Actualité de l'émulation [contenu fourni par Emu-France]
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Par JPB (04 octobre 2022) Uchronie... Quel mot étrange, qui permet tellement de choses. La définition du Petit Larrousse est : « Reconstruction fictive de l'histoire, relatant les faits tels qu'ils auraient pu se produire. » Wikipedia propose : « Dans la fiction, l’uchronie est un genre qui repose sur le principe de la réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé. » Mais celle qui me paraît la plus intéressante est celle-ci : « Récit se déroulant dans un monde en tout point similaire au nôtre jusqu’à un certain événement, qui, lui, diffère de ce qui s’est produit dans la réalité - on l'appellera par la suite "événement divergent" ou "point de divergence" ; ce récit devra s’intéresser de manière substantielle à cette nouvelle Histoire. » En gros, il s'est passé quelque chose à un moment, dont les conséquences ont modifié le monde que l'on connaît. Ce genre a été souvent utilisé, vu la richesse qu'on peut en tirer. Par exemple, Le Maître du Haut-Château de Philip K. Dick raconte le monde tel qu'il est 10 ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, gagnée par l'Allemagne, l'Italie et le Japon. Quelques films ont exploité ce phénomène : Watchmen de Zack Snyder (2009), ou de façon un peu plus rocambolesque en jouant à répétition sur le point de divergence, Un jour sans fin de Harold Ramis (1993) ou Edge of Tomorrow de Doug Liman (2014)... Mais les jeux vidéo l'ont fait également : la saga des Battlezone (1998 et 1999), les S.T.A.L.K.E.R (20007, 2008 et 2009), Wolfenstein : the New Order (2014)... Et un autre jeu vidéo m'avait marqué, non seulement pour son univers uchronique intéressant, mais aussi pour son histoire vraiment très sympa et son gameplay entraînant : Crimson Skies. Le jeu de plateauAu départ, Crimson Skies est un jeu de société pour 2 joueurs, créé et édité par la FASA (« Freedonian Aeronautical and Space Association »). Cette société d'édition de jeux, créée en 1980 par Jordan Weisman et L. Ross Babcock III, a lancé des produits aux noms bien connus : Star Trek (lien en anglais), Shadowrun, Earthdawn, Battletech/Mechwarrior... L'univers de Crimson Skies se déroule aux États-Unis et au Canada. Suite à la prohibition de 1919 qui voit augmenter de façon drastique la criminalité, la Grande Dépression économique de 1929 voit cette fois s'écrouler les infrastructures de communication et le pouvoir des banques ; enfin, une épidémie finit de mettre à genoux les différents États, qui se mettent d'abord en quarantaine puis font sécession l'un après l'autre. La grille des États telle qu'on la connaît vole en éclats, et de nouveaux morcellements aux noms évocateurs (comme la Californie qui devient l'État d'Hollywood) voient le jour. Je n'ai pas trouvé beaucoup d'infos sur le jeu de plateau proprement dit. Visiblement, on se retrouve sur des terrains de jeux variés en fonction des extensions, avec des cases hexagonales qui rappellent l'univers de Full Metal Planète. Les avions étaient des éléments cartonnés à assembler au début de la licence ; par la suite, la FASA acquit une société appelée Ral Partha, qui proposa les mêmes avions en métal à peindre. En 2000, Jordan Weisman fonda Wizkids, qui se chargea de commercialiser (entre autres) des "reproductions" en plastique des avions de Crimson Skies (je rappelle que ces avions n'existent pas). Au final, il y aurait donc 3 versions physiques des appareils du jeu. Le jeu de société a l'air assez complexe, mais du coup doit offrir une bonne durée de vie et une excellente rejouabilité une fois qu'on a réussi à maîtriser toutes les règles. Vu le nombre d'extensions et de décors, il y a de quoi s'amuser... Je m'arrête là pour le jeu de plateau, comme je disais il n'y a pas beaucoup d'infos disponibles et je n'ai pas réussi à trouver une documentation complète. Les images ci-dessus proviennent du site https://boardgamegeek.com/image/196062/crimson-skies, vous y trouverez une collection impressionnante de photos. La version microL'interview de Nathan Zachary est d'ailleurs disponible dans le magazine Air Action Weekly n°13. Ne la ratez pas ! Quand le jeu commence, depuis sa base aérienne, le zeppelin Pandora, il compte "redorer" son image et celle de son équipage, les Fortune Hunters : rendez-vous compte, il n'est même pas cité dans la "Parade de l'Infâmie", telle qu'elle est présentée dans les Actualités ! On suit une trame commune pour chacune des 24 missions du jeu. On commence par entendre la réunion entre Nathan qui explique son plan, et les membres de son équipage qui ne se privent pas de réagir et de faire des commentaires. L'ambiance est franchement détendue, bon enfant - du moins au début du jeu. Une fois les objectifs bien définis, on peut choisir son avion (si le modèle proposé n'est pas imposé) et surtout ses munitions. Ensuite... c'est le décollage, ou plutôt le larguage vu que le zeppelin ne touche jamais terre. Quand la mission est terminée, on