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Donkey Kong Country: Tropical Freeze
Année : 2014
Système : Switch, WiiU ...
Développeur : Retro Studios
Éditeur : Nintendo
Genre : Plate-forme / Action
Par MTF (23 novembre 2022)
Les images sont issues de la version Switch, quasiment identiques à l'originale sur WiiU.

Donkey Kong Country: Tropical Freeze est à mes yeux l'un des meilleurs, si ce n'est le meilleur jeu de plates-formes 2D de tous les temps. Voilà. Il est rare que je commence un article par sa conclusion, mais je pense que c'est paradoxalement là la meilleure façon de procéder. Cet épisode, qui hélas échoua à véritablement trouver son public compte tenu du relatif insuccès de la WiiU en son temps, parvint heureusement à trouver un second souffle sur Switch à la faveur d'une ressortie, qui ne bouleversa pas franchement son identité mais rajouta deux ou trois éléments.
Plus j'y pense, plus je vois TF comme le Donkey Kong Country 2 de la série historique : une refonte en profondeur d'un épisode original bien sous tout rapport, mais qui souffrait de quelques limitations dommageables, et qui de fait s'impose comme la version définitive.

Il est vrai qu'au premier coup d'œil, le jeu semble identique au précédent. Et pourtant...

Le développement de l'épisode commença juste après la sortie de Donkey Kong Country Returns en 2010. L'équipe, des dires de Nintendo, « en avait encore sous le capot » et désirait implémenter plusieurs idées qu'elle n'avait pu, jadis, mener à terme. Le projet fut bâti avec la WiiU en tête, comme la Wii arrivait en fin de vie commerciale, et après une annonce en 2013, le jeu sortit l'année suivante. Si la presse fut particulièrement enthousiaste, les ventes furent plutôt décevantes, mais on peut facilement les imputer à la relative discrétion de la console.
De mon côté, je n'ai jamais été plus heureux de parcourir, reparcourir et achever parfaitement un jeu de plates-formes de toute ma vie de joueur. C'est un genre que j'aime depuis mes plus jeunes années, et auquel je reviens constamment : et sans mentir, TF est de loin le plus abouti que je puis connaître.

Donkey et ses compagnons sont toujours aussi puissants, et ils sont prêts à refroidir les méchants !

Ça va jeter un froid

L'histoire, tout aussi prétexte que celle du jeu précédent, commence lors de l'anniversaire de notre gorille adoré. Autour d'un joli gâteau, Cranky Kong, Dixie et Diddy attendent que Donkey souffle sa bougie. Mais au moment où il prend son souffle, un flocon de neige entre par la fenêtre de la hutte, virevolte et vient éteindre la flamme. Interloqués de voir ainsi de la neige sous leur climat tropical, les macaques se rendent au-dehors et contemplent un spectaple inédit à l'horizon. Des bateaux vikings, menés par les Frigoths et leur chef le morse Frighorrifik, suivis par une tempête nordique irréelle, sont décidés à prendre possession de l'île Donkey Kong. Frighorrifik souffle alors dans une corne de brume géante, et invoque un genre de dragon de glace formidable.
En moins d'un instant, toute l'île Donkey Kong est plongée dans un hiver sibérien, gelant les temples, cristallisant la mer, tuant les plantes et les arbres. Le vent glacial est si fort qu'il projette, manu militari, nos sympathiques simiens bien, bien loin sur une île voisine, épargnée par l'attaque. Tandis que Donkey Kong chute dans la carcasse d'un ancien hydravion, abandonné suite à une avarie, le voilà bondir furieux du cadavre de métal, bien décidé à virer ces froids amphytrions et à recouvrer ses pénates.

L'hiver arrive tôt cette année, vous trouvez pas ?

Je ne ferai nullement croire qu'il s'agit là d'une histoire révolutionnaire mais, pour être parfaitement franc, ce n'est jamais vraiment pour ça qu'on joue à un jeu de plates-formes. En revanche, la cinématique d'ouverture est absolument bluffante et encore maintenant, je ne peux la revoir sans être soufflé par sa qualité. La musique, qui commence gentiment sur le thème de la série avant de basculer vers celui des Frigoths, menaçants en diable et aux accents celtiques, est d'une composition exemplaire ; la mise en scène est efficace, et il est plaisant de voir ces nouveaux ennemis, des pingouins, des manchots et des morses, jouer en rythme du tambour coiffés de chapeaux à pointes ; la technique, surtout, a fait un sacrée bon en avant.
Nintendo, on le sait, est à la traîne quant au hardware de ses consoles depuis la Wii. La WiiU rattrapait un peu son retard, même si cruellement décalée au regard de ses concurrentes, mais pour quelqu'un qui, comme moi, était passé d'une console de Nintendo à l'autre, l'évolution était bluffante. De la haute définition, des détails nombreux sur la fourrure des créatures ou les effets de particule, le poudreux de la neige : certes, cela se voyait déjà assez bien ailleurs, mais c'était la première fois que Nintendo se risquait à l'exercice, et c'est une superbe réussite.

