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Dragon Quest IV, V, VI - La Trilogie Zénithienne
Année : 1995
Système : SNES ...
Développeur : Heartbeat
Éditeur : Enix
Genre : RPG / Aventure / Stratégie
[voir détails]

Dragon Quest VI: Realms of Revelation (Doragon Kuesuto Shikkusu: Maboroshi no Daichi)
Super Famicom (1995) / Nintendo DS (2010) / Android, iOS (2015)

Si Dragon Quest V a tout du jeu de la première génération pour la Super Famicom, Dragon Quest VI est indubitablement un titre de sa fin de vie. Il fait effectivement partie de ces derniers grands jeux de rôle de la console, aux côtés des Chrono Trigger, des Seiken Densetsu 3 et des Super Robot Taisen Gaiden, bénéficiant des meilleures capacités de stockage de la console. On doit cette évolution frappante de design au changement de l'équipe de développement : alors qu'à présent seul Chunsoft travaillait sur la série, ce jeu et le suivant seront du chef d'Heartbeat, compagnie à présent éteinte. La comparaison entre ces deux épisodes en devient flagrante, et le soin apporté aux seuls éléments plastiques est impressionnant. Cela ne fut pas sans néfastes conséquences : non seulement le développement s'en trouva retardé d'une année, poursuivant ainsi une fâcheuse tendance inaugurée par Dragon Quest IV ; non seulement le prix de vente s'en trouva considérablement augmenté, au regard des standards du temps ; mais de plus, cela empêcha définitivement toute tentative de localisation américaine. Le projet fut envisagé un temps, sous le nom de « Dragon Warrior V », comme en une référence tordue à la numérotation fantasque des Final Fantasy ; mais la langue anglaise exigeant, sur la rom, plus de place que les symboles japonais, cela aurait démultiplié d'autant plus le poids de la cartouche de jeu, bien au-delà du raisonnable. De plus, en 1995, la Playstation avait déjà un an au Japon, elle s'apprêtait à envahir le monde ; le temps n'était plus à ça.
Si je regrette personnellement la façon dont l'histoire a goupillé les événements, et si mon amour adulte du jeu n'est sans doute qu'un millième de la force puérile qu'il aurait pu avoir dans un monde parallèle, force m'est de reconnaître le premier qu'il est un épisode moins important, ou moins influent dirons-nous, pour le média que les deux précédents. Les propositions qu'il fait, en termes de gameplay ou d'histoire, ne sont jamais que des variations d'idées antécédentes, vues dans la série ou dans d'autres ; et s'il fait les choses magistralement bien, à mon goût d'ailleurs mieux que Dragon Quest V, il apparaît davantage comme un exercice de style que comme une révolution. La trilogie zénithienne se termine donc, quelque part, en mi-teinte : on attendait une apothéose, l'on aura « juste » un chef d'œuvre, et l'un des J-RPG les mieux réussis de son temps.

Des villages ensoleillés et des créatures surnaturelles ? Yup, c'est bien Dragon Quest !

Restons d'ailleurs un instant sur les qualités graphiques et musicales de cet épisode, qui composent sans doute aucun ses plus grands atouts. Dès le commencement de l'aventure, les effets de lumière, de particules ou de rotation mettant à profit le fameux « Mode 7 » de la Super Famicom, en mettent plein les yeux. Les décors, intérieurs comme extérieurs, témoignent d'une chaleur qui transforme ces saynètes en d'authentiques peintures impressionistes, vibrantes de reflets diaprés et d'animations légères, l'herbe qui plie sous le vent, la flamme qui se tortille, les cheveux d'une femme qui tranquillement ondulent en marchant. Pour apprécier toute la beauté de cet épisode par ailleurs, je ne saurais vous encourager d'activer, sur l'émulateur ou le programme avec lequel vous jouerez, les scanlines : l'effet en devient saisissant et même sur un écran plat, comme celui sur lequel j'ai parcouru l'épisode, on ne peut qu'être saisi par le travail d'Hearbeat.
Ainsi, tous les ennemis à présent ont plusieurs étapes d'animation selon les attaques lancées, cruellement jolies ; les palais sous-marins transpirent d'une humidité moite, les montagnes célestes nous font vraiment voyager parmi les nuages et les oiseaux. Cela, associé cette fois-ci à un Akira Toriyama de très haute tenue qui mettait la dernière main à la publication de Dragon Ball, après presque dix ans d'un rythme effrené, fait de Dragon Quest VI l'épisode le plus abouti techniquement de la saga, et de loin, à ce moment de son histoire.

