Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Laurent (18 mars 2003)
Voici un jeu dont les utilisateurs de Mac se souviennent plus volontiers (ce fut un des meilleurs sur Mac 68000) que ceux qui l'ont connu sur ST ou Amiga, habitués à des choses plus spectaculaires. Shufflepuck Café repose sur un principe hérité de la culture arcade des années 70. Même si au premier abord on pourrait croire à une sorte de Pong en 3D, il n'en est rien. Ce jeu est plutôt une simulation (futuriste) de air hockey, un jeu qui se fait rare dans les salles d'arcade mais qui a connu un engouement énorme, notamment aux États-Unis, dans les années 70. Le air hockeyC'est en Novembre 1972 que le air hockey (que l'on appelle aussi shufflepuck lorsqu'il ne se joue pas dans un contexte sportif ou si l'on ne veut pas payer de droits !) a été inventé par Bob Lemieux, Canadien et fanatique de hockey sur glace (la dynastie des Lemieux est une lignée de hockeyeurs prestigieux devenus dans les années 60 et 70 des superstars au Canada, mais il semblerait que Bob ne soit pas de la même famille). À la fin des années 70, les géants de salle d'arcade ont commencé à se désintéresser du air hockey à mesure que les jeux vidéo devenaient plus populaires. Une table prenant la place de trois ou quatre bornes d'arcade, elle se montre bien moins rentable, d'autant plus qu'une partie peut durer assez longtemps. Ainsi, le air hockey a connu la désaffection du grand public et des joueurs occasionnels, pendant que sa pratique à haut niveau connaissait une activité toujours plus prospère, avec l'apparition régulière de nouveaux clubs. Lorsque le marché des jeux vidéo grand public s'est effondré au milieu des années 80, les tables de air hockey sont comme par miracle réapparues dans les salles d'arcade. C'est durant cette période, notamment, que les joueurs français âgés aujourd'hui de 25 à 35 ans ont pu avoir l'occasion d'y jouer. De nos jours, le jeu est resté très populaire aux États-Unis. Les tables sont rares dans nos contrées, mais on en aperçoit de temps en temps dans les salles les plus branchées (NdJPB : et aussi chez les forains). Le air hockey conserve un charme rétro et un attrait certain, car on peut y jouer à deux sans aucun entraînement préalable avec un fun immédiat quel que soit le niveau, ce qui n'est pas le cas du billard, du baby-foot, du flipper ou de la majeure partie des jeux vidéo. Le air hockey a de la classe, il peut plaire aux jeunes comme aux moins jeunes et évoque les distractions en vogue autrefois. De plus une partie en cours, vu la taille imposante de la table, attire forcément les regards. Il est possible de s'offrir une table de air hockey en version home, ou encore une table multifonction qui permet de jouer, selon les configurations, au billard, au air hockey, au baby-foot, au ping-pong... Les fabricants comme Brunswick et consorts font preuve d'une imagination incroyable, et tout ceci est manufacturé avec un sérieux absolu et une qualité irréprochable. Biff Raunch et ses amisLe développeur Christopher Gross, à l'origine de Shufflepuck Café, n'en est pas à son coup d'essai avec ce jeu. Il commence, en 1987, par créer Shufflepuck sur Mac 68000, une simulation de air hockey (revu et corrigé) avec une vue subjective en 3D, distribuée par la voie du shareware. Par rapport au vrai air hockey, Shufflepuck apporte trois nouveautés : - Les "cages" protégées par les joueurs ne sont pas des fentes dans les bandes, mais une vitre, qui fait toute la largeur de l'aire de jeu. Si un but est marqué, celle-ci se fracasse de façon spectaculaire.- Les joueurs n'utilisent pas un maillet, mais une raquette comparable à celle qu'on trouve dans un pong-clone, posée horizontalement sur la table. Celle-ci se dirige à la souris. - Chaque joueur dispose d'une surface délimitée par les bandes latérales et une ligne transversale située environ au tiers de la distance entre l'extrémité de la table et la ligne centrale. La raquette ne peut pas sortir du rectangle ainsi délimité, et chaque joueur est obligé de rester à son extrémité de la table. Dans le vrai air hockey, il n'en est pas du tout ainsi, puisque les joueurs peuvent disposer de toute leur moitié d'aire de jeu et tourner autour de la table comme bon leur semble (sans dépasser la ligne médiane). Shufflepuck, bien que plutôt réussi, présente l'inconvénient de ne pas mettre en face du joueur un adversaire identifiable. Cette ambiance impersonnelle provoque à la longue la lassitude, d'autant que les graphismes en noir et blanc sont tristounets. Ce jeu s'apparente vraiment à un Pong en 3D, même si le palet ne dispose pas d'un mouvement propre en dehors de celui imprimé par les coups de raquette. Une version améliorée s'imposait, et Christopher Gross s'est attelé à cette tâche. Le principal attrait du air hockey réside dans les relations entre joueurs : intimidation, moquerie et provocation donnent au jeu tout son côté convivial (du moins dans le cadre d'une partie entre amis). Pour reproduire ces interactions dans le cadre d'un jeu, la seule solution est d'opposer le joueur à une série d'adversaires disposant tous d'une intelligence artificielle propre, de mimiques variées et d'une personnalité intéressante qui va bien avec leur façon de jouer. Le cadre de l'action, inexistant dans Shufflepuck, se devait également d'être revu. Gross a trouvé l'inspiration dans une scène de Star Wars, celle de la "Cantina", ce bar obscur peuplé d'une galerie de créatures monstrueuses au look extravagant. L'action se passe donc dans le Shufflepuck Café, un bar où se déroulent des compétitions de air hockey dans lesquels le joueur peut rencontrer 8 adversaires (très) différents, dans l'ordre voulu ou dans le cadre d'un championnat dans lequel on les affronte un par un, du plus facile au plus difficile. Les raquettes et leurs limites de mouvements sont les mêmes que dans Shufflepuck. L'aire de jeu telle qu'elle apparaît dans la version originale sur Mac est la même que celle de Shufflepuck, mais les autres versions, en couleurs, bénéficient d'améliorations graphiques, avec des barres latérales en bois du plus bel effet (Gene Portwood et Lauren Elliott sont les auteurs de ces ajouts visuels). La raquette se dirige toujours à la souris, et sa maniabilité est parfaite, même si elle demande un peu d'entraînement pour trouver l'angle et la position de main adéquate. L'adversaire semble lui aussi diriger sa raquette avec une souris ou un instrument du genre, puisqu'on ne voit jamais ses mains (sauf dans la version Mac). Parmi les options de jeu, une permet de modifier la largeur de la raquette (sans que celle de l'adversaire ne change), sa puissance de frappe et la force des rebonds sur les bandes latérales, afin de diminuer la difficulté de prise en main lors des premières parties. Ces options de paramétrages plutôt complètes permettent aussi, avec le temps, de régler la jouabilité avec précision, et renforcent l'aspect simulation d'un jeu qui au départ prend quelques libertés avec son modèle réel. On peut aussi ajouter l'intervention d'une raquette mouvante située au milieu de la table, qu'elle traverse de long en large. Cet obstacle rapporté ajoute du piment aux parties. On peut s'en servir pour mieux tromper l'adversaire en faisant rebondir le palet dessus, mais elle peut aussi renvoyer brutalement celui-ci vers son point de départ. Tous ces petits ajouts permettent à coup sûr d'éviter que les parties deviennent répétitives, ou plutôt (soyons réalistes) que le nombre de situations amenées à se répéter soit suffisamment élevé pour que le jeu ne parte pas trop vite aux oubliettes. Le point fort de Shufflepuck Café réside dans la progression de la difficulté et l'intelligence artificielle des adversaires. Tout semble avoir été mis en œuvre pour les rendre imprévisibles : ils ne se comportent pas tout le temps de la même manière et ont des points faibles qu'on prend plaisir à déceler. Dans toute simulation de sport individuel en mode solo, il y a un seuil au-delà duquel le joueur est durablement dépassé et se décourage, et en dessous duquel il gagne systématiquement et s'ennuie. Aux abords de cette limite, il rencontrera, sur tout le panel que le jeu lui propose, un nombre très limité d'adversaires lui offrant un challenge à sa mesure, garants de parties accrochées, indécises donc passionnantes. Les développeurs de ce type de simulation ont trop souvent tendance à se reposer sur l'attrait des parties à deux ou quatre joueurs (finalité communément admise) pour faire