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La musique dans les jeux du C64
Au début des années 80, les jeux vidéo abandonnent les bip-bips convulsifs pour de vraies mélodies. Une nouvelle génération de compositeurs apparaît alors. Cette première partie revient là où tout à vraiment commencé : sur C64
Par David (11 avril 2002)

Episode I
The Commodore Menace

Remarques préliminaires

Le sujet se prétant particulièrement bien à une découverte assez approfondie de la musique sur l'ordinateur 8-bits de Commodore, le C64, vous trouverez tout au long de cet article des fichiers musique, appelés "modules", au format .sid. Ces modules, qui ne dépassent jamais une petite dizaine de kilo-octets, contiennent l'intégralité des musiques d'un même jeu, que vous choisirez en passant d'une 'sous-piste' à une autre. En général, la sous-piste sur laquelle se positionne votre programme de musique lors du chargement d'un module est le thème principal du jeu.

Afin de lire ces fichiers, vous aurez besoin du 'player' adéquat. Sidplay -que je vous recommande- est d'excellente qualité, mais sachez également que WinAmp dispose d'un plug-in dédié à la musique C64. Attention: certains players proposent toutes sortes de filtres qui dénaturent totalement la sonorité originale du morceau.

Pour finir, l'article sera plus intéressant si vous écoutez les morceaux au fur et à mesure qu'ils vous sont proposés, de sorte que vous constatiez par vous-même les énormes progrès accomplis dans le domaine de la musique de jeux vidéo.

Cliquez ici pour télécharger SidPlay for Windows (113 Ko)

Angleterre, mars 1985

Il ne fait pas bien chaud. A cette époque de l'année, les jeunes Anglais déambulent dans les rues en tee-shirts -tout simplement délirant. Tout aussi délirant: ce minuscule magasin d'informatique devant lequel je me tenais -une sorte de croisement improbable entre une épicerie et une tanière de taupe tant l'endroit, plongé dans la pénombre, paraissait exigu. La curiosité me poussait à entrer. "Hello!" lançai-je au vendeur. "$%#*?", me répondit-il. Je me sentis idiot -je n'avais rien compris ! Clairement, mes 12 ans -et mon année et demi d'anglais- ne suffisaient pas encore pour que je comprenne parfaitement les autochtones de ce pays. Tant pis pour la politesse, et tant pis pour le gars à la langue de barbare : je fis mine d'ignorer ce dernier en m'enfoncant d'au moins 3 mètres dans le magasin. Merde, le mur.

Le temps de me remettre de mes émotions, mes yeux se posèrent sur la toute dernière collection de jeux M.A.D. à £2.99 -environ 30 Frs (4,50 €), une misère face aux gros titres qui culminaient généralement à £9.99. L'un d'eux me parut particulièrement alléchant : avec ses gobelins et ses trolls, Master of Magic avait tout du jeu pour me plaire. A l'époque, j'étais en plein délire "Livres dont vous êtes le héros", alors forcément, les trolls et les gobelins, ça me connaissait. J'étais cependant loin, très loin d'imaginer que ce "Maître de la Magie" (ça, au moins, je savais le traduire!) allait changer à jamais la vision que j'avais d'un jeu vidéo...

Le C64 révèle ses entrailles

De retour chez moi, je lance le programme. Bon dieu que la page de présentation jette -en 1985, 16 misérables couleurs et des pixels gros comme le poing suffisaient à me mettre en extase. Le chargement terminé, j'appuie sur le bouton de mon joystick. Première constatation : même si le système de jeu nécessite un petit temps d'adaptation, on est immédiatement subjugué par les graphismes, toujours aussi enchanteurs. Les monstres sont superbement détaillés, on s'y croirait presque. Et puis, a peine ai-je le temps de commencer ma partie que c'est le drame : on est clairement en train de me jouer une grosse blague. Je vérifie les branchements, je retourne le C64 dans tous les sens, je monte le son de ma télé : non, tout semble ok. Je monte encore le son: je ne parviens toujours pas à y croire. Il fallait pourtant se rendre à l'évidence : mon ordinateur s'était transformé en synthé haut de gamme (étant jeune, j'avais une légère tendance à tout exagérer). Jamais n'avais-je entendu pareille musique dans un jeu vidéo. Jamais le son de mon ordinateur n'avait paru si clair, si limpide, si riche en sonorités. C'était bien simple : j'avais devant moi une toute nouvelle machine. Je restai sous le choc encore quelques minutes. Comment cela était-il possible? Par quel miracle le C64 parvenait-il à me faire entendre tant de sons simultanément alors même que son processeur sonore ne pouvait en produire que 3 ?

