Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
God of War II
Année : 2007
Système : Playstation 2 ...
Développeur : Santa Monica Studio
Éditeur : Sony Computer Entertainment
Genre : Action / Aventure / Beat'em all
Par MTF (15 décembre 2022)

J'avais lu jadis, dans un magazine spécialisé, que « contrairement au cinéma, une suite de jeu vidéo est toujours supérieure à l'original ». On peut soupirer devant une telle généralité : mais à l'époque, encore maintenant, c'est vrai que j'ai du mal à trouver de notables exceptions. Il y a bien entendu des séquelles moins touchées, ou qui se contentent de polir une formule éprouvée ; mais j'ai souvent été content de retrouver un univers qui m'avait captivé une première fois.
Lorsqu'arrive, deux ans après le premier épisode, God of War II, il est peu dire que le jeu était particulièrement attendu. Non seulement il s'agissait de la suite d'un des jeux les plus appréciés de la Playstation 2, mais il est également l'un des derniers gros jeux de la console, alors que la Playstation 3 était déjà disponible ci et là. À la fois chant du cygne et passerelle vers une nouvelle génération de machines, on espérait un final en fanfare.

Et quelle fanfare ! Le jeu n'est pas en avare en moments marquants.

Le jeu, c'était prévisible, fut un énorme succès, critique comme populaire ; mais surtout, il atteignit un degré de perfection inédit dans sa formule, au point d'éclipser la mémoire du premier opus qui, malgré ses qualités, souffrait de plusieurs errances, de rythme ou d'intelligence : il était surtout concentré dans le Temple situé sur le dos du Titan Kronos, et son combat final, contre Ares, était assez laborieux. S'il était inattaquable dans son spectacle et dans son gameplay, on le sentait néanmoins comme limité, étouffé par ses ambitions. Ce ne sera plus le cas ici.
Il y a surtout dans God of War II une grandiloquence et une pertinence constante, et il devient difficile de lui reprocher quoi que ce soit dans ses mécaniques fondamentales : c'est un chef-d'œuvre de plaisir et de profondeur, et le voyage fait partie de mes plus beaux souvenirs de joueur. Alors, faites-moi voir votre « War Face », et allons buter du streumon.

On ne sera guère dépaysé en connaissant le premier jeu.

I am Spartacus

L'histoire reprend plus ou moins là où le premier épisode s'était arrêté. Pour résumer, nous incarnons Kratos, un ancien spartiate qui avait vendu son âme à Ares, dieu olympien de la guerre, en échange d'une puissance surhumaine et de deux lames fatales, des haches reliées éternellement à ses avant-bras par des chaînes brûlantes. Le Dieu, cependant, l'enivra tant de violences qu'il le conduisit à assassiner sa femme et sa fille par erreur. Rempli de regrets, il ne cherche qu'à apaiser ses souffrances et les visions d'horreur qui le hantent.
Athéna, désireuse d'écarter son frère mais ne pouvant intervenir directement sur ordre de Zeus, envoie donc Kratos chercher un pouvoir magique conservé dans la boîte de Pandore, et qui lui permettrait de devenir l'égal d'un dieu. Après avoir réussi la quête, et après avoir assasiné son mentor, Kratos voit ses fautes absoutes, mais aucune force ne peut empêcher les visions de le tourmenter. Trompé et déçu, il finira néanmoins par prendre la place d'Ares à l'Olympe et ainsi devenir, à son tour, le Dieu de la Guerre.

Un début riche en action, en émotions et en trahisons... et ça va continuer !

Les affaires olympiennes ne le regardent guère cependant, et toujours fou de colère et de fureur, il décide de mener son armée de spartiates dans des guerres infinies, pour la gloire de sa nation terrestre. Zeus, désirant mettre hors d'état de nuire cet électron libre qui pourrait menacer sa puissance, se décide alors de le tuer. Il le trompe en lui donnant une lame magique, qui le déchargera de ses pouvoirs divins et lui permettra de l'envoyer en enfer. Mais il en faut plus pour arrêter Kratos ! Il échappera à la mort et se mettra en quête des Moires sur le conseil d'Athéna toujours, afin de remonter dans le temps au moment funeste et de changer son destin.
God of War II poursuit, comme on le voit, ses élucubrations sur la mythologie grecque d'une façon toute particulière, voire holywoodienne, peut-on dire. Le panthéon olympien est composé de dieux aux volontés bien humaines, que l'on peut détrôner. On croisera des figures connues, Borée, Prométhée, Icare, Persée et d'autres, dans un mic-mac qui déplaira vraisemblablement aux classicistes qui connaissent bien ces mythes.

Le bestiaire habituel de la mythologie grecque est bien représenté. On chevauchera même Pégase entre deux missions !

