Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
Close Combat - la série
Année : 1996
Système : Mac, Windows
Développeur : Atomic Games
Éditeur : SSi & Microsoft
Genre : Stratégie / Action

Petite interruption à propos de la Seconde Guerre Mondiale et des jeux vidéo :

Les trois séries d’Atomic Games se concentrent exclusivement sur les opérations militaires de la Seconde Guerre Mondiale sans aborder les autres aspects de cette guerre, en particulier les aspects idéologiques et génocidaires. Cette particularité de beaucoup de jeux vidéo a déjà posé débat sur Grospixels et son forum à propos du test de Panzer General par Marc G., je me permets de revenir ici sur cette question.

Les jeux de stratégie pour « hard-core gamers », continuateurs des jeux de plateau sur micro-ordinateurs, se sont toujours focalisés sur trois périodes : la Seconde Guerre Mondiale, la Guerre de Sécession et les Guerres Napoléoniennes ; plus rarement sur les guerres de l’Antiquité grecque et romaine. Les raisons de ces choix sont intéressantes à analyser quant à la question de l’aspect moral des jeux vidéo : il s’agit de conflits équilibrés dans lesquels chaque camp eut l’occasion de l’emporter, comportant de nombreux retournements de situation, où la stratégie compta autant que l’économie et l’industrie, très connus du public (du moins aux États-Unis, patrie des jeux de stratégie)... Si chacune de ces guerres comporte un fondement idéologique fort, seule la Seconde Guerre Mondiale choque d’instinct tout joueur, par l’anti-humanisme radical dont firent preuve les Nazis mais aussi les Soviétiques et même certains Alliés occidentaux.

Dans ces conditions, associer loisir et un tel cadre peut choquer, comme j’étais choqué quelques paragraphes plus haut de voir ce loisir détourné par l’armée. La question du lien entre la violence guerrière et le jeu vidéo doit être posée, pour tous les jeux et en particulier les wargames, comme j’ai essayé de l’aborder dans un Grodito, il ne faut pas s’aveugler non plus sur ce que sont les wargames. Descendants des échecs, ils visent avant tout à la réflexion stratégique dans le cadre d’une détente à caractère historique puisque souvent destinée à un public âgé et connaisseur. En douze années de jeu de stratégie, de forums, de magazines spécialisés et de discussion, je n’ai jamais rencontré d’idéologue nauséabond ou de fanatique suspect mais au contraire des passionnés d’Histoire et des joueurs fair-play quoique féroces sur le champ de bataille virtuel. Le seul reproche que j’adresserais à ce milieu, et à moi-même d’ailleurs, tient en une fascination parfois morbide pour les armes et la chose militaire.

Au final, Close Combat, s’il entretient de délicates relations avec l’armée, ne peut certainement pas être considéré comme une apologie de la guerre. Fondée sur le moral des soldats et l’identification du joueur à ses troupes, la série rappelle le prix humain à payer pour chaque action militaire.

Close Combat : Dans l’enfer des combats

Le choc next-gen : Close Combat IV (détail) contre Call of Duty 3 (Activision, 2006) sur Wii !

Close Combat entre dans la catégorie des STR mais, comme dit plus haut, il se différencie assez radicalement des autres jeux du genre. Tout d’abord, il propose une vue aérienne du dessus à la place de la 3D isométrique des autres STR. Ensuite, fait plutôt rare en 1996, il ne propose aucune ressource à gérer, tout au plus les épisodes IV et V amèneront-ils la possibilité de renforts accrus grâce au contrôle de certaines villes sur la carte stratégique (à différencier des cartes tactiques sur lesquelles se déroulent les combats). Enfin, conséquence presque logique du point précédent, pas de construction d’unités mais uniquement un nombre d’unités disponibles au départ de la campagne ou de l’opération avec une possibilité de renforts à la fin des missions selon vos résultats ou les paramètres historiques de l’épisode. Au final, il est envisageable d’abandonner l’expression STR pour le terme de « real time wargaming » (wargame en temps réel) proposé par un journaliste d’IGN. Mais l’histoire vidéoludique compte déjà tellement de ce genre de catégorisations souvent creuses ou marquées du sceau du marketing. Voilà pour la présentation à contrario, rentrons plutôt dans le vif du sujet !

