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Alisia Dragoon
Année : 1992
Système : Megadrive
Développeur : Game Arts
Éditeur : Sega
Genre : Action / Plate-forme / RPG
Par Pierre-Marie Abautret (13 février 2017)

Game Arts débute sur micros japonais dans les années 80, prenant soin de s'éditer sur le territoire nippon tout en délayant la capacité exportable vers l'étranger à Sierra Interactive. Game Arts est une petite boîte qu'on ne peut nullement comparer avec les Konami et Capcom qui travaillent à l'époque pour Nintendo, ce qui ne l'empêche pas de taper dans tous les styles, sans se focaliser sur un marché de niche en particulier. À partir de 1990, l'éditeur fait comme tout le monde, il se tourne vers les consoles, plus précisément la Megadrive et son support CD sur lequel il publiera deux des quelques titres populaires (Lunar 1 & 2 et Silpheed) avant de connaître la consécration avec un nouveau jeu de rôle, Grandia, sur la génération de console suivante.

Mais en 1992, après deux premiers softs (Megadrive et Mega CD) réservés au public japonais, Game Arts sort Alisia Dragoon dont la publication en occident est quasi-simultanée, un phénomène alors très peu courant. Game Arts édite le soft lui-même au Japon mais dans le reste du monde Sega s'occupe de l'entière publication. Faut-il voir dans tel soin le signe distinctif que la firme au hérisson était convaincue par le produit et voyait là-dedans un potentiel blockbuster ? Alisia Dragoon, tout jeu d'action qu'il est, arbore plein de petites spécificités qui le font sortir du lot des autre softs du genre. On sent que les game designers ont mûrement réfléchi pour que leur titre prenne un tant soit peu le contre-pied de ce à quoi un joueur aurait pu s'attendre dans un jeu de ce type.

Avec Wolfteam, Climax et Treasure, Game Arts a constitué la vague de développeurs plus ou moins indépendants qui conféraient une image "cool", branchée à la Megadrive.

Le terme "dragoon" est dérivé d'une arme à feu, appelée "dragon", qui était une sorte de tromblon miniaturisé à la forme d'un pistolet, porté par l'infanterie de l'armée française. Il désigne originellement, dans l'armée britannique, les fantassins entraînés à monter à cheval aussi bien qu'aux techniques de combat d'infanterie. C'est seulement à partir du XVIIème siècle qu'il ne sera plus employé que pour décrire des régiments de cavalerie, partout en Europe.

Un cachet graphique

Le scénario nous conte l'odyssée d'une jeune prêtresse dont le but est de prévenir le réveil du dieu destructeur que son père avait scellé dans les confins de l'espace, il y a longtemps. Le joueur aux commandes, dans cet univers sf-fantasy, dézingue la tonne de sprites entravant sa route, grâce à un éclair qui sort de sa paume (bouton B), ciblant ainsi les ennemis qui lui font face. Lorsque sa jauge est à pleine puissance, cette attaque se déploie sur 360°, occasionnant des dégâts plus meurtriers, purement luminescents comme l'éclat du tonnerre. La particularité réside dans cette jauge qui se consume à mesure qu'on utilise le rayon, jusqu'au point mort. Rassurez-vous, il n'est pas nécessité d'être très économe puisque cette barre de foudre revient à ses deux tiers sitôt que vous ne maintenez plus enfoncée la touche de tir. Pour la recharger tout à fait, c'est un peu plus long, il faut attendre une petite poignée de secondes supplémentaires.

Les niveaux s'articulent autour d'un, deux, voir de trois tableaux assez courts. Ceci explique qu'il y ait parfois plusieurs thèmes musicaux différents dans un seul stage.

Notre héroïne est épaulée par un dragon, à sélectionner parmi quatre types (bouton A, le jeu se met alors en pause). Chacun de ces quatre familiers dispose d'une barre de vie, afin de vous compliquer l'existence, et aussi d'une attaque automatique, pour vous simplifier le travail, à mesure que leur jauge offensive particulière monte au maximum, déclenchant l'attaque et ainsi de suite. Le dragon de base crache des flammes, le dragon oiseau explose tout ce qu'il y a à l'écran (c'est le meilleur), le dragon de flamme est invulnérable aux attaques et occasionne des brûlures aux ennemis. Enfin, le dragon reptilien décoche des boomerangs.

Plus qu'un autre jeu d'action-plate-forme, Alisia Dragoon est un soft où on ne fait que tirer sur les ennemis, à majeure partie. Qui plus est, on est accompagné des dragons, ceux-ci remplaçant les modules dans ce qui s'apparente à un pur shoot'em up couplé à de la plate-forme. Cela tient d'un sous-genre galvanisant du jeu de tir horizontal, qu'on pourrait appeler shoot and jump (voir aussi Toki et Gunstar Heroes) même si certains préfèrent appeler ça run'n'gun. Le gameplay est assurément accrocheur et possède une identité focalisée sur cette utilisation surpuissante du rayon.