D'un autre côté, et même s'il est vrai que l'histoire mange à tous les râteliers, force est de reconnaître que la mythologie grecque s'est toujours prêtée à ces interprétations et réinterprétations, comme elles en connurent déjà énormément tout au long de leur histoire culturelle, dès l'antiquité du reste : chaque mythe connaît tant de variations, sans que l'on ne puisse véritablement en pointer une comme étant la « véritable ». Il faut reconnaître également que l'équipe de développement a fait ses devoir, et a su garder les grandes lignes de ces figures que l'on croise. Ainsi, Prométhée a son foie dévoré perpétuellement par un aigle ; les Moires, Clotho, Lachésis et Atropos, tissent les fils du destin ; Icare a ses fameuses ailes, qu'on lui piquera par ailleurs pour augmenter notre mobilité aérienne.
Surtout, ce que parvient à faire God of War II, c'est d'étendre considérablement l'univers de cette série. Le premier épisode, comme je le disais plus haut, était surtout concentré dans un Temple, et l'on avait parfois du mal à apprécier l'échelle de cette antiquité légendaire. Le monde qu'on nous présente est sans doute fantasque, mais il est aussi gigantesque, extraordinaire, il fait absolument rêver. Pour tout dire, il est impossible de revenir aux encyclopédies après avoir exploré ces sanctuaires, que le cinéma n'a pas su encore parfaitement nous offrir.

On passera tant de temps dans la nature ou dans des monstres que dans des temples, pour une aventure on ne peut plus variée.

Je suis la mort, destructrice des mondes

La structure générale de la partie n'a guère évolué. Nous avons là un jeu d'action plutôt linéaire, entrecoupée de séquences d'exploration, de quelques énigmes et de combats dans des arènes closes. Occasionnellement, l'on peut explorer quelques passages annexes pour récolter des bonus augmentant notre vie, notre magie ou la durée d'utilisation des armes secondaires, mais nous serons surtout sur un chemin fixé par avance, sans réelle liberté.
Cette linéarité n'est en revanche jamais pesante, et l'équipe du Studio Santa Monica renoue avec l'intelligence de son précédent succès. D'une part, nombre de niveaux sont construits d'une façon très élaborée, serpentant sur eux-mêmes : souvent, on explore un énième couloir pour débloquer un mécanisme, activer un levier ou pousser une caisse, qui ouvre un nouveau chemin dans une zone précédemment visitée. On a beau s'attendre à l'astuce, elle produit toujours son petit effet et densifie considérablement les lieux que l'on arpente.

Verticalement ou horizontalement, le chemin est balisé. Dommage que des murs invisibles nous bloquent parfois, tant on aimerait explorer.

D'autre part, on ne s'ennuie guère sur ce sentier battu. Les environnements sont intrigants, et ont tous un petit quelque chose de distinct, dans leur architecture ou leurs pièges, qui nous engage toujours. On ne sent ainsi pas trop la redite même si on active un nombre impressionnant de leviers et de manivelles : mais surtout, les combats, nombreux, nous obligent à diversifier parfaitement nos approches.
On sait que c'est là l'un des grands écueils des jeux d'action, de ronronner au bout d'un moment quant aux situations qu'on nous propose. Le premier God of War était parfois coupable de cela, et on pouvait ronchonner devant une énième arène avec les mêmes ennemis, que l'on affrontait toujours de la même façon. Cette fois-ci, non seulement leur nombre a été considérablement augmenté, mais l'arsenal à notre disposition est bien mieux exploité.

On récolte des orbes d'expérience par nos prouesses au combat, qui permettent d'améliorer nos armes et nous ouvrent de nouveaux enchaînements.

Certes, les haches enchaînées, symboles du personnage, seront sans doute celles que l'on utilisera le plus, tant elles s'avèrent efficaces pour garder les ennemis à distance. Mais au regard de l'épisode fondateur, qui introduisait tardivement les armes secondaires et ne nous obligeait jamais, ou presque, à nous en servir, on aura ici tout intérêt à les explorer. Déjà, on nous les donne bien plus tôt, à un moment où la puissance des haches n'est pas encore totalement débloquée ; ensuite, certains ennemis sont bien plus sensibles à leurs caractéristiques.
Il en va notamment des soldats à bouclier, dont le marteau brise les pavois ; ou des spectres que l'on n'atteint qu'avec la lance. Il en va de même des sorts magiques, comme la tête de méduse, ou des armes secondaires comme l'arc, qui font des merveilles dans des situations de jeu déterminées. Maîtriser ces options de combat devient une nécessité, comme le jeu s'avère plus long, mais aussi un peu plus difficile que son précédesseur.

Les puzzles consistent beaucoup à pousser des blocs sur des boutons, ou à lever des portes.

Si le premier épisode pouvait s'achever en une dizaine d'heures, plus ou moins, en prenant son temps et en explorant un peu tout, il faudra en compter ici entre quinze et vingt, au bas mot. Non seulement l'on compte davantage de chapitres qu'auparavant, mais il y a surtout plus de combats, et de combats de boss notamment. Des colosses qui nous toisent, des divinités diverses, des héros combattant avec leurs attributs mythiques. Partant, et même si nous savons toujours que faire et où aller, le voyage se fait plutôt long... trop long voire.
Les derniers chapitres, effectivement, tirent un peu en longueur, et la conclusion est comme tout étirée. Quand on arrive, enfin, au fin fond du sanctuaire des Moires et que nous avons la possibilité de revenir dans le temps, le jeu nous bloque encore avec deux combats de boss et plusieurs aller-retours plutôt fastidieux. Même si le combat final, contre Zeus, fait une conclusion très agréable, l'impression générale est assez brouillonne : dommage car, avec un peu plus de retenue, c'eût été un complet sans faute.