Si ces images sont déjà charmantes, il faut les voir en mouvement pour se rendre compte de leur qualité.

Notre histoire commence par une scène intrigante, montrant trois personnages, un jeune homme aux longs cheveux, une femme habillée d'une robe bleue et un grand gaillard peu accorte, envahir le château d'un démon appelé Mudo. Celui-ci leur tend un piège, et les fait comme disparaître, les pulvérise en poussière de diamants avant de rire sardoniquement. Ledit jeune homme, qui sera le Héros comme l'on peut s'en douter, se réveille alors : tout cela n'était qu'un rêve... Le doyen de son village l'envoie rapidement faire une course dans la grande ville, mais une suite d'événements le fera tomber, par accident, dans un précipe. Heureusement miraculé, après une chute incertaine, le voilà parcourir un univers ressemblant étrangement à son pays, mais bien différent pourtant ; et plus troublant encore, personne ne semble le voir ni l'entendre, comme s'il s'était changé en spectre...
L'histoire de Dragon Quest VI est sans doute la mieux maîtrisée de toutes celles de cette seconde trilogie, et elle parvient à mâtiner avec une certaine intelligence le fragmenté étrange de Dragon Quest IV avec la linéarité assurée de Dragon Quest V. D'un côté effectivement, le jeu se présente d'un seul tenant, sans faire varier particulièrement son point de vue : le héros restera le seul personnage jouable de cet épisode, et tous les événements finiront par dépendre exclusivement de son bon vouloir. De l'autre, tous les personnages que nous rencontrerons et qui prendront place dans la caravane auront un développement personnel, ce qui pouvait effectivement manquer au cinquième épisode, tout concentré était-il sur sa figure tutélaire.

Un prologue bien mystérieux, qui introduit magiquement l'aventure.

La deuxième grande qualité de l'histoire de ce jeu, c'est son ambition déraisonnée et sa démesure. L'univers à parcourir est effectivement le plus grand jamais entrevu de mémoire de Dragon Quest. Comme on le comprendra rapidement dans notre aventure, le principe fondamental du jeu se cheville autour du concept des « mondes parallèles », dans un esprit qui ne peut que faire rappeler aux grandes heures de A Link to the Past et qui inspirera d'ailleurs, et bien des années plus tard, Final Fantasy X. On explorera alors non seulement le monde « réel », mais également le « Pays des Songes », concrétisation des rêves de chacun et de chacune, Nadiria comme cela était attendu et même le fond des océans comme l'avait déjà proposé, plusieurs années auparavant, Final Fantasy III.
Autrement dit, c'est quatre cartes (quasi)complètes que le jeu nous demande d'explorer, avec son lot de donjons bonus, de cavernes secrètes, de quêtes secondaires permettant même de recruter des héros facultatifs, pour une aventure qui se fait bien, bien plus longue que les précédentes. Il est un regret cependant, de voir que ces environnements n'interagissent finalement que peu les uns avec les autres. Ne serait-ce, certains moments du jeu demandent, par exemple, à réveiller un personnage endormi pour modifier le Royaume des Songes : mais il s'agit de moments scriptés et non pas d'énigmes à proprement parler, au contraire dudit épisode de Zelda qui se faisait bien plus malin dans son approche. On gagnera alors à envisager ces différents lieux comme une sorte d'immense labyrinthe, l'idée étant de trouver un chemin de traverse dans telle ou telle zone pour atteindre une nouvelle place-forte. Cela, finalement, n'empâte que peu la dimension de cet univers organique, dont les liens demeurent sévèrement tissés : tout au plus, on prendra cela pour un acte manqué.

