Alors voilà, j’ai fini Disco Elysium (version GoG) et c’était super - même si j’en suis ressorti rincé. 33h27 de jeu d’enquête, ça finit par être quelque peu épuisant.
Sorti en 2019, le jeu nous plonge dans une fiction urbaine en incarnant un flic chargé d’enquêter sur un meurtre dans le quartier déshérité de Martinaise, un soldat retrouvé pendu dans une cour derrière un bar. Le truc, c’est que ça fait une semaine que le corps est là à se faire caillasser par des gosses et que ça n’avance pas...tout simplement parce que le personnage que vous allez incarner n’a rien fait d’autre que la tournée des bars. Et non, il n’a pas juste bu un verre de trop, mais il s’est mis ce que l’on peut raisonnablement appeler la Murge du Millénaire. Un cocktail de tous les whiskys, stupéfiants et on ne sait quoi d’autre qui a fait plus que le mettre K.O, ça lui a désintégré sa personnalité : il ne sait absolument plus qui il est, ce qu’il vient faire là, et n’a plus la moindre idée du monde dans lequel il vit. C’est là que le joueur en prend le contrôle, dans sa chambre d’hôtel, en slip et la moitié du mobilier détruit...et un collègue flic qui l’attend en bas pour continuer l’enquête.
Le premier constat que fait le jeu, est de reconnaître qu’au 21e siècle il n’est tout simplement plus possible de faire un polar «classique». Toute la famille des
whodunit a été rincée, séchée, essorée, la formule seule ne suffit plus désormais ; c’est pour ça qu’à la recherche du meurtrier, le jeu y ajoute la recherche de l’identité perdue. Et on se demande assez vite laquelle des deux sera la plus difficile...
On peut aussi augmenter et diminuer temporairement les points en s'habillant. On trouve plein d'habits à Martinaise...ce qui donne lieu à des moments assez étranges où un détective va se déshabiller/rhabiller constamment devant son interlocuteur
J’ai employé le terme «désintégré» plus haut pour évoquer la personnalité de l’avatar, terme qu’il faut prendre ici au premier degré - elle a été atomisée en maints morceaux qui vont servir, d’un point de vue pragmatique, comme autant de statistiques. On vous demandera de choisir un archétype à la création, ou alors de choisir la répartition vous-même, et ensuite de choisir parmi ces 24 pans de vous-même un «point fort», un trait particulièrement saillant qui aura tendance à ressurgir plus souvent que les autres (et qui a une incidence assez tragique vers la fin du jeu...).
Chacune de ces statistiques sont autant de morceaux de personnalité qui interviendront dans un monologue interne à chaque fois qu’elles jugeront nécessaire leur intervention, et ce de deux manières, passive et active, lors de «checks». Pour les petites actions/réflexions sans grande conséquence, on parle de «Checks passifs», où il s’agit juste d’avoir un chiffre égal ou supérieur à la difficulté affichée. Pour les actions et dialogues importants en revanche, il va falloir passer un «Check actif», où le jeu va lancer 2 dés à 6 faces, et le résultat combiné au chiffre de départ déterminera la réussite ou l’échec. Ces checks actifs peuvent le plus souvent être retentés - ce sont des «White Checks» - si on met un point bonus dans la statistique appropriée ou si l’on parle à la bonne personne ; mais parfois on a le droit qu’à un seul essai, on parle alors de «Red Checks».
Certains d’entre vous ont-ils pensé à un jeu de rôle, et entendu les dés rouler ? C’est normal : le jeu a été d’abord pensé pour en être un ! Inutile de dire qu’étant moi-même en pleine campagne (un an et demi à jouer à
Vampire la Mascarade...), la démarche me parle tout particulièrement.
A 30 heures passés, je n'ai pas débloqué la moitié des Pensées disponibles, autant dire qu'il y a de quoi faire pour se fabriquer une personnalité sur mesure - et faire un bon nombre de parties. Il n'y a que 12 emplacements, ce qui est peut-être un peu dommage...
Vous allez gagner des points d’expérience, et grâce à eux, des points à allouer à vos statistiques...ou alors à vos pensées. Car en bon amnésique de fiction, vous avez tout perdu et ça a laissé un grand nombre de trous à reboucher dans votre petit cervelet. Et votre enquête va vous permettre de penser à plein de sujets qui vont se matérialiser sous formes de Pensées : votre avatar peut donc y consacrer quelques heures (le temps passe en jeu, et vous n’êtes pas obligé d’attendre sans rien faire pendant ce temps) à y penser, jusqu’à matérialiser une idée. Il faudra verrouiller l’idée dans le «Thought Cabinet» en dépensant un point, ou le dépenser en déverrouillant un emplacement, puis attendre que la pensée ait macéré suffisamment longtemps pour en faire une idée. Une idée a plusieurs effets, comme une grosse augmentation de statistiques au détriment d’une autre, un bonus passif comme un gain d’XP, ou des choix de dialogues qui vont apparaître. Vous pouvez même dépenser un point pour en oublier une et faire de la place à une nouvelle pensée. Et des pensées, il y en a plein Martinaise !
