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Conan : Hall of Volta
Année : 1984
Système : Apple II ...
Développeur : SE Software
Éditeur : Datasoft
Genre : Action / Plate-forme
Par Jean-Christian Verdez (12 août 2024)

À la seconde où le Jeu Vidéo est devenu ne serait-ce qu'un tout petit peu exploitable au yeux des commerciaux, on a vu apparaître des jeux à licence. Cherchant à attirer un maximum de joueurs grâce à un nom évocateur (Sherlock Holmes, Lovecraft...), surfant sur la popularité et la publicité gratuite d'un succès parallèle (un film fraichement sorti au cinéma, un sportif populaire...), ou simple produit dérivé, la qualité du résultat n'était pourtant pas garantie. C'est même plutôt l'inverse : par contraintes du calendrier pour coïncider avec la sortie du film, par déficit budgétaire vu que tout l'argent a été dépensé dans la licence, ou par pur cynisme puisque de toutes façons le jeu va se vendre sur son simple nom, les raisons potentielles sont nombreuses pour que ce type de productions soit au final très inférieur aux standards de la machine les faisant tourner, et ne parlons même pas des attentes du joueur vis-a-vis de son univers préféré. Et tout ceci était particulièrement vrai dans les années 80, époque où le jeu vidéo était encore balbutiant en termes de gameplay, et très limité sur ses aspects techniques. On a tous, dans notre parcours vidéo-ludique, un ou plusieurs jeux que l'on avait acheté, pleins d'espoir, sur les promesses d'une jaquette se référant à notre film ou série favorite, et qui se sont révélés complètement nuls !

Et puis de temps en temps, le miracle : le jeu est bon, la licence est respectée, le chef d'œuvre promis existe bel et bien ! Rares, ces softs en deviennent souvent légendaires, précisément parce que la licence est déjà connue de tous, même de ceux qui ne possèdent pas la console voire qui ne s'intéressent au jeu vidéo qu'en dilettante. (Goldeneye demeurera toujours plus populaire que Perfect Dark, même si ce dernier est tout aussi bon voire meilleur).

Ce qui nous amène au jeu traité aujourd'hui, qui pose une simple question : Conan : Hall of Volta, arnaque pariant sur la popularité d'un film hollywoodien et de son acteur principal, ou classique incontournable des micros 8-bit ? Eh bien, les deux mon capitaine !

Conan le Gamer

Avant d'être un jeu, Conan Le Barbare est donc un film de 1982 signé John Milius et lui-même adapté librement de nouvelles écrites par Robert E. Howard durant la première moitié des années 30. Ces histoires racontent les aventures épiques de Conan, un barbare originaire de Cimmérie, et se déroulent 10.000 ans avant notre ère. Tombés un temps dans l'oubli, plusieurs de ces récits sont aujourd'hui considérés comme des classiques du genre. L'adaptation en film n'a elle-même pas rencontré le succès tout de suite, bien qu'on la considère désormais comme une œuvre incontournable, ayant lancé la carrière d'Arnorld Schwarzenegger, ce qui sera confirmé par la suite avec le tout aussi remarquable Terminator. Le jeu est édité deux années plus tard et coïncide avec la sortie du second film, Conan Le Destructeur, toujours avec Arnold. Cependant, le scénario du jeu ne correspond à aucun des deux films, ni même à aucune des histoires originales de Robert Howard.

Conan est un jeu d'action et de plates-formes dans lequel vous incarnez donc le fameux Cimmérien, ayant pour mission de détruire Volta qui se terre dans sa forteresse. Pour mener à bien cette aventure, vous ne disposez que de votre force, votre agilité, et d'une dizaine d'épées boomerangs. À un certain moment dans votre progression, vous pourrez aussi compter sur l'aide d'un "allié volant" (c'est ainsi que le manuel le décrit), qui vous aidera à franchir sans encombres un lac de lave. Au cours de son aventure, Conan va devoir affronter plusieurs créatures hostiles au travers de sept tableaux bien distincts et à la difficulté croissante :

Niveau 1 - Le Château : Rien de très sorcier ici, ce niveau est idéal pour se familiariser avec le maniement. Conan peut marcher, courir et sauter en faisant de magnifiques sauts périlleux. Ici, l'unique ennemi ne devrait pas être un problème, son pattern de déplacement est facile à comprendre et anticiper. Tuez-le avec une épée-boomerang, ou esquivez-le si vous êtes magnanime. Astuce : avant de tuer la chauve-souris, trouvez le moyen de sauter dans l'arbre à droite, un bonus s'y cache !

