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Dark Souls II
Année : 2014
Système : Windows, Playstation 3, Playstation 4, Xbox 360, Xbox One
Développeur : From Software
Éditeur : Namco Bandai
Genre : Action / RPG / Aventure
[voir détails]

6e partie : Dark Souls II

Promu à la tête de From Software et occupé par le développement de Bloodborne sur PS4, Hidetaka Miyazaki a cédé sa place, pour cette fois, à Tomohiro Shibuya et Yui Tanimura.

Tomohiro Shibuya est un développeur expérimenté, ancien de chez Capcom qui a travaillé entre autres sur Monster Hunter (2004, PS2), premier épisode d'une série qu'on cite volontiers dans les influences possibles des Souls. Yui Tanimura est moins connu mais on le retrouve aux côtés de Shibuya dans le staff de Another Century's Episode (2005, PS2), jeu d'action de From Software et Banpresto où interviennent des robots issus de différents animes japonais, un peu comme un Super Robot Taisen auquel on aurait greffé le gameplay de Zone of the Enders.

Tomohiro Shibuya et Yui Tanimura

Même si les développeurs japonais restent le plus souvent mal connus, à cause de leur discrétion et des difficultés à communiquer avec eux (leurs paroles sont parfois mal traduites et comprises de travers), on pouvait voir dans cette passation de pouvoir le remplacement d'un "créateur" par des "faiseurs", aboutissant à un jeu bien fini mais sans génie particulier. Le résultat ne dément pas réellement ce préjugé : alors que Dark Souls se ressentait comme un tout indivisible, ce second volet est un assemblage d'éléments disparates où se mêlent, sans véritable liant, idées neuves, recyclage et fan service. Il remporte néanmoins l'adhésion sans problème par sa générosité exceptionnelle, la modularité de son gameplay, les défauts historiques de la série qu'il corrige, et une facture technique enfin irréprochable.

- Ténèbres

L'action se passe quelques milliers d'années après les événements de Dark Souls, probablement sur les mêmes terres, dans ce qui s'appelle désormais le royaume de Drangleic.

Les Dieux ne sont plus, mais le feu n'a pas totalement disparu. Les Hommes ont bâti une civilisation et différents rois se sont succédé sur le trône. Mais les fils du Pygmée sont nés des ténèbres et leur destin est de les servir, qu'ils le veuillent ou non. C'est ainsi que le Roi Vendrick, dont le règne avait été bienveillant, est devenu une carcasse recluse au fond d'un caveau. Abandonnés, ses sujets sont à nouveau victimes de la malédiction des morts-vivants, et le temps s'est enfermé dans l'infinie répétition d'un quotidien désolé.

Le héros vient d'un autre pays, inconnu, tout comme les raisons qui l'ont amené ici. Accueilli par les descendantes des Gardiennes du feu (rencontrées dans Dark Souls), puis guidé par une jeune femme nommée Shanalotte (dite "la messagère émeraude"), il devra retrouver Vendrick et dénouer les fils d'une intrigue ou interviennent l'épouse du Roi, Nashandra, et un peuple de Géants qui s'en prirent autrefois au royaume.

La mise en situation est plus que jamais minimaliste : une cinématique montre simplement le héros empruntant un portail magique vers Drangleic. On ne sait rien de ses motivations mais il a un passé, une famille, et c'est une homme. Ce n'est qu'ensuite qu'on est amené à choisir sa classe, son sexe et son apparence, comme si on ne devait diriger que sa réincarnation. Le jeu s'ouvre sur l'arrivée à Majula, minuscule village situé sur une falaise en bord de mer, zone de "repos" du jeu. Shanalotte est là, près d'un feu de camp. S'adressant au héros, elle le nomme "nouveau monarque" et l'envoie recueillir quatre âmes majeures qui lui seront nécessaires pour localiser Vendrick. Le joueur sera amené à parcourir différentes régions, dans l'ordre qu'il souhaite, mais devra très souvent revenir à Majula car l'augmentation des compétences ne peut se faire qu'auprès de Shanalotte. Une fois les quatre âmes majeures obtenues un long parcours attend le héros, jusqu'à la rencontre avec Vendrick qui lui donnera accès à deux salles importantes. Il explorera ensuite le domaine d'Aldia, frère de Vendrick, dont les confins aboutissent à une région ou vit un Dragon Ancien, inoffensif au premier abord, qui donnera au héros la faculté de voyager dans le temps.

