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Miyamoto, Shigeru
Le concepteur de jeux vidéo le plus adulé de la planète, avec à son actif une bonne partie des fondations de l'édifice Nintendo (Mario, Zelda, Donkey Kong...).
Par Laurent (15 décembre 2008)

Shigeru Miyamoto est le principal artisan du succès rencontré par Nintendo depuis 1980. Rien de moins. La liste des jeux qu'il a créés laisse rêveur. Derrière cette créativité bouillonnante se cache un homme simple, grand rêveur devant l'éternel, qui ne cherche rien d'autre qu'à nous donner la clé de son univers intérieur. Univers qui a la particularité de n'avoir pratiquement pas changé depuis son enfance.

Une histoire hors du commun

le 16 novembre 1952, Shigeru Miyamoto vient au monde à Sonebe, petite commune rurale voisine de Kyoto, au Japon. L'environnement dans lequel il grandit est verdoyant : collines, rizières, lacs. Il se passionne très tôt pour la lecture, le dessin et la peinture, mais pratique aussi le base-ball. L'un de ses souvenirs d'enfance les plus marquants est la découverte d'une caverne dans la campagne, près de chez lui. Il lui faut y retourner de nombreuses fois avant de trouver le courage d'y entrer. Finalement, muni d'une lampe de poche, il descend dans la grotte, et y découvre un passage vers une autre caverne. Cette aventure va faire lentement son chemin dans son esprit. Comme ses parents ne possèdent pas de télévision ni de voiture, il prend fréquemment le train pour Kyoto, en quête de divertissement : boutiques, cinémas, ou plus simplement pour se promener dans la rues sans but précis. Il découvre les classiques de Walt Disney, comme Blanche Neige ou Peter Pan, et se fait des amis sur place. Lorsque ses parents déménageront finalement pour Kyoto, Shigeru n'est donc pas dépaysé. Désireux de devenir un artiste un fois atteint l'âge adulte, il travaille beaucoup, cherchant sa vocation, hésitant entre la comédie, la peinture ou les spectacles de marionnettes.

L'école des Arts Appliqués de Kanazawa

À 18 ans, il entre à l'École des Arts Appliqués de Kanazawa mais ne se rend guère aux cours, préférant passer son temps à travailler sur ses bandes dessinées ou écouter de la musique. L'obtention du diplôme lui prendra, à cause de cette dispersion, cinq ans. Entre temps, il a appris à jouer de la guitare et se produit, au côté d'un joueur de banjo, dans des piano-bars ou des fêtes. En 1977, il demande à son père de prendre contact avec une de ses relations dans le but de le faire entrer chez Nintendo, le fabricant de jouets numéro 1 au Japon. L'ami du père n'est autre qu'Hiroshi Yamauchi, président de l'entreprise, qui accepte de faire passer un entretien à Miyamoto bien que n'ayant pas besoin de nouveaux illustrateurs. À l'issue de la rencontre, Yamauchi est assez enthousiasmé par le travail de Miyamoto pour lui demander de revenir avec d'autres créations. Lors du deuxième entretien, Miyamoto apporte des croquis dessinés entre temps, représentant d'éventuels projets de jouets parmi lesquels un porte-manteaux à usage des enfants, une horloge amusante pour les parcs d'attractions ou une balançoire permettant à 3 enfants de jouer ensemble. Yamauchi est impressionné par son ingéniosité teintée de naïveté et l'engage comme directeur artistique. Il se retrouve dans un département chargé d'évaluer et de modifier les créations de la compagnie avant qu'elles ne soient mises en production.

Radars et Gorilles

En 1980, la production de jeux d'arcade venus des USA s'est ralentie et Minoru Arakawa, président de Nintendo of America, demande à Yamauchi de mettre ses meilleures équipes au travail pour accoucher d'un hit qui pourrait relancer ce marché. Le jeu qui va, dans un premier temps, répondre à ses attentes sera Radar Scope. Mis en "arcade test" dans divers endroits aux USA, il reçoit un accueil très favorable et Arakawa en commande 3000 exemplaires à Nintendo of Japan.

