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Golden Oldies
Année : 1985
Système : Amiga, Apple II, Atari 8-bits, Atari ST, C64, Windows
Développeur : Software Country (Software Toolworks)
Éditeur : Software Country (Software Toolworks)
Genre : Aventure
Par Sebinjapan (08 octobre 2012)

En tant que rétrogamer, j'apprécie énormément ces compilations réunissant d'anciens jeux qui fleurissent régulièrement sur nos machines actuelles. Qu'il s'agisse d'émulation ou de re-créations, que la démarche soit purement commerciale ou s'inscrive dans une volonté de sauvegarder le patrimoine vidéo-ludique, j'y trouve souvent mon compte. "Maître Sega" nous a ainsi gratifié d'une belle brochette de classiques de l'arcade ou de jeux tournant sur ses anciennes consoles avec sa collection Sega Ages amorcée sur Saturn mais qui s'est réellement épanouie sur Playstation 2. Sur cette même bécane, on a pu savourer 20 ans de chef-d'oeuvres issus des salles enfumées avec les fameux Taito Memories (Taito Legends en Europe). Citons également les très (trop ?) nombreux volumes de la série Namco Museum, ou les sympathiques compilations Intellivision Lives ! qui permettent de re-découvrir la ludothèque de l'une des toutes premières consoles de jeu sur nos machines modernes.

Mais au fait... quelle est la toute première compilation de titres rétros à avoir été publiée ? Quels titres proposait-elle, et pourquoi ? Quel était son but ? Avait-elle un message à faire passer ? Nous allons tenter de répondre à toutes ces questions en nous penchant sur...

Golden Oldies

Selon les informations à notre disposition au moment où j'écris ces lignes, Golden Oldies édité par Software Country en 1985 est certainement, en occident en tout cas, la toute première compilation "rétro".
Le nom de l'éditeur/développeur vous est certainement plus familier en tant que Software Toolworks, patronyme qu'il adopte dès 1986 et sous lequel il produira quelques titres vraiment excellents comme l'une des références des jeux d'échecs The Chessmaster 2000, ou la passionnante simulation de chirurgien Life and Death (et sa suite) . On leur doit aussi, et c'est moins glorieux, quelques moutures occidentales des aventures du plus célèbre des plombiers avec les désormais oubliés Mario is Missing, Mario's Fun with Letters ou Mario's Time Machine.

"Life and Death" : un des jeux les plus originaux , prenants et difficiles auxquels j'ai pu jouer sur mon Amiga. Il faut diagnostiquer puis opérer des patients dans un hôpital. Et tout ça des années avant la série Trauma Center !
"Mario's Fun with Letters" : non mais franchement, est-ce que vous laisseriez vraiment un plombier italien qui dit "it's a me, Mario" apprendre l'anglais à vos enfants ?

Un point commun entre tous ces titres ? Du sérieux et de l'éducatif. Partant de ce constat, il n'est pas étonnant de trouver parmi les quatre jeux inclus dans Golden Oldies, deux softwares issus de prestigieuses universités (le fameux MIT aux Etats-Unis et Cambridge au Royaume-Uni) et un troisième dont la paternité revient à un programmeur oeuvrant sur les premiers réseaux informatiques. Il s'agit surtout dans ces trois cas de jeux qui ont marqué l'histoire du média, non pas par leur succès commercial et populaire, ayant été conçus et pratiqués bien loin des circuits de consommation auxquels a accès le grand public, mais par leur impact auprès de ceux qui allaient à leur tour concevoir les premiers "hits" des années 80.
La démarche de Software Country semble donc avant tout d'ordre historique, voire éducatif. Ce qui n'empêche pas le titre figurant en tête d'affiche de la compilation de constituer une attraction pouvant totalement justifier l'acquisition de l'ensemble auprès de n'importe quel joueur de l'époque, qu'il soit friand d'archéologie vidéo-ludique ou non ...

