Année : 1995 Système : Windows ..., Playstation, Saturn Développeur : Perfect Entertainment Éditeur : Psygnosis Genre : Aventure / Réflexion / Point'n click [voir détails]
[masquer détails] Cet article traite des jeux Discworld sortis sur consoles et PC entre 1995 et 1999. Un jeu textuel, The Colour of Magic, est sorti sur ZX Spectrum en 1986. Une autre adaptation du roman a été développée sur téléphones mobiles en 2006. Il existe également un RPG en ligne, Discworld MUD, sorti en 1991. Cet article ne traitera pas de ces jeux.
Ah,
le Disque-Monde ! Y a-t-il seulement un amateur d'heroic-fantasy qui
ignore encore ce dont il s'agit et son merveilleux créateur, le britannique
Terry Pratchett ? En moins de temps qu'il n'en faut pour dire « chipolata »,
cet univers farfelu a attiré sur lui toutes les lumières :
romans, bien évidemment, mais également téléfilms,
films d'animation et, ce qui nous intéresse aujourd'hui, jeux vidéo. Avant
de rentrer dans le vif du sujet, peut-être un peu d'histoire. Je m'en vais
gravement simplifier les choses, et n'apporter ici que les éléments
les plus pertinents pour comprendre ce dont il sera question par la suite, notamment
concernant géographie et personnages. Je vous invite, dans tous les cas,
à parcourir l'Internet pour avoir toutes les précisions que je ne
vous donnerai pas, car il me faudrait à ce moment-là vous réciter
la majorité des romans parus ! Aussi vous aiguillerai-je davantage
vers le wiki anglais
qui propose nombre d'articles intéressants.
Le
premier roman de Terry Pratchett sortit en 1983, il s'agissait de The Colour
of Magic (La huitième couleur). On y trouvait pour
la première fois cet univers chamarré et parfaitement loufoque,
très « monty pythonesque » et une tribu de personnages hauts en
couleur, à commencer par le mage Rincewind (Rincevent) dont on reparlera
bientôt. La quelque trentaine de romans écrite de la main de l'auteur
nous en apprend progressivement sur cet univers, dont je vais m'efforcer de retirer
la délicieuse moëlle.
Sur
ce, prenez une bonne gorgée de vin contre-temps, payez votre dette à
la guilde des assassins, et en avant la musique !
Le disque, A'Tuin
et Ankh-Morpork
Le
disque-monde est une surface plane et circulaire pourvu de continents et de mers,
surmonté d'un dôme de verre et seules quelques chutes d'eau viennent
percer cette demi-sphère. Cette surface plane est soutenue par quatre éléphants,
Bérilia, Tubul, Ti-Phon l'Immense et Jérakine, eux-mêmes soutenus
par une tortue géante, A'Tuin. Comme le sexe de celle-ci est incertain,
on préfère l'appeler « Ça » (It). Et tandis
qu'une lune et qu'un soleil gravitent autour de Ça, Ça se meut autour
du cosmos.
Le
disque possède un certain nombre de continents, tous n'étant pas
nommés par l'auteur : le plus grand et celui qui abrite un certain
nombre d'histoires est l'équivalent de l'Eurasie ; le continent de
Klatch, qui serait une image de l'Afrique ; le continent Contrepoids, qui
serait le contrepoint (ahaha) de l'Asie orientale, et enfin le continent XXXX (Quatrix) qui est une image de l'Australie, avec ses kangourous et ses
boomerangs. Sur
le fameux continent sans nom se trouve, entre autres, la plus grande cité
du disque : Ankh-Morpork. On dit que tous les chemins mènent à
Rome ; de la même façon, tous les chemins partent aussi loin
que possible qu'Ankh-Morpork, la ville aux nombreux surnoms. Elle est en réalité
la réunion des anciennes villes d'Ankh, « la fière », et
de Morpokh, « la pestilentielle », qui autrefois considéraient
la Rivière Ankh comme une frontière.
Centre
politique, juridique et religieux, la cité abrite notamment le Palais du
Patricien, dictateur démocratique élu à vie, les nombreuses
guildes (archéologues, musiciens, bouffons et la fameuse « guilde des
assassins »), les Ombres (le quartier le plus mal-famé de la ville,
réduction pour les familles nombreuses) et l'Université Invisible,
qui forme mages et sorciers depuis des millénaires.
