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Little Computer People
Année : 1985
Système : Amiga, Amstrad CPC, Apple II, Atari 8-bits, C64, Windows, ZX Spectrum
Développeur : Activision
Éditeur : Activision
Genre : Simulation
Par JPB (22 mars 2004)

Un jour, je lis dans le Tilt n°28 le test d'un jeu étonnant sur C64. Peut-on parler d'un jeu d'ailleurs ? Le genre décrit dans Tilt est "découverte originale". Il s'agit d'un petit bonhomme qui a élu domicile dans l'ordinateur... Je trouve ça marrant.

Quelques mois plus tard, le jeu est testé dans le Tilt n°35 sur Atari ST. Visuellement c'est bien plus chouette... Le jeu commence à me tenter grave. Il faut que je le trouve, que je regarde ce qu'est ce petit gugusse qui semble vivre sa vie tout seul.

La boîte de la version Amstrad.

Traduction à ma manière du dos de la boîte : "Enfermés dans les ténèbres tout au fond de chaque ordinateur, existent de très nombreux Petits Personnages des Ordinateurs (LCPs). Ils ont vécu leurs vies en secret pendant des années, jouant des tours à de nombreux utilisateurs, mais ne se sont jamais laissés voir ou entendre. Jusqu'à maintenant.
Découvrez le LCP à l'intérieur de votre ordinateur, regardez-le vivre sa vie. Il va manger, dormir, jouer du piano, écouter des disques, et plus encore. Vous pouvez même communiquer avec lui, jouer avec lui et il compte sur vous pour la nourriture, l'eau et l'amitié.
"

Ça a l'air vraiment sympa !

Un petit mot sur le créateur.

David Crane est un des fondateurs d'Activision en 1979. Société mythique toujours bien d'actualité, elle sortit à l'époque quantité de titres de qualité pour la console VCS Atari.
David Crane, lui, est le père de titres célèbres (plus de 10 millions de ventes dans le monde entier) : Outlaw, Dragster, PitfallI et II, Little Computer People, Hacker, Ghostbusters...
Bref, des titres que tout ceux qui ont connu l'époque de la VCS ne peuvent avoir oubliés (surtout les Pitfall).

"HOUSE-ON-A-DISK"

Noël 1986. 23H30 environ.

Je mets fébrilement la disquette dans le lecteur de mon Atari ST tout neuf (enfin, une machine de démonstration de la FNAC : y'en avait plus de neufs, rupture de stock).

Le jeu se charge. C'est lent. J'attends.
Longtemps.
Au bout d'un moment, un écran apparaît. C'est un petit carnet, sur lequel je dois inscrire mon nom, la date et l'heure. Ceci est moins anodin qu'il n'y paraît, les données vont être utilisées par le LCP. Et l'heure du jour va dicter une partie de ses actions.

Le carnet (toutes les images viennent de la version Amiga).

Une fois que les informations ont été rentrées, écran noir, la disquette se remet à tourner.
Longtemps.
Et une bonne minute trente plus tard, miracle : une petite maison en coupe apparaît à l'écran. Elle est vide.
Longtemps.

Pas le moindre LCP.

La doc précise que, je cite : "les LCPs sont plutôt timides et ne se précipiteront pas aisément dans une nouvelle situation : en fait, il peut se passer plusieurs minutes avant qu'ils ne rassemblent suffisamment de courage pour entrer à l'intérieur de la nouvelle maison que vous leur offrez."

Alors j'attends encore.

Et effectivement, au bout de quelques minutes, un petit gugusse entre, fouine partout et ressort. Quelques instants plus tard, il revient, avec sa petite valise et son chien. Il s'installe à sa machine à écrire, et m'écrit qu'il est très heureux d'être ici. Il termine sa lettre par "Votre ami, Gaylord." C'est donc comme ça qu'il s'appelle ? OK.

Et puis, comme il est tard quand même, il va dans sa chambre, se change dans sa penderie, ressort dans un superbe pyjama bleu et hop ! au lit.

Le chien bâfre dans la cuisine, le LCP dort dans son lit.

Quelques étapes de la vie d'un LCP.

