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Comix Zone
Année : 1995
Système : Megadrive ...
Développeur : Sega
Éditeur : Sega
Genre : Beat'em all
Par Jika (11 juillet 2005)

Imaginez. Imaginez que Stan Lee, l’illustre auteur de comics, père des X-men, de Spider-man ou de Hulk, soit "aspiré" dans sa propre bande dessinée, comme s’il était happé par cet univers qu’il a lui-même façonné de toutes pièces. Imaginez ce même Stan Lee plongé dans le New York fantaisiste dans lequel sévit l’homme-araignée. Enfin, pour pimenter le tout, représentez vous ce malheureux dessinateur traqué par les vilains qu’il a lui-même créés, défendant tant bien que mal sa peau contre le Bouffon Vert ou le Docteur Octopus. Situation cocasse, certes, mais bien embarrassante, reconnaissons-le... C’est pourtant ce qui est arrivé à Sketch Turner, auteur de comics de son état...

Dessin (trop) animé

Un soir d’orage, un jeune dessinateur new-yorkais est penché sur sa planche à dessin, concentré sur son travail. La nuit est tombée sur Big Apple, plongeant la ville qui ne dort jamais dans un silence inhabituel : la seule compagnie de Sketch Turner lorsqu’il couche sur le papier les prochaines planches de son comics est celle de son rat Roadkill. De ses mains habiles, Sketch façonne un nouvel épisode de sa BD, épisode durant lequel l’ignoble Mortus fera encore parler de lui. Soudain, une main surgit de la feuille de papier sur laquelle Sketch œuvrait et saisit alors l’illustrateur à la gorge. Cette main, c’est celle de Mortus, la création de Sketch : s’extirpant de la planche de BD, Mortus en profite alors pour projeter Sketch dans le comics. Les rôles sont alors inversés : Mortus, qui n’était qu’un simple dessin auparavant, est alors aux commandes de la BD, et c’est à Sketch, épaulé par son inséparable compagnon Roadkill, de vivre les aventures que le vilain qu’il a créé a spécialement préparé pour lui.

Sketch plongé dans sa BD, Mortus aux commandes... A vous d’intervenir !

Voilà le point de départ d’un des joyaux de la Megadrive de Sega. Un des jeux les plus aboutis de la machine, tant en termes de réalisation qu’en termes de gameplay. Sorti lors de l’été 1995 en France, Comix Zone est l’un des beat them all les plus innovants et plaisants que la 16-bits ait connu. Déjà repéré lors du CES 95 de Chicago pour son originalité, ce soft fut unanimement salué par la critique. Malheureusement, arrivant à la fin de vie commerciale de la machine de Maître Sega, le jeu fut injustement éclipsé par la sortie prochaine des PlayStation et Saturn. Dix ans après sa commercialisation, Grospixels vous propose de découvrir ou de redécouvrir le magnifique Comix Zone.

J’en pleurerais presque, tiens...

Des jeux et des hommes

Derrière chaque soft se cachent des hommes et des femmes dissimulés dans l’ombre du jeu vidéo, ce média si puissant mais, hélas, encore trop peu enclin à donner aux gens œuvrant dans ce domaine la reconnaissance qu’ils méritent. Les géniteurs de Comix Zone sont deux hommes méconnus du grand public malgré la qualité de leurs travaux dans le jeu vidéo. Le premier est Peter Morawiec, game designer et graphiste de son état. Le second se nomme Adrian Stephens et opère dans le domaine de la programmation. Ces noms ne vous disent probablement rien, mais sachez que vous avez sûrement joué à un ou plusieurs de leurs jeux. Débutant leur carrière au sein de Sega of America, les deux hommes sont au générique de Sonic the Hedgehog 2, de Sonic Spinball et de Comix Zone, ces trois titres étant des jeux destinés à la Megadrive. Quittant par la suite la firme au hérisson bleu, ils travailleront dans un premier temps pour Activision sur Interstate 76. Peter Morawiec et Adrian Stephens fonderont par la suite Luxoflux, le studio américain à l'origine de Vigilante 8 et sa séquelle, ainsi que plus récemment de True Crime: Streets of L.A.

A gauche, Peter Morawiec. Au milieu, Adrian Stephens. Total respect...

