Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Laurent (03 octobre 2000) En 1978, envieux devant le succès grandissant de la console Atari VCS, le directeur de la recherche et développement de Mattel, Richard Chang, se dit que sa compagnie devrait étudier la possibilité de sortir un produit concurrent. À l'époque, Mattel n'est connu que pour ses poupées Barbie. Chang contacte Glen Hightower, président d'APh, consultant de Mattel et lui demande de faire plancher ses ingénieurs sur une idée de console de jeux. APh retient un chipset fabriqué par General Instruments et, après quelques modifications, accouche d'une carte mère basée sur un processeur 16-bits CP1610 (devançant Nintendo et Sega de dix ans dans l'usage d'un 16-bits) cadencé à 3,6 Mhz avec 4 Ko de RAM. Atari est devenu un géant de cette industrie, et les dirigeants de Mattel hésitent à s'y frotter. La console est mise en attente, pendant que des premières tentatives d'incursion sur le marché sont faites sous la forme de jeux électroniques portables. Après le succès excellent de ces derniers, le directeur exécutif de Mattel, Jeff Rochliss, demande à ses grands patrons de reconsidérer la sortie d'une console de jeu. APh reprend le travail de développement où il s'était arrêté. Les premiers tests marketing de la console ont lieu à Fresno, California en 1979. Elle est baptisée Intellivision, raccourci de "Intelligent Television", car un clavier venant s'y greffer pour la convertir en micro-ordinateur est prévu d'être commercialisé ultérieurement, ainsi qu'une extension mémoire de 64 Ko. La console elle-même est nantie d'un design très travaillé, rectangulaire, fine et ornée d'une finition en imitation bois qui lui permet de côtoyer des appareils hi-fi ou vidéo dans un salon. Elle est livrée avec deux contrôleurs de jeux plutôt étranges. Ils sont plats et de forme rectangulaire, comme des télécommandes, et sont équipé d'un disque plat que le joueur presse dans toutes les directions pour diriger son personnage. En plus de ce système de contrôle très original, ils sont munis d'un pavé numérique prévu pour être recouvert d'un cache plastique (différent pour chaque jeu) indiquant les fonctions des boutons. La particularité de ces manettes bizarres, en plus de rebuter la majorité des joueurs habitués aux joysticks VCS Atari qui se sont retrouvés devant une Intellivision, est que leur fil pénètre directement dans la console, et non pas dans une prise. Si l'un d'entre eux tombe en panne, c'est toute la console qui doit être portée en réparation, et leur solidité discutable n'arrange rien à l'affaire. Malgré ces évidentes erreurs de conception, le test marketing de Fresno est un succès, et quand la console est lancée en 1980, les 175.000 unités fabriquées sont très rapidement vendues. Le prix initial est de 250$, plus cher que la VCS, mais les capacités éminemment supérieures de la machine justifient cette différence. L'Intellivision propose un affichage 16 couleurs, et un son sur trois canaux. 12 jeux sont mis en vente en même temps que la console, tous conçus par Glen Hightower et programmés par les gens d'APh. Les cartouches sont plus petites et fines que celles de la VCS. Les jeux sont classés dans des catégories qui sont nommées "Network", par analogie avec la télévision à laquelle la console est censée être assimilée dans son concept. Il y a l'Action Network, l'Arcade Network, l'Education Network etc... Ces Networks seront abandonnés par la suite, et les jeux ne seront plus classifiés. La cartouche livrée avec la console est Las Vegas Poker & Black Jack, qui met en scène un petit croupier rigolo auquel le joueur doit se mesurer au poker et au black-jack. Ce titre permet de constater que l'Intellivision est capable d'afficher du texte dans ses jeux, ainsi que des personnages qui ressemblent à quelque chose d'identifiable dans le réel. La VCS, on l'oublie souvent, est totalement incapable de tout cela. Mattel, tout comme Atari, est rapidement confronté aux foudres juridiques déclenchées par Magnavox, créateurs de la console Odyssey, première console pouvant lire des cartouches de jeux