Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par Tonton Ben (24 septembre 2004)
Après le succès mérité de Shadow of the Comet, Infogrames tente à nouveau l'expérience du jeu d'aventure classique dans l'univers d'Howard Phillips Lovecraft, mais avec cette fois-ci un peu plus d'audace. Le résultat se nomme Prisoner of Ice, un véritable "‘point'n'click" qui se voulait à la pointe. Alors que Shadow of the Comet se situait dans un contexte somme toute très classique dans la mythologie lovecraftienne, Prisoner of Ice nous transporte quelques décennies plus tard à l'aube de la Seconde Guerre mondiale, à bord de l'H.M.S. Victoria, un sous-marin anglais mouillant à proximité des banquises du Pôle Nord. Le joueur y incarne le lieutenant Ryan, et qui doit rapidement gérer un incendie à bord, suite à l'attaque d'un croiseur nazi en surface. Les alliés ont en effet récupéré une caisse ennemie bien mystérieuse, entreposée en chambre froide, et qui commence à se réchauffer. La cargaison semble vorace, et engloutit le commandant en second. On ne pouvait pas commencer plus mal une aventure. Ryan, un sous-marin, un commandant barbu... il ne s'agit pas, malgré les apparences, d'une adaptation vidéoludique de "À la poursuite d'Octobre Rouge", mais bel et bien de la suite des pérégrinations de John T. Parker et de la comète de Halley. Cela peut paraître confus, mais croyez-moi, il y a un fil rouge. Pour le découvrir, l'ami Ryan va devoir entre autres résoudre quelques mystères d'un camp allié, s'évader d'une base Antarctique nazie où des choses étranges se déroulent, retrouver un livre et un artefact au fond du musée national de Buenos Aires, et faire face à la plus grande menace qui pèse sur l'humanité. Le programme est non seulement copieux, mais très alléchant. Car en vérité, et sans trop dévoiler la trame de l'intrigue, il se pourrait que les nazis aient réussi à entrevoir les possibilités de la puissance offerte à tous ceux qui vouent leur âme au grand Cthulhu et à ses mignons. Le scénario n'est pas le seul à avoir fait un bond dans le temps : le moteur du jeu a connu une refonte complète, avec lustrage de la carrosserie, équilibrage des essieux, et nettoyage du pare-brise. À la trappe, les fondations techniques héritées d'Eternam, Prisoner of Ice se la joue moderne, avec des graphismes en haute résolution (le mode VGA 320*240 reste disponible pour les petites configs), des décors certes toujours dessinés à la main mais bien moins pixelisés, des scènes cinématiques de toute beauté, avec un coup de crayon qui force le respect, et des sprites réalisés à partir de motion capture sur des acteurs, un travail qui a nécessité des centaines d'heures de mouvement exécutés pour la numérisation. On ne lésine pas sur les moyens chez Infogrames, ça sent la superproduction. Malheureusement, le résultat n'est pas à la hauteur des ambitions affichées par l'équipe de développement : si l'apparence des personnages est assez réussie en soi, malgré une espèce de flou au niveau de leurs visages, leurs mouvements sont quant à eux particulièrement ratés. Les animations brillent par leur qualité d'animation, certes, mais les déplacements ne présentent rien de naturel, avec des positionnements sur l'espace de jeu dignes des grandes manœuvres militaires de chars Leclerc, et des transitions brutales entre les différentes séquences d'animation qui sapent tout le travail accompli par la motion capture. Dommage, lorsque l'on voit ce que la technique avait permis de réaliser sur un titre comme Flashback. L'ensemble manque cruellement de naturel, alors qu'il s'agissait précisément de l'effet escompté. Dans le même registre, Prisoner of Ice est accompagné de voix digitalisées tout en français : le genre d'initiative jusqu'ici pas vraiment répandu dans le domaine des jeux d'aventure, principalement à cause de la taille du travail à accomplir par les doubleurs, alors que les lois de l'exportation dictent généralement l'emploi de l'anglais pour ce type de produit. Pour mémoire, le premier jeu Lucasarts accompagné de voix french, c'est Sam & Max Hit the Road. Le problème, dans Prisoner of Ice, vient du fait que les doublages présentent aussi peu de naturel que les mouvements : si leur qualité sonore, grâce au support cédé, est impeccable, en revanche trop de textes sont lus avec un manque de conviction navrant. Les exclamations sont mal placées, les tons tantôt monocordes, tantôt exagérés, et les timbres de voix de certains personnages tendent plus vers le cartoon que l'univers de Lovecraft. Les musiques, quant à elles, sont à contrario vraiment réussies, du début jusqu'à la fin. Leurs thèmes sont vraiment bien choisis, et posent une ambiance pesante. Dernier point négatif, et non des moindres : l'aventure se boucle en moins de deux jours. Là où Shadow of the Comet tendait à exagérer dans la difficulté de certaines énigmes ou passages, Prisoner of Ice se plie somme toute assez rapidement, sans forcer. En gros, il y a deux ou trois endroits qui peuvent donner du fil à retordre, et encore, uniquement parce que l'objet nécessaire est introuvable dans la pièce ; un comble lorsque l'on sait que le système de jeu de Shadow of the Comet évitait ce genre d'écueils, et que la recherche de ce genre d'éléments n'apporte absolument rien à l'aventure. Le reste se déroule tout seul, un peu comme un film interactif, tant la linéarité s'impose dans ce jeu. On se rend compte au final que le joueur n'est pas autant sollicité qu'il le souhaiterait, et que le nombre d'actions à accomplir pour atteindre la fin est un peu faible, ne serait-ce que comparé à son prédécesseur. Infogrames aurait-il reçu un certain nombre de critiques sur Shadow of the Comet, qui auraient été prises en compte dans le développement de Prisoner of Ice ? Possible, en tout cas, j'ai payé le jeu quasiment 400 francs le jour de sa sortie ; j'ai franchement hésité à le revendre le lendemain. Car, malgré tous ses défauts qui freinent le plaisir de jeu, Prisoner of Ice constitue une expérience vraiment passionnante, grâce à un scénario qui sauve tout. Transposer la mythologie Lovecraftienne à la période troublée de la guerre 39-45 développe une atmosphère étouffante et malsaine dont le jeu se sert à merveille. Il s'avère néanmoins que le jeu ne répond pas à toutes les questions, et que certains évènements, liens ou récits semblent parfois confus car peu expliqués. En fait, Infogrames, lors de la sortie du jeu, a réalisé un partenariat avec les éditions de bandes dessinées Vents d'Ouest afin de sortir trois volumes sous le label "Prisoner of Ice". Trois auteurs différents, pour trois récits apparemment sans liens entre eux : "La Geôle de Pandore", où un jeune aventurier sombre, au fin fond de la forêt amazonienne, dans le chaos d'un culte voué aux Grands Anciens ; "Le Glaive du Crépuscule" qui donne un aperçu horrible de ce qu'aurait donné le monde actuel si les nazis avaient remporté la guerre grâce aux Créatures du Chaos ; et enfin, "La Cité des Abîmes", où deux expéditions scientifiques partent en compétition pour une ville perdue dans "Les Montagnes Hallucinées" (les connaisseurs apprécieront). Et pourtant, au fur et à mesure de l'aventure, tout s'éclaire, et les réponses apportées par les ouvrages rendent leur lecture indispensable. En plus, les dessins sont de toute beauté. Attention, aucune solution technique n'est dévoilée (contrairement à la bédé sortie en édition spéciale avec Alone in the Dark III), je parle bien d'éclaircissement du scénario. J'ai eu la chance de les acquérir fin '94 lors de la quatrième édition du Multimédia World Show à la Porte de Versailles de Paris (ex-Supergames Show), et d'en faire dédicacer une auprès de l'auteur, présent pour l'occasion au stand Infogrames. Malgré cette désagréable impression qu'Infogrames est passé à côté du chef d'œuvre, Prisoner of Ice demeure, pour les férus de jeu d'aventure, les amateurs de Lovecraft, et ceux qui ont terminé Shadow of the Comet, un titre à découvrir. En fermant les yeux sur ses défauts (mais pas trop, hein, sinon on ne voit plus l'écran), avec l'indulgence qui caractérise les passionnés des jeux de la vieille école, on finit par se laisser très rapidement envoûter par les songes du dormeur de l'infini, qui dans sa cité engloutie de R'lyeh, attend patiemment que son règne éclate de nouveau... Cthulhu Fhtagn ! Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (11 réactions) |