Radarscope.

Hélas, l'acheminement des machines prend 4 mois et lorsqu'elles arrivent, l'engouement qu'elles avaient suscité auprès des joueurs qui avaient testé le jeu est passé. Seul un millier d'unités sont vendues et Nintendo doit revoir sa copie. Tous les designers les plus expérimentés de la compagnie sont occupés par divers projets sans rapport avec les jeux d'arcade, et Yamauchi, qui considère le marché américain comme non prioritaire, ne désire pas les écarter de leur travail. Il décide alors de mettre à l'épreuve le petit nouveau qu'il vient d'engager : Shigeru Miyamoto.

Miyamoto à l'époque de ses débuts chez Nintendo.

C'est la première fois que Miyamoto se penche sur la conception d'un jeu vidéo. Il voit là la possibilité de s'exprimer dans le cadre d'une forme d'art qui, dans un certain sens, recoupe toutes celles qui le passionnent depuis son enfance. Cependant la plupart des jeux vidéo, en ce début des années 80, sont des jeux de tir ou de sport. Miyamoto les trouve simplistes : pas de personnages identifiables, pas d'histoire, pas de contexte artistique intéressant. Son ambition va rapidement être de créer des jeux vidéo qui pourraient rivaliser avec ses films préférés, comme King Kong ou Jason et les Argonautes, et il décide de laisser tomber complètement le concept Radar Scope, ce qui est plutôt mal perçu par ses collègues.

Après s'être informé sur les limitations techniques des machines d'arcades alors distribuées par Nintendo, Shigeru décide de s'inspirer de King Kong en faisant intervenir dans son jeu un gorille géant. L'idée du kidnapping d'une jeune fille par ce gorille lui vient de La Belle et la Bête, le film de Jean Cocteau, qu'il adore. Apprivoisé par un charpentier, qui ne le traite pas forcément toujours avec les meilleurs égards, le gorille se révolte contre son maître et capture sa fiancée. Ce sera au joueur d'incarner le charpentier parti délivrer la belle. Le métier attribué au héros se justifie par l'environnement du jeu : des immeubles en construction que le gorille a pu facilement gravir, et du haut desquels il lance toutes sortes d'objets vers le charpentier qui tente de les escalader. Lorsque le héros parvient à atteindre le gorille, celui-ci s'échappe, la fiancée aux bras, vers le niveau suivant, le jeu en comprenant quatre au total.

Croquis préparatoire de Miyamoto pour Donkey Kong.

Les spécifications techniques indiquées à Miyamoto par les ingénieurs chargés de la réalisation précisent que le héros sera, à l'écran, de toute petite taille et qu'il est important que les différentes parties de son corps se distinguent facilement grâce à des couleurs vives et contrastées. Miyamoto l'habille donc en conséquence : ses mains sont munies de gants et il porte une casquette rouge qui évite d'avoir à représenter ses cheveux. Pour mettre en valeur son visage il l'affuble d'un gros nez et lui fait porter une moustache. Comme ses bras ne pourront pas se balancer de façon réaliste, il décide que sa démarche sera saccadée et maladroite, bras et jambes étant pratiquement perpendiculaire au corps pendant la course. Peu à peu, l'aspect rondouillard et comique du personnage s'impose de lui-même et Miyamoto réalise qu'il va devoir privilégier le côté amusant de la situation dépeinte.

