Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Tama (24 août 2015)
Le jeu vidéo, on a tendance à l'oublier, peut naître de tous les horizons, aussi étranges et inhabituels qu'ils puissent être. Alors cette fois, on va s'écarter des milieux habituels, qu'ils soient de gros éditeurs ayant pignon sur rue, de petits studios vivant grâce à leur fanbase ou de développeurs indépendants friands de GameJams. Nos clients habituels vont devoir quitter leur siège et faire place à un acteur pour le moins inattendu : la télévision ! Louis Esmond est un homme qui a réussi. À 41 ans, il est PDG de l'entreprise Habinat, leader dans le domaine du BTP écologique grâce à la fabrication d'un béton « vert » non polluant et moins cher que la concurrence. Qualifiée de « fleuron de l'industrie française » par le Ministre de l'Industrie Martin Jarendeau, La société Habinat n'a à priori aucun souci à se faire... Pourtant, Louis, à peine rentré de voyage d'affaires au Brésil, va sombrer dans la tourmente quand Nadia Saulat, sa chargée de communication, l'appelle en urgence pour lui annoncer le drame : Mickaël Saulat, son mari et chef de recherches et développement de l'entreprise s'est suicidé la nuit dernière. Louis et Nadia n'ont pas le temps d'encaisser le coup que l'orage médiatique s'annonce déjà... Nadia, sonnée, a juste le temps de donner à Louis les coordonnées d'un certain Patrick Luaud, spin doctor de profession, qui saura l'aider à passer cette crise. JdI prend place dans une France où les noms des personnalités médiatiques et politiques sont forcément modifiés, mais où tout le reste sonne réaliste. Il s'agit d'un point'n click à choix multiples en six chapitres, dont l'influence principale peut être surprenante puisqu'il s'agit de... The Walking Dead, l'adaptation créée par les studios TellTale ! Nous aurons l'occasion d'y revenir tant les similitudes sont marquantes. Louis Esmond se retrouve donc confronté à une crise sans précédent : le suicide de Mickaël Saulat, son ami et numéro 2 de l'entreprise, va bien évidemment susciter beaucoup d'émotion mais aussi de questions. Qu'est-ce qui a bien pu se passer pour que la « success story » vire au drame ? Soyez sûrs que les médias, ravis d'avoir un tel os à ronger, vont s'emparer de la chose et il va falloir naviguer dans des eaux troubles pour tenter de s'en sortir. Il y a deux principaux mécanismes de jeu :
Ces deux mécanismes sont étroitement liés car chacun de vos choix, en plus d'influer sur le cours du jeu, va aussi se répercuter sur ces jauges. Une décision audacieuse, comme fermer l'usine de production pendant une journée pour répondre aux accusations de pollution, fera baisser l'UBM mais monter le Stress ; insister pour venir en aide à Nadia Saulat, au risque de se retrouver sous les feux des projecteurs, fera baisser le Stress mais aussi la jauge de Confiance. Toute la difficulté va être de gérer correctement ses choix en fonction de l'état des jauges, mais aussi en fonction de ce que l'on veut faire, bien sûr. Fort heureusement, quand certains concepts-clés apparaissent, le jeu donne régulièrement à voir des vidéos explicatives tirées du documentaire : en plus d'être très instructives, elles font baisser l'UBM et le Stress, voire remontent la Confiance. Et son esprit va être très vite agressé par les événements qui s'enchaînent. Vos choix seront l'arme principale, et le jeu n'en fait pas mystère, il se permet de reprendre un aspect du jeu The Walking Dead en indiquant qu'« Untel s'en souviendra... » un choix important. Pire encore, il se permet d'emprunter à TWD et à Alpha Protocol le coup des choix en temps limité, notamment lors des interviews aux journalistes ! Mais ce qui est fascinant, c'est que JdI va faire de ces éléments l'utilisation inverse que TWD, par exemple car ses partis pris sont pour le moins uniques. Penchons-nous en détail sur trois éléments centraux. Tout d'abord, la question du choix. Les jeux proposant des choix font généralement en sorte qu'il y ait toujours une issue qui puisse supplanter toutes les autres en termes de rapport risque/récompense. De fait, il y a presque toujours moyen de s'en sortir avec les honneurs, avec des gentils qui raflent toute la mise et des méchants durement punis pour leurs exactions (ou, tout du moins, des héros raflant toute la mise en tuant tout le monde et ne craignant aucune poursuite, si vous aimez jouer les méchants dans les jeux type