Le premier niveau mène jusqu'à un temple où Omar, le bras droit de notre entité maléfique, vient nous défier.

Nous avons ici affaire à une héroïne qu'on devine très féminine (dommage que sur la jaquette occidentale elle n'apparaisse plus ainsi), chose bien rare, dans cet univers très masculin qu'est le jeu vidéo en 1992 (il est toujours assez machiste d'ailleurs, mais moins). Si Metroid, Valis et Phantasy Star proposaient déjà une femme comme personnage principal, c'était bien peu dans l'océan de titres sortant tous azimuts à l'époque.

Un aspect sur lequel le titre est également pensé remarquablement, de sorte qu'il conserve un peu d'avance sur les jeux contemporains : la progression au fil des niveaux est entièrement justifiée, aussi bien par la narration, qui présente le cheminement d'Alisia avec une grande cohérence, que par la sensation d'un monde étendu à parcourir, alors que ce n'est pas un RPG. À la fin de chaque niveau, une scénette poursuit l'action de l'héroïne afin d'apprécier le changement d'environnement, relatant comment Alisia arrive dans un nouveau décor. Cela crée un effet cinématique quand, juste avant de pénétrer dans l'avant-dernier niveau, une scène présente l'héroïne de dos au premier plan. Celle-ci contemple au loin, à l'arrière-plan, la demeure céleste du grand méchant. Bien plus tôt, passé le début de l'aventure, Omar, le serviteur du démon endormi, nous a mis en garde et expliqué toutes les peines que l'on aurait à parvenir jusqu'à l'antre de notre entité divine, dans une autre séquence cinématique. Un tel effort pourrait ne paraître que sympathique ou désuet de nos jours, mais il est ici suffisamment soigné pour faire figure de précurseur de l'ère 3d et des cinématiques censées rendre crédible l'illusion qu'on est devant un véritable film interactif. Ce n'est pas beaucoup et en même temps c'est juste assez.

Après, c'est la traversée des marais qui se conclut par un des boss les plus laids de l'Histoire du jeu vidéo.

Il faut alors préciser que Game Arts vient de démarrer une collaboration fructueuse avec Gainax, le studio d'animation qui donnera naissance à Nadia, le secret de l'eau bleu et Neon Genesis Evangelion. Un effort créatif qui prend de l'ampleur avec l'inclusion de véritables dessins animés intégralement doublés, dans un jeu développé en parallèle : le premier Lunar à paraître sur le lecteur CD-ROM de la Megadrive. Sur Alisia Dragoon, Gainax signe déjà le character design et participe donc à la direction artistique impeccable du titre, reproduite fidèlement par le talents des programmeurs et graphistes de Game Arts. Le jeu paraît vivant grâce au grain des personnages et décors finement détaillés au son d'un rythme très bien balancé.

Attention, ce soft est prévu pour être fini avec une seule vie... Comme il est vraiment difficile sur la fin, il y a tout de même cinq continues disséminés dans les 8 niveaux. Indice en passant : ils se trouvent dans chacun des trois premiers niveaux, puis deux autres sont cachés dans le sixième. Une seule vie, c'est plus réaliste et cela donne une meilleure fluidité à l'histoire -sans coupure une fois qu'on connaît mieux le jeu- davantage comparable avec le théâtre ou le septième art. Précurseur enfin, cette absence de score et de timer, toujours dans ce souci contextuel d'une formulation plus épurée que la moyenne, augmentant l'appréciation du jeu en tant qu’œuvre.

On monte ensuite à bord d'un vaisseau organique qu'il faudra neutraliser.

Le gameplay unique

Comme je l'ai dit plus haut, votre jauge d'éclair s'avère considérablement plus puissante lorsqu'elle est au max, et tue ainsi la plupart des ennemis d'un seul coup. La stratégie payante consiste donc à attendre qu'elle se charge chaque fois qu'on a "nettoyé" l'écran. Il ne reste ensuite qu'à progresser jusqu'à la prochaine vague d'ennemis pour la contrer immédiatement d'un éclat ravageur, et ainsi de suite. Mais ce serait trop simple de fonctionner éperdument ainsi. Bien que le rythme des niveaux invite à avancer toujours plus prudemment, le tout premier tableau est conçu de sorte qu'on n'ait pas vraiment le temps d'attendre que la jauge se remplisse à fond, donc il vaut mieux commencer par progresser sans se poser de questions, en usant beaucoup du rayon.