Close Combat IV (détail) : Deux soldats d’une unité américaine, épuisés et démoralisés suite à la destruction de leurs blindés, se rendent à une unité d’élite allemande. Néanmoins, le dernier soldat américain encore vaillant se cache et détruira un intrépide blindé ennemi quelques minutes plus tard.
Close Combat V (détail) : Exposé pendant un quart d’heure aux bombardements et aux tirs de mitrailleuses alliés, le soldat Kolenda devient fou (état moral en « berserker ») et se rue vers l’ennemi pour le tuer à coups de couteau (état moral en « fanatic »).

Close Combat propose donc de rejouer diverses campagnes de la Seconde Guerre Mondiale à travers le rôle d’un commandant d’une ou plusieurs petites compagnies (entre 40 et 80 soldats) selon l’épisode. Chaque épisode se concentre sur une opération en particulier (bataille de Normandie, bataille des Ardennes, l’opération Market-Garden), à l’exception de l’épisode III qui couvre toute la guerre en Europe de l’Est, afin de vous faire vous faire suivre le même groupe de soldats. Il s’agit de prendre le contrôle de cartes tactiques, en éliminant vos adversaires ou en les forçant à se rendre, de manière à progresser sur la carte stratégique générale. Voilà pour la présentation digne d’un manuel mais le véritable cœur de Close Combat réside ailleurs, dans le caractère des soldats. Tout a été fait pour que le joueur ne dirige pas des pions mais des êtres humains en situation de combat. Les ordres que vous leur donnez ne sont donc jamais appliqués tels quels car les soldats sont influencés par de nombreux paramètres : fatigue, blessure, proximité des officiers, quantité de munition encore disponible, nombre de morts ou de blessés dans l’unité, bataille s’orientant vers une victoire ou une défaite, et plus que tout le reste, le moral (cohésion de l’unité, moral et attitude face à l’ennemi).

Close Combat III (détails) : Le système de commande se réduit à six ordres, identifiés chacun à une couleur pour plus de clarté et d’efficacité. Si le jeu est entièrement utilisable à la souris, les raccourcis clavier pour les ordres facilitent grandement les commandes.

Car à Close Combat, vous ne commandez pas vos unités comme dans un autre STR mais vous leur donnez des ordres auxquels elles réagissent. Si vous leur demandez de rejoindre un talus en courant mais que celui-ci est balayé par une mitrailleuse ennemie, vos soldats tenteront le déplacement en rampant, voire refuseront de bouger ou prendront la fuite ! Cette gestion du moral constitue l’une des caractéristiques identitaires les plus fortes et certainement la plus innovante pour un STR, encore aujourd’hui. Pour autant, le joueur n’est pas dépourvu de moyens ou ne se retrouve pas face à un Sims-like où les personnages agissent comme ils le désirent ou presque. S’il n’est pas rare lors des premières parties de perdre les 2/3 de ses troupes, l’on comprend vite comment placer ses soldats, surtout comment les déplacer à l’abri ou sous la protection de tirs de couverture (bases du gameplay de la série Brothers in Arms), quelles sont les caractéristiques propres de chaque type d’unité... Car si Close Combat se concentre sur le ressenti des soldats, vous ne les dirigerez jamais individuellement mais toujours par unité (le plus souvent des pelotons de 4 à 8 hommes).

Close Combat III (détail) : Après que mes soldats ont pris le contrôle du bunker surplombant la vallée, j’envoie le peloton de commandement pour augmenter le moral de mes troupes avant un nouvel assaut. Un tir de mitrailleuse fuse d’un groupe ennemi que je croyais terrassé et fauche mon incarnation dans le jeu !

Cette gestion du moral associée au faible nombre de soldats dirigés simultanément ou tout au long de la campagne ainsi que leur progression qualitative (l’expérience améliore leurs caractéristiques) crée un véritable lien entre le joueur et ses soldats. Il m’est arrivé de ne pas envoyer mon unité de choc d’élite en première ligne lors d’un combat particulièrement rugueux de peur de perdre les seuls combattants qui m’accompagnaient depuis le début. Tout comme, lorsqu’un groupe de combattants se retrouve bloqué sous les tirs ennemis, les cris déchirants de vos soldats blessés ou en train de paniquer touchent véritablement le joueur, au-delà de la perte numérique occasionnée. Le magazine Cyberstratège première formule (1997-2000), grand fan de la série, suggérait d’ailleurs de modifier le fichier des noms pour y inclure vos amis, de manière à plus encore vous impliquer émotionnellement dans les ordres donnés et leurs conséquences. Je peux vous assurer que l’on réfléchit à deux fois avant de s’envoyer prendre d’assaut un fortin, que l’on ressent un choc lorsque son groupe d’amis vient d’être balayé par une salve d’obus et que l’on verse même une larme pour son contrôleur d’impôt écrasé par un char ennemi. En cela, notamment, on ne peut taxer Close Combat de jeu belliciste, parce qu’il montre, au contraire de nombre de STR ou FPS grand public, les conséquences des actions du joueur.