Le jeu est souvent magnifique, voire ambitieux dans sa scénographie.

Voir pour croire

Ce sans-faute, on l'aura en revanche sur les aspects techniques, et notamment les graphismes du jeu. Je sais que cela peut sembler un cliché, mais par moment, le jeu pourrait très volontiers passer pour un titre du début de la génération suivante. S'il est bien encore quelques polygones moins arrondis, et s'il est quelques effets un peu chiches, l'ensemble est absolument bluffant, sans ralentissement aucun malgré l'exubérance de la bataille. Rien que la première séquence de jeu, qui nous fait affronter le colosse de Rhodes, est un tour de force magistral qui inaugure le meilleur des spectacles.
Le jeu garde du reste son habitude de rarement nous ôter la manette des mains. S'il y a bien quelques cinématiques, la plupart du temps, la caméra fait tout le travail alors que nous dirigeons encore Kratos dans le paysage. Elle prend soudainement de la distance, pour nous faire mieux apprécier la dimension des superstructures que nous parcourons ; elle se fait zénithale, quand nous descendons un grand escalier en colimaçon, ou mobile lors des séquences d'exécution.

Ce colosse est très, très impressionnant, de même que l'architecture générale des lieux.

Celles-ci, c'était attendu, sont encore de la partie. Lorsqu'un ennemi arrive en fin de vie, ou lorsqu'une étape de combat de boss est atteinte, le jeu nous propose de participer à un mini-jeu prenant la forme d'un quick time event, où il faut appuyer sur les bons boutons au bon moment, ou imprimer une certaine direction sur le stick analogique. La réussite de l'action entraîne une exécution particulièrement violente, qui avance le combat contre un boss ou rapporte souvent beaucoup de points d'expérience face aux ennemis habituels.
Ces séquences sont parfois reprises du jeu précédent, mais bien d'autres ont été rajoutées depuis, et elles sont toujours aussi impressionnantes à voir. Elles participent, quoi qu'il en soit, au grand spectacle de l'épisode qui ne manque jamais une occasion de surjouer sa puissance, de démolir des murs entiers, de faire tomber des statues monumentales ou de nous faire plonger dans les abîmes à une vitesse supersonique.

Kratos a amélioré ses capacités d'escalade, et il peut maintenant se suspendre à certains plafonds.

Étrangement, il m'a semblé que cette extravagance édulcorait, de façon bienvenue, la violence et la cruauté inhérente à la saga depuis son commencement. Qu'on ne s'y trompe, God of War II reste un jeu particulièrement violent, farci de décapitations, de démembrements, de tortures toutes explicitement montrées, mais ces exactions atteignent un niveau tel qu'elles en deviennent ridicules et grandguignolesques. Kratos devient comme une petite parodie de lui-même, cela étant aidé par la voix de Terrence Carson qui rocaille et hurle la moindre des répliques du personnage.
Aussi, si l'on pouvait encore avoir des doutes après le premier épisode, ce second dissipe toute nuance particulière. C'est du grand spectacle, c'est un théâtre fascinant, farcesque et comique, qui n'effraie plus mais énergise prodigieusement. Rarement dans l'histoire du jeu vidéo n'avait-on ressenti une telle puissance ; et comme le jeu nous récompense pour nos acrobaties, c'est avec plaisir que nous poussons le vice dans ses derniers retranchements, sans se sentir coupable le moins du monde tant tout cela semble bien ridicule.

Les exécutions sont toujours aussi gratifiantes, et on gagne à les multiplier pour devenir plus puissant encore.

Jeux olympiens

Oui, difficile de trouver à redire à God of War II, qui s'impose à mon goût comme le meilleur de la trilogie originale. Il corrige les aspérités les plus notables du premier, mais sait malgré tout rester concentré sur la longueur là où le troisième, à mon goût, cherche définitivement à trop en faire et se perd absolument. Aussi, et même si l'intrigue de ce second épisode s'achève sur un cliffhanger qu'on ne veut que résoudre, il compose une unité particulièrement forte que l'on se plaît à redécouvrir. Ses nombreuses qualités graphiques, ses possibilités folles de gameplay et son ambiance unique en font un titre exceptionnel, dernier des grands jeu du genre sur une console qui en abrita beaucoup, et de qualité de plus.
Si vous avez l'opportunité de le faire, si vous ne le connaissiez pas, que ce soit sur sa console originale ou dans sa version Remastered de 2009 pour Playstation 3, ou encore sur PS Vita en 2014, il serait absurde de passer à côté. Depuis 2018 et le nouveau cycle nordique de la saga, très différent en esprit comme en gameplay de la première trilogie, celle-ci a été comme mise de côté ou oubliée. À tort : elle est une excellente représentante du jeu d'action des années 2000, et cet épisode encapsule absolument ce qui a fait, jadis, son succès.

Un final tout en délicatesse et en poésie... comme c'était long d'attendre la suite !
MTF
(15 décembre 2022)