Donkey Kong, du moins en ce qui concerne le hardware et la conception de la borne d'arcade, est développé au sein d'une équipe dirigée par Gunpei Yokoi, 39 ans, un concepteur déjà expérimenté qui a à son actif plusieurs succès de Nintendo. La programmation du jeu, en revanche, est confiée à la société Ikegami (qui par la suite intentera un procès à Nintendo pour n'avoir pas été payée sur la totalité des bornes produites). Miyamoto, de son côté, se cantonne au game-design et à la direction artistique. Tout comme lui, Gunpei Yokoi est entré chez Nintendo pour y concevoir des jouets, mais c'est avant tout un électronicien de génie doublé d'un visionnaire en matière de marketing. La collaboration des deux hommes va aboutir au premier hit mondial de Nintendo dans le domaine du jeu d'arcade. Yokoi met en pratique les idées de Miyamoto qui, pour cette fois, va revoir ses ambitions narratives à la baisse. Son premier produit commercialisable s'avère au final être un jeu d'action simple, prenant, et original, d'une richesse ludique supérieure à la moyenne de ce qui se fait à l'époque.

Miyamoto compose lui-même la musique qui accompagne l'action, et les jingles. Ceux-ci sont plutôt enjoués et enfantins, ce qui laisse à penser qu'à ce stade du développement il a laissé tomber toute ambition dramatique à la Cocteau. Seule l'intro du jeu, montrant le gorille grimper au sommet de l'édifice avec sa victime dans les bras sur une mélodie évoquant les films d'horreurs des années 30, établit un semblant de scénario qui détone avec l'ambiance amusante et simpliste du jeu. Les premières bribes du style Miyamoto sont là. Reste alors à trouver un titre pour le jeu. Fidèle à son idée de départ, Miyamoto propose King Kong. Hiroshi Yamauchi refuse l'idée, pressentant des poursuites en justice pour violation de copyright, et propose l'appellation Monkey Kong. En réalité il fait erreur car le copyright déposé par Universal, suite à la sortie du film King Kong de 1933, porte sur le nom Kong inventé de toute pièce à l'époque. À la dernière minute, pour des raisons difficiles à éclaircir, le mot Monkey sera écrit Donkey, peut-être à cause d'une simple confusion. Monkey signifie singe, mais Donkey signifie maladroit, stupide, et c'est aussi le mot utilisé pour désigner un âne. Après la transformation forcée de son héros en petit gros moustachu, Miyamoto voit le gorille pathétique qu'il avait désiré devenir comique et ridicule. Même s'il est indéniablement le père de Donkey Kong, le moins que l'on puisse dire est que le projet lui a échappé et que le produit final ne correspond que vaguement à l'idée qu'il se fait du jeu vidéo du futur. Les raisons de ce glissement tiennent essentiellement à sa position insuffisamment élevée au sein de Nintendo, son inexpérience et les limitations techniques de l'époque qui rendent certaines de ses idées irréalisables. L'avenir se montrera plus propice à l'avènement de son génie créatif.

Toujours est-il qu'en 1981, Donkey Kong est lancé et rencontre immédiatement un succès énorme, surclassant en quelques jours les ventes de Radar Scope. Ce dernier va du reste tomber aux oubliettes définitivement et provoquer certains remous dans le staff jeu vidéo de Nintendo. La plupart des ingénieurs qui avaient dénigré le travail de Miyamoto et critiqué son détachement des projets antérieurs à son arrivée donnent leur démission, ce qui, dans la culture japonaise, est à l'époque un geste extrême. Cette épuration des effectifs va faciliter la montée de Shigeru dans la hiérarchie de Big N. Il se retrouve également obligé de se plier aux méthodes commerciales éprouvées de l'entreprise, à savoir l'exploitation du filon qu'il a découvert. Yamauchi le charge alors de concevoir la suite de Donkey Kong.

