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Pokémon - Version Rubis, Saphir & Émeraude
Année : 2002
Système : GBA
Développeur : Game Freak
Éditeur : Nintendo
Genre : RPG

C - Révolution ou régression ?

C.I - La troisième génération : Rubis, Saphir et Émeraude

Les deux premières versions arrivèrent en 2002 au Japon, 2003 dans le reste du monde. La version bonus deux ans plus tard, respectivement en 2004 et en 2005.

Les joueurs détestent la troisième génération de Pokémon. C'est là un fait accompli : quand on parcourt les forums, quand on écoute les fans, quand on lit les critiques, cela ressort, sourd, pénétrant ; et c'est quelque chose qui va en réalité se poursuivre jusqu'à la cinquième génération, qui va réconcilier tous et tout le monde. Dès lors, il faut se poser ici deux questions : la première, c'est « pourquoi les joueurs, notamment de la vieille école, n'aiment-ils pas la troisième génération ? » et, la seconde, c'est « ont-ils raison de ne pas l'aimer ? » Car quand on y regarde, sur le papier, les choses sont loin d'être aussi évidentes : la Game Boy Advance transcende véritablement les graphismes du jeu, même s'ils gardent leur côté simpliste qui font leur charme. Les créatures s'animent davantage, le jeu ménage plusieurs charmants effets météorologiques, tempête de sable et pluie, de nouvelles attaques ont été créées pour permettre un nouvel équilibrage, plus de cent nouveaux pokémons ont été inventés pour peupler le monde d'Hoenn où se déroule l'aventure et, avec eux, de nouvelles combinaisons de types... De plus, à tout ceci, a été ajouté quelque chose en provenance directe du dessin animé, les capacités spéciales.
Chaque pokémon, en fonction de son espèce, va posséder un pouvoir passif, c'est-à-dire tout le temps présent sans intervention du joueur même si certains se déclenchent sous certaines conditions : certains pokémons vont ainsi être insensibles à certaines modifications d'état, vont voir leurs statistiques augmenter en fonction de leurs mouvements, seront plus efficaces sur tel ou tel terrain... C'était quelque chose de nécessaire, et qui permet ainsi de résoudre quelques incohérences fondamentales. Par exemple, il arrivait qu'un pokémon ayant clairement des ailes soit sensible à des attaques de type « sol », tout simplement car il possédait déjà un double-type, et aucun des deux n'était « vol » ! En créant alors ce système, le pokémon se dotait de la capacité « Lévitation », qui le rendrait automatiquement insensible aux tunnels et autres séismes. Au fur et à mesure des générations, le nombre de capacités existantes va augmenter, à nouveau pour produire un meilleur équilibrage du jeu. Sachant, du reste, que la plupart des pokémons peuvent avoir plusieurs capacités, sélectionnées au hasard en fonction de l'espèce, cela complexifie la capture des créatures en sus des différences de statistiques dont je parlais plus haut.

À gauche, un fort joli reflet. À droite, une ville sur pilotis.

Les nouveautés ne s'arrêtent pas ici : les dresseurs ne se contentent plus de rester sur place, attendant que vous vous précipitiez devant leurs yeux mais évoluent dans la zone, rendant donc les combats encore plus difficile à éviter ; le monde est plus intéressant à explorer puisqu'il vous obligera, parfois, à faire du backtracking pour explorer une nouvelle voie, chose rarement entrevue dans les deux premières générations, et l'histoire se fait un peu plus présente.
Ainsi, ce seront ici les Team Magma (version Rubis) et Aqua (version Saphir) qui tenteront d'utiliser les pouvoirs des volcans et des océans respectivement pour contrôler le monde, la Team Rocket étant, il faudra en faire son deuil, définitivement démantelée même si dans le cœur de chacun, ils seront toujours les « méchants attitrés » de la série. Le joueur qui tentera de les arrêter sera le fils - ou la fille - d'un champion d'arène, une première dans la série, et son père siégera dans la première ville d'importance du jeu même si, pour pouvoir l'affronter, il faudra auparavant lui prouver sa valeur en remportant déjà quatre badges, idée vraiment intéressante il faut le dire.

À gauche, l'introduction est magnifique. À droite, la région d'Hoenn, que l'on explore dans le sens des aiguilles d'une montre.

La Game Boy Advance est l'occasion pour Nintendo de parfaitement refondre la forme de son jeu, et s'il n'est clairement pas le titre le plus impressionnant de la console, ses tons pastels ne peuvent que séduire alors que les nombreux petits détails - reflets dans l'eau, vent dans les arbres, empreintes de pas sur le sable - donnent résolument du volume à l'ensemble. Le jeu se fait plus stratégique que jamais, notamment par l'inclusion de la météo dont je parlais plus haut et qui va directement avoir une influence sur les créatures : le sable blesse les pokémons à chaque tour si ce n'est ceux de type sol ou roche, un soleil radieux augmentera la puissance des attaques feu et l'attaque « Lance-Soleil » ne nécessitera plus un tour de charge, la pluie rend certains pokémons plus rapides, etc. etc. C'est alors un paramètre à prendre compte de façon très poussée à haut niveau, car il saurait à lui seul permettre ou enlever la victoire. Dernière grande « feature » du jeu, sur laquelle Nintendo a énormément communiqué à l'époque mais que je n'ai, me concernant, jamais vraiment trouvé « révolutionnaire », ce sont les combats en duo.
Parfois, deux dresseurs se tiennent côte à côte et vous défieront simultanément ou encore, ce qui arrivera régulièrement, ils vous « intercepteront » dans leur ligne de regard en même temps, notamment du fait qu'ils se déplacent à présent sur l'aire de jeu. Un combat « 2 contre 2 » se déclenche alors. Celui-ci suit les mêmes règles qu'un combat traditionnel, à l'exception que vous pouvez choisir la cible de votre attaque et que certaines vont, alors, toucher, les deux pokémons en face de vous (comme Surf) et même votre allié (comme Séisme) ! Bien entendu, de toutes nouvelles attaques et autres capacités sont spécialement dévolues à ce genre de combat même si le cœur du jeu, nommément les champions d'arène et les « elite four » (à une exception près) ne vous affronteront qu'en combat singulier.