oublier une IA mal étagée. On se retrouve donc souvent avec des jeux dont une grosse partie de l'intérêt est générée par les joueurs eux-mêmes ! Se jouant exclusivement en solo, Shufflepuck Café se devait de contourner cet écueil, et il y parvient brillamment. Pour ce faire, il met en scène des personnages dont les forces peuvent décliner ou augmenter en cours de partie, selon divers paramètres qui peuvent être clairement visibles ou relever des rouages secrets du jeu, le joueur étant amené à les détecter au fil des parties. Évidemment, si les huit adversaires étaient totalement réussis, Shufflepuck Café serait resté un classique indémodable, et on aurait aujourd'hui une version estampillée EA sur PS2. Ce n'est pas totalement le cas, les 4 ou 5 premiers adversaires rencontrés étant réellement trop faciles, mais le challenge qui suit, et les possibilités de paramétrage offertes garantissent de nombreuses parties sans lassitude. Les adversairesC'est une véritable cour des miracles, mais il ne faut surtout pas se fier aux apparences. Dc3 : Ce robot ne fait pas partie du championnat. Il ne fait que servir les boissons ! Son niveau de jeu est paramétrable, et réglé par défaut au plus facile. C'est un personnage d'entraînement (merci à WaT pour ses précisions). Skip : Cet adversaire ne présente guère d'intérêt. Aucun réflexe, des coups pitoyables... On ne le jouera qu'une seule fois. Visine : Celui-ci a un comportement aberrant : il déplace sa raquette dans tous les sens, et à toute vitesse, si bien qu'il renvoie la majorité des coups, mais sans aucune efficacité (seulement un rebond). Il suffit donc de lui lancer des balles pas trop fortes à répétition. Vinnie : Encore un adversaire trop facile. Impossible de faire accélérer le rythme de la partie avec lui. Lexan : Voici un adversaire qui illustre bien ce qu'a voulu faire Christopher Gross. En début de partie, il est absolument imbattable. Des coups fulgurants, des réflexes incroyables. Le problème, c'est qu'à chaque coup gagné, il boit une gorgée de champagne. Ainsi, peu à peu il devient plus abordable, puis carrément facile en fin de partie. Le tout sera de ne pas avoir pris trop de retard au tableau d'affichage. En paramétrant la largeur de la raquette judicieusement, on peut se mitonner des parties assez intéressantes avec lui. Eneg : Cet adversaire est le plus réussi. Lorsqu'on a atteint un certain niveau de jeu, c'est vers lui qu'on se tournera le plus souvent. Il possède un service fulgurant, mais n'en abuse pas. Ses réflexes en défense sont excellents, mais il a un léger angle mort sur sa gauche qui permet, si on a bien mené l'échange, de le trouer avec un coup à droite puissant qui rebondit sur la bande juste avant d'arriver à sa ligne de défense. Il faut noter que cette technique est valable pour presque tous les adversaires, mais dans son cas, elle ne marchera qu'après avoir fait durer l'échange et l'avoir orienté de l'autre côté de la table. Battre cet adversaire demande une bonne maîtrise du jeu, mais il ne place pas la barre à un niveau impossible non plus. Bref, il permet les parties accrochées qu'on attend. Herual : Voilà un adversaire fort déroutant. Il renvoie des balles qui sont la copie conforme des vôtres : même vitesse, même angle, mêmes rebonds. Il faudra absolument jouer avec cette particularité pour le battre. Inutile de taper comme un fou, vous serez forcément dépassé, mais en ralentissant l'échange (puisque vous en contrôlez totalement la vitesse), vous pourrez le surprendre par une balle rapide qui suit une balle très lente. En outre, le fait de faire un amorti dans une direction sur une balle lente, et de la taper une deuxième fois, dans l'autre direction, avant qu'elle soit hors de portée, le désarçonne complètement, mais ce n'est pas évident à réussir. Bejin : Cette magicienne utilise ses pouvoirs magiques (le fair-play n'est pas de mise au Shufflepuck Café !) pour des services fulgurants. Elle fait tournoyer le palet, avant de le lâcher à toute vitesse. Il faut être bien attentif au son pour savoir de quel côté elle va servir. Une fois cette technique maîtrisée, on peut la battre facilement, car même si elle joue très bien, sa toute petite raquette l'handicape. Biff Raunch : C'est le champion, un coup d'œil