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Dragon Quest I, II, III - La Trilogie d'Erdrick
Année : 1986
Système : MSX, NES, PC-98 ...
Développeur : Chunsoft
Éditeur : Enix
Genre : RPG / Aventure / Stratégie
[voir détails]
Par MTF (30 décembre 2019)

Que Grospixels, du haut de sa vingtaine d’années d’existence, n’ait à ce jour que deux articles sur cette série fleuve des Dragon Quest, est des plus révélateurs de sa renommée en Europe. Tandis que cette saga a su créer, en association certes de sa grande rivale Final Fantasy, tout le genre du « Japanese Role Playing Game » (J-RPG), je m’aperçois qu’elle est finalement peu connue en-dehors de son pays d’origine, si l’on excepte une cohorte de fanatiques indéboulonnables. Je suis moi-même un résistant de la dernière heure et ce n’est que la sortie, récente à l’heure où j’écris ces lignes, du onzième épisode sur Nintendo Switch qui m’invita à me replonger méthodiquement dans ce monument du jeu de rôle console. Je ne serai cependant pas plus royaliste que le roi, pas plus zélé que les zélotes, et ne prétendrai pas vous en apprendre ici davantage que les encyclopédies consacrées, ou les meilleures pages des sites spécialisés, auxquelles je vous renverrai en fin d’article. Mon approche sera, en ce sens, plus humble : il s’agira pour moi de répondre à la question que l’on peut, légitimement, toutes et tous se poser. Quel intérêt peut-on avoir, plus de trente ans après sa sortie initiale et malgré son archaïsme, à jouer à Dragon Quest ?
Pour être parfaitement honnête, et avant de répondre de façon plus circonstanciée au long de ce dossier, disons-le tout de go : pour un joueur ou une joueuse lambda, qui ne chercherait qu’à s’amuser sans pour autant devenir spécialiste, il est pour ainsi dire parfaitement absurde de rejouer au premier épisode de nos jours, et ce quelle que soit la version considérée. Non seulement il est des J-RPG, y compris de la même période, bien plus élaborés (ne serait-ce que le premier Final Fantasy, qui fut le meilleur de ses thuriféraires), mais l’on pourra sans souci aucun prendre les épisodes les plus récents pour saisir la quintessence de la série tant celle-ci est d’une stabilité impressionnante. En revanche, si vous souhaitez, comme je l’ai fait, aborder cette saga comme un archéologue explorerait les ruines d’une cité antique, la connaissance obtenue est immense, nécessaire, flamboyante : brutalement, l’on comprend tous les tenants et aboutissants du J-RPG, sa philosophie, ses limites et ses enjeux. C’est comprendre la « cause secrète des choses » comme dirait Cicéron, et expérimenter l’origine mythologique de certaines des œuvres les plus réputées du média.

La réputation de la série, y compris des épisodes les plus récents, est inaltérable, au Japon tout du moins. La sortie des remakes des trois premiers épisodes sur Nintendo Switch, en septembre 2019, a été un petit événement.

Dans cette perspective, et afin de rendre compte le mieux possible de ses innovations, j’ai choisi de traiter conjointement ici les trois premiers épisodes de la saga. Ce choix s’est imposé pour plusieurs raisons : d’une part, il s’agit d’une évidence thématique, puisqu’autant le second épisode est une suite directe du premier, autant le troisième est une préquelle des précédents, dans un mouvement que reproduira A Link to the Past pour la saga Zelda. D’autre part, la confrontation progressive de ces trois épisodes permet de prendre la mesure de l’inventivité des créateurs, en termes de mécanismes, d’univers, de design, et de montrer que lorsqu’arrive Dragon Quest III, considéré encore aujourd’hui comme l’un des meilleurs J-RPG de tous les temps, nous voyons le point d’arrivée d’une dynamique initiée dès le premier épisode. Enfin, et non des moindres, j’ai moi-même expérimenté ces trois épisodes consécutivement, dans un délai fort court, tant et si bien que je ne peux les concevoir indépendamment les uns des autres.
Ce fonctionnement par trilogie ne sera d’ailleurs pas unique dans l’histoire de la saga : bien que plus mollement reliés entre eux, les épisodes IV / V / VI forment également une triade reconnue. Les épisodes subséquents, quant à eux, seront plus indépendamment les uns des autres. On peut, bien évidemment et toujours, saisir un épisode à la volée et s’en contenter, ils forment chacun des ensembles fermés : mais les saisir dans ces continuités, c’est aussi comprendre leurs choix et apprécier leurs multiples jeux d’échos, à l’aune de ce que l’on aurait, par exemple, dans la saga Star Wars au cinéma.