The Master of Magic

Nom de code: SID

Lorsque le C64 sortit en 83, Commodore avait beaucoup insisté sur les qualités extraordinaires de son "synthétiseur musical à trois voix". Du nom de SID, le processeur sonore de la machine était censé, pour la première fois, reproduire un nombre d'instruments très variés, à l'inverse de la concurrence qui se contentait d'inclure dans les entrailles de leurs machines un simple "générateur de son" mono-voix. Plus d'une fois cependant, je faillis appeler la hotline Commodore afin de crier au scandale. En 83, les sons que produisaient mon C64 n'avaient rien d'extraordinaire; pire, mon ancienne console Atari 2600 et son fabuleux Pitfall 2 -gloire à David Crane!- faisaient mieux. Certes, les jeux proposés sur ma nouvelle machine étaient, pour certains, fabuleux (quelle claque lorsque je m'essayai pour la première fois à Jumpman d'Epyx, Bruce Lee de Datasoft ou Lode Runner de Broderbund !), mais en matière de bande sonore, il n'y avait pas de quoi fouetter une mouche -ni même une abeille, d'ailleurs.

Lode runner

Je pourrais même parler du moustique, mais ça deviendrait vite lourd; aussi, poursuivons. Lode Runner, par exemple, ne proposait aucune musique; simplement de misérables -et très rares- bruitages censés ponctuer les chutes, les ramassages de colis, les creusements de trous, les pertes de vies et les sorties de niveaux. En tout et pour tout : 5 "effets spéciaux" totalement ridicules, dont on ne pouvait que se contenter évidemment. Jumpman et Bruce Lee, de leurs côtés, faisaient mieux -ce qui n'était pas dur- : en plus des bruitages entendait-on de temps à autres une mélodie qui, même si elle ne brillait pas par sa beauté et sa richesse, montrait que le C64 était effectivement capable de chanter sans fausses notes.

Jumpman et Bruce Lee

Malgré toutes ces critiques, légitimes à l'époque tant la publicité de Commodore semblait en décalage avec ce que le joueur béta constatait dans la plupart de ses jeux, il n'est pas vraiment difficile, avec du recul, de comprendre les raisons du sous-emploi du fameux SID. A une époque où le jeu vidéo n'en était qu'à ses balbutiements, les titres mis sur le marché étaient souvent le fruit du travail solitaire d'un programmeur dont la passion pour l'informatique le poussait à créer, coûte que coûte, des programmes ludiques qui intéresseraient le grand public. Rapidement donc, il dût, par la force des choses, s'initier aux joies du graphisme et de la musique assistés par ordinateur, et donner ainsi naissance à des programmes évidemment très perfectibles dans les domaines visuel et sonore -tout le monde ne s'improvise pas Picasso ou Mozart en quelques semaines.

Lunar Leeper et Rat Race

De fait, alors que, d'un point de vue graphique, la plupart des premiers titres C64 ne proposaient que des sprites monochromes très sommaires et des décors quasi-inexistants (Ex: Lunar Leeper, de Sierra-on-Line (1981) ou Radar Rat Race, de Commodore (1982)), d'un point de vue sonore, seuls les plus courageux se lançaient dans l'écriture de mélodies dont l'air était très fréquemment adapté de grands thèmes du répertoire classique (Ex : Manic Miner, ancètre du jeu de plate-forme multi-écrans chez Alligata, en 1982; ou encore, Killerwatt, du célèbre Anthony Crowther, toujours chez Alligata, en 1983).