Mon petit ami dans l'ordinateur m'a parlé l'autre jour. Enfin, parlé c'est beaucoup dire. Disons qu'il parle réellement de temps en temps, une espèce de charabia indéchiffrable. Quand il veut réellement communiquer avec moi, il monte tout en haut de la maison, dans les combles, va chercher du papier dans le caisson de droite, et s'installe devant sa machine à écrire.

Ainsi, de temps en temps, Gaylord tape des petites lettres qui me renseignent sur ses goûts. Chaque fois, il commence par "Cher JPB". Ensuite, il me soumet une idée, ou m'apprend quelque chose sur lui. Et il termine toujours ses lettres par "Votre ami, Gaylord". Ça a un certain cachet.

Gaylord est un bon dactylo, mais un peu lent.

Gaylord est assez indépendant. Il a son caractère. Par contre, son chien n'a pas de nom, en tout cas pas moyen de savoir comment il s'appelle, et lui il est facile à cerner : c'est un ventre à pattes. On le nourrirait sans arrêt, il en éclaterait. C'est grâce à ses petites lettres que j'ai appris la seule chose que je sais à propos du chien : "ce satané chien se conduit toujours comme un chiot, il est aussi peureux que le jour où je l'ai ramené à la maison".

Un jour, il me dit : "Vous avez peut-être remarqué que je suis un assez bon dactylo, mais je suis un pianiste encore meilleur." Tiens, il a l'air d'aimer jouer du piano, d'ailleurs il y en a un en haut, entre la machine à écrire et le coin salon. Il suffit de lui demander - poliment - de jouer du piano ("please play the piano") pour qu'il se jette dessus, toutes affaires cessantes, et qu'il commence à jouer un morceau (plutôt classique, comme "La Lettre à Élise"). Il adore ça.

Gaylord au piano, une étoile est née.

Je disais plus haut que Gaylord est indépendant. Par moments, il a envie de regarder la télé, alors il l'allume et s'installe dans son fauteuil. Ou alors, il se met un disque (plutôt pop ou rock) tout seul comme un grand (et il arrive qu'il se mette à danser, si on le lui demande et qu'il est d'accord). Souvent aussi, il descend au rez-de-chaussée, dans son gros fauteuil, et lit tranquillement le journal. Je le soupçonne d'aller si souvent lire le journal dans ce fauteuil-là, parce qu'il attend autre chose, je vous en parlerai tout à l'heure.

Évidemment, il faut qu'il aille aux toilettes de temps en temps. Il disparaît derrière la porte marquée WC, on entend la chasse d'eau, et quand il revient il se lave les mains dans le lavabo. De même, il prend une douche de temps en temps, caché derrière le rideau qu'il étend. Il fait aussi de la gymnastique vers 20H45, et il se lave les dents le soir.

Enfin, il va se coucher à des heures normales. Mais la doc conseille de ne pas le faire trop dormir, il est assez actif et ça serait mauvais pour lui.

Les "améliorateurs d'humeur"

C'est un des deux moyens d'interaction avec le LCP. On les utilise grâce à des raccourcis clavier. En fonction du raccourci, il va se passer quelque chose de précis. On considère que l'humeur du LCP varie selon 3 niveaux : heureux, neutre et triste. Gaylord a besoin de toutes ces petites attentions pour conserver sa bonne humeur : c'est ainsi qu'il se plaît chez lui et qu'il est heureux.
Sur toutes les images de ce test, regardez son sourire épanoui : Gaylord est vraiment heureux !

Gaylord, épanoui, lit son journal.

On peut exécuter un raccourci comme ça, pour le plaisir, même si tout va bien. En cas de changement d'humeur, si le LCP a un coup de calgon, c'est indispensable.

Mais on peut aussi le faire si Gaylord l'a demandé. Par exemple, l'autre jour, Gaylord est monté sur sa machine à écrire et m'a dit : "J'aimerais bien lire quelque chose de nouveau". Alors, pour lui faire plaisir, j'ai demandé qu'on lui livre un bouquin (Ctrl+B). Aussitôt, la sonnette de la porte d'entrée a résonné dans la maison : Gaylord s'est précipité en bas, a ouvert la porte et ramassé un livre, qu'il s'est empressé de ranger dans sa bibliothèque. Ensuite il a dû me dire merci, parce qu'il s'est mis à baragouiner pendant dix bonnes secondes.

