héros 'parodique', c'est encore mieux. Alors allez-y, courez et filez sur les toits, les panoplies, c'est fait pour s'enfiler.

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