Votre/vos enquête/s vont vous balader dans tout le quartier, dans lequel une guerre féroce a laissé des cicatrices dans les rues et dans les cœurs. Et le premier constat que l’on fait est :
ce que c’est dense ! Martinaise lui-même est plutôt petit, mais il s’y passe tant de choses qu’on a vite l’impression d’être submergé par les informations qui nous arrivent dessus, à nous et au pauvre avatar qui a tout juste réussi à retrouver ses vêtements (ou pas, fichue cravate...) et qui ne sait pas trop commencer annoncer à son collègue qu’il a battu le record universel de la cuite. Il va falloir prendre le, les problèmes comme ils viennent, un par un, et faire le tri - vous pouvez tout à fait en ignorer la plupart : dans ce cas, prenez mon temps de jeu et retranchez-lui environ 10 heures. J’ai pris mon temps pour deux raisons, la première étant que je suis comme ça, la seconde est que le jeu est particulièrement bien écrit, et que ce fut un plaisir que de la parcourir.
Le studio ZA/UM est assez différent d’un studio classique, dans le sens où c’est avant tout un collectif d’écrivains, ce qui entraîne plusieurs choses, la première étant un soin tout particulier au texte, à l’univers, aux descriptions et aux dialogues, notamment les registres de langage, ainsi que les langues elle-même, la fiction de Martinaise étant un mélange entre l’anglais, le néerlandais et le français. Cela donne beaucoup de cachet à l’ensemble, et tout passe par les monologues internes ou les dialogues, nul besoin de codex. Il y a aussi les différents choix dans les dialogues qui importent peut-être moins pour l’enquête que pour l’avatar lui-même : ainsi,
ce que l’on ne dit pas aura autant d’importance que ce que l’on dit. Alors attention, joueur inattentif en vitesse de croisière qui clique sur tout et n’importe quoi, à ne pas valider une option de dialogue te faisant passer pour un gros fasciste aux yeux de ton interlocuteur !
De fait, quand on dialogue on ne fait pas qu’accumuler une masse d’informations, on découvre aussi une vie, un autre pan d’un quartier abandonné. Ces militants qui ont pendu l’homme que vous cherchez ? De braves hommes, travaillant à réguler la violence dans les rues pour le syndicat des travailleurs locaux faisant office de
mafia ; cette cliente de la chambre voisine ? Elle a vu la pendaison, mais refuse dire quoi que ce soit par peur que de vieux ennemis n’arrivent à la traquer ; ce sale gosse qui caillasse la dépouille du pendu ? Abandonné par son père qui ne lui a laissé que du speed en héritage, il est très agressif mais recherche avant tout à être respecté et a un œil pour l’art...Ici, tout est dans la nuance, le clair-obscur, personne n’est innocent, pas même celle que l’on appelle «innocence», mais tout le monde mérite qu’on lui prête attention.
Si le point fort de Disco Elysium est sans contexte son écriture, il en est aussi son point faible, comme le côté face d’une même pièce. Car à vouloir faire un jeu dense et bien écrit, il a tendance à verser dans le babillage verbeux...parfois. Aussi curieux que cela puisse paraître, cela ne se manifeste pas tout le temps, certains personnages le sont (peut-être à dessein, comme Jean-Luc le raciste ?), certains pans de personnalité en sont régulièrement coupables (je pense à
Encyclopedia et
Shivers)...
Une critique qu’il faut tempérer car le jeu est en anglais, et quoi que puissent être mes facilités pour les langues étrangères, ce n’est pas ma langue maternelle et je rencontre vite mes limites quand je suis confronté à de l’anglais soutenu, imagé, voire poétique. On verra ce qu’il en reste une fois la traduction française terminée.
L’autre critique que je lui ferais réside dans son système de sauvegarde. Il est très bon, hein ! A part dans les dialogues, on sauve quand on veut sans limitations. Et justement...ça permet de contourner les Checks en se contentant de recharger la partie jusqu’à ce que les D6 fassent un bon jet. J’aurais vu quelque chose de plus définitif, plus proche de ce que font les Souls par exemple qui sauvent automatiquement, histoire que les choix et les échecs pèsent plus lourd sur le joueur sans qu’il ait la possibilité de tricher (et ça revaloriserait certains Idées).
J’ai vécu Disco Elysium comme si je mangeais un mille-feuilles aussi délicieux que bourratif. Je me suis pourléché les babines, c’était un des meilleurs jeux d’aventure auxquels j’ai pu jouer, il m’a offert des moments de jeux jamais vu nulle part ailleurs. Mais je suis pareillement très content de passer à autre chose ! Sûrement un de mes jeux 2020 - qui sont tous des jeux GoG d’ailleurs.
_________________
"Si Kage t'y arrives pas, essaie les pruneaux d'Agen !"
Shenron, pendant une soirée Virtua Fighter 5 Ultimate Showdown.