La dernière partie du jeu comprend des quêtes où le héros retourne à l'époque de la guerre contre les Géants afin d'y modifier certains événements. Une fois revenu au présent, tout sera en place pour la rencontre avec l'entité ténébreuse qui a tout fomenté, affrontement qui prendra une tournure surprenante. Une fois sur le trône de Drangleic, le héros réalisera la portée de son combat : une lutte perpétuelle de l'Homme contre les ténèbres, contre sa vraie nature.

- Sens dessus dessous

On reconnaît dans le résumé précédent la progression de Dark Souls : débarquer dans un royaume en perdition, faire ce qu'on nous dit, aller et venir depuis une zone hospitalière, tuer quatre boss pour récolter leur âme, remonter jusqu'au Roi, prendre sa place. La différence réside dans la narration qui abandonne le registre légendaire au profit d'une intrigue d'heroic fantasy plus classique, quoique toujours fragmentée et lacunaire. C'est même encore pire puisque pendant les deux premiers tiers du jeu, très peu d'éléments sont révélés justifiant la quête du héros, ni même sa présence.

À ce manque d'information s'ajoute une invraisemblable confusion géographique. Pour tirer quelque chose d'un tant soit peu logique de Drangleic, il faudrait convoquer Albert Einstein avec toutes ses notes sur les distorsions spatio-temporelles. Lorsque le jeu est sorti, les internautes ont très vite pointé quelques transitions étranges, mais par la suite, alors que les wikis s'enrichissaient, on en a découvert bien d'autres et la tentative de création d'une carte 3d a été un fiasco (les environnements se chevauchent n'importe comment). Il est évident que les développeurs ont créé les zones une par une en se concentrant sur l'expérience de jeu que chacune propose, avant de les réunir grossièrement au sein d'un monde où l'on progresse selon un fin dosage de liberté et de linéarité, propre à rendre l'aventure épique tout en assurant qu'elle puisse être rejouée sans se répéter de trop. En fait c'est un peu comme si on avait voulu refaire Demon's Souls en tentant de le faire passer pour Dark Souls.

L'aventure commence donc à Majula : de là partent cinq branches de progression qui peuvent être suivies dans un ordre ou l'autre. Chacune aboutit à une impasse, l'obtention d'une âme majeure et un retour obligatoire à Majula par téléportation. Lorsque les quatre âmes majeures sont récoltées s'ouvre la seconde moitié du jeu : deux nouveaux parcours conduisant l'un à Vendrick, l'autre au Dragon Ancien, puis les incursions dans le passé (qui sont en fait des visites dans les souvenirs d'êtres défunts) et l'enchaînement final de boss. Lorsque le jeu se termine, le New Game+ ne démarre pas automatiquement pour que le joueur puisse terminer des quêtes facultatives dans la quarantaine de zones explorées. Quand il le décidera, il se rendra à Majula pour lancer un "nouveau périple".

Les téléportations d'un feu de camp à l'autre sont désormais possibles dès que le jeu commence, aussi le level-design s'affranchit-il de la possibilité de revenir en arrière facilement. Les raccourcis sont moins nombreux, l'avancée plus linéaire, mais l'exploration reste excitante car les zones regorgent de secrets, de murs factices, de coffres difficiles à atteindre, d'énigmes et d'objectifs annexes.

- Drangleic

Partant de Majula, si on veut se conformer à la tradition qui consiste à démarrer par un château fort, il est logique d'emprunter le chemin qui mène à la Forêt des Géants défunts. Après quelques bagarres en sous-bois contre des soldats carcasses, on se retrouve dans une vaste forteresse qui fait face à l'océan. C'est ici qu'eut lieu jadis une guerre contre un peuple de Géants venus d'une île lointaine, et les corps de plusieurs d'entre eux reposent sur les lieux. L'endroit rappelle beaucoup le niveau 1 de Demon's Souls, et ce n'est pas la dernière fois qu'on fera ce genre de comparaison : Dark Souls II entérine donc l'idée que les trois jeux appartiennent à une même série.

Une fois débarrassé d'un boss étonnamment costaud compte-tenu du faible niveau qu'on a pu atteindre avant d'y être confronté, on est transporté par un corbeau géant vers la Forteresse Oubliée, île-prison où étaient détenus carcasses et êtres bizarres (dont des momies explosives très énervantes). Cette zone est très vaste, remarquablement conçue et riche en passages secrets, mais on ne peut en explorer pour l'instant qu'une partie.