Dragon Quest, Dragon Quest II & Dragon Quest III. Pour des raisons de confort, les images de cet article seront issues des versions américaines des jeux, ou encore des versions traduites par les équipes de fans.

Cela se ressent dans cette première trilogie, indépendamment de la continuité de l’histoire, par les thèmes abordés qui reflètent sans doute aucun les préoccupations de l’équipe de développement, en premier lieu de Yuji Horii, instigateur et scénariste principal de la série et ce jusqu’à aujourd’hui. Si les Final Fantasy, pour poursuivre la comparaison et sous l’égide de Hironobu Sakaguchi, se sont très tôt orientés vers des problématiques écologistes et animistes et évoquent des préoccupations sociales arc-boutant la culture japonaise moderne, les Dragon Quest, tout imprégnés de culture chevaleresque occidentale, de Dungeons & Dragons et surtout de Wizardry, leur inspiration première, réfléchissent principalement à la question de la filiation, de la descendance et de la famille.
C’est là un aspect qui traverse beaucoup d’oeuvres populaires, anciennes comme modernes, en Asie comme en Europe. Il me semble, mais ce n’est là qu’une remarque personnelle, que cette tendance soit plus rare aux États-Unis, ce qui explique peut-être le peu de succès de la saga sur ce continent, l’une des grandes curiosités du monde du jeu vidéo. On peut, ainsi, songer au cycle arthurien dans la littérature médiévale européenne et notamment au personnage de Perceval, dont le parcours personnel est enté à la découverte de sa haute hérédité ; plus proche de nous, un héros comme Son Goku, dans le manga Dragon Ball d'Akira Toriyama, est aussi déterminé par la quête de son identité familiale et de ses origines stellaires. Dragon Quest, à sa façon, participe à ces thématiques, qu’il s’agisse de créer une lignée légendaire ou, au contraire, de s’en réclamer.

Le « Héros », titre générique que portent tous les protagonistes des épisodes de la série (ici et de gauche à droite, celui de DQIV, DQIII et de DQVIII), a été ajouté à l'imposant roster de Super Smash Bros. Ultimate, au grand plaisir des fans.