Manic Miner et Killerwatt

L'amateurisme était donc encore le maître-mot d'un univers qui, clairement, cherchait ses marques. Mais c'est curieusement ce sentiment d'amateurisme permanent, emblématique du monde de la micro-informatique du début des années 80, qui donnait à cette époque-là tout son charme. Le moindre progrès technique était accueilli comme un véritable don du ciel; le moindre concept, la moindre idée novatrice émerveillaient le joueur avide de nouveautés. Surtout, cette réelle impression d'avancer sur les terres vierges d'un nouveau monde qui, petit à petit, dévoilait un peu plus les trésors qu'il renfermait, faisait toute la différence avec notre pauvre 21ème siècle où, hélas, tout semble avoir été déjà défriché.

Des progrès lents, mais des progrès quand même

Les capacités sonores des premiers ordinateurs grand public mirent énormément de temps à véritablement prendre leur envol. Avant le C64, de nombreuses machines ne proposaient le son qu'en 'option' (c'était le cas du Sanyo PHC 25), voire pas de son de tout (qui ne se souvient pas du mythique ZX-81 de Sinclair ?).

Sanyo PHC25 et Sinclair ZX-81

A l'image des ordinateurs professionnels dont s'inspiraient les micros, l'idée même que le son puisse être intégré à pareilles machines paraissait parfaitement facultatif, voire déplacé. Un ordinateur était fait pour travailler, pas pour faire mumuse. Oui mais voilà : lorsque, la puissance aidant, ces mêmes micro-ordinateurs se montrèrent à peu près capables de rivaliser en terme de puissance avec ce qu'on pouvait trouver dans les salles d'arcade, beaucoup se dirent qu'il eût été dommage de profiter de jolis graphismes sans profiter d'une ambiance sonore digne de ce nom. Les 3 voix du chip sonore du C64 et les possibilités extraordinaires que laissaient miroiter Commodore tombèrent à point nommé pour expérimenter autre chose que les blips-blips et mélodies monocordes dont les consoles Atari, Intellivision et Colecovision nous avaient habitués.

Une machine longue à l'allumage

Les premières années du C64 furent, d'un point de vue musical, totalement insignifiantes. De 1982 à 1984, peu de jeux se démarquèrent véritablement de la production habituelle. Les gros hits qu'étaient Manic Miner (1982) ou Bruce Lee (1983) ne laissaient aucunement présager d'un glorieux avenir sonore.

Avec Frantic Freddie en 1983, Kris Hatlelid montra malgré tout qu'avec un peu d'audace, adapter les standards du rock'n'roll sur le 64 n'avait rien d'impossible. Certes, le résultat était bien loin de valoir les originaux, mais le rythme que donnaient les mélodies à ce jeu de plate-forme bien connu suffit à en faire un des titres les plus accrocheurs de l'année.

Frantic Freddie

1984 marqua cependant un tournant qui allait être décisif. Alors que Gyruss et sa bande son ravageuse adaptée d'un classique de Bach cartonnait en arcade -je me souviendrai toujours de ce joueur qui, pendant une partie, dansait littéralement devant la borne-, le C64 vit sortir une poignée de titres qui allaient montrer le chemin à suivre. L'adaptation micro de Gyruss tout d'abord prouva que, même si la maestria du jeu original n'était pas totalement au rendez-vous, le dernier né de Commodore avait de la réserve. Un semblant de percussions se faisait enfin entendre, et l'ensemble reproduisait plutôt fidèlement le rythme échevelé de la bande son composée de main de maître par Konami.

Gyruss

Puis, chez Activision, Ghostbusters fit son apparition à grand renfort de pubs. Tiré du film du même nom, le thème principal, alors en tête de tous les hits parades, fut étonnamment retranscrit sur le C64 par Adam Bellin. La page de présentation, qui s'ouvrait sur une digitalisation vocale du plus bel effet, laissait place à un véritable karaoké si bien fichu pour l'époque que l'envie d'entonner la chanson culte de Ray Parker Jr. était irrésistible.

