Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par MTF (20 février 2017)
Nous avons peut-être tendance à l'oublier, mais le jeu vidéo est, avant et surtout, une affaire de chiffres. Constamment, ils nous entourent à chaque instant de notre partie, quel que soit le genre auquel nous nous essayons : l'or que nous récoltons, l'expérience que nous engrangeons, les points de vie que nous perdons ou les dégâts que nous infligeons, tout cela est chiffré, d'une façon ou d'une autre. Plus profondément encore : les jeux vidéo, comme émanation de l'informatique, sont programmés et codés au moyen de formules mathématiques complexes, et quand bien même n'aurions-nous pas toujours accès à des consoles nous permettant de voir le squelette de nos titres favoris, les chiffres sont toujours là, tapis, et décident de tout ce que nous accomplissons, pouvons accomplir ou n'accomplirons pas. Pourquoi donc ce propos liminaire ? Eh bien, pour évoquer un type de jeu récemment apparu, avec les navigateurs Internet et les téléphones intelligents, et dans lesquels le chiffre est non seulement la machine permettant à l'ensemble de tourner, mais également l'objectif ultime d'une partie. Il s'agit d'un genre de jeu peu considéré encore, même si, à l'instar des tower defender dont j'avais parlé jadis concernant Plants Vs. Zombies, ils font partie des jeux les plus pratiqués de l'époque moderne, loin devant les platformers, les RPG et autres FPS : je veux parler des jeux incrémentaux, aussi appelés Idle Games ou Clicker Games. Il est difficile de leur prêter une généalogie, et de pointer du doigt leur origine véritable. Comme ce sont des jeux, dit-on, sans enjeux, les historiens et les joueurs, en général, ne leur prêtent aucune attention. Mes recherches m'ont cependant conduit à quelques noms en particulier : et dans cet article qui se veut à la fois revue d'un jeu spécifique et présentation d'un genre nouveau, je me permets de réfléchir ici à son origine. Le programme eut un succès d'estime à son époque, et nombreux sont ceux qui en parlèrent. Les tentatives suivantes restèrent dans le domaine de la parodie : Cow Clicker (lien externe), sorti en 2010 sur le réseau social Facebook, est une création du philosophe (et game designer) américain Ian Bogost. Son objet était proche de celui de Fredricksen : il s'agissait de dévoiler les mécaniques secrètes de nos jeux vidéo, et notamment de ceux qui fleurissaient alors sur téléphone portable et sur les réseaux sociaux, à l'instar de Farmville qui, en 2009 et malgré sa répétitivité, défraya la chronique. Cow Clicker, comme son nom l'indique, ajoute une composante à Progress Quest : l'interaction. Celle-ci prend la forme d'un clic de souris, que l'on ne peut accomplir initialement que toutes les six heures ; mais plus l'on clique, plus l'on a le droit de cliquer, et plus on a le droit de cliquer, plus on a le droit de cliquer, et ainsi de suite. À la vue de ces exemples, je pense que vous commencez à comprendre le principe de ces jeux. L'objectif d'un Incremental Game consiste à amasser le plus de « richesse » possible, richesse représentée par un chiffre. Ce dernier peut augmenter avec le temps, sans rien faire comme dans Progress Quest, ou bien grimper suite à une certaine action de notre part, généralement un clic de souris. Ces jeux n'ont, en général, jamais de fin : par définition, il peut toujours y avoir un nombre supérieur à un nombre donné. Cependant, le temps avançant, les choses devinrent un peu plus complexe. On comprendra aisément pourquoi ce type de jeu, qui connaît depuis quelques années un engouement certain, n'est pas des mieux considérés. Le gameplay est effectivement réduit à sa portion congrue, un clic de temps à autres pour acheter un bâtiment ou une amélioration, rien de plus : après, il suffit de laisser l'application ouverte pour engranger des ressources, qui nous permettent d'acheter d'autres améliorations, et ainsi de suite. Pourtant, il y a quelque chose de fascinant dans ces jeux : sans doute doivent-ils titiller quelque glande profondément enfouie dans notre cerveau et qui libère une hormone du