Envie de bouquiner ? Livraison à domicile !

D'autres raccourcis clavier sont disponibles :

  • Ctrl+F fait livrer de la nourriture à la porte d'entrée
  • Ctrl+R fait livrer un disque à la porte
  • Ctrl+W remplit la fontaine d'eau
  • Ctrl+A fait sonner le réveil près du lit
  • Ctrl+D fait livrer de la nourriture pour le chien. Gaylord s'empresse de la mettre dans la gamelle du toutou, qui lui s'empresse de venir la vider !
  • Ctrl+C fait sonner le téléphone en bas. Gaylord adore recevoir des coups de fil, du moment qu'il a encore le temps de faire autre chose entre deux coups de téléphone !
Le téléphone sonne... Gaylord décroche et papote avec plaisir. Mais avec qui ??

- et le plus important : le câlin ! Je suppose que c'est pour ça que Gaylord vient lire le journal dans son fauteuil du rez-de-chaussée si souvent... en espérant que je vais lui faire un câlin ! En appuyant sur Ctrl+P, une petite main mécanique apparaît et fait des papouilles dans la nuque de Gaylord, qui se tortille de plaisir dans son fauteuil. J'ai remarqué que si j'appuie sur Ctrl+P et qu'il n'est pas dans son fauteuil, il s'y précipite.

Gaylord en pyjama profite d'un gros câlin. Le chien bâfre encore.

Gaylord a surtout besoin d'être nourri (le chien aussi). On n'est plus dans le domaine de l'humeur ; là, on touche directement à la santé. Et je suis responsable de la santé de Gaylord et de son ventre à pattes. Regardez l'image ci-dessus : le placard de la cuisine est ouvert, il reste des aliments ; la fontaine d'eau est pleine. Gaylord n'a pas à craindre la famine avant longtemps ! Remarquez, si le LCP n'a plus rien à manger, il va tomber malade : son visage va devenir verdâtre et il sera triste. Il écrira des lettres de reproche pour bien indiquer son mécontentement et ce dont il a besoin.

Je ne sais pas s'il est possible de laisser mourir un LCP : je n'ai jamais eu le cœur d'essayer.

La communication au clavier

La seconde façon de faire réagir Gaylord, c'est de lui parler directement. Ainsi, il faut savoir qu'il faut toujours être poli et lui dire "s'il vous plaît" (toujours commencer une phrase par "please"). Ensuite, il faut connaître les phrases qui le feront réagir : par exemple, pour lui demander de jouer du piano, il faut écrire "Please play the piano", et espérer qu'il acceptera. On peut également lui demander plein de trucs : allumer un feu dans la cheminée ("please build a fire"), ou regarder la télévision ("please watch the TV")... Tout est possible.

J'ai demandé à Gaylord d'allumer un feu dans la cheminée. Il l'a fait.

Ces actions écrites, Gaylord est tout à fait capable de les accomplir tout seul, contrairement aux raccourcis clavier qui font intervenir le monde extérieur à la maison. Il fait ce qu'il veut après tout, il est chez lui, non ?
Si on lui demande de faire quelque chose dont il n'a pas envie, il refuse. Parfois il secoue la tête, d'autres fois il fait celui qui n'a pas entendu.

Les jeux dans le jeu

Une des actions qu'il est possible de faire, en utilisant la communication au clavier, est de jouer aux cartes avec lui, en tapant la phrase magique : "please play the cards". Gaylord ne se sent plus de joie, il monte au dernier étage, dans les tiroirs où il range les feuilles pour sa machine à écrire, farfouille un instant dedans, et se retourne pour me demander à quoi je veux jouer avec lui.

Gaylord tape sur l'écran du moniteur : il attend ma réponse et m'appelle.

Les jeux proposés sont : anagrammes (en anglais, pas facile), bataille, poker, blackjack et puzzles de mots. En général, je joue avec lui au poker. Mais j'ai essayé les anagrammes, pour voir : c'est marrant mais on ne perd jamais.

Une fois que j'ai choisi, Gaylord, tout heureux de jouer avec moi, descend les escaliers jusqu'à la table de la cuisine, s'installe, et la partie démarre. Rien de particulier, on utilise quelques touches du clavier pour jouer, et le niveau de Gaylord est assez bas... Quand j'en ai marre, j'appuie sur F10 pour arrêter.