Jeu 1 : ADVENTURE

Adventure est un jeu d'aventure uniquement textuel également connu sous le nom de Colossal Cave. (screenshot Amiga)

Adventure est considéré comme le tout premier jeu d'aventure texte, ce genre majeur à l'aube des années 80 qui régale les utilisateurs de micro-ordinateurs. Ce précurseur a connu un grand "succès". Un terme qu'il faut relativiser : on ne parle pas de succès commercial ici, puisque lors de sa mise à disposition en 1977, le jeu ne tourne que sur les fameux ordinateurs PDP-10 (ceux là même qui ont accueilli Spacewar), des machines destinées à la recherche et aux universitaires.
Il n'empêche que ce jeu programmé tout d'abord par l'américain Will Crowther un an plus tôt pour un usage privé et familial, puis amélioré par son compatriote Don Woods, a eu une influence considérable sur le monde des jeux micros, un monde encore caché du grand public à la fin des années 70.

Pour tout savoir sur ce vénérable ancêtre, je vous recommande de lire l'article de Grospixels qui lui est entièrement consacré.
Bien entendu, la version contenue dans Golden Oldies n'affiche aucun graphisme, comme l'original, mais elle dispose de tous les mêmes événements, textes, et énigmes, et possibilités d'interaction par l'intermédiaire de l'analyseur syntaxique.

Adventure va entraîner l'émergence de nombreux classiques, comme la série Zork d'Infocom qui brille alors par sa qualité d'écriture et son contenu démesuré. À noter que lorsque Golden Oldies est édité, le genre de l'aventure texte, ou de la fiction interactive comme on l'appelle aussi, connaît encore un grand succès, non seulement auprès des fans de la première heure qui continuent à s'adonner aux dernières productions d'Infocom, toujours dénuées de graphismes, mais aussi auprès d'un plus vaste public qui se plonge avec passion dans la seconde génération de ces jeux, avec par exemple les productions superbement illustrées de l'éditeur Magnetic Scrolls, telles que The Pawn.

Sorti en 1986, Zork Trilogy regroupe les trois premiers épisodes de la saga mais ne propose toujours aucun graphisme.
Toujours en 1986, The Pawn se distingue à la fois pour son aventure de qualité mais aussi ses excellents écrans illustrés.

Ce qui a constitué l'attrait principal de tous ces jeux, à commencer par Adventure donc, c'est qu'ils permettaient de dialoguer le plus naturellement du monde avec l'ordinateur afin de lui indiquer, en anglais, les actions à accomplir, en tapant des phrases telles que "go west" (va vers l'ouest) ou "take key" (prends la clé), tandis que la machine répondait avec de longues descriptions des conséquences de nos actes. C'est ce que ne permettaient pas d'autres jeux primitifs antérieurs à Adventure comme Hunt the Wumpus, un autre précurseur de l'aventure texte datant de 1972 dans lequel la façon d'entrer les commandes était peu naturelle.
Et Golden Oldies nous permet justement de découvrir comment cette forme d'interaction spontanée avec la machine est née...

Jeu 2 : ELIZA

Sebinjapan parle de ses problèmes d'addiction à Eliza... (screenshot Amiga)

La compilation nous entraîne cette fois en 1966 (!) pour jouer avec une certaine Eliza (saute moi au cou !).
En fait, Eliza est un programme destiné à "simuler" une intelligence artificielle qu'on doit au scientifique américain Joseph Weizenbaum. Son oeuvre interactive a pour but de reproduire le comportement d'un "psy" à qui on confie ses tracas par l'intermédiaire du clavier d'un ordinateur. Le plus naturellement du monde, et tel qu'on s'adresserait à un vrai thérapeute, l'utilisateur va ainsi taper des phrases complètes telles que "je déteste mes parents" ou "tous les hommes sont des salauds", et l'ordinateur va en retour lui aussi s'exprimer avec des phrases cohérentes et plus ou moins adaptées à la situation comme "parlez-moi de votre famille" dans le premier cas, ou bien "avez-vous un exemple spécifique ?" dans le second.
Ainsi, Eliza fonctionne avec des scripts et, en reconnaissant certains mots et constructions grammaticales, va répondre avec des expressions prédéfinies, souvent des questions, incluant des mots utilisés par le "joueur". Si rien dans la phrase de l'utilisateur ne renvoie à une correspondance au sein du programme, Eliza va répondre avec une formule passe-partout telle que "Dites m'en plus", ou "Etes-vous sûr de ça ?".