Niveau 2 - Les Douves : Là encore, la difficulté reste raisonnable. Un zeste de die&retry histoire de vous enseigner l'importance de maîtriser sa vitesse lors des sauts. En effet, vous sauterez plus ou moins loin selon que vous marchez ou courez, en outre heurter un obstacle pendant un saut vous fait reculer, et éventuellement tomber dans les douves ou les pics. Ce tableau est donc un pur passage de plates-formes.

Niveau 3 - La Caverne de Lave : Les ennuis commencent vraiment. Il vous faut trouver une gemme pour activer un passage. Pour y accéder, un téléporteur qui fonctionne en intermittence, et un vilain scorpion ainsi que deux espèces de fourmis géantes vous barrent le passage et se déplacent de façon erratique... Notez cependant la présence d'un grand oiseau, le bien nommé allié ailé ! Peut-être que le toucher à l'aide d'un audacieux saut périlleux pourrait vous apporter quelque chose ?

Niveau 4 - Les Souterrains : Sautez de plate-forme en plate-forme, tout en esquivant/tuant les crabes-sauteurs (ou quoi que ça puisse être) et en récupérant des armes qui apparaissent de façon aléatoire à l'écran. Pensez aussi à refaire le plein d'épées-boomerang si nécessaire, et peut-être aussi oserez-vous prendre une petite gemme supplémentaire avant de passer au tableau suivant, juste au cas où.

Niveau 5 - La Salle aux Dragons : Des dragons cracheurs de feu patrouillent dans les couloirs, gardant une porte verrouillée. La porte ne s'ouvrira qu'après avoir terrassé tous les dragons. Petit problème, ils respawnent, consumant pour cela l'une des nombreuses gemmes situées au sous-sol... Vos épées-boomerang seront plus utiles que jamais ici, mais souvenez-vous que les flammes de ces lézards belliqueux peuvent les détruire instantanément !

Niveau 6 - L'antichambre : À nouveau un lieu plus orienté plates-formes. Ici, vous devrez esquiver les étincelles électriques mortelles et invulnérables qui se déplacent de façon aléatoire le long des échelles et du sol. Trouvez un moyen de détruire le générateur au centre de la pièce, afin de désactiver la protection qui vous empêche de continuer votre route. Pendant ce temps, un oeil volant vous traque, et des plates-formes horizontales forment régulièrement des arcs électriques dévastateurs.

Niveau 7 - La Forge de Volta : Finalement, le repaire de l'ignoble Volta, et le tableau le plus difficile (quoique tout-à-fait surmontable avec un peu d'entrainement) ! Volta transforme des gemmes en étoiles géantes très agressives et rapides, et qui semblent immunisées contre les attaques à l'épée... À moins qu'il ne faille les attaquer à un moment précis ? Vous devez trouver un moyen de récupérer trois gemmes, qui libèreront votre ami l'oiseau, capturé par Volta ! Ah, et accessoirement, des abeilles géantes viendront régulièrement vous importuner. Une fois cette ultime épreuve passée, vous pourrez assister à la fin de votre ennemi, et quitter cette zone maudite vers l'écran de fin du jeu !

En outre, si vous êtes un fanatique du high-score, voici un tableau récapitulatif des gains possibles pour chaque action du jeu ainsi que le(s) niveau(x) concerné(s) :

ActionNiveauScore
Tuer la chauve-souris1750
Rester à l'intérieur de la bulle310 par "tick"
Prendre une clef2,41000
Ouvrir une porte2,4,52500
Mettre un diamant dans son réceptaclen/a5000
Tuer un crabe-sauteur4750
Tuer un dragon52500
Neutraliser une foudre-dragon50
Toucher une étoile verte7750
Toucher une étoile pourpre7750
Tuer une abeille géante715050
Toucher votre allié volant3une vie en plus
Finir un niveaun/a1000 * (numéro du niveau)
Bonus de fin de jeun/a20000 * (nombre de vies restantes)

Comme on peut le constater, Hall of Volta fourmille de petits détails malins, d'astuces pour ne pas dire de secrets pour progresser. L'une des particularités du jeu est qu'un certain nombre de "bonus" sont éparpillés au fil des tableaux. Ces bonus ne pourront être récupérés qu'en faisant preuve d'adresse et de dextérité. Je me souviens encore lorsque, petit, je découvrais l'utilité de l'oiseau au niveau 3 (offrant une très utile vie supplémentaire), ou encore le fait qu'on pouvait accumuler des gemmes et épées-boomerangs pendant le niveau 4. À une époque où les jeux micro de ce type étaient généralement très dirigistes quant à la façon de résoudre leurs énigmes, Conan était très avant-gardiste. Le simple fait de pouvoir au choix marcher ou courir, et ainsi prendre plus ou moins d'élan en sautant, avait en 1984 un goût de sensationnel.