Si vous voulez, même en admettant que vous soyez un tueur à la manette ou même si vous connaissez le jeu par cœur, on est obligé de prendre des dégâts en maints endroits et il est donc très conseillé d'aller au plus court en abusant du rayon avec une frénésie certaine et proprement jubilatoire. En effet, les bonus qui redonnent de la santé à l'héroïne, ou bien à son dragon, s'avèrent très fréquents et calculés de manière à se présenter "full-life" à chaque boss. La petite musique de ces bonus (chacun des items possède un bruitage différent) mélangée à celle des joutes, des attaques de foudre et autre explosions collatérales constitue d'ailleurs une constante du charme discret et propre sur lui qui émane de ce petit soft. Et je ne vous parle pas des vraies musiques, enfin si mais plus bas.

Puis, ce sera la falaise, gardée par un dragon mort-vivant, suivi d'une grotte volcanique qui mènera jusqu'à l'épave d'un autre vaisseau.

Pour donner une idée de ce gameplay évolutif et quelque peu "ambidextre", les quatre premiers niveaux se parcourent d'une traite et les boss sont faciles une fois qu'on connaît leurs patterns. Le cinquième niveau représente encore une démonstration de skills, où l'on peut aller vite, mais oblige aussi un peu à temporiser. Reste les deux derniers stages, où il est vivement conseillé de progresser au fur et à mesure pour conserver un maximum de vie au moment des boss, ceux-ci s'avèrant de plus en plus longs à vaincre (au point qu'à la fin, cela devient une somme de tour par tour qui demande en plus un maximum de doigté et d'endurance à la manette). Chaque ennemi de ce jeu est différent, parfois très véloce et pouvant surgir de n'importe où.

Une seule vie, des monstres à la pelle qu'on est parfois obligé de percuter, en plus, et des boss coriaces... Le jeu est précédé d'une réputation de difficulté à l'ancienne, et ceci n'est peut-être pas complètement usurpé. Au final, il s'avère que les quatre premiers stages sont plutôt faciles je l'ai déjà dit, le cinquième est moyennement dur, puis les deux suivants et celui de l'antre du dernier boss deviennent franchement difficiles lors des premières tentatives. Une connaissance approfondie de ces ultimes tableaux autant qu'une compréhension tactique sera requise pour vaincre leur grand méchant et espérer venir à bout de ce jeu sans vaciller. On pourrait donc trouver que le titre est déséquilibré. En fait, il est simplement pensé pour demeurer éternellement doté d'une bonne replay value, se renouvellant entre autre par son challenge, ce que l'on ait jamais fini le jeu ou bien, au contraire, de multiples fois.

Les boss ne concluent pas toujours directement les niveaux. Il y a parfois des portions de tableaux supplémentaires. La fin est proche, encore un petit effort !

Sachez bien que la jouabilité est excellente et que les commandes répondent au quart de tour. Puis il faut savoir que notre barre de vie est représentée par des rectangles, d'abord au nombre de trois. Trois blocs de vie supplémentaires peuvent s'ajouter pendant l'aventure grâce à l'item adéquat. De même que la barre de santé de vos dragons augmente grâce à un autre item. Il se trouve que prendre des dégâts au contact d'un projectile, d'un ennemi (ou encore du sol, quand il est plein de lave comme dans le cinquième niveau), enlève simplement un quart de rectangle. Certains projectiles en enlève la moitié mais c'est plutôt rare, seulement à l'occasion des niveaux plus avancés. D'où l'équation suivante pour mourir : il faut se faire toucher une douzaine de fois, sans avoir repris de la vie en chemin. Or, les potions se trouvent en nombre et redonnent un rectangle dans sa totalité...

Donc, une fois obtenus trois nouveaux rectangles pour votre avatar, ce qui peut arriver dès le second stage, le nombre de coups à subir pour devoir user d'un continue passe à vingt-quatre en moyenne (si vous en avez collecté au moins un, mais les trois premiers de ces items sont assez faciles à débusquer). Six rectangles pour vingt-quatre hits possibles avant de mourir, alors qu'une potion redonne un rectangle entier. Sans compter celles qui apparaissent dans les passages secrets, le jeu se révèle déjà très "magouillable". À ce sujet, entraînez-vous à faire péter certains murs et explorer les moindres recoins des niveaux un, deux, cinq et six, avec la toute puissance de votre rayon, vous ne serez pas déçu.

L'avant-dernier niveau se constitue d'un château flottant dans les cieux. Il faudra l'explorer avec précaution avant de pouvoir se mesurer à son puissant lieutenant et empêcher la résurrection du démon.