Peuples, religion,
le guet et les magiciens
Les
peuples du disque empruntent énormément au folklore fantastique,
et notamment aux romans de Tolkien : en marge donc des Hommes, on trouve
des nains, des elfes, des trolls, des vampires, des gargouilles, des golems...
La liste est longue encore, mais ce sera ici surtout les figures que l'on verra
le plus dans les différents jeux. Les clichés sont respectés,
voire même poussés à l'extrême : aussi apprend-on
que les nains, quel que soit leur sexe, portent toujours la barbe, et l'une de
leur charmante coutume est de deviner, le soir du mariage, le genre de leur partenaire ;
les Trolls, faits de pierre et aux dents de diamant, sont passablement stupides.
Et toutes ces charmantes créatures vivent paisiblement, quand il ne s'étripent
pas.
La
religion est une part importante du Disque, et elle sera même l'un des intérêts
du troisième jeu dont je vais ici parler, Discworld Noir. Les Dieux
sont innombrables et il en existe pour tout et n'importe quoi, si bien qu'une
liste exhaustive serait plus longue qu'intéressante. Ma petite préférée
reste tout de même Errata, qui fut la cause des guerres tsortéanes
et qui est vénérée par tous, même par ceux qui ne la
vénèrent pas.
L'autre
figure prégnante du Disque est bien entendu la Mort, qui s'exprime en lettres
capitales et qui est de sexe masculin. Armé d'une faux et habillé
d'une longue toge noire, il vient sur son destrier blanc faucher le cordon qui
lie les âmes aux corps pour les amener dans l'au-delà. Il habite
une dimension parallèle, avec son majordome et Suzanne, une petite fille
dont il s'est pris d'amitié, et sa figure hante tous les cœurs. Il est
dit que les magiciens peuvent voir la Mort juste avant de mourir, ce qui est,
il faut le convenir, d'un intérêt tout relatif. Enfin,
il convient de parler des deux organisations les plus citées dans les jeux,
à savoir le Guet et les magiciens. Le
Guet serait l'équivalent de la police ou de la gendarmerie, et ils sont
censés maintenir l'ordre dans la cité d'Ankh-Morpork. Incompétents,
soûlards et globalement inefficaces, ils représentent le mince calque
séparant la civilisation de la barbarie. Pourquoi la ville sus-dite n'est
pas encore tombée dans le chaos reste l'une des grandes énigmes
du disque. Les
magiciens de l'Université Invisible, outre le fait de porter des chapeaux
ridicules et d'avoir un goût prononcé pour les orgies, s'amusent
à faire des trucs de magiciens, comme faire apparaître des grenouilles
et des feux d'artifice, et représentent à ce titre une part nécessaire
de l'économie du Disque.
Discworld (1995 / PC, Playstation, Saturn)
Perfect Entertainment - Psygnosis
L'histoire de cet épisode s'inspire du roman Au Guet !
(Guards! Guards!), mais ce dernier le remanie notamment en faisant participer
l'apprenti-mage de seconde classe Rincevent à l'aventure. L'histoire, telle
que posée, est pratiquement la même : afin de renverser le Patricien,
une société secrète décide d'invoquer un dragon pour
amener le chaos dans la ville d'Ankh-Morpork. Étant donné que le
dragon est une créature mythique, il convient que les magiciens lèvent
le voile sur cette affaire ; et c'est le désigné Rincevent
qui devra s'occuper, tout au long du jeu, de sauver la ville et le monde par incidence.
Le
jeu se présente sous la forme d'un point'n click dans la pure tradition.