Des abysses impénétrables aux cieux à dos de Pégase, vous verrez du pays.

Là où, en revanche, Dragon Quest VI tire magistralement son épingle du jeu, c'est dans son gameplay puisque le système de classe fait son grand retour, et quel retour ! Assez rapidement dans l'aventure en effet, les personnages auront l'opportunité de développer des compétences appartenant à plusieurs grands métiers, repris pour beaucoup de Dragon Quest III, comme Combattant, Magicien, Prêtre, et ainsi de suite. Le système a cependant été considérablement amélioré. Tout d'abord, le changement de classe ne s'accompagne plus, comme précédemment, d'un retour au niveau 1, mais uniquement d'une reconfiguration des statistiques : la classe « Guerrier » augmente notablement les points de vie et l'attaque mais fait chuter les points de magie et la sagesse, la classe « Mage » fait diminuer les points de vie mais augmentent les points de magie, et ainsi de suite. Le degré de maîtrise des classes, qui connaît huit niveaux chacune, dépend du nombre de combats effectués, pour peu que les ennemis rencontrés soient d'un niveau plus ou moins similaire à celui des héros ; et bien entendu, chaque palier acquis s'accompagne de l'apprentissage définitif d'un sort ou d'une technique de combat. D'ores et déjà, le système est d'une grande plasticité et ce même s'il est des classes plus appropriées que d'autres pour les personnages, compte tenu de leurs statistiques initiales.
Mais surtout, maîtriser au moins deux classes complémentaires permet de débloquer des classes hybrides, d'un intérêt beaucoup plus grand : le Paladin, mélange de Guerrier et de Prêtre, sait à la fois soigner et frapper fort ; le Maître des Combats, entre le Guerrier et le Combattant, se fraie un passage dans les hordes ennemies à mains nues ; enfin, l'ultime classe « Héros » donne accès aux magies offensives les plus puissantes du jeu, tout en redonnant à son maître de la vie à la fin de chaque tour de combat. Le jeu propose même une classe « Maître des Bêtes », pour les nostalgiques de l'épisode précédent, qui permet de recruter certains monstres lors de l'aventure ; et avec un peu de chance, vous débloquerez même deux classes cachées, particulièrement intéressantes...

Du simple sort « Bang » au puissant « Megazap » que seul peut apprendre le Héros, les combinaisons sont nombreuses et stimulantes.

J'ai été absolument conquis par cette idée, et par la façon dont elle était menée. Elle enrichit fondamentalement le jeu, et permet à tous les membres de votre équipe d'avoir accès à de puissants sorts et à de puissantes techniques, indépendamment de leur identité, sans pour autant compromettre leur direction première et terrasser leurs particularités propres. Cela est d'autant mieux venu que chacun de ces personnages, comme dit précédemment, bénéficie d'un joli développement, que l'on prend plaisir à suivre et découvrir ; et comme on finit toujours par préférer telle ou telle figure, on peut toujours, moyennant un petit entraînement, les conserver dans son équipe première sans compromettre leur efficacité.
L'on aura, dans tous les cas, bien besoin de cela pour finir le jeu tant la difficulté de celui-ci, du début à la fin, est assez élevée. Même si le grinding n'est jamais véritablement nécessaire, exception peut-être pour l'ultime boss du jeu, Mortamor, on ne peut s'empêcher de terminer chaque rencontre déterminante sur les rotules tant les affrontements sont longs et complexes. Mais plus que jamais, la stratégie, l'anticipation, l'intelligence sera récompensée ; et comme, du reste, l'histoire en vaut la chandelle, multipliant les lieux étonnants et les révélations, on se plie très volontiers à cette difficulté enlevée, qui n'a cependant rien d'insurmontable.

Toute la partie dans le monde « réel », alors que nous ne sommes encore que des songes, est fort bien menée.