C'était tellement bien fichu (pour l'époque, hein) et constituait une telle nouveauté (dialoguer avec une machine) que de nombreux utilisateurs ont été fascinés par Eliza et lui ont confié tous leurs secrets !
Eliza est également la source d'anecdotes fameuses comme celle où un chercheur trouve un terminal allumé et pense qu'il sert à communiquer à distance avec l'un de ses collaborateurs : il commence alors à dialoguer avec ce dernier... enfin c'est ce qu'il croit, en fait c'est Eliza qui lui répond ! Vous pouvez lire quelques unes de ces conversations surréalistes sur cette page qui inclue également des dialogues avec d'autres intelligences artificielles.

Golden Oldies nous propose donc à notre tour de consulter Eliza, et ainsi de retourner aux sources de ce qui deviendra ensuite l'analyseur syntaxique, la pierre angulaire de tous les meilleurs jeux d'aventure texte. C'est d'ailleurs en s'essayant à ce programme que Will Crowther, l'auteur de Adventure, implémentera ce système d'interaction dans son jeu, car il cherchait un moyen simple et naturel pour le faire pratiquer à ses deux filles, alors jeunes et inexpérimentées dans l'usage des ordinateurs.

Pour l'anecdote, sachez qu'en 1985, l'éditeur Mindscape a sorti un "jeu" qui permet lui aussi de dialoguer avec une intelligence artificielle, exactement de la même façon que cette version d'Eliza. Il s'agit de Racter. Ce soft, disponible sur Apple 2, Macintosh, PC (MS-Dos) et Amiga, avait auparavant fait parler de lui en étant l'auteur (!) d'un livre rempli entièrement par sa prose, produite par une génération plus ou moins aléatoire de phrases diverses. Le titre du livre ? The Policeman's Beard is Half Constructed (La Barbe du Policier est à demi construite). Tout un programme... À noter que les textes produite par la version Amiga de Racter étaient lus à haute voix par la synthèse vocale que maîtrisait assez bien la machine de Commodore : la classe !

Jeu 3 : LIFE

À partir d'une configuration de départ assez épurée (à gauche), Life déclenche des animations dignes d'une "mégademo" ! (à droite) (screenshots Amiga)

Le troisième jeu inclus sur Golden Oldies date de 1970, année où le mathématicien anglais John Orton Conway crée "Life" ou "The Game of Life", qui n'est en fait pas vraiment un jeu, mais un "automate cellulaire" (merci wikipedia). C'est à dire un ensemble de règles théoriques qui servent à définir l'évolution d'une communauté de cellules disposées sur une grille (imaginez un plateau de jeu de go) et qui peuvent être vivantes ou mortes. Le destin de ces cellules est gouverné par trois règles très simples.
Ainsi, si une cellule vivante est en contact (horizontalement, verticalement ou en diagonale) avec moins de 2 autres cellules, ou plus de 3 autres cellules, alors elle meurt. Sinon (au contact avec exactement 2 ou 3 cellules) elle reste vivante. Et si une cellule morte est en contact avec très exactement 3 cellules, alors elle revit.