créée, qui les accuse de plagiat. Atari avait dû, suite à un procès, leur verser quelques dédommagements, mais ceux-ci étaient ridicules comparés aux profits engendrés par la VCS, et cette fois, les royalties exigées sont bien plus importants. Le tribunal donnera raison à Magnavox encore une fois, et ce sont plusieurs millions de dollars que Mattel doit verser. En dehors de cette anicroche, l'Intellivision est incontestablement un succès. Des millions d'unités sont vendues entre 1982 et 1983, et la console est la première rivale sérieuse de la toute puissante VCS après les échecs de la Fairchild Channel F, de la Bally Professionnal Arcade et de la RCA Studio 2. Le jeu qui représente le mieux l'Intellivision est Major League Baseball, qui est toutes catégories confondues l'un des produits Mattel les plus vendus au monde. Au total, ce sont 1.085.700 cartouches qui partent en trois ans. L'Intellivision est considérée comme un jeu vidéo adulte, et les fans de sport la préfèrent à la VCS Atari, grâce à ses jeux plus élaborés dans ce domaine. Le porte-parole publicitaire de la console est George Plimpton, célèbre pour son livre "Paper Lion" écrit en 1966, qui racontait sa carrière au sein du club de football américain : les Lions de Detroit. Dans les publicités américaines le mettant en scène, on peut voir comparées les versions Intellivision et VCS de jeux comme Major League Baseball ou NFL Football. Évidemment, les versions Intellivision sont bien supérieures. À ces basses attaques, Atari réplique dans ces publicités en mettant en avant le nombre de jeux disponibles pour VCS, imbattable (même si un bon paquet de daubes sont du lot). Pour Noël 1980, le nom de l'Intellivision est sur toutes les lèvres. Mattel se met en quête de programmeurs pour étoffer le catalogue de jeux de leur console, ridicule en comparaison de celui de la VCS. Tout comme chez Atari, les programmeurs qui travaillent pour Mattel et l'Intellivision sont mis en retrait, presque cachés. Leur noms sont tenus secrets, l'équipe étant simplement créditée sous le nom de Blue Sky Rangers. Au départ, l'équipe compte 9 membres, et s'agrandira en même temps que le succès de la console, pour atteindre un maximum de 200 personnes. Une des créations des Rangers, le jeu d'action Astromash de John Sohl, est un des plus gros succès de l'Intellivision derrière Major League Baseball. Il s'agit d'un clone d'Asteroids dont le principe a été un peu corrigé avant la sortie afin de ne pas risquer un procès pour plagiat. Astromash propose une innovation intéressante : le niveau de difficulté s'ajuste en fonction des capacités du joueur. 984.900 copies en seront vendues, et le jeu sera plus tard adapté sur VCS. En 1981, le clavier adaptable promis est toujours aux abonnés absents, mais Mattel lance l'Intellivoice, un module d'extension qui utilise un processeur de synthèse vocale appelé Orator (fabriqué par General Instruments), et ajoute 16 Ko de ROM à la console. Ron Carlson, du service design et développement de Mattel, se charge du hardware, et Ron Surratt du software. Des phrases types sont enregistrées au laboratoire de General Instruments et stockées dans la ROM du module. Le premier jeu à utiliser l'Intellivoice est Space Sartans. Au départ, les démonstrations devant les exécutifs de Mattel ne sont pas très probantes. La machine fonctionne mal, et ne sait dire qu'une phrase : "Auk Youuuu !", mais ces bugs sont rapidement corrigés, et le module est mis en vente, ainsi que d'autres jeux l'exploitant. Le module se branche dans un port cartouche de la console, et peut recevoir des cartouches de jeux. Les cartouches de l'Intellivision contiennent usuellement 4 Ko de données, et celles utilisant l'Intellivoice 8 Ko. Avec si peu de mémoire, la digitalisation des voix est de très mauvaise qualité. Le jeu Space Sartans est très similaire à Space Battle, pour VCS, le joueur pilotant un vaisseau dans une galaxie divisée en quadrants pour protéger des stations spatiales. L'Intellivoice donne au joueur des indications vocales sur les stations qui sont attaquées, et sur l'énergie restante du vaisseau. 