Avouez qu'un tel curriculum vitae force le respect et ce n’est pas Comix Zone, le jeu sur lequel nous nous penchons aujourd’hui, qui ternira cette liste de jeux à succès. Comix Zone part d’une idée géniale, d’un concept on ne peut plus séduisant : l’idée de faire vivre la progression comme si le joueur lisait des pages de bandes dessinées apporte énormément de fraîcheur et d’originalité à un titre qui appartient à un des genres les plus cloisonnés que nous connaissons, à savoir le beat them all. Sur le plan purement visuel et spectaculaire, ce concept donne un cachet tout particulier à Comix Zone. Voir Sketch sauter de case en case en enjambant les bords blancs de celles-ci, projeter un ennemi à travers une des ces bordures pour le faire passer dans la case adjacente dans le comic book, lire les commentaires du héros et des autres personnages par l’intermédiaire de petites bulles tirées tout droit des techniques de narration traditionnellement usitées dans les bandes dessinées... Tout ceci offre au titre de Sega un style vraiment à part, un visuel parfaitement en harmonie avec le thème dont le jeu traite : le comic. Bien avant XIII de Ubi Soft, Comix Zone offre déjà une approche particulièrement efficace de la bande dessinée interactive.

Ici, Sketch est passé dans la case suivante de la planche en déchirant la bordure.

Le game design pour les nuls

Déjà alléchant, le concept a été poussé nettement plus loin par les auteurs de ce jeu. Le fait que Comix Zone soit perçu par le joueur comme une BD n’est pas qu’une valeur ajoutée au soft sur le plan esthétique. Le game design du soft est également inspiré et dirigé principalement par cette originalité. Ainsi, toutes les cases de BD constituant les niveaux que Sketch Turner devra traverser sont parsemées d’éléments de gameplay divers et de challenges à résoudre. Parmi toutes ces idées, une grande partie exploite les codes du comic book et son support physique, le papier. Citons pêle-mêle des exemples percutants comme l’apparition des ennemis représentée par Mortus dessinant ces derniers sous les yeux du joueur, la possibilité pour Sketch d’arracher du papier dans le décor pour le jeter sur ses ennemis (garder le bouton de frappe appuyé) ou encore le passage durant lequel le joueur doit se dépêcher de progresser dans le niveau avant que le feu qui brûle la planche ne le rattrape. Des idées brillantes, mêlant trouvailles ludiques et trésors d’immersion.

Mortus rajoutant un ennemi.
Le game over, reprenant encore la thématique du jeu.

Comix Zone s’appuie sur un gameplay solide, subtil mélange d’innovations dont nous avons parlé précédemment et de jouabilité plus classique, tirée des illustres ancêtres qui ont fait les beaux jours du beat them all. Puisque nous abordons la manière dont le jeu se joue concrètement, notons que Comix Zone présente une particularité notable : la nécessité d'une manette à six boutons. Les trois boutons du haut (X, Y et Z) servent à utiliser les items que Sketch ramassera au cours de ses pérégrinations, objets représentés dans les cadres jaunes situés en haut à droite de l’écran du joueur. Parmi ces items, Sketch pourra utiliser des armes différentes comme des grenades ou des couteaux, consommer des potions de soin pour retrouver de la vie ou encore utiliser un objet plus curieux permettant de transformer le dessinateur blondinet en un super héros au collant fort saillant, ceci provoquant la destruction totale de tous ses assaillants présents à l’écran. Signalons que les boutons A, B et C servent respectivement à la parade (Sketch peut bloquer les coups), à attaquer (en fonction de la direction imprimée par le joueur sur la croix de direction de son pad, l’attaque changera) et à sauter. On obtient alors une jouabilité très efficace, basée sur des manipulations à la manette assez simples et une grande palette d’attaques et de mouvements possibles. Comble du raffinement, le bouton dédié à la parade permet de s’essayer à l’art délicat du beat them all avec un minimum de finesse, chose suffisamment rare pour être soulignée.

Sketch jouit d’une palette de mouvements conséquente. Tant mieux !