Un retour à Majula s'impose, puis on s'aventure sur un second chemin, qui mène à la cité engloutie de Heide. C'est là qu'on sent que quelque chose cloche dans la structure du jeu : depuis Majula, Heide est visible un peu plus loin sur la côte (donc sur un arrière-plan sommairement dessiné), apparemment distante d'une dizaine de kilomètres. Mais pour s'y rendre concrètement, au sein des cartes 3d du jeu, on emprunte un tunnel qui débouche sur place après moins d'une minute de marche... Y a-t-il des trous de ver en Drangleic ? Enfin bref : Heide fut une cité majestueuse évoquant la splendeur d'Anor Londo, mais une élévation inexpliquée du niveau de l'océan l'a rendue inhabitable. Ne restent sur place que d'imposants chevaliers et un boss de Dark Souls (en moins dur que la première fois) dont le retour fait l'objet d'intenses spéculations.

Un passage mène ensuite vers une immense caverne où des pirates des mers, devenus des carcasses pas commodes, ont bâti un petit village. Cette phase de jeu propose une ambiance assez inédite dans un Souls et se conclut par l'infiltration d'un navire dont la cale est occupée par un boss qu'il faut se dépêcher de tuer car le bâtiment est en train de se remplir d'eau. Cela n'empêche pas notre héros de l'utiliser ensuite, pour naviguer jusqu'à la Forteresse Oubliée, qu'on aborde alors par sa seconde moitié. Une fois l'ensemble de la prison exploré, un boss assez redoutable est à abattre pour obtenir une première âme majeure.

Retour à Majula : un NPC précédemment rencontré est maintenant sur place pour ouvrir un passage vers un troisième chemin. En route pour le Bosquet des Chasseurs, zone forestière très riche qui fut ouverte aux joueurs pendant le bêta-test de Dark Souls II, quelques mois avant la sortie du jeu. Après un combat contre une horde de squelettes, on enchaîne sur la Vallée des Récoltes et le Pic de Terre. Il s'agit d'une région minière où on récolte non pas du minerai mais un liquide vert empoisonné, que de pauvres carcasses transportent vers un magnifique moulin à vent. L'engin à pour fonction d'acheminer le liquide jusqu'à son sommet, où vous attend la Reine Mytha. Comme le poison qui remplit la pièce la soigne -et vous affaiblit- en continu, il faudra trouver le moyen de mettre le moulin en panne.

L'énigme est très (voire trop) vicieuse, à moins bien sûr que les messages laissés au sol par d'autres joueurs ne vous mettent sur la voie. Ensuite, un ascenseur vous conduit vers la zone suivante, et c'est là qu'on se dit une fois pour toutes que seule une forme de licence poétique peut justifier la manière dont les zones s'enchaînent dans Dark Souls II, car vu de l'extérieur il n'y avait strictement rien au dessus du moulin... Vous voilà donc à l'entrée de la Forteresse de Fer, un château bâti juste au-dessus d'une coulée de lave dans laquelle il a fini par s'enfoncer. Le Roi qui le fit construire est devenu un démon qui possède une âme majeure. Mais avant de le défier, on aura dû prendre le meilleur sur une troupe de chevaliers formés au combat, semble-t-il, par un maître d'armes oriental.

De retour à Majula, on est enfin équipé pour ouvrir le chemin suivant, qui se sépare en trois routes. Deux sont bloquées pour l'instant, la troisième traverse une forêt très brumeuse fréquentée par des ennemis invisibles, puis des ruines où vivent des guerriers à face de lion. Après un combat contre un boss, on s'enfonce de nouveau sous terre, dans le domaine de nains dont on partagerait bien la cervoise s'ils n'étaient pas des carcasses à massacrer toute affaire cessante. De retour à la surface, une surprise de taille vous attend : des paysans à chapeau de paille essaient de vous étriper à coups de fourche ou de pioche. La région, appelée Vivepierre, appartenait au Duc Tseldora qui disparut un jour, avant que l'endroit ne soit envahi par diverses abominations. La suite apportera quelques réponses à ce mystère. Au vu de la fin de cette section, qui se solde par l'obtention d'une troisième âme majeure, on peut dire avec certitude que chez From Software, aucun développeur n'a de petit frère arachnophobe.

