Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par François (21 juin 2010) "Berkleys, Etats-Unis. 15 Avril 1986. Dans la lueur déclinante du soleil, la ville est étrangement calme. De hauts immeubles gris se dressent vers le ciel comme des pierres tombales. Il n'y a aucun signe de vie derrière leurs fenêtres noires, pas plus que dans les rues dévastées. Vitrines brisées. Poubelles renversées. Carcasses de voitures immobiles. Dans la grande avenue vide, le vent souffle parfois en brusques rafales, avant de laisser place au silence. Un silence âpre, glacial, flottant parmi les ombres, s'insinuant jusque dans les caves et les égouts sans lumière... Une habitation isolée, aux portes et fenêtres barricadées. Six personnes se tiennent rassemblées autour d'un vieux poste de radio. Elles écoutent le speaker de la dernière station émettrice débiter la liste des centres d'évacuation fermés en urgence, puis rappeler les consignes de sécurité incitant les habitants à rester cloîtrés chez eux dans l'attente des secours. À ce dernier mot, il y a un échange de regards résignés entre les auditeurs : les secours... ils ne viendront pas. Cela fait plusieurs semaines qu'il n'y a plus de police, plus d'armée et que des hordes de pillards en profitent pour sillonner le pays en toute impunité. Tout a commencé quelques mois auparavant. Les médias parlaient alors d'une épidémie d'un nouveau genre, un virus issu d'une souche inconnue, apparu aux alentours des morgues et cimetières, engendrant des comportements psychotiques chez les individus infectés. Le temps que les autorités ne prennent la mesure exacte du phénomène et que l'état d'urgence ne soit déclaré, il était déjà trop tard. Partout, c'était le même cauchemar : les morts revenaient à la vie, s'extirpaient de leurs linceuls, et erraient dans les rues, regards éteints, bras avides, animés d'une faim hideuse de chair humaine. Attaquant et contaminant tous ceux qui n'avaient pas eu le réflexe de fuir, le nombre des morts-vivants avait cru dans des proportions effarantes, jusqu'à submerger les militaires envoyés sur place pour contenir la catastrophe... Dans l'immeuble barricadé, l'abattement initial laisse peu à peu place à une résolution unanime parmi les survivants : vivres et munitions vont venir à manquer, il faut quitter la ville pendant qu'il est encore temps. Seulement, où se rendre ? Il y aurait bien l'héliport, mais l'atteindre implique de se risquer au dehors, sans garantie de trouver un hélicoptère en état de voler... L'irruption des zombies dans le bâtiment précipite les évènements : c'est la fuite, désespérée, à travers les rues de Berkleys. Des six survivants, quatre seulement parviennent à monter à bord d'un hélicoptère et à le faire décoller. Le répit dans les airs est de courte durée. Faute de ravitaillement en carburant, l'hélicoptère menace bientôt de s'écraser. La catastrophe est évitée de justesse, grâce au sang-froid du pilote parvenant à se poser sur le toit d'un centre commercial. Malheureusement, dès les premiers pas effectués dans le mall, il s'avère que l'endroit est lui aussi infesté de morts-vivants. Puisqu'ils n'ont plus le choix, les survivants échafaudent un plan afin de s'emparer des lieux : après s'être approvisionnés en armes et munitions, ils devront trouver un moyen de bloquer les issues du mall, avant de se débarrasser des zombis demeurés à l'intérieur..." L'histoire qui précède évoquera certainement quelques souvenirs chez les cinéphiles. Zombi est en effet une libre adaptation de Dawn of the Dead, long-métrage de Georges Romero réalisé en 1978, sorti dans l'hexagone sous le titre Zombie en 1983 et objet d'un remake en 2004 (voir l'article consacré à Dead Rising pour en savoir plus sur le long-métrage). Succès critique et commercial, Dawn of the Dead aura cependant attendu six longues années avant de faire l'objet d'un jeu vidéo dédié. Ce délai conséquent peut se voir attribuer deux causes distinctes. La première concerne les jeux d'horreur dans leur ensemble : depuis le précédent créé par l'affaire Wizard Video Games, en 1983, les éditeurs ont pris conscience que le genre n'était pas le bienvenu sur consoles, et que transgresser l'interdit revenait à subir les foudres d'un boycott drastique, de quoi mettre la clef sous la porte. Le salut du jeu d'horreur va alors résider dans l'émergence des micro 8-bits, Domark montrant le chemin à suivre avec Friday the 13th : The Computer Game, sorti sur C64 en 1985. L'autre cause est inhérente au montage financier ayant permis la production de Dawn of the Dead : il résulte de sa complexité une fragmentation des droits sur le film, de part et d'autre de l'Atlantique, se traduisant notamment par la coexistence de plusieurs versions officielles ainsi qu'une incapacité des ayant-droits à s'accorder au sujet des produits dérivés. Le côté positif de cet imbroglio juridique est qu'il laisse la porte ouverte aux adaptations officieuses, à charge pour un éditeur audacieux de tenter le coup : c'est là qu'Ubi Soft entre en scène. La société voit le jour en Avril 1986, créée par les cinq frères Guillemot. Ces derniers se sont jusqu'à présent spécialisés dans la distribution de matériel informatique et de logiciels de jeux étrangers, à travers Guillemot International Software. GIS connaît alors une croissance importante, surfant avec succès sur la vague des jeux Commodore importés, et parvenant même à décrocher quelques contrats avec le Ministère de l'Éducation Nationale. Reste que cinq frères pour gérer une même société, cela fait beaucoup, et les conflits d'autorité ne manquent pas de survenir : puisque les branches hardware et software sont chacune en plein essor, les Guillemot décident bientôt de les séparer en deux sociétés distinctes ; tandis que GIS, la maison mère, conservera la distribution du hardware, la nouvelle entité se concentra sur le software. Elle est baptisée Ubi Soft, en référence au concept d'ubiquité : animés par une ambition sans freins, les Guillemot ne visent pas moins qu'à être partout à la fois dans le monde... Le Plan Informatique pour Tous, mis en place par le gouvernement Fabius au début de l'année 1985, va toutefois interférer dans le bon déroulement des opérations. En effet, dans son sillage est adoptée une politique d'incitation à l'embauche des jeunes programmeurs français. Des sociétés telles qu'Ubi Soft se voient alors reprochées d'importer massivement des produits culturels sur le territoire national, plutôt que d'exploiter le savoir-faire des créatifs locaux. Une sanction fiscale n'étant pas à exclure, les Guillemot se sentent "encouragés" à faire un geste significatif. C'est dans ces circonstances que la branche édition d'Ubi Soft voit le jour, étant entendu pour la fratrie qu'il ne s'agira, dans un premier temps, que d'une simple vitrine destinée à satisfaire les exigences du gouvernement, l'activité principale de la société demeurant la distribution de softwares. Durant les deux premières années d'Ubi Soft, les locaux destinés au développement de jeux sont loués à Créteil. Gérard Guillemot supervise alors la branche conception mais ne s'y implique qu'occasionnellement, laissant toute latitude à la directrice engagée pour l'occasion, une certaine Sylvie. À elle donc de recruter les premiers salariés du studio et de se débrouiller pour produire un jeu, n'importe lequel, l'essentiel étant qu'il voit le jour et se vende de préférence. Les frères Guillemot, à défaut d'un réel investissement personnel, parviennent néanmoins à décrocher auprès des éditions Dupuis la licence de Gaston Lagaffe, utilisée dans un petit titre sympathique du nom de M'enfin, habile clone de Cluedo se déroulant dans l'univers du célèbre personnage de BD. Jouant de son côté les chasseuses de tête, la directrice nouvellement nommée estime que plutôt que de miser sur de parfaits inconnus, il vaut mieux aller chercher les talents là où ils se trouvent : chez la concurrence. Sylvie commence donc par débaucher Patrick Daher de l'éditeur Rainbow Production. Le graphiste lui parle aussitôt d'un projet commun avec un ami d'adapter en jeu vidéo le film Zombie, sorti dans les salles obscures françaises trois ans auparavant, et dont ils sont tous les deux fans. Daher se montre particulièrement convaincant quant à la viabilité du projet et surmonte sans trop de peine les quelques réticences de la directrice. Cette dernière ayant carte blanche, l'ami en question, Alexandre Bonan, est embauché à son tour en tant que scénariste du futur jeu. Les deux passionnés se lancent aussitôt dans la conception d'un univers graphique digne du long-métrage de Romero : Bonan élabore un premier story-board destiné à poser l'ambiance générale, tandis que Daher œuvre pour retranscrire à l'écran de son ordinateur les décors urbains de Zombie, en insistant sur leur côté froid et oppressant. A ce stade, l'aspect créatif prime sur toute autre considération ; mécaniques de jeu et éléments de gameplay baignent encore dans le flou artistique. Reste pour la directrice à recruter un programmeur à même de chapoter le développement. Toujours chez Rainbow Production, son chemin croise celui de Yannick Cadin, étudiant perdu dans une filière informatique qui ne lui apprend pas grand-chose et ne répond en aucune façon à ses aspirations. Visitant par curiosité les locaux de Rainbow Production, le jeune programmeur a vite fait d'attirer l'attention de Sylvie et se retrouve peu après en plein entretien dans son bureau. Au fil de la discussion, Cadin mentionne qu'il a fait ses premières armes sur un ZX-81, un Canon X607, puis un CPC 664. À l'énoncé de cette dernière machine, l'intérêt de la directrice se voit décuplé dans la mesure où le premier jeu édité par la société Ubi Soft est justement destiné aux micros Amstrad. Elle veut alors convaincre Yannick de rejoindre l'équipe de développement, tandis que ce dernier s'efforce de lui faire comprendre qu'il n'a pas encore le niveau requis, n'ayant jamais écrit de programme de plus cent lignes en assembleur. Mais devant l'insistance ainsi que l'enthousiasme affichés par la jeune femme, Cadin finit par se laisser tenter et se lance à son tour dans l'aventure. Lorsqu'il fait la connaissance de ses collaborateurs, Yannick ne peut s'empêcher au premier abord de les trouver un brin décalés, étant lui-même assez peu fan de films d'horreur. Il n'a d'ailleurs jamais vu Dawn of The Dead et décide de ne pas le visionner dans l'immédiat, préférant se fier au story-board de Bonan pour avoir un aperçu de l'univers adapté. Ce choix de demeurer en retrait lui permet d'apporter un regard neuf sur le projet, certes moins passionné que celui de ses collègues, mais davantage axé sur les aspects pratiques du développement. Tout ce beau monde se met alors au travail, sans toutefois qu'une question cruciale n'ait été abordée : quid des ayants droit du long métrage adapté ? Alors que l'acquisition d'une licence semblait aller de soi, Ubi Soft n'a apparemment jamais pris cet aspect en considération, le staff se contentant de changer le titre français "Zombie" en "Zombi" et de modifier les noms des personnages, afin de se couvrir contre toute action ultérieure...
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