Bioware). Ce sont des choix pensés dans un cadre strictement ludique, où le rapport au jeu est explicité au maximum afin que le joueur sache à quoi s'en tenir. Ensuite, la question du rôle. Un joueur de jeux, vidéo ou non, sait dès le commencement quel rôle il endosse dans une partie. Même dans un jeu de société où les rôles sont cachés, ils ne le sont qu'à la vue de ses adversaires afin de participer à un jeu de dupes constitutive de l'activité et de ses règles. Bref, les rôles sont clairement définis, on sait qui on est et ce que l'on est censé faire : je sais à quel point je suis aux commandes, je connais ma sphère d'influence, j'ai toutes les cartes en main - ou presque - pour prendre mes décisions en mon âme et conscience et ce, que je sois le héros autour duquel l'intrigue tourne ou simple spectateur qui n'a parfois que quelques leviers à sa disposition. Et, enfin, la question du passé. C'est là le volet le plus contestable - et contesté - du jeu. Si les jeux (et les récits en général) aiment à ce point les protagonistes amnésiques, c'est bien parce que ça les débarrasse de la question du passé et de son poids. Si le joueur se retrouve devant une situation où il doit répondre de ses actions antérieures à la partie, ou doit s'orienter via des repères historiques et biographiques, il est indispensable qu'il sache ce qu'il a fait, ou tout du moins qu'il sache ce que son avatar a fait. Pour que l'importance de Sephiroth me saute aux yeux dans Final Fantasy VII, j'ai besoin de savoir ce qu'a fait Cloud au sein du SOLDIER dans ses jeunes années ; la question du Génophage anti-Krogan dans la série Mass Effect prend une toute autre tournure si j'ai choisi de garder Wrex dans mon équipe au lieu de l'abattre dans le premier épisode... Les exemples ne manquent pas, bien sûr. C'est un choix de game-design unique car les actions passées de Louis s'écrivent en fait, en majorité, à rebours des choix du joueur : c'est-à-dire que selon ce que répondra Louis dans le présent, cela va mener à quelque chose qu'il a fait (ou qu'il n'a pas fait) avant. Le fait qu'on ne connaisse pas tout du passé de Louis, qu'on ne sache pas bien si on le joue ou pas, pèse beaucoup dans l'élément de surprise et de l'intérêt qu'on porte au jeu : on est souvent surpris, voire indigné des conséquences de nos choix car nous apprenons que Louis a fait quelque chose il y a quelques années, alors que l'on n'était pas du tout au courant ! Or, si nous l'avions su, peut-être aurions-nous choisi une autre solution... Mais la vie d'un être humain comme d'un PDG d'entreprise est faite de surprises et de choix dont il n'a que trop rarement tous les éléments de compréhension ! Tout ceci garde le joueur sur le qui-vive en permanence, en perpétuel état de tension comme la corde d'un arc tendue trop longtemps, ne sachant pas à quoi s'en tenir avec précision, naviguant à vue dans une brume épaisse. Il appréhende le moindre clic, craint le moindre SMS sur le portable de Louis. Tout est fait pour qu'il comprenne que le savoir (ou plus encore, son absence !) est le cœur du jeu médiatique et politique, et qu'on ne peut jamais tout savoir, qu'il est impossible d'avoir toutes les clés en main... et que ce manque est à la fois fatal et inéluctable. Une partie de JdI est relativement courte (entre une et deux heures) et il vous propose à la fin un graphique sur deux axes, Coupable/Non-coupable et Aveu/Mensonges, sur lequel il vous place vous et les dernières personnes à avoir joué. Je ne saurais donc que trop vous conseiller de vous lancer dans une partie, on est très vite captivé par le jeu et il me semble difficile de ne pas se sentir concerné ! Et bien qu'il fasse partie d'un travail multiple, j'ai choisi d'en parler car JdI parvient à tenir debout tout seul malgré quelques couacs (le chapitre 6 est tout de même un peu trop rapide, certaines tirades sont répétées à l'identique...), il est passionnant et peut tout à fait servir de point d'entrée à la découverte du documentaire dans sa totalité. Sources, remerciements, liens supplémentaires : Remerciements au site Merlanfrit pour m'avoir fait découvrir le jeu. La section des commentaires est riche en enseignements. Une partie des screenshots vient de l'article. Merci aussi au site Pixelhunt qui dispose d'un post-mortem passionnant sur le jeu. L'autre partie des screenshots vient de là. Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (10 réactions) |