L'animation, les détails, le choix des couleurs : c'est un sans-faute.

Cependant, il y a davantage dans ce jeu qu'un simple Donkey Kong Country Returns HD, même si c'est l'impression que nous pouvons avoir au commencement. Tropical Freeze sait particulièrement bien réinventer son modèle, garder ce qui fonctionnait, transformer ce qui devait l'être et supprimer ce qui n'allait pas. En épurant définitivement sa ligne et en allant jusqu'au bout de ses folies, cette suite correspond parfaitement à ce qu'on attendait d'elle.
Reprenons cependant les choses dans l'ordre, et faisons un inventaire éclairé de ce que nous réserve cette aventure extraordinaire, qui gagne des qualités au fur et à mesure des années.

Les colonels des Frigoths, qui prennent la place des boss des différents mondes, sont déroutants de personnalité alors qu'on les voit très rapidement.

Trois fois plus de plaisir

L'essentiel du gameplay n'a guère évolué depuis le jeu précédent. Sa physique réinventée, son rythme, la puissance impressionnante de son personnage principal, tout cela est comme quasiment identique à Donkey Kong Country Returns, à l'animation près ; mais il faut dire que Retro Studios avait déjà atteint jadis une forme de perfection ici. En termes de possibilités d'action, le souffle a laissé sa place à la possibilité de tirer des cerceaux du sol pour faire apparaître divers objets ou débloquer la suite d'un niveau particulier. C'est une amélioration bienvenue : le souffle n'apportait pas grand chose au jeu et le ralentissait plus qu'autre chose, et ce nouveau geste s'insère plus harmonieusement au rythme global de la partie.
La plus grande nouveauté provient, en revanche, du ou de la partenaire qui pourra nous accompagner au long de l'aventure. Jadis, seul Diddy pouvait grimper sur nos épaules : cette fois-ci, Dixie et Cranky sont aussi de la partie, avec leurs propres possibilités d'action.

Les compagnons nous obligent à repenser drastiquement la façon d'aborder les épreuves du jeu.

Si leur rôle consiste encore à donner deux cœurs de vie complémentaires à Donkey Kong, c'est surtout pour leurs nouvelles possibilités de déplacement qu'on les choisira. Diddy conserve ses jet-packs qui permettent d'adoucir les chutes et de gagner un peu de distance horizontale. Dixie, quant à elle, donne une sorte de double-saut bien utile pour gagner de la hauteur et se rattraper au long des nombreuses phases de plates-formes. Cranky, enfin, se prend pour Picsou dans Duck Tales et se sert de sa canne comme d'un bâton à ressort pour écraser les ennemis et traverser les ronces et les picots sans difficulté.
Même si le jeu nous contraint parfois, et notamment en début d'aventure, quant au choix de notre partenaire, on aura très rapidement le choix. Les tonneaux « DK » pivotent sur eux-mêmes à intervalles réguliers, avec un code couleur nous renseignant sur le compagnon qu'on aura. En ce sens, et même si l'habitude nous fera comprendre qu'un singe est généralement à préférer dans telle ou telle phase de jeu, nous sommes assez libres de notre style. J'ai personnellement préféré parcourir le jeu avec Dixie, qui autorise à se rattraper si notre saut n'avait pas été bien chronométré ; les speedrunners ne jurent généralement que par Cranky, qui permet d'atteindre des vitesses irréelles en séquençant parfaitement ses rebonds. Cette dynamique fait franchement évoluer notre rapport aux obstacles, d'une façon toute inédite pour la saga.

La roulade et les tonneaux canons sont encore de la partie, même si ces derniers semblent plus en retrait cette fois-ci.

En ce sens, le jeu gagne une rejouabilité nouvelle, notamment dans les épreuves de Time Trials conservées du jeu précédent. Cette fois-ci, l'on a accès à un classement en ligne et surtout aux replays des joueurs et joueuses précédentes, ce qui permet de voir leurs différentes stratégies. Même sans ça, les niveaux se font bien plus nerveux que jadis, et nous n'avons plus ces séquences un peu longuettes du premier jeu : chaque stage est à présent finement ciselé, et on prend tant plaisir à les parcourir une première fois à un rythme mesuré qu'à se confronter aux chronomètres pervers pour dégoter les médailles d'or brillant, dernière des récompenses accessibles.
Il faut dire également qu'au regard du jeu précédent, le nombre de niveaux et de mondes a été bien réduit. Ce n'est pas un mal : en contrepartie, ils se font plus concentrés et maintiennent un niveau d'inventivité et d'exigence inédit dans le genre, tant et si bien que je peine à dire avec certitude que j'aime moins un stage en particulier comme ils sont tous très réussis. Ils tournent tous autour d'une nouvelle mécanique de jeu, d'un nouvel ennemi ou d'un nouveau concept, et se distinguent franchement les uns des autres : c'est une école de design que j'aime plus que tout, et qui est poussée ici dans ses ultimes retranchements.