L'interface, cependant, n'a rien de commun avec les jeux LucasArts, que ce soit
Day of the Tentacle ou encore Full
Throttle, sorti la même année : les commandes sont épurées
au combien, et le joueur ne dispose que d'un curseur et du clic gauche de sa souris
pour effectuer les diverses actions : actionner un mécanisme, prendre
un objet, parler à un personnage. Le clic droit permet à Rincevent,
bien évidemment, de décrire l'objet pointé en question. Nul
ici donc de système Scumm ; cependant, ce
que Discworld tend à perdre d'une main, il le regagne de l'autre,
et avec brio. Commençons
tout d'abord par l'inventaire, car cela a de quoi surprendre de prime abord. Rincevent,
le « héros » que le joueur sera amené à contrôler,
ne possède en effet la place de mettre uniquement deux objets dans ses
poches (quatre une fois passé un certain stade de l'aventure), et il refusera
catégoriquement de se séparer de sa bourse, qui occupe donc une
des deux places en question. L'une des premières énigmes du jeu
consistera donc à trouver un moyen de transporter plus d'objets à
la fois. La
réponse viendra rapidement : il s'agit du bagage, un coffre
magique aux nombreuses pattes qui accompagnera Rincevent dans son aventure. S'il
l'on peut croire qu'il ne s'agit, finalement, qu'une excuse à une façon
de « tutoriel », il n'en est rien, car le bagage influera énormément
sur le gameplay: il lui sera ainsi impossible d'accéder à
des endroits que Rincevent peut atteindre, notamment en grimpant sur une échelle,
et est quelque peu porté sur l'alcool... Si on lui laisse ainsi une chope
de bière, elle se retrouvera vide quelques instants plus tard, et le bagage
aura une démarche chaloupée. Il faudra donc veiller à faire
porter à Rincevent les objets nécessaires à la complétion
de certaines énigmes, sous peine de faire de nombreux allers-retours.
Les
fenêtres de discussion sont également plus ou moins uniques dans
leur genre. Sempiternellement, elles arboreront les mêmes icônes,
permettant, respectivement : de commencer la conversation par un petit « bonjour »,
de permettre à Rincevent de faire une remarque désobligeante à
son interlocuteur, de lui poser une question, de permettre à Rincevent
de faire une remarque « au spectateur » et enfin de quitter la conversation.
Il convient de temps à autres d'aborder ces symboles dans un certain ordre
pour débloquer un sujet en particulier ; et si cette interface peut,
les premières fois, déstabiliser, elle se trouve être parfaitement
intégrée dans le jeu lui-même et donne une cohérence
certaine aux discussions là où, dans d'autres jeux du genre, les
phases de discussion se découpent en questions / réponses, laissant
de côté quelque vraisemblance. Car
les dialogues, les dialogues ! occupent une place prépondérante
dans les Discworld. Pour ce premier épisode, il n'y avait pas eu
de doublage en français, uniquement des sous-titres : un mal pour
un bien, car le niveau des comédiens est certain. Il faut absolument faire
décrire à Rincevent tous les objets, le faire discuter avec tous
les personnages, absolument tout lire et tout écouter. Les dialogues, bien
que n'étant pas de Terry Pratchett mais de Paul Kidd, autre fameux auteur
de romans fantastiques, australien quant à lui, sont tous plus délicieux
les uns que les autres et dégagent un humour so british auquel il
convient d'être sensible. Si vous êtes plus habitués à
l'humour des Monkey Island, vous risquez d'être décontenancés :
mais je puis vous garantir qu'ils font partie des plus beaux jamais écrits
dans un jeu vidéo, et dans un point'n click en particulier.
Le
jeu est ainsi découpé en cinq actes de longueur variable, qui amèneront
Rincevent un peu partout sur le Disque, et l'inviteront même à remonter
dans le temps. Les environnements traversés (la ville, les montagnes, les
plages, les forêts) sont illustrés avec un très grand soin,
trop peut-être : certains écrans se font forts touffus, et il
n'est parfois guère évident de remarquer les objets avec lesquels
il est possible d'interagir ; ce peut être une source d'obstacles pour
celui qui s'y essaie la première fois. Car
des obstacles, d'ores et déjà, il y en aura ! La connaissance
des romans sera un plus, souvent nécessaire tant certaines énigmes
sont tarabiscotées. Comment savoir qu'il faut utiliser la grenouille sur
l'ivrogne, ou que le chemin menant aux Ombres se débloque une fois que
l'on a parlé avec un personnage parfaitement annexe, qui n'a qu'une ligne
de dialogue ? Ce genre de choses est monnaie courante dans le jeu, il faut
donc s'y attendre. Bien loin de la logique imparable d'un Gabriel Knight,
on s'approche peut-être, dans l'esprit, d'un Monkey Island II...
Dans ce dernier encore, utiliser un singe avec un écrou était motivé
par le jeu de mots latent (monkey-wrench désignant, en anglais,
une clé à molette) : mais jusqu'à aujourd'hui, je n'ai
jamais saisi pourquoi il me fallait utiliser le papillon dans le lampadaire...