Ghostbusters

Hélas, cette tendance à l'innovation ne représentait encore qu'une infime partie de la production vidéoludique de l'époque. En effet, Gyruss et Ghostbusters mis à part, la plupart des nouveaux titres continuaient de se contenter du minimum syndical. Ainsi, le hit interplanétaire Boulder Dash, de Peter Liepa, entonnait sur sa page de présentation une musique aux sonorités sourdes et hideuses qui tranchaient radicalement avec la clarté et l'efficacité des bruitages qui se faisaient entendre en cours de partie. Clairement, la totale maîtrise du processeur sonore du C64 allait demander encore un certain temps.

Aztec Challenge, de Paul Norman, fit l'impasse sur les capacités réelles du SID pour se concentrer sur la 'mélodie' proprement dîte. En misant sur l'ambiance qu'allait dégager l'unique morceau de son jeu, Norman réussit son pari puisqu'il parvint, avec très peu de moyens mis en œuvre, à créer une atmosphère unique qui contribua beaucoup à la réputation de cette série de mini-jeux d'action. Le SID était très clairement utilisé à 5% de son potentiel, mais le talent de Norman suffit aisément à contourner ce qui aurait pu -et dû- être un handicap.

Boulder Dash et Aztec Challenge

La stratégie de Paul Norman fut imitée par un certain Greg Holland qui, début 1985, lança The Way of the Exploding Fist. Très largement inspiré du hit d'arcade Karate Champ qui faisait alors fureur, le hit de Holland (l'autre pays du fromage ? (cette blague est très très mauvaise -NDMM)) affichait des graphismes et une animation d'une beauté renversante, mais se voyait, en contrepartie, affublé d'une bande son relativement pauvre puisqu'aucun bruitage ne se faisait entendre pendant les combats -dernier niveau mis à part. Bien heureusement, les deux thèmes musicaux, certes très dépouillés mais aux sonorités très orientales, étaient suffisamment bien construits pour qu'une atmosphère relativement appropriée se dégage de leurs mélodies.

La suite du jeu, sortie un an plus tard et intelligemment intitulée Fist 2, conserva l'ambiance irrésistible créée par la patte musicale de Holland, auquel ce dernier ajouta des bruitages entièrement digitalisés dignes d'un film de Bruce Lee. D'un point de vue technique, les softs de Holland marquèrent un tournant remarquable puisque, jusqu'alors, les seuls sons digitalisés que le C64 savaient reproduire ne pouvaient s'exécuter que sur des écrans figés tant la reproduction de tels sons était gourmande en ressources machine. Holland prouva que le Commodore, correctement programmé, pouvait atteindre des sommets inespérés.

The Way of the Exploding Fist 1&2
  • Musique de The Way of the Elploding Fist 1 (SID) : Cliquez ici
  • Musique de The Way of the Elploding Fist 2 (SID) : Cliquez ici

Toujours est-il qu'après deux ans d'existence de la machine, et devant les prouesses techniques dont semblait capable le SID, beaucoup se demandaient ce qu'il adviendrait si un vrai musicien, suffisamment doué en programmation et intéressé par la dissection d'un processeur sonore, parvenait à maîtriser totalement les capacités de ce dernier. Le progrès des programmeurs avait apporté aux bruitages la digitalisation; qu'apporteraient-ils à la musique?

1985, année de la révélation

Un premier élément de réponse fut apporté par un certain Russel Lieblich dont la dernière création pour Activision, Master of the Lamps, donnait autant importance aux graphismes qu'à l'ambiance sonore. Le résultat était à la fois étonnant et détonnant. Etonnant, car le jeu, avec son ambiance "Mille et une Nuits", faisait preuve d'une grande originalité; détonnant parce que le spectacle qui nous était proposé impressionnait dans tous les domaines. Rappelons que le héros de Master of the Lamps devait, assis sur son tapis volant, franchir une série de losanges fusant vers lui à grande vitesse. Son but final était d'atteindre un mauvais génie qu'il s'agissait d'anéantir en mémorisant, puis en reproduisant parfaitement, une mélodie de plus en plus longue. Chacune des deux parties de ce soft profitait d'une réalisation paufinée à l'extrême. Ainsi, le défilement du long tunnel de losanges, dont la vitesse et la qualité d'animation étaient tout bonnement prodigieuses, procuraient des sensations si étonnantes que l'on se surprenait souvent à se pencher véritablement dans les virages afin de pas sortir de la trajectoire.