Séquelles et plombiers

Miyamoto décide de réhabiliter le gorille, qui s'était vu dépeint comme une créature bête et méchante alors qu'il avait voulu initialement en faire une victime de la cruauté de l'Homme. Dans cette séquelle le charpentier devient le méchant et comme il n'est pas possible d'animer l'énorme gorille du premier épisode et le faire contrôler par le joueur, Miyamoto lui invente un fils, chargé de libérer son papa du joug dominateur de son maître. Le petit gorille est ainsi le héros de Donkey Kong Junior, sorti en 1982, jeu au principe et aux graphismes très similaires à ceux de Donkey Kong mais dans lequel le joueur incarne un petit singe, avec ce que cela implique de changements dans la maniabilité. Pour Donkey Kong 3, l'année suivante, c'est de nouveau Kong qui est à l'honneur et le jeu est une sorte de shoot'em up : le joueur incarne un humain (un certain Stanley) chargé de protéger des plantes (placées en bas de l'écran) contre des abeilles qui tentent de les atteindre, en les aspergeant avec une bombe insecticide. Kong est au centre de l'écran, accroché à deux lianes, et il faut également lui tirer dessus afin de le faire monter aux lianes, ce qui a pour effet de détacher des insecticides plus puissants. Chaque niveau se franchit soit en éliminant toutes les abeilles, soit en tirant sur Kong jusqu'à ce qu'il sorte de l'écran par le haut.

Donkey Kong Junior et Donkey Kong 3.

La manière dont ces deux jeux redistribuent les rôles n'est pas du goût du public et ils ne rencontrent pas le succès espéré. C'est toujours Donkey Kong, premier du nom, qui attire les joueurs dans les salles d'arcade. Chez Nintendo of America on s'interroge sur les difficultés rencontrées par Miyamoto pour imposer ses nouvelles créations, et la conclusion est vite tirée : il faut miser sur le personnage humain de l'histoire. En dehors l'aspect visuel, Miyamoto ne s'est jusque là guère impliqué dans le design de ce personnage, au point de se contenter de lui donner le nom peu attractif de Jumpman. Les ingénieurs de NoA travaillent alors dans un local loué à un homme d'affaires d'origine italienne du nom de Mario Segale, qui vient de temps en temps réclamer les loyers impayés en vociférant. Selon une anecdote très répandue mais qui n'a jamais été confirmée par un employé de Nintendo, quelqu'un aurait proposé à Miyamoto de donner au héros de Donkey Kong le même prénom et la même origine que ce bruyant propriétaire, puis de créer un jeu lui donnant la vedette. Voyant le personnage sous un nouveau jour, Miyamoto aurait alors décidé de lui faire changer de métier. Mario n'est donc plus un charpentier anonyme. Le voilà plombier italien, et il évoluera dans des décors constitués non plus d'échafaudages, mais de tuyaux.

Mario Bros.

L'Italie est une grande famille donc Mario a forcément un frère, Luigi, ce qui tombe bien puisque l'idée de Miyamoto, pour ce nouveau jeu, est de faire jouer deux personnes simultanément. Le frère est baptisé Luigi, et le jeu met en scène les deux plombiers (qui ont un air de famille si marqué que seule la couleur de leur tenue de travail permet de les reconnaître) contre diverses créatures qu'ils doivent assommer en donnant un coup de tête à la plate-forme où ils se trouvent depuis celle située juste en dessous (une idée de Gunpei Yokoi). Chaque fois que toutes les créatures d'un niveau, qui arrivent par deux tuyaux, sont éliminées on passe au niveau suivant. Le jeu s'intitule Mario Bros et, à sa sortie en 1983, casse la baraque. Les gens de NoA ont vu juste et Miyamoto renoue avec le succès. Le président Yamauchi est ravi, d'autant plus que le personnage de Mario semble réunir toutes les conditions pour servir de mascotte à Nintendo, comme Mickey le fit pour Walt Disney.

En 1984, Nintendo s'est lancé dans le développement de la NES (Famicom au Japon), console de jeux qui, si elle n'est pas la première du fabricant, affiche des ambitions planétaires alors que tous les autres acteurs du marché des consoles de jeux sont en perdition ou ont changé de secteur d'activité.

Hogan's Alley et Wild Gunman sur NES
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