Le niveau du tonneau-fusée, où l'on affronte un robot géant, et celui de la scierie, en chariot minier, sont les plus frénétiques jamais vus dans un jeu de plates-formes jusqu'à aujourd'hui.

Belles îles en mer

Plutôt qu'un parcours tout autour de l'île Donkey Kong, ce sera cette fois-ci six îles distinctes (et une dernière, cachée) que nous visiterons, la sixième étant notre foyer parfaitement gelé. Chacune d'entre elles compose un genre de biodome dédié à un univers particulier : la jungle, la forêt continentale, la savane, un atoll tropical. Contrairement à ce que l'on pourrait croire initialement, ce décor ne justifie pas nécessairement la redite : s'il est une continuité thématique patente, les situations de jeu sont suffisamment diverses pour faire oublier que l'environnement est presque identique à chaque fois.
Ainsi, la jungle est parsemée de ruines d'avions et de chariots miniers, laissant imaginer que les humains avaient jadis investi les lieux ; la forêt nous fait explorer des moulins à vent et nous balade en montgolfières ; l'atoll nous conduit dans des ruines antiques remplies de danger. Le morceau de bravoure demeurera cependant la cinquième île, qui nous fait traverser le complexe industriel des Frigoths qui récoltent les fruits, les réduisent en pulpe puis en gelée, les réfrigèrent et les transforment en eskimos, et nous suivons toute la chaîne de traitement de niveau en niveau ! Jamais un épisode de Donkey Kong Country n'avait proposé une telle continuité narrative au sein de sa progression ludique et même, c'est là encore quelque chose de bien rare dans l'histoire du jeu vidéo.

Avouez, on en mangerait ! L'animation et la physique de la gelée de fruits sont d'un réalisme extraordinaire.

Le retour à l'île Donkey Kong est également un sacré voyage. Chaque niveau reprend l'un des mondes du jeu précédent, en version congelée et verglacée, de la jungle originale au volcan furieux, en passant par les mines déglinguées et l'usine endormie. Des clins d'œil nombreux aux niveaux d'antan se devinent dans les décors et dans certains pièges, mais sans pour autant nous distraire des nouveautés de cet épisode. Le voyage est loin d'être nostalgique — cela serait surprenant, l'épisode d'avant n'était sorti que quatre ans auparavant ! —, mais c'est une idée attendue et intelligente, qui s'intègre particulièrement bien à l'aventure.
Parmi les nouvelles phases de jeu, outre quelques séquences où la caméra se décale de biais pour mieux apprécier l'action, les singes peuvent à présent explorer les eaux profondes, en association avec des phases à pied ou dans des niveaux dédiés. Il faut alors gérer l'oxygène, et se propulser pour attaquer la poiscaille. Ces deux aspects dynamisent une fois encore ces phases plutôt lambines dans d'autres jeux, et on les parcourt avec un certain plaisir comme elles ne compromettent nullement la célérité du gorille.

J'ai pris beaucoup de plaisir à parcourir ces niveaux aquatiques, aucun n'étant strictement identique à l'autre.

Il est d'ailleurs heureux de voir que Retro Studios n'a rien retranché de la puissance animale, de la vitesse et de l'agilité de notre Donkey. Il est toujours aussi habité de cette force sauvage et les décors s'épuisent sur son passage, les murs s'écroulent, les arbres tombent dans un vacarme assourdissant. On va plus loin encore dans la folie, en sautant de piège en piège dans un ouragan zébré d'éclairs ou en escaladant une falaise en pleine avalanche, tandis que tout tombe à l'abîme. Les séquences de jeu qu'on nous propose sont époustouflantes, de loin les plus spectaculaires de cette génération. Du reste, en éliminant toute idée de motion control et en déléguant la roulade à un bouton de tranche, la maniabilité ne peut plus être prise à défaut.
Tout cela est servi, comme je le disais précédemment, par le gain technique de la console au regard de la Wii : la haute définition, le frame rate plutôt constant alors que tout s'affole autour de nous, les couleurs vives et les étapes d'animation nombreuses font de cet épisode un véritable régal pour les sens. La musique n'est pas en reste, avec le retour attendu de David Wise, musicien attitré de la série originale des Donkey Kong Country qui signe ici l'un de ses meilleurs albums, composés non seulement de reprises de ses anciens classiques mais également de thèmes originaux, dont le thème des Frigoths, que l'on prend toujours plaisir à siffloter une fois la console éteinte.