Restons, d’ailleurs, sur Akira Toriyama, car il s’agit vraisemblablement du point le mieux connu de la chose. Par un curieux concours de circonstances et de rencontres, Toriyama et Horii s’associèrent dans la création du premier Dragon Quest. Alors que le mangaka était alors surtout connu pour Dr. Slump, et que Dragon Ball n’était pas encore devenu le phénomène que l’on connaîtra, sa patte imprima durablement l’esprit de la série et assura tant sa reconnaissance que sa pérennité. On lui doit le design des gluants, ces petits oignons mous qui sont devenus depuis le symbole de la saga entière, ou encore ce dessin, reconnaissable entre mille, des nombreux dragons qui émaillent ces aventures jusqu’à leur donner leur nom ; même, il prit en charge les illustrations, nombreuses, des « guides du joueur », ces livres détaillant les mécanismes du jeu et richement illustrés. Il est difficile d’imaginer ce que serait devenu Dragon Quest sans l’apport de Toriyama, dont l’influence ne fut pas seulement graphique mais également esthétique, dans le sens noble du terme ; ce qui est certain en revanche, c’est que Dragon Quest contribua, sans nul doute, à faire rentrer Toriyama dans la légende de l’illustration au Japon.
Il faut comprendre effectivement ce que représente Dragon Quest pour la culture japonaise. Bien que la série n’eût jamais soulevé les foules aux États-Unis, et bien qu’elle ne reçoive qu’un intérêt poli en Europe, il s’agit d’un phénomène médiatique d’une ampleur colossale dans son pays d’origine. Chaque épisode compte parmi les plus vendus de sa console, si l’on écarte les jeux Nintendo pour la Famicom et la Super Famicom. Le succès est tel qu’à l’annonce de la sortie d’un épisode, des files d’attente monstrueuses bloquent la circulation des rues. Les autorités demandèrent même aux éditeurs, dès le troisième épisode, de décaler pour le week-end le jour de leur sortie, d’ordinaire en semaine pour les jeux vidéo, pour éviter que les élèves et les salarié·e·s ne se fassent porter pâle et paralysent économiquement le pays !

De gauche à droite : Akira Toriyama, Yuji Horii et Hironobu Sakaguchi, lors de la production de Chrono Trigger.

Alors, suivez-moi : laissez-moi vous parler de Dragon Quest, sans doute le plus connu des inconnus de toute l’histoire du jeu vidéo. Une indication, en chemin : du fait de la localisation irrégulière de la saga, et notamment de l’abondance de traductions « amatrices » pour certains épisodes, seule façon parfois de jouer à ces titres sans connaître la langue japonaise, il est parfois difficile de s’y retrouver dans le nom des lieux ou des personnages. Autant que faire se peut, je préciserai, du moins lors de leur première mention, les noms de la localisation américaine (ceux que l’on retrouve le plus souvent sur Internet) puis, entre parenthèses, une transcription de leur nom original japonais.

Dragon Quest (Doragon Kuesuto)
Famicom (1986) / Super Famicom (1993) / Game Boy Color (1999) / Android, iOS (2013)

Dans un pays imaginaire du nom d’Alefguard, un dragon furieux a enlevé la fille du Roi Lorik (Lars), la princesse Gwaelin (Lora). Un jeune homme, qui se révèlera être le descendant du héros légendaire Erdrick (Loto), se propose alors de partir en quête de sa libération. Chemin faisant, il apprendra que l’enlèvement a été commandité par le Dragonlord, un sorcier démoniaque qui vola l’Orbe de Lumière, origine de toute vie. Le héros devra alors arpenter le monde, secourir la princesse, retrouver l’équipement de son ancêtre et vaincre le Dragonlord.
« Prendre hache, ouvrir porte, tuer dragon ». Voilà, en peu de mots, l’essence de l’histoire du premier Dragon Quest. On peut sourire de cela à présent : mais la simplicité est rarement décevante, et Dragon Quest a toujours préféré l’honnêteté à la complexité qui est par définition difficile à manipuler, comme nous le soulevions jadis pour Final Fantasy VII. Du reste, ce type d’histoire, toute convenue était-elle dans la culture populaire, était encore assez nouvelle dans le jeu vidéo et, en ce sens, s’inscrivait dans la continuité de grands succès du temps tels King’s Quest ou Zork.

Les jeux commencent généralement dans un château où votre Roi vous donne une quête, dans la grande tradition des romans de chevalerie.
Un gluant ! Ces bestioles, appelées « slime » en anglais et « suraimu » en japonais, sont devenues les symboles de la saga. Dans ce premier jeu, on les rencontre en version bleue et rouge, et on dit même qu'il en existe des métalliques, très rares et très difficiles à vaincre, qui donnent des quantités faramineuses d'expérience...