Une autre particularité est la diversité des messages de Game Over qui ponctuent la fin d'une partie. Il en existe au moins une vingtaine, et il y a un mélange d'humour et de sagesse dans ces épitaphes. Nul doute que si les achievements avaient existé en 1984, l'un d'entre eux aurait consisté à expérimenter au moins une fois chaque mort ! En tout cas il est amusant de constater la générosité du jeu jusque dans l'affichage d'un simple Game Over !

Hall of Volta peut paraitre un peu court aujourd'hui (et il l'est), mais chaque niveau est finement travaillé, et on y revient encore et toujours. Avec l'expérience, on s'essaye à des runs parfaits, ou bien on améliore son score au maximum, ou encore on tente un classique speedrun... Hall of Volta fait partie de cette poignée de softs de l'époque qu'on pouvait très bien ne plus lâcher une fois plongé dedans, à l'image de Lode Runner, ou Manic Miner, jamais lassants. Un petit bémol toutefois, histoire de critiquer, le jeu exploitait au maximum les capacités de la machine, et certains niveaux sont tellement riches en personnages qu'il arrivait parfois que le pauvre Apple II ait du mal à suivre, octroyant un ralentissement généralisé à l'écran... Mais bon, ça fait aussi partie de son charme.

Tout ceci étant dit, à ce stade, on pourrait s'étonner de plusieurs choses étranges : Depuis quand Conan, barbare de son état, possède-t-il une aussi bonne technique de saut périlleux ? Depuis quand se bat-il avec des épées-boomerang ? La réponse est simple : depuis jamais ! Ce jeu, en réalité, n'a pas du tout été créé pour l'univers de Conan, c'est tout simplement un autre soft sur lequel l'éditeur Datasoft a accolé une licence vendeuse en fin de développement :

L'écran titre officiel à gauche, et en exclusivité pour Grospixels, la version d'origine telle qu'on peut la découvrir en faisant volontairement planter le jeu au milieu de l'aventure, moyennant une petite manipulation barbare.

À l'origine, Hall of Volta s'appelait VisiGoth. J'en avais moi-même fait la découverte totalement par hasard en faisant bugger le jeu sur mon vieil Apple II. En effet, une manip' (qui fait accessoirement planter l'ordi) permet d'afficher l'écran-titre d'origine, encore enfoui quelque part dans le code source, et preuve que la licence Conan est arrivée plus tard...

On peut d'ailleurs noter que du côté des adaptations, outre les versions Atari 800 et Commodore 64 sorties dans la foulée, le jeu est paru l'année suivante au Japon, sur MSX puis Sharp X1 (puis en 1986 sur FM-7 et PC-88, histoire de servir toute la gamme micro-informatique japonaise). À cette occasion, il perd la licence Conan et retrouve son nom d'origine, Vizi Goth, ainsi qu'une jaquette totalement différente. Cette conversion est signée Soft Pro International, qui s'était fait une spécialité d'adapter pour le marché nippon des jeux venus du pays de l'Oncle Sam. Dans leur catalogue, on trouve par exemple Aztec, Spare Change, Lode Runner, Choplifter, entre autres...

Alors, ça valait le coup ?

En tant que jeu à licence, Conan : Hall of Volta est mauvais puisqu'il ne respecte à peu près rien de l'univers original, faisant de notre barbare favori un maître voltigeur et lanceur de boomerang. En revanche, en tant que jeu vidéo tout court, il s'impose sans difficulté dans le top 10 des incontournables de la ludothèque Apple II ! Original, au gameplay varié, à la difficulté bien dosée, on y revient régulièrement pour refaire une petite partie, progresser et améliorer son score. Et si le fait d'avoir changé le titre et collé la tête de Schwarzy sur la boite a permis d'attirer l'attention du public, augmenter les ventes et mettre ce jeu entre les mains d'un maximum de joueurs, alors oui, pour une fois, ça valait le coup !

Jean-Christian Verdez
(12 août 2024)