Il y a à la fin un bonus qui fait encore office de power-up et non des moindres : c'est l'item de foudre. Ainsi vous démarrez cette aventure avec le premier niveau de foudre et celle-ci monte d'un niveau dès que vous récupérez cet objet, ce qui signifie des dégâts supérieurs et de terrasser les boss plus vite. Il y a en tout huit de ces bonus de foudre et tous les dénicher nécessite d'explorer un minimum chaque tableau. À préciser que le niveau du rayon s'arrête à huit quoiqu'il arrive, ce qui fait qu'on peut tout de même se permettre d'en louper quelques-uns en cours de route. Ce n'est pas dramatique puisqu'on sera tout de même au niveau maximal pour les deux derniers boss. C'est un peu dommage, tous les récolter sans exception devrait permettre d'atteindre un neuvième rang, auquel cas on pourrait finir le jeu plus rapidement car les derniers combats s'avèrent pour le moins éreintants de longueur. Prévoyez à ce titre cinq bonnes minutes pour venir à bout du double dernier boss, et si vous avez collecté moins de sept des items de foudre en chemin, bonne chance, ce sera encore plus long.

Une chose amusante, les thèmes musicaux qui se succèdent dans la première moitié du jeu se révèlent très enjoués et entraînants, le propre d'un genre qui se veut ultra-dynamique. Au contraire des thèmes utilisés dans la deuxième partie qui progressent davantage vers des nappes de synthétiseurs épurées et se constituent de manière plus "ambiante", moins saccadée. Possible que ceci souligne le fait qu'on avance à un très bon rythme lors des premiers niveaux, puis le tempo ralentit parce qu'il est alors requis d'avancer prudemment, mais ce n'est qu'une supposition. La plupart des morceaux illustrent avec superbe la sensation d'intrépidité qui émane d'une telle odyssée, comme le sentiment de la féminité qui court sur des pieds légers. Mention spéciale pour le stage 1-2, doté d'une mélodie épique et guerrière qui finit de décoller au gré d'une boucle de synthétiseur, figurant ce que le jeu vidéo a pu proposer de plus planant sur le plan émotionnel et sonore. Après un premier tableau relativement facile pour se mettre en bouche, le jeu indique alors que l'aventure commence pour de bon et qu'il ne sera bientôt plus possible de revenir en arrière car le voyage s'avère long et clairsemé d'embûches (comptez une heure en réalité pour achever ce jeu une fois maîtrisé).

Il y a deux thèmes distincts pour les boss. Le premier, employé pour les ennemis humanoïdes ou "mécaniques", met dans l'ambiance, sans plus. En revanche, le second thème consacré aux monstres organiques est juste aussi flippé qu'inoubliable.

En tout cas, les meilleurs morceaux sont ceux des tout derniers boss, qui nous montrent combien cette OST est réussie de bout en bout. Oh il y aura bien quelques musiques un peu en dessous des excellents thèmes concoctés par, en tout, cinq membres de Mecano Associates (le studio consacré à la partie sonore des jeux Game Arts), comme celle du troisième niveau. Aussi vrai qu'après de nombreuses parties, la haute qualité de la bande-son finit par nous rendre plus exigeant envers ce titre. Il me paraît difficile de décrire le soin extrême apporté à sa réalisation sonore inspirée, oscillant entre rock, électro et metal féru de synthétiseur, si chers aux années 80. Certainement ce que le processeur sonore de la machine a pu produire de plus efficace et de plus excellent. À ranger bien au chaud parmi les meilleures OST de l'époque (entre celles de Devil's Crush et d'Actraiser).

Au final, Alisia Dragoon constitua bel et bien l'un des nombreux hits de son année de parution (1992) avant, bien plus tard, de se retrouver quelque peu oublié du grand-public, une donnée pourtant essentielle à la console qui l'a vu germer. Deux raisons principales à cela. D'abord, comme je l'ai dit dans l'intro, le jeu n'est ni de Sega ni de Konami, et pas plus de Capcom ou de Treasure. Ensuite, c'est tout bête mais il n'y a jamais eu de suite, ce qui paraîtra plus étonnant en raison de la grande originalité qui émane de cette combinaison graphique et ludique. Tout ceci explique en partie le fait qu'il soit régulièrement oublié des divers tops de jeux à faire sur Megadrive, alors qu'il devrait plutôt se situer vers leur sommet, over the top, en bonne compagnie de titres tels que Phantasy Star, Dynamite Headdy ou autre Thunder Force et Vampire Killer (Castlevania: Bloodlines).

Entièrement pensé pour se démarquer de la concurrence, ce titre n'a pas d'équivalent sur 16-bits, fait résultant d'un gameplay inventif qui lui confère une aura singulière, en sus de son joli graphisme. Un jeu définitivement girl power.

Pierre-Marie Abautret
(13 février 2017)
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