Mais c'est surtout l'ambiance sonore qui marqua les esprits. En effet, la musique, qui occupait une place prépondérante dans ce jeu, ne discontinuait jamais et variait sans cesse en fonction des situations. Des transitions, habilement placées en début et fin des thèmes principaux, liaient l'ensemble et permettaient à ce soft de se distinguer aisément de tous les autres. Les musiques elles-même faisaient appel à des sons jamais entendus jusqu'alors, et créés de toute pièce par le processeur sonore du C64 -la fameuse machine à écrire, utilisée dans nombre de compositions de ce soft, doit rappeler un certain nombre de souvenirs à beaucoup d'entre vous. Les superbes mélodies enfin, dont les durées correpondaient parfaitement à la longueur des niveaux, parachevaient un tableau franchement mémorable.

Master of the Lamps

Puis vint Dieu. Ou plutôt Rob Hubbard -ce qui, pour beaucoup, était du pareil au même. Tout d'abord programmeur de jeux éducatifs au succès plus que limité, Rob Hubbard fit rapidement de la musique sur ordinateur sa spécialité après qu'un certain nombre de membres de la profession lui firent remarquer que la qualité de ses compositions dépassaient de loin la moyenne de ce qu'on entendait généralement sur C64. En quelques mois, Rob Hubbard passa de programmeur à musicien à temps complet, et le résultat ne se fit pas attendre. Lorsque Monty on the Run sortit sur les étalages anglais, un véritable vent de folie s'empara de l'archipel britannique : le nouveau titre de Gremlin Graphics, énième jeu de plate-forme mettant en scène la célèbre taupe Monty, se vendait comme des petits pains. La raison du phénomène: une bande son ravageuse qui donnait une nouvelle vie au C64, tout simplement.

Rob Hubbard

Très vite, Rob Hubbard passa du rang d'illustre inconnu à celui de star internationale. En créant un nouveau standard, celui-ci avait donné à la musique sur ordinateur ses lettres de noblesse: pour la première fois, de nombreux journalistes, pourtant habitués à considérer ce type de musique comme une série de sons incohérents et disgracieux, parlèrent de véritables compositions musicales. Le phénomène était tel que le célèbre et génial magazine d'outre-Manche dédié au C64, Zzap 64!, n'hésita pas une seule seconde en lançant un top 10 des meilleures bandes-son de la machine. A ce sujet, peu d'ordinateurs ou de consoles, même récents, peuvent s'enorgueillir de voir autant d'attention portée aux prodiges de leurs processeurs sonores; preuve que Rob Hubbard avait frappé un grand coup, et marqué les esprits à jamais.

Dès les premières notes, le style de Rob Hubbard était immédiatement reconnaissable. Il serait toutefois difficile de décrire la 'Hubbard-touch' parfaitement, tant la complexité de ses morceaux dépassait, à l'époque, l'entendement. On retiendra surtout le rythme souvent echevelé de ses compositions, ses mélodies envoutantes, et sa maestria à manier les sons sur simplement 3 voix. C'est sans aucun doute ce dernier point qui fit toute la différence, car là où de nombreux musiciens avaient du mal à se contenter d'un nombre de voix si limité, Rob Hubbard s'adapta parfaitement à cette limite technique. Ses morceaux, d'une étonnante richesse, donnaient fréquemment l'impression d'entendre cinq ou six voix alors même que seules 3, et pas une de plus, donnaient tout ce qu'elles avaient dans le ventre pour apporter cette profondeur qui, en 1985, manquaient à tant de morceaux. Il suffisait, par exemple, d'écouter le thème de Dragon's Lair, sorti chez Software Projects en 1986 et composé par un illustre inconnu; puis le même thème, repris dans Dragon's Lair 2 par Hubbard en 1987, pour s'en convaincre.

Dragon's Lair 1 et 2

En trois ans de travail acharné sur la bête de Commodore, Hubbard composa la bande-son d'environ 80 jeux, marquant par là-même la fin d'une époque : l'industrie du jeu vidéo, se professionalisant, rendit inévitable le travail d'équipe. Un jeu n'était plus le fruit d'une seule personne, mais en général de trois: un programmeur, un graphiste et un musicien. Et la seule présence d'Hubbard dans les crédits d'un titre, même mauvais, suffisait à le placer directement à la tête de tous les hits parades.