Ces deux pages, extraites du manuel de Close Combat III, présentent l’organisation typiques des informations : en blanc les mécanismes de jeu, la présentation d’un général et une citation de l’un des protagonistes du conflit tandis que la page suivante présente l’une des armes disponible durant le jeu ainsi qu’une photographie d’époque. Le dernier chapitre du manuel est toujours dédié à la présentation historique de l’opération présentée dans l’épisode.

Cela se traduit notamment à travers une grande rigueur historique et tactique : la quasi-totalité du matériel de l’époque a été modélisé, c’est-à-dire représenté mais surtout reproduit dans ses effets et caractéristiques. Un obus frappant de biais un tank peut blesser ou tuer le commandant ou le canonnier sans affecter le reste de l’équipage, qui pourra tenter de continuer le combat ou abandonner le véhicule ! La forte différenciation des unités vous pousse à envisager stratégiquement toute action : la majorité des soldats refuseront d’attaquer un tank de front sans arme anti-char, les tanks dominent les cartes ouvertes mais doivent éviter les rues propices aux embuscades de grenadiers cachés, les snipers sont idéaux pour semer la panique chez l’ennemi en abattant les officiers, une mitrailleuse lourde en hauteur associée à un canon anti-char contrôle potentiellement la carte mais sera massacrée au corps à corps par une unité d’assaut... Ajoutez à cela les différents paramètres auxquels sont soumis les soldats virtuels et vous obtiendrez une variété énorme de situations : une unité dont la moitié des hommes est blessée et l’autre moitié épuisée d’avoir traversé la carte en courant perdra énormément de sa précision sans compter qu’elle fuira certainement si vos ennemis vous tirent dessus sans que vous les ayez repérés précisément et qu’ils bénéficient d’un relief favorable... Les manuels et les tutoriels ne demeurent pas en reste en terme d’historicité. Ils offrent tous une mine d’informations historiques (les campagnes concernées, le déroulement réel des opérations tout comme le coût humain militaire et civil, le matériel utilisé, les unités engagées, des citations d'intervenants majeurs comme de simples soldats...) superbement mises en page et illustrées. Replacements Docs les proposent d’ailleurs sur son site.

Tutorial de Close Combat I. Chaque épisode comporte un tutorial très complet sur tous les aspects du jeu. On remarquera au passage que le jeu tourne comme une fenêtre Windows, procédé courant à l’époque.

Résulte de tout cela un jeu prudent et demandant pas mal d’anticipation. La disposition des troupes se révèle crucial, particulièrement pour la défense, et l’avance pour l’attaquant se fait par étapes, lentement. La mortalité souvent immédiate des dégâts et le risque d’annihilation de toute unité trop exposée poussent à la précaution. Les esprits chagrins reprocheront à la série un rythme lent et une attente des premiers coups de feu parfois longue. Outre qu’il ne faut jamais écouter les esprits chagrins, Close Combat vise un certain réalisme et favorise bien sûr par ce type de gameplay les stratèges et autres tacticiens. Mais surtout, le temps est paramétrable de manière à accélérer les moments les plus calmes ou les grands déplacements, voire ralentir les affrontements les plus intenses. Mes débuts se déroulèrent souvent dans la vitesse la plus lente, rapprochant le jeu du tour par tour. Sans compter que les principales caractéristiques du jeu sont paramétrables (conditions de victoire, munitions limitées ou pas, ennemis toujours visibles ou brouillard de guerre, désactivation des caractéristiques morales...) ce qui permet aux débutants d’approcher le jeu en douceur en apprivoisant progressivement ses différentes caractéristiques.

Extrait du manuel de Close Combat II présentant l’interface du jeu. Si celle-ci diffère graphiquement d’un épisode à l’autre, elle demeura globalement identique tout au long de la série.