Bref,
des énigmes retordes, retorses qui feront mariner n'importe quel joueur,
même le plus malin. Mais étant donné que l'on ne peut mourir,
qu'il n'y a pas de chemins bloquants et que l'on peut toujours revenir dans les
zones visitées, parfois en résolvant une énigme supplémentaire,
pour parler à un personnage ou obtenir un objet, le joueur est véritablement
encouragé à tout essayer, encore et encore.
La
musique et les bruitages, enfin, se font relativement quelconques, même
s'ils aident à poser l'ambiance fantastique qui court véritablement
sur le jeu. C'est un univers à la fois bigarré et incompréhensible,
où le protagoniste n'est pris au sérieux par personne, pas même
ses pairs, et qui en retour nous donne d'excellentes raisons de le haïr :
veule, pleutre, ivrogne, paresseux, orgueilleux, fuyard, trompeur, sournois, parfois
même méchant, jamais personnage de point'n click, pas même
Ben de Full Throttle, n'a été plus délicieux à
contrôler. Si vous aviez quelques scrupules, auparavant, à rentrer
chez les gens et à y foutre le boxon, vous pouvez à présent
vous rassurer : ce n'est pas votre faute, c'est celle de Rincevent.
Le
jeu sortit sur PC, Playstation et Saturn, des conversions honorables aux temps
de chargement ridicules (a contrario des Broken Sword sur Playstation,
par exemple) et, bien entendu, jouables au pad même si, les concernant,
l'acquisition d'une souris est véritablement un plus, comme toujours. Je
sais que la version Playstation, aux alentours des années 2000, était
relativement dure à trouver ; et à ce que j'ai vu encore récemment
sur les sites d'achats et d'enchères, c'est encore le cas. Vous serez donc
prévenu... Sachez cependant que le jeu est entièrement émulable
sous ScummVM. Hourra ! Bref,
sans doute loin d'être le plus réussi de cette trilogie, mais un
épisode qui pose des bases certaines pour la suite. Son introduction, les
nombreuses interventions d'un guide au sein du jeu venu nous expliquer les subtilités
de l'univers permettent à tout un chacun de se familiariser avec celui-ci,
et d'aborder le big cheese...
S'il est vraiment l'un des trois Discworld qu'il convient ici de faire,
c'est bel et bien celui-ci. L'histoire s'inspire notamment du roman Le faucheur
(Reaper Man). Tout commence par un attentat fomenté par la guilde
des assassins. Rincevent, et son acolyte le bibliothécaire, décident
(dans une scène qui n'est pas sans rappeler l'Arme Fatale) de désactiver
le mécanisme de la bombe posée par le malfrat, mais le dérèglent
par mégarde et la font exploser avant l'heure programmée. La Mort,
toujours ponctuel, arrive sur les lieux pour n'être que soufflé par
la détonation ; trouvant là une belle excuse pour en finir
avec son travail, il décide de prendre des vacances sur XXXX. Or,
sans la Mort, les âmes ne parviennent plus à quitter leurs corps :
et progressivement, les non-vivants (ou les non-morts, plutôt), envahissent
les rues d'Ankh-Morpork. Et qui, selon vous, sera appelé à retrouver
la Mort, à faire en sorte qu'il soit aimé de tous et l'obliger à
reprendre son boulot ? Hmm,
qui ?
Si
l'interface globale du jeu reste la même que son prédécesseur,
c'est en revanche sur la question des graphismes et de la musique que la majorité
des efforts s'est portée. Ceux-ci s'approchent davantage d'un véritable
dessin animé interactif, et les imprécisions que je citais plus
haut ont disparu. Le jeu gagne ainsi en personnalité, il gagne en relief
ce qu'il a pu perdre en détail : et certains écrans sont même
assez culottés concernant leur mise en scène, notamment celui du
banquet qui propose un point de fuite assez intéressant en son domaine,
la caméra débutant à la verticale de la salle avant de revenir
progressivement à l'horizontale quand le joueur sort de celle-ci. Nous
retrouvons donc ici la découpe en actes, le bagage, les dialogues si particuliers :
rien de tout cela n'aura changé en profondeur. Il y a là tout autant
de différences avec le premier opus qu'entre Monkey Island et Monkey
Island II : plus beau, plus long et surtout, bien plus dur. Les
énigmes peuvent être ici de véritables calvaires, et même
si la solution semble toujours sur le bout du clic, il n'en est rien. Mais comme
on ne peut mourir et qu'il n'y a pas de situations bloquantes comme dans le premier
opus, il ne faut pas hésiter à expérimenter.