sur l'enseigne du Shufflepuck Café vous le rappellera à chaque lancement du jeu. Sa technique est comparable à celle d'Eneg, sauf qu'il est plus rapide, et ne commet presque jamais d'erreur. Une véritable horreur, même avec une large raquette il est difficile de le battre car il renvoie tout. C'est le défi ultime du jeu. RéalisationAucun reproche ne pourrait être fait à ce niveau. C'est sobre et diablement efficace. L'animation de la balle est parfaite, ainsi que celle de la petite main robotisée qui vient modifier le tableau d'affichage à chaque point marqué. Les mimiques des différents adversaires sont hilarantes. Le mieux est encore de les voir. Pour ce qui est de la version d'origine sur Mac, si elle dispose de graphismes en noir et blanc moins biens dessinés que ce qui a été fait ensuite sur ST et Amiga, cela ne nuit pas au plaisir du jeu et à l'identification précise des personnages. Côté sonore, c'est encore une fois la simplicité et l'efficacité qui sont de mise. Une musique seulement est présente, entendue au démarrage du jeu, mais sympathique. Pendant la partie, seul le bruit du palet et les grognements divers des adversaires se font entendre. L'impact des coups est parfaitement rendu par les bruitages, et les rebonds sur les bandes latérales sont amusants. Le plus impressionnant dans Shufflepuck Café reste tout de même la façon dont la vitre explose en cas de but marqué. L'animation (en 3D fil de fer) est très réussie, et l'effet sonore étonnant. Lorsqu'on se prend un coup fulgurant, l'impression d'avoir reçu une claque n'en est que renforcée, d'autant qu'elle est suivie de diverses moqueries et provocations (l'éclat de rire de Biff Raunch, notamment, est bien énervant). Blessé dans son amour propre, on n'en est que plus motivé, et les parties se succèdent pendant de longues heures. Les suites de l'affaireShufflepuck Café semble être le seul jeu de Christopher Gross qui ait été commercialisé (par Broderbund, puis en Europe par Infogrames, commercialisation qui est arrivée hélas trop tard, alors que des copies de la version Broderbund circulaient partout). Par la suite (1990 à 1994 selon les versions), il a développé le jeu Shatterball sur Mac, une sorte de Breakout en 3D distribué en shareware. Son adresse personnelle figurait dans la doc de ce dernier pour lui envoyer des dons. En dehors de ce titre, rien, si ce n'est une apparition au staff "qualité" de World Series Baseball, de Sega sur Xbox (2002). Même si Shufflepuck Café n'a pas été un succès phénoménal, il est resté en tête de beaucoup de développeurs micro, et divers remakes sont apparus. Certains sont en flash, mais le plus connu est TuxPuck, qui utilise des graphismes superbes en 3D et tourne sous Linux et Windows (développement en cours : http://doc.ubuntu-fr.org/tuxpuck). Si vous voulez essayer le vrai air hockey, par contre, cette simulation en flash devrait vous donner satisfaction : Comme on l'a vu, Shufflepuck Café est né sur Mac, et logiquement ce sont les utilisateurs de cette machine qui l'ont le plus apprécié, malgré les carences graphiques de cette version. Cela est peut-être du au fait que le jeu se joue entièrement à la souris, à une époque ou le Mac fait figure de pionnier de l'interface graphique. Par ailleurs, ses origines shareware et son gameplay simple d'accès, qui permet des parties courtes qu'on prend plaisir à enchaîner lui donnent des allures de desktop-game de luxe (ce qui n'a rien de péjoratif), une friandise dont les utilisateurs de Mac rafolent. ConclusionPas grand chose à ajouter, sinon que cet article aura été une occasion sympathique de parler du air hockey, ce jeu que les amateurs de salles d'arcade à l'ancienne connaissent bien. Shufflepuck Café peut se jouer de toutes sortes de façons, mais je vous recommande particulièrement la version ST, celle sur Amiga faisant quelques petits caprices avec WinUAE (NdJPB : ceci ne semble plus d'actualité en 2011). Un jeu sympa, avec une belle recherche au niveau de l'intelligence artificielle. Il est vraiment dommage qu'un mode deux joueurs par liaison série n'ait pas été prévu, d'autant que la chose marchait sacrément bien entre deux ST, deux Amiga ou un ST et un Amiga. Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (7 réactions) |