Bien que les rares dialogues du jeu, ainsi que la documentation originale et les « guides du joueur » nous en apprennent davantage sur les tenants et aboutissants de ces figures, on ne s’éloignera jamais trop de ce principe premier. On apprendra bien qu’Erdrick venait d’un monde « au-delà d’Alefguard », qu’il a laissé derrière lui des indices permettant à son descendant de vaincre le Dragonlord, dans le cas où celui-ci ressusciterait ; que ce dernier est à l’origine de l’apparition des monstres qui hantent à présent les plaines et les forêts ; qu’il y a sans doute d’autres continents au-delà des océans. On peut néanmoins se passer de tout cela : nul n’est besoin de lire toute une cosmogonie pour comprendre les enjeux de l’intrigue.
Ce qui surprend cependant, et ce qui est résolument moderne quand on aborde Dragon Quest, c’est la façon dont les développeurs sont parvenus à créer organiquement leur univers, sans trop insister sur les contours, nécessairement flottants, de leur histoire. Ainsi, l’on aperçoit, dès le commencement du jeu, le château du Dragonlord sur une autre montagne, mais il faudra bien trouver le moyen d’y parvenir ; des ponts relient les bouts de terre entre eux, et découpent en autant de zones la progression de l’aventure ; les personnes que l’on rencontre nous font part des rumeurs du moment, d’un monstre qui empêcherait quiconque d’entrer dans un village non loin ou d’une flûte magique qui serait enterrée à côté d’un établissement de bains publics. Le jeu se fait assez bavard en vérité, bien plus que The Legend of Zelda qui, on le rappelait également ici, dissimulait quasiment tous ses ressorts. Dans Dragon Quest, pour peu que l’on prenne le temps de parler à tout le monde, et qu’on observe avec attention son environnement, la prochaine étape de la quête se fait toujours évidente.

Un extrait du guide vendu avec le jeu original. Si vous recherchez des dessins peu connus de Toriyama, vous savez où les trouver !

Celle-ci, d’ailleurs, se déploie en deux temps. Avant d’affronter le Dragonlord, et de trouver pour cela plusieurs reliques mythiques pour accéder à son fief, il faudra, tout d’abord, secourir la princesse. Si l’on apprend rapidement dans quelle caverne le dragon l’a emportée, le premier écueil sera de devenir assez fort pour vaincre le cruel reptile : rentrons alors dans le détail du gameplay.
Dragon Quest inaugure, du moins popularise, le principe du combat « tour à tour » sur console de salon. En explorant le monde, en parcourant les plaines et les caves obscures, le héros rencontrera des monstres de façon aléatoire. Cela surprendra : mais autant nous ne contrôlerons jamais, dans cet épisode inaugural, qu’un seul et unique héros, autant nous ne rencontrerons sur notre route que des monstres solitaires. L’on a alors plusieurs options : « Fight » (« combattre »), soit frapper avec l’arme équipée ; « Spell » (« Sort »), lancer une magie offensive telle un sort de feu ; « Item » (« objet »), utiliser un objet ; « Run » (« Fuir »), pour essayer de s’enfuir du combat. Si l’on parvient à tuer l’ennemi, nous sommes récompensés par de l’argent (« Gold »), nécessaire pour acheter de meilleures pièces d’équipement, et surtout de l’expérience (« Exp ») qui augmente, par paliers, nos caractéristiques fondamentales, nos points de vie ou de magie, notre force, notre défense et ainsi de suite.

Le jeu inaugure également les portes verrouillées par des clés magiques, dont l'obtention scande la progression.
Les cavernes sont obscures, à moins d'user du sort « Light » (« lumière ») qui augmente notre champ de vision. L'idée ne sera en revanche pas reprise dans cette première trilogie.