Ce
qui fait la particularité certaine de cet épisode, c'est bien entendu
la version française. Et les choses n'ont pas été faites
à moitié, car ce n'est nul autre que Roger Carel qui prête
sa voix à Rincevent ! C'est un vrai bonheur que d'entendre prononcer
les répliques teintées d'humour noir et de sarcasme du magicien
raté avec la voix d'Astérix le Gaulois. Les autres comédiens
ne sont bien sûr par en reste : Joëlle Guigui (la voix française
de Bart Simpson) prête notamment sa voix à Suzanne, la fille de la
Mort. Accents, tics de langage, grognements : l'univers audio de l'épisode
est une vraie bénédiction. Concernant
les musiques, force est encore de constater qu'elles ne brillent pas encore par
leur caractère. Je dis cela, mais il me faut absolument parler de la séquence
d'introduction du jeu, mettant en scène la Mort faisant des claquettes,
la fameuse chanson That's Death! aux paroles hilarantes et à la
chorégraphie désarticulée. Il faut absolument que vous la
visionniez sur Internet : non seulement elle met de bonne humeur, mais elle
est également le témoin du soin porté à l'épisode,
tant au niveau des animations qu'à celui des dialogues. Quel dommage, cependant,
que les musiques dans leur globalité n'atteignent pas cette qualité !
Sans cela, c'eût été un sans faute.
Comme
c'est souvent le cas pour ces suites, il y a finalement peu de choses à
dire. Le bond est surtout technique, que ce soit au niveau des décors ou
de l'animation, le jeu possédant quelques scènes et éléments
animés en 3D ; l'histoire quant à elle est encore plus farfelue
que le premier opus, et vous entraînera loin, très loin, jusqu'au
royaume mythique des elfes et sur le continent désolé de XXXX, envahi
de paniers-repas, de chapeaux-bouchons, de fourmis carnivores et de vendeurs sans
scrupules. Bref, une aventure savoureuse dans laquelle on se replonge toujours
avec grand plaisir : il y a, comme souvent, toujours une ligne de dialogue
qui a échappé à notre œil attentif, une description à
lire, un jeu de mots à saisir ; c'est un jeu aux multiples lectures
et aux multiples références, tant littéraires que cinématographiques,
et on y revient de temps à autres, le sourire aux lèvres. Comme
l'épisode précédent, l'adaptation console fut particulièrement
soignée, et le jeu est parfaitement jouable sous ScummVM... what else?
Discworld Noir (1999 / PC, Playstation)
Perfect Entertainment - GT Interactive
Tout change avec ce troisième épisode. Et quand
je dis « tout », je veux dire « tout » : nouveau style graphique,
nouvelle interface, nouveaux héros. C'est une refonte en profondeur, un
jeu à part qui possède son propre charme et sa propre atmosphère,
qui pourra séduire comme déplaire. L'histoire,
cette fois-ci, est parfaitement originale et n'est une adaptation, même
lointaine, d'aucun roman. Le personnage principal se nomme Lewton ; après
avoir été limogé du guet pour une sordide histoire de pots-de-vin,
il décide de se mettre à son compte en tant qu'unique (et premier)
détective privé d'Ankh-Morpork. Hélas, les affaires ne sont
guère florissantes... jusqu'à ce qu'une plantureuse pépée,
Carlotta Von Überwald, du clan des Überwald, ne lui demande de retrouver
son amant, Mundy. Lewton se décide donc de se mettre sur l'affaire, car
la femme est belle et riche, mais on sait, dès l'introduction, que les
choses se dérouleront mal : le jeu commence en effet par l'assassinat
du héros, qui nous raconte alors, au passé, ce qui s'est réellement
déroulé. Cette
mise en bouche parfaitement paradoxale met immédiatement dans le ton ;
plus n'est trop question ici de fantastique et de mondes féériques,
bienvenue dans le monde du « film noir », de Casablanca et du Faucon
Maltais, des femmes fatales, des bistrots glauques et des cadavres dans les
rues. Tout l'univers de ces fameux films est magnifiquement retranscrit, leurs
clichés également. Seul, peut-être, Lewton, décontenance :
tandis que tout indique qu'il n'est qu'un déchu ne s'intéressant
qu'à l'alcool et à l'argent, son timbre de voix fait plutôt
penser à celui d'un gentilhomme anglais en retard pour le thé. Bien
entendu, l'entendre jurer et interroger les quidams remet les choses à
leur place, mais ce décalage, encore une fois so british tient pour
beaucoup dans le charme indéniable que le jeu possède... du moins si on joue en version originale. Effectivement, l'équipe de traduction française a plutôt privilégié les références à Audiard et aux films de « Tontons », avec argot, insultes et tons bourrus dans la voix. Alors, la chose a son attrait, et comme c'est la version avec laquelle j'ai grandi, je l'aime encore beaucoup ; reste cependant que ce décalage, couplé à un jeu pas toujours inspiré, fait de la version anglaise la meilleure à mon goût. Celle-ci allie justesse des acteurs et actrices et hommage sincère à ses sources cinématographiques, et on gagne à la préférer.