On peut donc simuler des réactions en chaîne avec simplement un crayon, une gomme et une feuille quadrillée, ou bien sur un plateau de go, par exemple, en utilisant les pions noirs pour les cellules vivantes et les blancs pour les mortes (ou l'inverse), à partir d'une configuration de départ donnée, et en suivant scrupuleusement ces règles très simples. On se retrouve alors à composer des motifs plus ou moins complexes et parfois totalement imprévisibles.
Bien plus pratique qu'un plateau de go cependant, l'écran d'un ordinateur a très vite été mis à contribution pour simuler le comportement des cellules défini par le "Game of Life" de Conway. D'abord sur les gros ordis des chercheurs et universitaires, puis sur les micro-ordinateurs qui envahissent les foyers dans les années 80. Le jeu de la vie est en effet un des programmes en BASIC les plus populaires de tous les temps, et nombreux sont ceux ayant étudié ce langage de programmation très ludique qui l'ont tapé sur leur clavier.
Le résultat à l'écran est fascinant : on entre les coordonnées de départ de plusieurs cellules vivantes (toutes les autres étant considérées comme "mortes"), on définit le nombre de "tours" pendant lesquels l'évolution va avoir lieu, et on observe alors l'apparition et la disparition de pixels, ou autres caractères graphiques ou non-graphiques, qui forment des images géométriques, et même parfois des animations montrant des objets se déplacer.

Voici deux images animées issues de la page wikipedia anglaise consacrée à Life et qui montrent bien le genre d'animations très cool qu'entraînent les règles simples définies par Conway.

Fascinant et hypnotique, Life développe donc bien un réel intérêt ludique en dépit de son interactivité quasi-nulle (certaines variantes comme celles introduisant la possibilité pour deux joueurs humains de s'affronter en modifiant la position de certaines cellules entre deux "tours" et en tentant d'obtenir plus de cellules vivantes que l'autre existent, mais ne sont pas incluses dans Golden Oldies).
De plus, son influence auprès de quelques grands créateurs de jeux fut conséquente. Will Wright, le créateur de Sim City, fut fasciné par le fait que des règles aussi simples puissent aboutir à des comportements aussi complexes : un concept qu'on retrouve dans toute son oeuvre vidéo-ludique. Citons, parmi d'autres créateurs inspirés par Life, Peter Molyneux (l'auteur de Populous) ou encore Jonathan Blow (Braid).

Jeu 4 : PONG

Images de Pong en version originale (à gauche) et dans son remake en couleur qui exploite à fond les capacités graphiques de l'Amiga (à droite). Si si.

Oui, c'est bien le fameux Pong de Nolan Bushnell et Al Alcorn, sorti dans les salles d'arcade en 1972, qui vient compléter cette compilation. Ce jeu dans lequel deux joueurs se renvoient une "balle" avec deux "raquettes" placées sur les cotés de l'écran est en fait basé sur un des jeux inclus dans l'Odyssey de Magnavox, la toute première console de jeux, mais le succès de cette dernière fut relativement discret alors que Pong devint un véritable phénomène de société aux Etats-Unis et permit de placer sur le devant de la scène la mythique société Atari.
La version incluse dans Golden Oldies, fidèle à la borne d'arcade légendaire, est accompagnée d'un "remake" en couleurs particulièrement paresseux qui n'apporte pas grand chose il faut dire...

Cet ajout peut surprendre et vient en quelque sorte rompre la thématique de la compilation, puisqu'on a là un vrai jeu commercial bien connu du grand public. Un jeu culte qui est systématiquement cité comme l'un des pères fondateurs, voire (à tort) comme LE géniteur de toute la grande famille des jeux vidéo.

Mais il s'agit peut-être d'une volonté des auteurs de Golden Oldies de placer au même niveau que Pong les moins connus Life, Eliza et Adventure, de leur donner une importance similaire dans l'histoire du média. Et de faire en sorte que les nombreux ouvrages dédiés à l'histoire des jeux-vidéos, qui sortiront encore des dizaines d'années après la publication de Golden Oldies, puissent bien traiter, ou au moins mentionner, ces trois jeux moins connus dans leurs pages.
...
Bon, sur ce dernier point, c'est pas gagné ! Heureusement que Grospixels est là pour placer une piqûre de rappel !

Sebinjapan
(08 octobre 2012)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Moby Games
- Le livre "Replay : The History of Video Games" dont l'auteur n'a pas oublié Eliza, Life et Adventure !
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