Cette description semblera sans doute banale, mais je le rappelle : pour les joueurs et les joueuses du temps, notamment pour les personnes qui n’avaient pas accès à la micro-informatique, c’était parfaitement, irrémédiablement, incroyablement nouveau. Le jeu était accompagné, tant pour sa sortie originale que pour sa localisation américaine, d’un manuel abondant et riche en descriptions, explicitant les tenants et aboutissants de tous ces mécanismes. Du reste, ce n’était pas un mal tant le jeu peut être particulièrement muet, cette fois-ci, concernant son gameplay. C’est surprenant, notamment au regard de ce que nous disions précédemment sur l’histoire du jeu : mais Dragon Quest rechigne, aujourd’hui encore, à sortir de son univers diégétique. Voici alors un précieux conseil, que je ne saurais répéter trop souvent : il ne faut pas hésiter à quérir des informations sur le rôle d’un objet ou d’un mécanisme de jeu sur Internet, notre parcours n’en sera que plus agréable.
Il en va ainsi des trésors que nous récupérons, et de l’absence totale d’informations les concernant : il faut bien souvent les essayer pour comprendre leur rôle. Même certaines indications, qui semblent aujourd’hui naturelles, sont étrangement cachées : ainsi, si l’on peut connaître à chaque instant, sur la feuille de route de notre héros, le nombre total de points d’expérience que nous avons engrangés depuis le début de la partie, il faudra en revanche revenir au seul château de cet univers et parler au Roi pour savoir combien il nous en reste à acquérir pour gagner un niveau et planifier la suite de notre aventure.

Sans guide, il est difficile de comprendre que les habitations, à gauche, abritent un marchand ou un prêtre qui peut nous soigner. Comme on le voit aussi à droite, l'interface demande de passer par un menu contextuel pour ouvrir une porte, prendre un escalier ou récupérer un objet... Heureusement, dès l'épisode suivant, tout cela sera profondément amélioré.

Réciproquement, et pour peu que l’on ait l’esprit ouvert – et que l’on ait un guide à portée de mains pour s’éviter d’inutiles frustrations –, ces mystères participent grandement à l’identité de ce premier jeu, à la sensation d’embarquer dans une quête épique et de découvrir des mystères depuis longtemps oubliés. Chaque victoire, chaque conquête d’une caverne et chaque artefact récupéré est un haut-fait dont on peut être fier : car malgré son archaïsme, malgré sa respectable vieillesse, Dragon Quest est avant toutes choses un jeu qui sait récompenser majestueusement qui le dirige.
Ce n’est pas un accident de parcours : c’est toute une philosophie du game design que l’on voit ici, Yuji Horii ayant maintes fois déclaré qu’il œuvrait à ce sentiment. Il faut alors mesurer les conséquences de ces choix, et il n’est meilleure illustration que ce qui est, sans doute aucun, le point focal de la saga entière : le grinding et la difficulté.

L'inventaire est limité en place et vous devez tenir compte de l'équipement dans vos calculs !
Les dragons seront des ennemis redoutables, particulièrement dans le château du Dragonlord.

Ce qui ressort effectivement le plus souvent quand on en entend parler, c’est la difficulté, proverbiale presque, des Dragon Quest dans le spectre général des J-RPG. Même si cette réputation est, pour les épisodes les plus récents et à mon goût, à relativiser (le onzième épisode est ainsi assez simple... mais on propose néanmoins des options pour pimenter notablement la partie !), et si la difficulté demeure, dans le domaine des jeux vidéo, un sujet éminemment subjectif, force est de reconnaître que le parcours du premier épisode, si l’on se fait un point d’honneur à l’expérimenter dans les conditions de l’époque, est des plus rudes.
Très rapidement effectivement, les ennemis rencontrés tapent fort, et les options pour se soigner sont des plus limitées. Les points de magie s’épuisent rapidement, l’on n'a aucun moyen dans cet épisode, exception faite des auberges exclusivement présentes dans les villes, d’en récupérer lors de nos explorations. On ne peut sauvegarder (ou obtenir un mot de passe dans certaines versions du jeu) qu’en revenant au château du Roi : heureusement, l’on finira par obtenir à un moment de l’aventure un sort de téléportation nous évitant le retour, souvent long mais nécessaire les premières heures, au bercail.