Les
graphismes ont aussi délaissé le format « dessin animé » :
place à la trois-dimensions ! Les personnages évoluent donc
dans des décors pré-calculés, et si les protagonistes sont
parfaitement intégrés à ces derniers, Lewton, seul élément
réellement « mobile », jure quelque peu. Qu'importe : les
environnements sont détaillés, obscurs, oppressants ; la pluie
tombe continuellement, les voyous vous attendent au coin de chaque rue. Les
musiques ont également bénéficié de cette amélioration
et, je trouve, pour la première fois, se dégagent nettement et participent
activement à l'atmosphère du jeu. Des violons, des cuivres couvrent
d'un voile d'angoisse le moindre écran et nous invitent à nous prendre,
nous-mêmes, pour des détectives à la frontière de la
légalité. L'expérience de That's Death! a dû
inspirer les créateurs, car le titre comporte deux autres titres, bien
plus courts et scandés au sein même du jeu : chantées
respectivement par un barman et une troll sur la scène d'un boui-boui,
ces chansons représentent encore des délices d'humour ; je
ne peux donc que vous exhorter à les chercher sur Internet, vos zygomatiques
me diront merci.
Mais,
ce qui, à l'époque, avait fait sa petite sensation, c'est le système
profondément novateur que le jeu met en place. Contrairement aux deux premiers
épisodes et, même, à la grande majorité des jeux d'aventure
que je puis connaître, cet épisode joue finalement peu sur le principe
de l'utilisation d'un objet récupéré à un autre endroit.
Preuve s'il en est, le protagoniste n'est plus limité en place sur lui ;
mais, bon an, mal an, il n'y a peut-être qu'entre dix et quinze objets en
tout à récupérer au cours de l'aventure... On a vu des jeux
qui dès le premier acte nous demandaient déjà d'en trimbaler
une vingtaine ! Mais
alors, peut-on se dire, quel est l'élément qui permet la résolution
des énigmes ? Les dialogues ? Certes,
mais ce n'est pas le tout.
Les
dialogues, s'ils s'approchent cette fois davantage d'une interface classique avec
sélection des sujets (même si on peut faire parler Lewton à
bâtons rompus, ce qui se traduit souvent par une remarque désobligeante
de sa part), ne sont qu'une partie de cette nouvelle idée. La composante
géniale vient d'un calepin que Lewton trimballe constamment lui, et sur
lequel il note des indices. Ce peut être n'importe quoi : un
nom, un objet, un sujet de discussion, une expression entendue quelque part et
dont le sens lui échappe alors. Ces indices se comportent comme de véritables
objets manipulables : il est possible de les combiner entre eux pour en produire
un troisième, de les « appliquer » à des objets du décor
pour résoudre une énigme et peuvent être montrés (ou
plutôt, évoqués) devant les personnages pour les inviter à
s'exprimer sur une question en particulier. Si
au début du jeu c'est surtout dans cette optique qu'ils sont utilisés,
on se retrouvera rapidement bloqué ; et il convient alors de commencer
nous-mêmes à réfléchir, de façon logique, à
ce qu'il faut faire. C'est là quelque chose de très particulier
pour qui a joué aux deux premiers épisodes. Tandis qu'auparavant
les actions impliquant les objets collectés n'étaient pas toutes
fondées sur la raison la plus pure, ici, tout n'est que déduction
(ou plutôt induction) à la Sherlock Holmes, la pipe en moins. On
ne peut se prétendre ici réellement « coincé » et
amené à consulter une solution comme cela pouvait être le
cas pour les deux premiers épisodes ; avec un peu de matière
grise, tout est aisément résoluble.