À gauche, un combat duo. À droite, les environnements sont plus fournis.

Alors, que s'est-il passé ? Comme vous le voyez, le jeu n'a cessé de s'améliorer, tant graphiquement qu'en ergonomie, les nouveautés sont des plus intéressantes et étaient indéniablement nécessaires, l'histoire se complexifie gentiment même si, bien évidemment, l'on atteint pas la subtilité d'autres j-rpg. Plus de cent nouveaux pokémons ont été inventés même si plus d'une vingtaine a été recueillie des deux premières générations afin de gonfler le nouveau pokédex et le nouveau système de numérotation, etc. etc. Et pourtant, moi-même, je dois l'avouer, je ne porte pas une affection particulière à ce jeu. Sans aller jusqu'à dire que « je le déteste », je ne le porte pas plus que ça dans mon cœur. Il est difficile de pointer exactement du doigt ce qui ne va pas. Je suppose que cela est tributaire de trois facteurs, du moins c'est cela qui ressort régulièrement quand on lit des textes portant sur la troisième génération. Premièrement, l'alternance jour/nuit, inaugurée dans la deuxième génération a été purement et simplement supprimée, pour des raisons mystérieuses. Si cela n'entraînait pas vraiment d'influences sur le gameplay, il est dommage de voir que cet élément, qui servait à construire l'univers, ait été jeté aux orties. Ensuite, beaucoup reprochent le design des nouvelles créatures, bien moins inspiré que les deux premières.
Cela est affaire de goût et il y a toujours eu, quel que soit le jeu Pokémon, certaines bestioles mieux réussies que d'autres et je ne pense pas, globalement, qu'il y a plus à redire ici qu'auparavant. Enfin, et peut-être la chose qui avait le plus déçu les joueurs, c'est l'impossibilité de transférer les créatures des deux premières générations dans la troisième. Cela est proprement ignoble, car le jeu passe en mode « pokédex national » à la fin du jeu, et vous fait comprendre que l'on peut collecter les quelques trois cents pokémons inventés jusqu'à ce point. Et quand bien même la Game Boy Advance possède une rétro-compatibilité avec la Game Boy première du nom, la chose est proprement impossible, ce qui fait qu'il y a plus de 180 pokémons qui ne peuvent être obtenus sans passer par un accessoire du type Action Replay.

À gauche, Monaflemit (n°289). À droite, Ronflex (n°143)... comme un air de famille.

Alors, bien entendu, l'on sait parfaitement que cela a été fait pour obliger les joueurs à utiliser les nouvelles créatures inventées pour l'occasion et leurs nouvelles capacités bref, « à aller de l'avant » et à ne plus s'attacher au passé. Malheureusement, c'était sans compter sur l'attachement des fans de la première heure au jeu originel, qui rejetèrent alors en bloc ces nouveaux pokémons, considérés comme des pis-allers et des clones sans saveur de la première génération.
De même, le jeu a souffert du tsunami marketing passé et de son image de « jeu pour gamins », qui a fait que les jeunes joueurs, qui n'avaient pas connu Pokémon lors de leurs vertes années, s'en détournèrent de peur de passer pour des abrutis et de se faire lapider par leurs amis au collège ou à l'école primaire. La série, si elle restait malgré tout une licence très forte et une source de revenus imposante pour Nintendo par l'intermédiaire des nombreux produits dérivés, connaissait pour la première fois un phénomène de creux, de trop-plein voire de ras-le-bol : et puisque le socle « historique » de joueurs s'en était détourné, la série échoua à rameuter du sang neuf.

À gauche, le concours de beauté, autre nouveauté de l'épisode. À droite, deux évolutions des starters s'affrontent.

Mais tout ceci, c'est uniquement si l'on se positionne d'un point de vue synchronique ; et si l'on y regarde avec toute la « sagesse » du temps, plus de dix ans plus tard, et que l'on s'intéresse un tant soit peu à Pokémon, on trouvera dans ce jeu suffisamment de choses pour en être contenté. Les graphismes deviennent très regardables, le système de jeu commence à être suffisamment subtil pour démultiplier les stratégies à grande échelle, que ce soit dans le parcours de jeu ou les combats link, et l'aventure solitaire est longue et haletante.
Objectivement causant, ce jeu a donc tout de l'amélioration fondamentale de la licence, et il était un passage obligé pour qu'elle puisse survivre aux flots du temps. Car s'il est quelque chose que l'on ne saurait reprocher à Pokémon et ce à l'encontre des critiques injustes qui fleurissent ci et là, c'est qu'elle cherche constamment à révolutionner ses acquis et refusent de toujours se reposer sur ses lauriers, et si parfois la chose est accueillie avec bienveillance, parfois, comme ici, le succès n'est pas au rendez-vous. C'était cependant un sacrifice nécessaire pour progresser, et tout ce qui est introduit au cours de cette troisième génération prend tout son sens à l'aune de l'histoire globale de la série.

Les trois starters : Arcko (n°252), Gobou (n°258) et Poussifeu (n°255).
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