La princesse est libre ! Chose amusante, le jeu ne vous demande que de tuer le Dragonlord pour le finir, vous pouvez donc parfaitement ignorer cette quête. Si le canon de la saga considère que vous l'avez bien secourue, un spin-off de celle-ci élabore sur l'alternative.
Le début du jeu, avec le château du roi, le premier village et, en bas à droite, entouré de marécages noirs et empoisonnés, le domaine du Dragonlord.

La quantité de points d'expérience à acquérir, pour gagner un niveau, devient rapidement astronomique. Certes : passer un palier apporte un gain de puissance notable, et il est agréable d’apprendre un nouveau sort. Souvent d’ailleurs, la victoire face aux ennemis ne tient qu’à cela. Il faut cependant avouer que sans le confort contemporain des émulateurs, qui nous autorisent à sauvegarder quand nous le désirons et à accélérer sensiblement la vitesse du jeu, ces phases d’entraînement peuvent être particulièrement fastidieuses. En cas d’échec, nous revenons au château, heureusement en gardant toute l’expérience acquise, mais notre pécule est divisé par deux, ce qui est des plus frustrants lorsqu’on économise depuis une heure pour se payer cette armure hors de prix.
Cette difficulté, enfin, dissimule en réalité l’étroitesse de ce premier épisode. Il n’y a là que cinq villages n’accueillant qu’une poignée de maisons ; encore moins de cavernes ; le bestiaire est assez ridicule, quand on y songe ; il n’y a que cinq « boss », en comptant les deux formes du Dragonlord, et si ce n’est le dragon gardant la princesse, ils sont annoncés sans tambours ni trompettes. Tout était à inventer : et même si elle est décevante pour un regard moderne, cette concentration était sans doute salutaire à l’époque pour introduire tout un public à de nouvelles idées.

L'intégralité du monde du jeu, tel que présenté dans la version américaine. N'hésitez pas à vous y référer !

Avec l’expérience que nous avons à présent du genre, avec les sauvegardes d’état et les conforts modernes, au pire une solution ou les plans des donjons les plus labyrinthiques, finir le premier Dragon Quest ne devrait pas vous prendre plus de cinq à dix heures de temps, vraisemblablement moins si vous respectez un certain nombre de règles « d’hygiène ludique » : faire des combats jusqu’à pouvoir se payer les équipements les plus chers du dernier village visité, évaluer les points de vie des ennemis rencontrés pour ne pas dilapider ses précieux points de magie, parler à tous les personnages rencontrés. Pour vous donner une idée de la chose, un niveau 20 est largement suffisant pour tuer le Dragonlord, le jeu vous interdisant, quoi qu’il en soit, de dépasser le niveau 30.
Sa courte durée de vie autorise, de plus, la revisite, de quoi explorer davantage ses qualités et de découvrir quelques perles de génie, ou de modernité encore, qui peuvent accélérer d’autant plus l’aventure. C’était, jadis, des secrets, transmis de bouche à oreille dans les cours de récréation, ou accessibles uniquement dans les magazines spécialisés : on parlait d’ennemis rares, gluants de métal ou golems dorés, qui donnaient à leur mort des quantités faramineuses d’expérience ou d’argent ; du sort d’endormissement, auquel était particulièrement sensible tel et tel monstre ; d’une armure ou d’une épée cachée. Si Dragon Quest n’a pas développé autant que Zelda la culture du secret, la plupart de ses mystères pouvant se connaître en jouant et exclusivement en jouant, il a su entretenir ces petites astuces et créer une communauté solide dès sa sortie dans les échoppes.

La larme d'arc-en-ciel créera le pont vers le château maudit... Un peu comme dans Ocarina of Time, ne trouvez-vous pas ?
Le Dragonlord, enfin ! Il ne paraît guère impressionnant, mais il a plus d'un tour dans son sac.