retourne au Pandora et on apponte - si j'ose dire - soit en manuel, soit automatiquement si on est assez près. Vient le debriefing avec les points, les trophées (coupures de presses, photos, voire lettres directement destinées à Nathan) toujours amusants à lire ou regarder, et chaque mission réussie s'ajoute dans la liste pour pouvoir la rejouer à volonté. Prenons le cas de la première mission. Elle consiste à repérer l'épave d'un vieux gallion, dans lequel se trouverait un trésor ayant appartenu à Sir Francis Drake... Départ du Pandora qui est venu "mouiller" à proximité de l'île, avec notre coéquipier Jack à l'arrière de notre Dévastateur. Après quelques acrobaties et un pont ennemi en moins, on s'approche de l'épave. Un premier passage, puis on survole à nouveau la cible, et cette fois on largue notre équipier en parachute pour qu'il puisse examiner le bateau de plus près et nous tenir au courant de ses trouvailles. Soudain, le groupe des Méduses, dirigé par Justine Parrot depuis son dirigeable Gorgone, s'invite pour récupérer "son" trésor, et menace de nous descendre si on ne se replie pas. Elle ne manque pas de culot, celle-là ! Un combat s'engage, et rapidement les Fortune Hunter se débarrassent des chasseurs ennemis et font exploser les réservoirs du Gorgone. Il n'y a plus qu'à retourner au Pandora pour mettre au point la suite des missions. La suite de la campagne vous tiendra en haleine, car les missions sont réparties en plusieurs blocs qui forment un chapitre, et il y a un lien entre chacun d'eux. Vous ferez du voyage au-dessus de plusieurs États, et vous rencontrerez (ce qui veut dire affronterez, mais pas que) de nombreuses organisations, tant de pirates que de "représentants de la loi" :
Un peu d'histoire (réelle cette fois)Le groupe qui a réalisé Crimson Skies est Zipper Interactive. J'ai beaucoup joué à un de leurs précédents jeux : Recoil, dans lequel on dirige un tank évolutif pour aider des résistants à se débarrasser d'un ordinateur voulant tout détruire. De l'action non-stop, des secrets un peu partout, un maniement très agréable, et des petites séquences vidéo pas mal faites du tout pour faire avancer l'histoire (on est loin d'un AAA) donnaient un cachet unique à ce jeu. J'y ai d'ailleurs rejoué plusieurs fois tellement je le trouvais sympa... Ensuite ils sortiront Mechwarrior 3, simulateur de mechas basés sur l'univers de Mechwarrior, licence appartenant à la FASA - comme Crimson Skies. Quand on demande à John Howard (directeur principal du projet chez Zipper Interactive) de donner ses sources d'inspiration pour le jeu, il répond :
Et Jordan Weisman (directeur créatif de Microsoft), lui, déclare :
Je pensais que le jeu vidéo était une adaptation du jeu de plateau. Mais en fait, comme je le disais plus haut, c'est un peu plus compliqué. John Howard explique :
Bien sûr, Crimson Skies n'est pas un simulateur. C'est un jeu d'action aérien ; d'ailleurs, je pense qu'il joue dans la même cour que Star Wars : Rogue Squadron, sorti un an plus tôt, et par la suite les deux Tom Clancy H.A.W.X. ou la série des Ace Combat : là aussi on a de l'action, une histoire en chapitres, des évènements qui bouleversent les missions... et on s'éclate à simplement voler et combattre des ennemis. Le "secret" de cette ambiance si agréable de Crimson Skies, c'est l'équilibre entre arcade et simulation, comme l'explique John Howard :
Et Jordan Weisman ajoute :
Cependant, je trouve que l'uchronie de Crimson Skies rend les missions plus amusantes, plus "légères" que pour les autres softs du même genre. Avec le recul, on a l'impression d'assister à un Pirates des Caraïbes ou à un épisode d'Agences tous risques dans les airs : personne ne meurt dans ce jeu ! Le pilote d'un avion abattu arrive toujours à s'éjecter en parachute, et si c'est un as il finit à l'hôpital en maudissant Nathan. L'interview complète est disponible dans Air Action Weekly n°... Ah non, excusez-moi : cette fois c'est une vraie interview, vous pourrez la lire (en anglais hélas) ici. J'en profite pour vous indiquer des infos bien sympas sur un wikia de fans (en anglais) : https://crimsonskies.fandom.com/wiki/Crimson_Skies_Wiki. RéalisationLe moteur graphique du jeu permet des affichages très détaillés (pour l'époque). Non seulement ils sont beaux, avec des éléments supplémentaires qui ne ralentissent pas l'animation (palmiers, véhicules...) mais la 3D de l'époque est parfaitement utilisée. Aujourd'hui les textures paraissent assez pauvres, encore qu'elles soinent tout à fait regardables, mais quand le jeu est sorti c'était un bijou visuel et justement ces mêmes textures étaient au top, tant celles du sol que celles des appareils ou des nuages. Dans Joystick, Iansolo déclarait d'ailleurs : "On peut sans conteste décerner à Crimson Skies la Palme des plus beaux nuages dans un jeu vidéo." Quant aux graphismes en général, hors 3D, ils sont particulièrement réussis et parfaitement dans le ton des années 40... uchronie ou pas. Les photos et les coupures de journaux, tant au niveau