Pour aider le débutant et permettre au joueur aguerri une utilisation confortable, l’interface a été l’objet de tous les soins, admirablement pensée dès Close Combat I et s’améliorant même au cours des trois premiers épisodes. Avec trois types de déplacement (course, au pas et en rampant), trois types de tir (direct, en cloche pour les mortiers et de fumigène) ainsi que deux types d’attitude (en défense ou en embuscade), les commandes de Close Combat ne vous assommeront pas de leur nombre. Pour autant, un système tout simple de couleurs et de lignes de tir vous indique une foule d’informations : adversaire à portée, dans la ligne de mire, probabilité de tir au but... Comme écrit ci-dessus, le jeu propose un grand nombre de paramètres à prendre en compte pour agir correctement et commencer à voir des résultats de vos interventions. Mais le jeu dispose de suffisamment de souplesse pour permettre de rapidement s’amuser et de progresser contre l’I.A. sans tout parfaitement maîtriser. Surtout, ce grand nombre de variables permet surtout un contrôle très fin du jeu et un plaisir énorme une fois ceux-ci bien en main : je vous assure que l’on oublie pas sa première victoire à Close Combat! Tout comme on exulte après avoir terrassé une section de panzers avec une troupe d’infanterie anti-char ! Au final, Close Combat gère un nombre énorme de paramètres et offre ainsi un éventail de possibilités tout aussi grand. Du tir de couverture à la retraite progressive, de l’embuscade à la chasse au tank, de la défense à tout prix à la marée humaine, du berserker au soldat terrorisé...

Close Combat V : La bataille pour La Haye du Puits, dernière ville aux mains des Allemands, a ravagé le centre qui subit son sixième assaut en trois jours. Les affrontements urbains donnent souvent lieu à des combats acharnés, particulièrement quand ils opposent des unités d’élite comme ici.

S’il est habituel pour les jeux de stratégie de placer les graphismes au second plan, la série Close Combat se distingue tout de même par sa qualité technique et esthétique. Non pas qu’elle offre des atours bluffant mais elle dispose d’une ambiance très élaborée et marquante. Tout d’abord par un travail sur le son extraordinaire : c’est bien simple, toutes les armes possèdent leur propre bruitage et la combinaison des explosions, des cris, des tirs, des pleurs (!), des apostrophes en anglais/russe/allemand/polonais... installe une ambiance semblable à nulle autre. Si Close Combat en impose peu graphiquement, il dispose d’une bande-son de blockbuster ! Les graphismes justement mettent aussi en place l’ambiance : le champs de bataille se couvre progressivement de morts et de blessés, de carcasses de véhicules en feu, de trous d’obus, de bâtiments ravagés ou en feu eux aussi... Lorsque l’on se bat de manière répétée sur la même carte, comme cela arrive souvent dans plusieurs épisodes de la série, une impression d’apocalypse se dégage de l’accumulation de ces détails graphiques. Tout cela dénote du soin méticuleux, à défaut d’être toujours spectaculaire, apporté à la série. Ce soin se retrouve jusque dans les écrans d’installation, très travaillés et posant tout de suite l’ambiance, jusqu’à la musique qui les accompagne. Cet aspect, très caractéristique de la série dans le milieu des wargames souvent peu esthétiques en raison de trop petites équipes pour peaufiner les jeux, illustrera par la suite la sclérose de la série, incapable de changer de moteur graphique (les épisodes IV et V reprennent à l’identique celui de l’épisode III), de passer à la 3D ou de produire de nouvelles idées aussi originales que les illustrations d’installation. La technique n’est pourtant pas exempte de reproches. Si la série a été initiée par un travail sur l’I.A., celle-ci peut se montrer erratique, notamment quant au pathfinding, ou encore pour (mal) percevoir les enjeux stratégiques de la carte (points clefs, carrefours dangereux...). Rien d’énervant ou de scandaleux, le jeu demeure très soigné à cet égard mais l’adversaire informatique se montre peu talentueux en attaque lorsqu’il ne possède pas d’avantage flagrant (tanks lorsque le défenseur dispose de peu de moyens anti-chars par exemple). Le jeu solo pousse donc à jouer l’attaquant et les combats prennent toute leur ampleur en multijoueurs.

Un avis sur l'article ? Une expérience à partager ? Cliquez ici pour réagir sur le forum
(21 réactions)