Avant de terminer cette première revue, évoquons la question de la version à privilégier. Dragon Quest, premier du nom, a effectivement fait l’objet de plusieurs remakes et refontes, toutes sensiblement distinctes de la version originale bien que globalement identiques dans les grandes lignes. La première version, qui sortit tout d’abord sur Famicom, fut portée sur MSX et PC-9801 au Japon. On s’en éloignera pudiquement : toute aussi novatrice cette version fût-elle à son époque, son archaïsme est aujourd’hui insoutenable. Par exemple, le héros n’a qu’un seul sprite à l’écran : il apparaît donc toujours de face quelque direction que l’on prend... On a beau être curieux du passé, ne soyons cependant pas masochistes.
Le jeu fut localisé, trois ans plus tard, aux États-Unis, sous le nom de « Dragon Warrior ». La traduction anglaise est de très, très bonne facture, et les textes affectent un phrasé pseudo-médiéval qui sied fort bien à l’univers du jeu, mais qui peut rendre la compréhension difficile aux joueurs et joueuses francophones n’ayant pas un solide niveau de langue anglaise. Cette version NES a cependant été refondue graphiquement, mais n'a hélas pas été améliorée au regard de son interface. Cela en fait néanmoins, à mon sens, la meilleure version si vous désirez vivre l’expérience la plus proche de celle du temps.

Le titre a été changé car il existait déjà un jeu de rôle plateau du même nom aux USA. Nintendo of America choisit également de réorienter l'univers des illustrations dans le matériel promotiel, et de délaisser le style rond de Toriyama au profit de quelque chose de plus inspiré de Dungeons & Dragons. Je pense qu'un certain nombre d'enfants ont été décontenancés en voyant l'écart entre la jaquette et les sprites du jeu !

Si, en revanche, il vous importe davantage de découvrir l’essence du jeu premier sans pour autant subir sa vieillesse, je vous recommande de vous tourner soit du côté de la version Super Famicom de 1993, soit du côté de la version Game Boy Color de 1999, remakes qui couplent cet épisode avec le second sous le titre, peu original, de Dragon Quest I.II. Outre une modernisation graphique de très bon aloi, bien que peu exceptionnelle en définitive, on appréciera particulièrement le toilettage ludique. Notamment, les points d’expérience et l’or offerts par les monstres ont été multipliés presque par deux et la difficulté, dans les premiers temps de l’aventure, se fait ainsi moins relevée. On a inclus un « bouton universel » pour parler aux gens et ouvrir les coffres sans passer par les menus contextuels, et la version Game Boy Color propose même une fonction de « Quicksave », une sauvegarde rapide qui permet d’interrompre l’aventure quand nous le désirons.
En ce qui concerne les portages faits pour Android et iOS, et que l’on trouve à présent en téléchargement sur les consoles et ordinateurs modernes, je ne les aime absolument pas. Si le cœur du jeu n’a pas changé d’un iota, tous les sprites ont été refaits d’une façon assez moche à mon goût : cela leur confère comme un style « jeu flash » que je trouve particulièrement détestable. Partant, je ne saurais que trop vous conseiller de vous orienter vers la compilation Super Famicom, sans doute la plus belle, et la plus respectueuse, des refontes. On trouve sur Internet de très bonnes traductions amatrices en anglais, la compilation, hélas, n’ayant jamais été localisée. Le jeu sur Game Boy Color a en revanche atteint les côtes étasuniennes (sous le nom de « Dragon Warrior I.II ») et on peut parfois la trouver en occasion : c’est alors un succédané de choix si vous préférez, envers et contre tout, jouer sur une vraie console et que les autres options ne vous conviennent guère.

Les illustrations sont magnifiques ! Les jeux, nonobstant ces améliorations ludiques, sont sinon identiques, à la case près, à l'original.
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