du style que de leur qualité, donnent l'impression d'être réelles. Mention spéciale à la documentation qui reprend le style d'Air Action Weekly et qui est un petit bijou. Parlons des avions. Ce sont des stars ! Quand on les regarde, on a l'impression de voir de vrais avions montés à l'envers : les hélices sont souvent placées à l'arrière de l'appareil, les ailes ont parfois des angles qu'on ne trouve pas naturels... Et pourtant, tous ces avions sont pleinement fonctionnels. Du Balmoral lent et rempli de rockets, au Bloodhawk rapide mais peu armé, en passant par le Dévastateur à peu près neutre qu'on pilote lors de la première mission pour se faire la main, il y a onze appareils aux caractéristiques différentes. On les découvre petit à petit au cours de la campagne, et on peut les récupérer pour les ajouter à notre flotte. Bien entendu, mais encore faut-il le signaler, chaque avion a une forme qui lui est propre en vue externe, mais également un tableau de bord et une cabine unique en vue interne. Quand on pilote en vue extérieure, on peut voir l'appareil sous tous les angles, mais en vue intérieure on a là aussi un visuel particulier, y compris quand on regarde autour de soi (et que dans les missions où on a un passager, on voit en vue arrière sa mine digitalisée du plus bel effet). Il existe également une vue plein écran, sans qu'on voie ni l'avion ni le tableau de bord ; elle est impressionnante mais ne joue pas autant sur l'ambiance. Mais le plus marrant, c'est qu'on peut créer ses propres avions. En partant d'une structure existante (Dévastateur par exemple), il est possible de jouer sur le moteur, le blindage, les canons, les points d'ancrage et les couleurs pour personnaliser l'appareil. Deux contraintes : le prix, et le poids. En tout cas, ils ont tous un look surprenant et oui, comme le disait Jordan Weisman, ils sont cools. À sa sortie, le jeu est fluide avec un bon matériel (évidemment, sinon il faut faire des sacrifices dans la résolution, les détails...). On voit partout de nombreuses petites animations visuelles, comme les hélices dont la vitesse change en fonction de la puissance, les gaz d'échappement qui sortent quand on remet la sauce, le soleil qui éblouit si on le regarde... Quand on détruit un moteur de zeppelin, l'hélice tombe en tournoyant. Si on est touché, ou si certaines parties de l'avion sont endommagées, on le voit. Les explosions sont elles aussi très bien faites, on sait tout de suite si on a détruit un objectif. Côté son, on a globalement du très bon. Les bruitages des moteurs, ceux des avions ennemis quand ils nous frôlent, le bruit des mitrailleuses, c'est parfaitement maîtrisé. Côté musique, on a droit à des thèmes énergiques, dans le plus pur style des films d'action, joués par des orchestres s'il vous plaît. Le gameplay est excellent. Pas de préoccupation concernant le décollage, quant à l'atterrissage (enfin, l'accrochage) il est simplifié et on peut même le passer ; bref on s'éclate et c'est tout. Et là, on ressent vraiment l'avion, on arrive à "piloter aux fesses" et à réussir des manœuvres qui feraient pâlir les vrais pilotes - mais comme on l'a vu, dans Crimson Skies on est dans le domaine du fantasme et pas de la simulation, et le comportement des avions reflète cet état d'esprit. Il y a quand même des passages assez difficiles, qui donnent envie de se surpasser : les acrobaties rapportent des points et des commentaires élogieux des membres de l'équipage. À l'époque de la sortie du jeu, je volais avec un Sidewinder Force Feedback 2, il était parfaitement exploité, et le retour de force était nickel (j'adore le coup qu'on ressent à chaque tir de la mitrailleuse). Je n'ai jamais essayé le clavier ou la souris : le joystick me suffisait largement (enfin, il y a bien quelques touches à utiliser en plus du joystick, mais pas énormément). Il existe, en plus de la campagne, des missions individuelles qu'on peut paramétrer de plusieurs manières, et un mode multijoueur que j'avoue n'avoir jamais essayé. Je ne vais donc pas en parler plus que ça. Avec tous ces commentaires élogieux, vous aimeriez bien tenter l'aventure ? Pas de problème : le jeu est dispo sur Abandonware France en version automatique. Il y a des soucis visuels à gérer parfois : j'ai quand même réussi à avoir un écran à peu près parfait en 1280x720, malgré de gros traits noirs en haut et en bas (qui n'apparaissent pas systématiquement, et qui ne gênent pas en vue externe). Mon vieux Sidewinder est reconnu aussi, même si parfois on n'a plus de retour de force. Le plus bizarre c'est que tout le jeu est ralenti d'environ 25% par rapport à la vitese d'origine... ça fait un peu bizarre mais ça n'empêche pas de s'amuser : l'émulation fonctionne largement assez bien pour qu'on se relance dans les missions et qu'on profite de l'histoire, ce que je vous invite à tenter si vous avez le temps. Voici le lien vers la page de téléchargement (prenez bien la version automatique). Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum (72 réactions) |