Les anagrammes, et le poker. Gaylord est tout content !

Il est vrai que ces jeux ne sont pas l'attraction principale. Mais en fait, ça fait plaisir à Gaylord...

Réalisation

Il faut bien y venir !
Je vais parler ici de la version Amiga, proche de la version Atari ST. Je n'ai pas connu les autres, donc je ne parle pas de ce que je ne connais pas ! :)

Le graphisme est mignon, simplet, mais coloré. On reconnaît parfaitement les pièces et les meubles qui s'y trouvent. J'ai particulièrement apprécié les petites touches qui ne servent à rien, comme la photo du grand-père dans le coin salon, le calendrier avec la pin-up au-dessus de l'ordinateur, le post-it sur le frigo...

Les petites animations sont elles aussi simplettes. Mais elles fonctionnent et c'est bien ce qu'on leur demande : les images de la télé ou du moniteur, le tourne-disques en marche, le téléphone qui sonne... Rien de spectaculaire au contraire, mais ça suffit.
Les mouvements du chien sont très basiques, mais on voit qu'il bouge, qu'il mange, qu'il ferme les yeux, alors c'est bon.
Les mouvements du LCP sont eux aussi simplifiés, mais encore une fois, on ne demande pas des miracles. Un petit bug rigolo : quand le LCP descend les escaliers de face et qu'il a quelque chose dans la main, cet objet passe sans arrêt de la main gauche à la droite. On peut ainsi croire qu'il le fait sauter d'une main à l'autre !

Un, deux, un, deux ! Gaylord fait sa gym.

Le son est bien pensé. Le bruit de pas de Gaylord diffère en fonction de la surface sur laquelle il marche. Les différents objets produisent des sons pas forcément réalistes mais du moins reconnaissables (je pense particulièrement au bruit de la chasse d'eau). Les musiques qu'on entend quand le LCP joue du piano ou écoute un disque sont réalisées avec un vieux programme de musique, le son est correct mais ce n'est pas une qualité CD !
Je me rappelle d'un petit détail marrant à propos du son. Quand je jouais à LCP sur Atari ST, j'habitais à Marseille et je l'avais filé à un ami qui faisait de la musique avec des synthés. Il connaissait un petit programme qui s'appelait, si je ne m'abuse, Music Studio. Et il avait fait quelques musiques très sympas avec. On s'était amusés à changer quelques musiques originales sur la disquette de LCP, on les avait remplacées par les siennes en gardant le nom d'origine. Alors, de temps en temps, le petit LCP mettait un disque, et on entendait la musique de mon ami ! C'était bien agréable.

Images des versions Amstrad, Apple (en haut), C64 et Spectrum (en bas).

David Crane a essayé de varier les caractères de tous les LCP. Chaque disquette avait un numéro de série qui lui était propre, et ce numéro était utilisé pour générer la personnalité, l'apparence et le comportement du LCP sur le disque.
Ainsi, le plus facilement observable, est le nom des LCP : j'ai connu des Carson, Gaylord, Neal, Richard, Archie...

Il y a plein de petits détails qui montrent que les programmeurs ont vraiment apporté un soin particulier à ce jeu. Par exemple, regardez la pendule dans le bureau où se trouve l'ordinateur : elle est à l'heure que vous avez indiquée sur le carnet en démarrant, et elle s'affiche en temps réel. Ou alors, dans la cuisine, Gaylord met la nourriture pour lui dans le placard, et quand il a vidé la moitié de la bouffe pour le chien dans la gamelle, il met le reste au frigo.

Malgré ça, Little Computer People est un jeu qui devient un peu lassant au bout de quelques heures. Mais on passe de très bons moments avec quand même !

En tout cas, il est clair que LCP est un jeu qui a fait date, avec un concept de gestion de la vie qu'on n'avait vu auparavant que dans Alter Ego (un jeu disponible en 2 versions : une pour les hommes, une pour les femmes). C'est sans aucun doute l'ancêtre des Tamagoshi, et plus récemment des Sims...

BONUS

En 2006 est parue dans le Joystick 180 une interview de David Crane au sujet du jeu. Voici les 4 pages :

JPB
(22 mars 2004)
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