5 jeux Intellivoice seront produits au total. Le module est, dans l'ensemble, un échec commercial, les gens étant rétifs à acheter, en plus d'un jeu vendu au prix habituel, un module qui coûte autant. Tout comme l'Atari VCS avec Gameline, l'Intellivision propose (aux USA seulement) un service de jeu en ligne appelé Playcable. Introduit en 1981, ce service propose 24 heures de jeu en ligne par mois, en utilisant la fibre optique de la télévision par câble américaine, pour un abonnement de 4,95$ par mois. 15 jeux sont disponibles dès l'ouverture, 5 autres étant prévus. Les joueurs utilisent le PlaycableBox, fourni par leur compagnie de télévision par câble en partenariat avec Mattel, qu'ils branchent dans le port cartouche de leur Intellivision et relient à leur prise de réseau câblé. Le système rencontre le meilleur succès possible sur ce marché plutôt restreint, mais la recrudescence des chaînes de télévision passant par le réseau câblé (diminuant la bande passante disponible pour les jeux), l'incapacité du système à utiliser les jeux Intellivoice, et l'effondrement du marché des consoles finiront par en avoir raison en 1983. Avec la sortie de la puissante console Colecovision en 1982, Mattel perd sa position de leader technologique du marché. Pour pallier à ce retard, l'Intellivision II est lancée. Avec cette nouvelle console, Mattel se plie à une pratique qui va devenir courante dans l'industrie du jeu vidéo domestique américaine, et va contribuer de façon nette à sa disparition provisoire, qui consiste à présenter comme un nouveau produit ce qui n'est que l'ancien dans un emballage différent. Avec son boîtier gris dépouillé, l'Intellivision II coûte moins cher à fabriquer, et la liste des composants électroniques est revue à la baisse. Son prix est de 99$, et elle présente tout de même quelques améliorations par rapport à l'original. Les joysticks peuvent à présent être débranchés, une LED rouge témoigne désormais de l'allumage de la machine, une deuxième sortie vidéo a été ajoutée, et un périphérique appelé System Changer, qui permet de jouer aux jeux VCS, commercialisé en même temps, peut s'y brancher. Le System Changer se présente sous la forme d'un clone de VCS intégral, muni de deux joysticks de type Atari et des même boutons que la VCS, à savoir un "game select" et un "game reset", qui vient se brancher dans le port cartouche de la console. Comme lors de la sortie du module n°1 pour Colecovision (qui jouait le même rôle que le System Changer), Atari menace d'engager des poursuites contre Mattel, mais de nouveau, le tribunal lui donnera tort en précisant que la vente de systèmes permettant de faire marcher les jeux VCS est légale, dans la mesure où les copyrights d'Atari ne portent que sur le nom VCS, et non pas sur le contenu des cartouches, dont les copyrights sont diffus (la pirouette juridique est exactement la même aujourd'hui avec les émulateurs, sauf qu'on manque de juges retro-gamers pour en faire une jurisprudence !) Il faut savoir qu'après les procès opposant Atari à Coleco, puis à Mattel, des dizaines de clones de VCS ont été commercialisés. À partir de 1983, les choses commencent à mal tourner pour Mattel. L'Intellivision II ne renverse pas l'évolution du marché en faveur de Coleco, qui monte, et d'Atari qui se maintient, et les projets d'Intellivision III, et même d'Intellivision IV, se perdent en tergiversations et finissent par ne jamais aboutir. De plus, un coup sévère attend Mattel. Au début de son lancement, la ligne Intellivision était présentée comme un système visant à évoluer de simple console de jeu vers un micro-ordinateur, au moyen d'un module d'extension comprenant un clavier et une extension mémoire que les consommateurs attendent toujours. Une association de clients frustrés saisit la Commission Fédérale des Ventes, et attaque Mattel pour publicité mensongère. La compagnie est condamnée à payer 10.000 $ dollars d'amende par mois jusqu'à ce que le module soit commercialisé ! Deux systèmes sont alors à l'étude chez Mattel, le Keyboard Component et le Entertainment Computer System. L'Entertainment Computer