De l'angoisse bichrome des falaises à la glace se sublimant sur la lave, l'inventivité des stages est à recommander.

Il me faut terminer ce panégyrique en louant le design extraordinaire de nos adversaires. Au regard des Tikis d'auparavant et de leur bestiaire laborieux, les Frigoths ont une personnalité bien mieux marquée, hilarante et mystérieuse. Les petits pingouins se dodelinent mignardement avec leur casques à pointes et leurs lances, les morses ont des moustaches brousailleuses, les archers nous visent avec des sardines congelées. Tous les ennemis ont quelque chose pour plaire, un détail dans leur apparence ou leur démarche qui les rend irrésistibles. Il en va de même des petites bestioles annexes, des oiseaux ou des lapins, et même de quelques Tikis revenus pour l'occasion histoire de varier le bestiaire.
Parlons, enfin, des boss, et là encore nous frisons le sans-faute. Tous uniques, tous mémorables : du phoque artiste de cirque à l'ours polaire au maillet géant, et jusqu'à Frighorrifik le patron de la clique à l'impressionnante stature, on ne les oublie pas de sitôt. À dire vrai, et peut-être serais-je iconoclaste, mais je les considère aussi, voire plus réussis que les Kremlings d'alors. C'est en tout cas le dernier gros défaut qu'il fallait corriger à Returns, et c'est pour moi une victoire remportée haut la main.

Frighorrifik est bien plus terrifiant que K. Rool, et ces hiboux sont mençants en diable. Ce sont des émotions nouvelles pour la saga, brillamment conduites.

Briser la glace

Mais alors, et après avoir chanté Donkey Kong Country: Tropical Freeze sur toute la gamme, vous vous demandez sans doute si je lui trouve quelques défauts. En cherchant bien, peut-être : le monde secret est encore une fois un peu chiche, alors que les artworks que l'on débloque en cours de partie laissaient entrevoir des niveaux délirants (dont un inspiré du Virtual Boy !). Les objets à collecter, lettres K.O.N.G. pour débloquer les niveaux secrets et pièces de puzzle pour la galerie d'art, ainsi que les chemins alternatifs pour débloquer des niveaux cachés sont toujours aussi simples à trouver, et les bonus stages sont des resucées de Returns. Enfin, et malgré leurs qualités, les niveaux aquatiques tirent parfois un peu en longueur, notamment celui qui s'apparente à un labyrinthe. C'est tout.
C'est tout, et je le répète : Tropical Freeze est l'un des meilleurs jeux de plates-formes de la création, si ce n'est le meilleur du genre, toute époque, console et studio confondus. Il est particulièrement heureux que le jeu ressortit sur Switch pour permettre à un tout nouveau public de goûter cette perle géniale. Graphiquement, le gain est faible, mais appréciable ; et le nouveau mode « Funky Kong », qui fut tant moqué, nous permet de profiter de l'aventure aux commandes d'un personnage quasi-invincible, l'idéal pour les plus jeunes. Même si le jeu peut se finir assez bien en ligne droite, seuls les ultimes challenges relevant la barre, c'est toujours une addition appréciable en famille, d'autant plus que le mode « deux joueurs » est encore de la partie.

Les stages secrets sont toujours aussi exigeants, mais on en voudrait encore plus, toujours plus !

Si vous aimez la plate-forme, voire si vous aimez le jeu vidéo « tout court », jouez à Donkey Kong Country: Tropical Freeze. Plongez-vous dans ses univers originaux et ses idées de gameplay. Sonnez les cloches en rythme de la musique dans le niveau « Ding Dingue Kong », plongez dans les piscines colorées de jus de fruits de la « Fabrique frénétique », étonnez-vous des jeux d'ombres et de la chute apocalyptique d'« Avalanches à outrance ». Affrontez le Concasseur Colérique sur un iceberg branlant, défiez Frighorrifik et ses dragons de glace dans le cratère du volcan de l'île Donkey Kong.
Chaque moment de l'aventure est un chef d'œuvre en lui-même. Un délice graphique, aux nombreux détails, à la musique prodigieuse, à la jouabilité sans faille, au rythme enlevé et scrupuleusement pensé pour s'adapter à tous les styles de jeu, à la bonne humeur constante. C'est un miracle inespéré, et il est honteux — honteux — qu'on n'en parle pas plus souvent. Si vous ne le connaissez pas, essayez-le ; et si vous le connaissez déjà, revenez-y. Et propagez la bonne parole.

Regardez donc si c'est beau ! J'en suis encore estomaqué.
MTF
(23 novembre 2022)