plaisir lorsque nous voyons un chiffre augmenter ; peut-être aussi est-il profondément rassurant d'oublier l'existence du jeu, d'y revenir à l'occasion et de voir que l'on peut, alors, acheter d'un seul coup énormément de bâtiments ; enfin, peut-être est-il agréable de se dire, finalement, que l'on peut réussir et « gagner » sans nécessairement investir temps et énergie. Candy Box et sa suite Candy Box 2 (liens externes) sortirent en 2013 et se fondent sur le principe de Cookie Clicker. Il s'agit une fois encore d'un jeu français, programmé quasi totalement par un développeur de Caen pseunommé « aniwey ». Si je choisis d'en parler ici, c'est qu'il s'agit sans doute du plus « vidéoludique » des Idle Games ; du moins, il me semble que de tous ceux que j'ai pu essayer, il est le mieux réussi et, peut-être, le plus intelligent. Première chose à préciser : le jeu n'est pas, contrairement aux précédents, « infini ». Quand bien même pourrait-on toujours le laisser tourner pour engranger des ressources supplémentaires, il s'agit surtout de terminer ici une quête représentée par la succession de plusieurs niveaux. La différence avec un jeu « traditionnel », c'est que pour progresser dans ces différents niveaux, il convient de récolter des bonbons ou, plus tard, des sucettes et des barres de chocolat, qui permettent d'acheter des armes plus puissantes et, partant, d'affronter de nouveaux dangers. Si le principe des deux épisodes est globalement le même, la présentation est en revanche fondamentalement différente. Le premier a un côté Wizardry plus ou moins prononcé, du moins il renvoie à ces ancêtres du jeu de rôle dans lesquels les options se choisissaient par l'intermédiaire de menus déroulants. On choisira ainsi la quête que l'on veut faire ; par un menu toujours, l'amélioration dont on souhaite bénéficier, et ainsi de suite. Le jeu se déroule la plupart du temps automatiquement : une fois votre équipement choisi et votre quête sélectionnée, votre bonhomme explore la zone de lui-même, combat les ennemis et accède, ou non, à la fin de la zone. Les dégâts infligés, ceux reçus sont calculés automatiquement, et c'est là que l'aspect Idle se ressent : manger des bonbons permet d'augmenter ses points de vie et d'améliorer son équipement, condition sine qua non pour progresser. Quelque part, le premier épisode serait le pendant minimaliste du second, ou le contraire : cela se ressent y compris dans le dessin ASCII des jeux, bien plus fourni dans le deuxième épisode et qui parvient, finalement, à transmettre des émotions rigolotes. Il faut voir ainsi notre personnage se transformer selon les bonus dont il bénéficie, les dialogues souvent incisifs et les descriptions des différents lieux et ennemis, qui laissent toujours la place au bon jeu de mot. Le deuxième épisode est de loin mon préféré : il est non seulement le plus ingénieux, non seulement le plus complexe (l'énigme du cyclope vous tiendra longtemps en haleine !), mais il est aussi le plus élaboré de tous. On appréciera les petits secrets qui rendent sa progression agréable, ainsi que les nombreux détails qui enrichissent notablement son parcours. Mine de rien, j'y reviens régulièrement depuis sa découverte, il y a de cela quelques années, et je ne crois pas avoir fait deux parties consécutives identiques : il y a toujours moyen de privilégier telle ou telle approche, et le mode difficile, qui vous empêche d'améliorer vos points de vie, permet de redécouvrir ce jeu intéressant, qui connut une fois encore un joli succès d'estime. Comme ces jeux sont entièrement gratuits, je ne peux que vous encourager à les essayer ; et le cas échéant, à vous y plonger davantage, car il y a là des perles d'ingéniosité, minuscules certes, mais brillantes dans la nuit sucrée. Sources, remerciements, liens supplémentaires : Voici les liens menant aux jeux :
- Candy Box - Candy Box 2 Les jeux peuvent être réglés en français, et les sauvegardes s'effectuent dans un fichier local, que l'on peut copier sur un autre ordinateur pour reprendre la partie en cours. Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (9 réactions) |