System est très proche de l'idée que l'on pourrait se faire d'un module donnant à l'Intellivision les capacités d'un micro-ordinateur, mais ses coups de production élevés pousseront Mattel à lui préférer le Keyboard Component, qui se présente sous la forme d'un clavier gomme (genre Sinclair Spectrum ou Thomson MO5), accompagné d'un clavier de synthétiseur 49 touches, d'une extension de RAM de 64 Ko, d'un système magnétique de stockage de données, et d'une imprimante thermique... du moins sur le papier, car en réalité cela se limitera au clavier gomme et au clavier de synthé. Ce système, lancé à la va-vite, n'a en fait pour but que de mettre fin aux amendes que paie Mattel. Il ne fera l'objet d'aucun suivi réel et ne se vendra pas à plus de 4000 exemplaires, s'ajoutant à la lourde liste des arnaques micro des années 80. Les velléités de Mattel dans la micro-informatique s'orienteront plutôt vers les compatibles PC, avec l'Aquarius Home Computer System, lancé en 1983, et qui connaît un tel bide (en raison de son manque de puissance flagrant) qu'il est retiré rapidement de la vente. Après l'échec de l'Aquarius et des développements de la ligne Intellivision, Mattel Electronics, la branche de Mattel née avec l'Intellivision, est sur le point de fermer. Les droits de vente, ainsi que tous les stocks de consoles Intellivision restants sont vendus à T.E Valeski, ancien vice-président du service marketing de Mattel Electronics, associé à d'autres investisseurs, pour la somme de 16,5 millions de dollars. Une nouvelle compagnie appelée Intellivision Inc. est créée pour l'occasion (plus tard rebaptisée INTV), qui lance la console INTV System III (alias Super Pro System) au printemps 1985. La System III est d'abord vendue par correspondance. C'est une copie presque conforme de la première Intellivision, livrée avec de nouveaux jeux. Pour économiser de l'argent, les licences d'exploitation de ligues sportives (NBA, NHL etc...) ne sont pas renouvelées, et les jeux sont simplement baptisés Football ou Base-Ball. Cette console, superbe baroud d'honneur pour l'Intellivision, se vendra à 3 millions d'exemplaires et rapportera en tout 6 millions de dollars jusqu'à Noël 1986, poussant INTV à rengager de nombreux Blue Sky Rangers pour programmer de nouveaux jeux. Entre 1985 et 1990, année ou INTV ferme ses portes et l'Intellivision disparaît pour toujours, 35 nouveaux jeux seront lancés, portant le nombre total de jeux sortis pour la ligne Intellivision à 125 en dix ans. Après l'aventure Intellivision, Mattel Electronics a fait faillite, manquant de peu d'entraîner tout le groupe Mattel dans sa chute. Ce n'est qu'en 1996 que la compagnie a refait une apparition dans le monde du jeu vidéo, avec le CD-ROM Barbie Fashion pour PC (qui permet au joueur de créer une garde-robe virtuelle pour Barbie et d'imprimer ses créations), qui a rapporté 15,5 millions de dollars. À noter que l'idée de ce CD-ROM est due à E.J., la fille du vice président de Mattel Andy Rifkin, âgée de 9 ans. Un autre CD-ROM, Barbie Magic Hair Styler, a également obtenu un joli succès, même si ces réussites méritent plus de figurer dans un historique de la poupée Barbie que dans une rétrospective des productions Mattel dans le domaine du jeu vidéo. Les Blue Sky Rangers sont toujours en activité. Ils ont lancé en freeware deux compilations de 3 jeux chacune tournant sur PC ou Mac en émulation Intellivision. Plus récemment, en 1998, ils ont commercialisé deux CD-ROM d'émulation Intellivision pour PC et Mac intitulé Intellivision Lives, contenant la majeure partie de leur créations pour la console, ainsi que des jeux qui n'avaient pas été commercialisés à l'époque. La console Intellivision et ses divers avatars représentent au total 6 millions de machines vendues à travers le monde et une carrière très honorable de 10 ans. Même si elle est toujours restée dans l'ombre de la VCS, la console de Mattel fait partie des systèmes qui ont marqué l'histoire du jeu vidéo, et elle compte encore beaucoup de fans nostalgiques à travers le monde. Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (56 réactions) |