Reste néanmoins que ce récit est sans doute le point d'achoppement le plus fort entre les fanatiques de cet épisode, dont je fais partie, et les autres, qui préfèrent Dragon Quest V. Je persiste à dire, et je pense ne pas être de mauvaise foi ici, que ce que propose Dragon Quest VI, en termes de narration, de rebondissements, d'idées, il le fait magnifiquement bien ; mais de l'autre côté, force est de reconnaître qu'il lui manque sans doute de l'ambition dans le traitement de ses sujets. Pour le dire autrement, en 1995 et après cinq épisodes tous plus audacieux les uns que les autres, la série semble piétiner quelque peu, et ne propose rien de plus qu'un conte rondement mené mais qui sent malgré tout le réchauffé. De l'autre côté de la rue, Square proposait Final Fantasy VI, avec son récit choral d'une puissance dramatique sourde, une apocalypse inévitable, une théâtralisation bienvenue de son propos : il était le mouvement qu'attendait le genre, et le reste donnait l'impression d'une sorte de « J-RPG à la papa », aux grandes qualités certes, mais de plus en plus vieillissantes au moment même de sa sortie.
Et pourtant, malgré cette réserve des plus importantes, je persiste et signe, et préfère Dragon Quest VI à Dragon Quest V. La faute à quoi, la faute à des aspects techniques, et je plaide coupable ici, bien plus chatoyants ; la faute à une progression plus régulière, plus sereine, qui se déguste comme un excellent roman, à défaut d'être innovante dans son fond ou dans sa forme ; la faute à des personnages que j'ai trouvés bien plus attachants, même si leurs parcours individuels peuvent paraître, en comparaison, moins intéressants. À vous alors de décider : si vous préférez l'inventivité au reste, alors le cinquième épisode vous convaincra davantage ; mais si, à mon instar, vous préférez plutôt l'harmonie, même convenue, alors je vous recommanderai davantage celui-ci.

Des décors d'une profondeur impressionante au design choisi des ennemis, ce jeu est une bénédiction graphique.

Conclusions

Que retenir, alors, de cette « trilogie zénithienne » ? Eh bien, serais-je tenté de dire, tout, absolument tout. S'il m'a fallu parfois me faire souffrance dans ma découverte des premiers épisodes, ces trois-là sont au contraire des petits chefs d'œuvre et même s'ils trahissent parfois leur âge, leurs rides ne sont pas suffisamment profondes pour vous empêcher d'en profiter pleinement. Notamment, les améliorations progressives de l'interface, des graphismes et de la jouabilité, facilitent beaucoup l'accès à cette série dont les aspérités peuvent rebuter, à raison, les nouveaux venus.
Ce dernier point est à retenir : car autant les remakes sur Nintendo DS sont d'une très belle facture, et permettent de profiter de ces aventures dans de bonnes conditions tant ils se prêtent bien à des parties courtes et fragmentées, autant les originaux, y compris le quatrième épisode sur NES, sont particulièrement plaisants à parcourir. Les traductions amatrices en anglais, pour les épisodes Super Famicom, sont de plutôt bonne qualité et permettent de découvrir ces jeux dans leur plus proche intégrité ; et pour peu que vous vous octroyiez des sauvegardes d'état pour alléger la souffrance de certains donjons un peu longs, vous ne ressentirez pas le poids des années. Me concernant, je suis infiniment heureux de les avoir parcourus, et je n'ai alors qu'une seule idée en tête : trouver et me plonger dans les trois épisodes suivants, dont j'entends dire le plus grand bien.

À la prochaine !
MTF
(06 avril 2020)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Le Wiki des fans de la série (lien) est une mine d'or pour qui voudrait se plonger dans la saga.
- Une version française de ce projet (lien) est encore balbutiante, mais elle ne demande qu'à grandir !
- Le site DragonQuest-Fan (lien) est cependant l'un des sites les plus vieux, et les plus complets, en langue française.
- Pour des raisons pratiques, les images d'illustration sont issues des sites précédents. Les séquences de gameplay ont été tirées de "longplay" joués par "Valis77", sur la page Youtube "World of Longplays" (lien).
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