L'autre
nouveauté, qui ne surgit qu'à un stade précis du jeu et fermement
lié à son intrigue (si bien que je n'en dirai que le strict minimum)
sera la possibilité de « voir » comme autant de taches de couleur
les odeurs des personnes et diverses créatures. Ce sera là d'une
utilité formidable pour un détective, que de savoir qui est venu
sur le lieu d'un crime et ainsi de remonter sa piste ! Cela ne sera pourtant
permis qu'à certains endroits, et ce pour certaines raisons. Je ne vous
en dirai rien : mais c'est là une idée très intéressante,
et intelligemment menée du reste.
On
peut alors craindre, comme j'ai pu le craindre, que l'esprit Discworld,
si ce n'était la présence d'Ankh-Morpork et le niveau d'écriture
toujours excellent, se dissolve dans cet univers finalement assez éloigné
du fantastique qui est sa marque de fabrique. S'il est certain que l'on y perd
en magie, on y gagne en revanche en crédibilité malgré tout.
Ce serait comme passer dans l'envers du décor : si, avec Rincevent,
l'on voyageait le jour, rencontrait des individus hauts en couleur qui, finalement,
jetaient leurs dialogues parce que cela était écrit, avec Lewton,
la nuit est omniprésente : les personnages que l'on rencontre sont
suspicieux et ne se dévoilent que partiellement. Il faut donc les amadouer,
ou les brusquer pour qu'ils nous révèlent ce qu'ils sachent ;
et si l'on pouvait avoir l'impression, auparavant, de n'être finalement
qu'un « joueur », ceci, associé aux graphismes et à la musique
et, bien entendu, à l'histoire globale du jeu, nous rend finalement acteur
de cette enquête qui, selon les canons du genre, sent bien plus mauvais
qu'il n'y paraît de prime abord et nous amènera, de taudis en bars
glauques, à contrer la future menace d'une destruction totale... Malheureusement,
s'il est bien un endroit où je porte mes plus vives critiques, c'est la
rétrocompatibilité : je n'ai pas encore réussi à
trouver le moyen de le faire tourner sur les OS récents... Mais je persiste
à essayer, encore et encore !
Mise à jour (mai 2016)
Sur la question de la rétrocompatibilité, le site abandonware-france a mis à disposition une version du jeu fonctionnant sous les derniers OS à cette adresse. On y trouve les images des disques certes, mais aussi un exécutable modifié, une clé de registre pour jouer en mode fenêtré et les fichiers permettant d'avoir le doublage anglais, tout en gardant les sous-titres français.
Le jeu est jouable avec les fichiers modifiés, à condition que vous passiez votre ordinateur en mode 16-bits pour les couleurs. Il n'est pas toujours très stable et plante régulièrement après les cinématiques, nombreuses dans le jeu. Pour éviter ça, évidemment, il faut sauvegarder régulièrement et repasser en mode fenêtré avant la cinématique, pour rebasculer en plein écran par la suite. Sinon, la dernière solution reste, évidemment, d'émuler une machine virtuelle avec Windows 98 d'installé.
Conclusion
Ces
trois jeux Discworld font partie, me concernant, du panthéon du
point'n click. On pourra leur reprocher bien des choses, à commencer
par la difficulté outrancière de certaines de leurs énigmes
ou leur réalisation en dents de scie. Mais chacun s'est toujours démarqué
de la concurrence au niveau de son interface, qu'il s'agisse de réinvestir
les fenêtres d'inventaire, des dialogues ou de la méthode de résolution
des énigmes, apportant un peu de variété à un monde
qui s'appuie, plus que jamais, sur ses codes. Il
faut les essayer, et rentrer dans leur univers si particulier. Cela ne plaira
sans doute pas à tous, j'en conviens, tant le thème et son traitement
leur sont spécifiques. Je suis personnellement tombé sous le charme :
et je vous encourage à les essayer, ne serait-ce que pour écouter
quelques lignes de dialogue délicieuses...