Pour exemple, l'adaptation de la borne d'arcade Commando (Elite, 1985), pourtant jugée très perfectible par tous les critiques de l'époque, se vendit extrêmement bien. Hubbard, en se chargeant de remanier le thème du hit de Capcom, prouva qu'il était aussi à l'aise dans les créations originales que dans les adaptations de mélodies déjà existantes. Appelé à la rescousse par Elite un matin, Hubbard n'eut besoin que d'un après-midi pour découvrir, reproduire et enfoncer trois mètres sous terre la bande originale du jeu.

Commando
  • Musique de Commando (SID) : Cliquez ici

C'est aussi en 1985 qu'il composa l'inquiétante bande son du fameux Master of Magic (M.A.D.) cité plus haut, mais aussi de The Last V8 (M.A.D.), un jeu de voiture dont la difficulté extrême empéchaient les premières parties de durer plus de 10 secondes montre en main; il travailla aussi sur la musique de Rasputin (Firebird), un bon jeu très Spectrum/Amstrad-esque en 3D isométrique monochrome, et de One Man and his Droid (Mastertronic), l'un de ses modules les plus connus en raison de l'utilisation massive de ce même module dans les phases de chargement de la gamme à petit prix Mastertronic.

Master of Magic et Rasputin
One Man and his Droid et The Last V8

1986 et Hubbard: année de la consécration

C'est en 1986 que le gros du travail d'Hubbard fut accompli. Avec des thèmes comme ceux du génial International Karate (System 3) ou du célèbre shoot'em up Sanxion (Thalamus), Hubbard assit définitivement sa réputation alors même que d'autres musiciens de renom, dont nous parlerons dans la deuxième partie de ce dossier, commencaient à faire parler d'eux. International Karate était tout simplement une copie du célèbre The Way of the Exploding Fist, la jouabilité en plus. Là où Fist péchait par sa relative lenteur et son manque de maniabilité, IK procurait un plaisir de jeu à toute épreuve grâce à une animation léchée et une ambiance sonore mélant bruitages et musique à tout casser. Sanxion, de son côté, marquait la naissance d'une société qui allait rapidement monter en puissance. En s'entourant des meilleures équipes de l'époque, Thalamus fut l'un des fleurons de l'industrie du jeu vidéo sur C64. En ce sens, Sanxion fut un bon départ pour la firme, puisque la musique de chargement de ce jeu fut longtemps, très longtemps considérée comme l'une des plus belles créations d'Hubbard; voire même la plus belle création musicale de l'histoire du C64 tout court.

International Karate et Sanxion

Mais l'année 86 ne serait rien sans le thème grandiose de Spellbound (M.A.D.), qui fut la suite plus ou moins déguisée du jeu de plate-forme moyenâgeux Finders Keepers (Mastertronic). Tout à fait dans le style chevaleresque de Master of Magic, le thème de Spellbound reste l'un de mes favoris. C'est également le cas de celui de Lightforce (FTL), shoot'em up vertical qui valait plus pour sa musique que pour le plaisir de jeu qu'il procurait. Bizarrement, cette création d'Hubbard n'eut pas que des admirateurs, certains l'ayant détesté purement et simplement.

Concluons cette année 1986 en citant Human Race (Mastertronic), jeu multi-épreuves plutôt amusant qui renfermait quelques joyaux musicaux retranscrivant à merveille les diverses époques traversées pendant toute la durée du jeu; et Knucklebuster (Melbourne House), jeu de plate-forme futuriste dont le thème principal, véritable morceau de bravoure, durait près de 17 minutes.