Revenu à Majula, plus question de se défiler : cet énorme puits en plein milieu du hameau, il va falloir trouver le moyen d'y descendre. Il conduit vers le Dépotoir, une grotte où, dit-on, était envoyé tout ce que Drangleic jugeait indésirable. On y trouve diverses créatures immondes circulant sur des structures en bois, labyrinthiques et plongées dans la pénombre. Tout au fond, une sortie mène vers le Ravin Noir, qu'on peut franchir en longeant une corniche bordée de statuettes crachant continuellement des fléchettes empoisonnées. De l'autre côté se trouve l'antre d'un boss qui détient une quatrième âme majeure.

Shanalotte vous annonce que l'heure est venue d'aller au Château de Drangleic enquêter sur ce qu'il est advenu de Vendrick. Un passage s'ouvre près de la Forêt Brumeuse. On croit alors que le jeu est presque terminé mais il n'en est rien, on n'en a fait qu'un peu plus de la moitié. En cours de route, le level-design se permet une nouvelle ellipse : on entre dans un tunnel de jour et par beau temps, on en sort 200m plus loin de nuit, sous la pluie. Le mieux est peut-être de considérer que le jeu n'est qu'une évocation, comme un résumé de l'aventure vécue par son principal protagoniste... Ce changement d'ambiance rend mémorable l'arrivée au Château, fabuleuse construction que Vendrick fit ériger par des golems, animés grâce à un objet magique dérobé aux Géants (qui n'apprécièrent guère la plaisanterie).

Atteindre le dernier étage ne sera pas aisé et Vendrick est aux abonnés absents. Son épouse Nashandra se fend d'une petite apparition le temps, à demi-mots, d'enjoindre le héros à tuer le monarque maudit... Une bien étrange dame qui mesure dans les trois mètres de haut. La salle du trône, déserte, indique que son mari aussi. Vendrick aurait-il cherché à devenir un géant, ou même un dieu ? La suite du parcours passe par le Sanctuaire d'Amana, nouvelle zone marécageuse (lumineuse, cette fois), à traverser malgré la présence d'une bande de sorcières qui lancent des attaques magiques depuis plus loin que la distance d'affichage du moteur 3d (véridique). Ensuite, on descend vers la Crypte des morts-vivants, excellente zone de catacombes au fond de laquelle s'est enfermé Vendrick, sous la protection de Veldstadt, son fidèle (et coriace) chevalier. Le Roi n'est plus qu'une loque décharnée et sénile. Il sera facile de dérober son anneau avant de se téléporter près de la Forêt Brumeuse.

L'anneau du Roi ouvre une porte vers la Forteresse d'Aldia. Le frère du monarque est un scientifique, très porté sur la vivisection. Son sujet d'expérience préféré : les Géants, qui ont passé un sale quart d'heure dans ses geôles. Plus loin, un passage conduit vers l'Aire du Dragon. Que font ces créatures ici et pourquoi sont-elles si nombreuses alors qu'on croyait leur espèce éteinte ? Aldia y est forcément pour quelque chose... Demon's Souls et Dark Souls étaient un peu avares en combats contre des dragons, cette zone rattrape le coup. Après en avoir éliminé quelques-uns à même leur nid et cassé leurs œufs sans raison valable, un pont suspendu vous conduit vers l'autre grand château du jeu, le Sanctuaire Draconique, survolé par des dizaines de reptiles cracheurs de feu. Des ennemis d'une difficulté grotesque sont là. Le mieux est encore de sprinter pour les éviter, et d'aller à la rencontre de ce Dragon Ancien qui n'a rien à faire ici... Il vous remet un objet, le Coeur de Brume Cendrée, grâce auquel vous visiterez la mémoire de trois Géants qui gisent dans la première zone du jeu.

Ces flash-back, de durée limitée, vous plongent au cœur de batailles entre les Géants et les armées de Vendrick. Très remontés, les malabars semblent sur le point de l'emporter, ce que confirme l'interrogatoire poignant d'un capitaine à l'agonie (l'ombre de Sergio Leone plane sur ce magnifique instant du jeu). Grâce à votre intervention il n'en sera rien. Etait-ce vraiment souhaitable ? Avez-vous été manipulé ? Vendrick l'a-t-il aussi été ? Et s'il y a eu machination, quel en était le but ? Qui servent les traîtres ?

La conclusion du périple nourrit une thèse que les fans se régalent à étudier, celle d'un cycle infini de héros détrônant un roi maudit, puis eux-mêmes détrônés par le héros suivant. Ainsi, Vendrick pourrait être le personnage qu'on avait incarné dans le volet précédent, ou un de ses "successeurs"...

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