Spellbound et Lightforce
Human Race et Knucklebusters

1987 et Hubbard: année de la maturité

Hubbard avait tout fait, tout essayé, mais il lui restait une dernière étape : introduire dans ses morceaux des samples digitalisés dans le but avoué de donner un peu de sang neuf à ses compositions. Evidemment, la RAM du C64 étant ce qu'elle est, il ne fallait pas espérer utiliser des dizaines de samples. Mais, comme à son habitude, Hubbard sut se contenter du strict minimum. En digitalisant une guitare électrique et un vrai synthé, il mit une dernière baffe à la populace. Il n'y avait pas à dire : de vrais instruments, ça ajoutait un petit quelque chose qui manquait cruellement aux ordinateurs de l'époque. Dans ce domaine, la page d'introduction de Skate or Die d'Electronic Arts en fit tomber plus d'un de leurs chaises.

Alors que les ordinateurs 16-bits et leurs 512 Kos de RAM commençaient à prendre l'ascendant sur les 8-bits, cela faisait plaisir de voir que le C64 n'avait pas dit son dernier mot, bien au contraire. Un peu plus tôt, Arcade Classics, un petit jeu fort sympathique en multi-joueurs chez Firebird, fit grandement parler de lui puisque c'était le tout premier à introduire la fameuse guitare électrique d'Hubbard.

Skate or Die et Arcade Classics

Toutefois, toutes séduisantes qu'elles étaient, ces réalisations musicales 'nouvelle génération' ne firent pas oublier que le charme même du SID résidait dans ses sonorités si particulières. C'est ainsi que, sans aucune fioriture digitalisée, Hubbard composa encore quelques morceaux d'anthologie 100% SID comme le sublime thème d'ouverture de Delta (Thalamus) qui, à l'image de celui de Sanxion, fut considéré comme l'un des meilleurs morceaux jamais écrits pour le C64. Stavros Fasoulas, le programmeur responsable de ces deux hits de Thalamus, aura eu beaucoup de chance de profiter de deux des compositions d'Hubbard les plus appréciées.

C'est également en 1987 qu'Hubbard composa un formidable remix d'International Karate pour la sortie du sublime International Karate +, qui fut par la suite adapté sur de nombreuses autres plates-formes.

Monty on the Run

L'aventure du plus talentueux musicien du C64 ayant commencé avec Monty on the Run, l'ultime épisode mettant en scène Monty la taupe, Auf Wiedersehen Monty (Gremlin Graphics), marqua à quelques mois près la fin de celle-ci. Pour le coup, Hubbard s'associa a Ben Daglish, musicien alors attitré de Gremlin Graphics, pour composer l'un de ses derniers morceaux. Le résultat fut, là encore, ébouriffant. Il faut dire que Dalglish n'en était pas à son coup d'essai, et avait déjà à son actif un répertoire de hits particulièrement riche, dont le célébrissime The Last Ninja. Nous en reparlerons plus tard.

Delta et International Karate Plus

La boucle était bouclée: Hubbard prit congé de la machine 8-bits de Commodore début 1988, mais ne quittera ensuite jamais le monde du jeu vidéo. Il poursuivra ses aventures dans le monde merveilleux de la musique de jeu sur de nombreuses autres machines comme l'Amstrad CPC (aïe) et le Spectrum (re-aïe), l'Amiga, l'Atari ST, le PC et même la console Mega Drive, mais il ne rencontrera à aucun moment le succès qu'il avait connu sur C64- et qui avait fait de lui une véritable légende.

Bien évidemment, l'histoire de la musique de jeu sur ordinateur ne saurait se résumer à une seule personne. A côté de Rob Hubbard, de nombreux autres musiciens vinrent apporter leur touche personnelle au développement de ce nouvel 'art'. Loin de plagier bêtement le style unique du 'maître', chacun de ces nouveaux acteurs s'efforça de créer son propre style musical en poussant les limites du SID toujours plus loin. Le résultat de ces diverses expérimentations fut d'ailleurs, pour certains, si brillant que l'on retrouve encore de nos jours ces mêmes musiciens dans les crédits de nombreux jeux actuels.

Foyer indéniable de nombreux talents, le C64 ne cessa jamais d'inspirer des générations entières de musiciens. Galway, Huelsbeck, Maniacs of Noise, Whittaker, Follin, et beaucoup d'autres, ont tous débuté sur la machine de Commodore, et méritent, tout autant qu'Hubbard, qu'on s'intéresse à leur travail -ce qui sera chose faite dans la deuxième partie de ce dossier.

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