Afin d’asseoir définitivement l’originalité indiscutable de Comix Zone, Peter Morawiec et Adrian Stephens ont également donné au joueur la possibilité de s’appuyer sur un deuxième personnage pour assister Sketch au cours de l’aventure. Ainsi, le héros pourra avoir dans son inventaire un item représentant Roadkill, le rat. Le joueur pourra donc sortir le rat de la poche de Sketch afin que le rongeur donne un coup de main (coup de patte ?) au héros. Il pourra attaquer les ennemis (détail amusant, les personnages féminins disparaîtront directement à la vue de Roadkill, les demoiselles fuyant à toutes jambes le rat), servir pour actionner des interrupteurs (là où Sketch ne pourrait passer) ou encore dénicher des items cachés (en creusant le papier constituant le décor dans lequel Sketch évolue). Encore une fois, les auteurs de Comix Zone ont voulu enrichir leur jeu par de nombreuses trouvailles affinant leur gameplay et diversifiant les challenges rencontrés : le personnage de Roadkill permet d’apporter de nombreux éléments très plaisants.

Roadkill le rat, votre plus précieux allié.

La Megadrive donne tout

Riche. Voilà l’adjectif caractérisant au mieux le game design de Comix Zone. Comme nous l’avons vu précédemment, les idées ne manquent pas : rares sont les beat them all proposant autant de situations de jeu et autant de variations d’un même élément de gameplay, même parmi les titres sortant sur les dernières machines en date. S’appuyant sur ce travail de design impeccable, le jeu propose également une réalisation de haute volée. Les graphismes très détaillés (les décors représentent une mine de détails visuels) et les animations très soignées (mention spéciale à Sketch au style très "combat de rue", donnant au personnage un côté bagarreur et massif très appréciable) donnent au jeu un aspect visuel irréprochable. La Megadrive poussée dans ses derniers retranchements, le jeu offre des sprites et des décors colorés et bordés par d’épais traits noirs correspondant au style comics du titre. Enfin, Comix Zone propose au joueur une bande son agréable sans être exceptionnelle, couplée à des bruitages convaincants et des voix digitalisées très réussies (sur Megadrive, c’est une performance : souvenez vous du Guile de Street Fighter II’ avec sa voix de fumeur de gitanes maïs...). Léché et raffiné, le jeu poursuit le style "bande dessinée" et donne à l’ensemble du soft une cohérence esthétique fabuleusement accrocheuse.

Colorés et variés, les graphismes ne ménagent pas la Megadrive.

Suivant les codes du comics sur de nombreux points, l’univers du jeu et le scénario devaient également poursuivre dans cette voie. Voilà pourquoi le jeu propose trois environnements distincts inspirés de grands classiques des bandes dessinées américaines comme cadres pour les trois chapitres composant l’aventure Comix Zone, chacun étant composé de deux planches (deux niveaux). Les deux premiers niveaux se dérouleront dans un New York assiégé par des aliens visqueux et belliqueux épaulés par des méchants créés par Sketch lui-même, ennemis que le joueur devra repousser. Les deux niveaux suivants proposeront la visite d’un temple au Tibet, dans lequel un grand maître du Kung-fu formera ses disciples en organisant des tournois (une des phases du troisième niveau est d’ailleurs un tournoi dans une arène, donnant lieu à un passage d’anthologie). Détail amusant, le maître de ce temple, sorte de vieillard vaguement asiatique aux ongles hyper développés semble tout droit tiré de Jack Burton dans les griffes du mandarin, film de John Carpenter dans lequel Kurt Russel combat un dieu chinois grotesque affublé du même look. Enfin, les deux derniers niveaux se passeront dans un univers plus proche du nôtre, puisque Sketch visitera une sorte de port désaffecté.

Le deuxième monde, probablement le plus déjanté.

Tellement bon qu’on en redemande

Comme vous êtes des brutes de calcul mental calculant à la vitesse d’un ordinateur dernière génération, vous avez sûrement déduit du paragraphe précédent que Comix Zone offrait au joueur une aventure composée de six niveaux. Six niveaux seulement, composés d’une planche chacun... C’est court, en effet, mais le soft est d’une difficulté conséquente, ce qui rend la progression plus difficile que prévue. En plus de cela, le joueur devra défendre chèrement sa peau étant donné qu’il n’existe pas de "One Up". Hé oui, ici, c’est à l’ancienne, comme chez DJ Abdel : une seule vie, et des continues disséminés au compte-gouttes. Argh ! Du coup, voir la fin de Comix Zone sans utiliser le code pour recommencer de n’importe quel niveau n’est pas si aisé et seuls les plus téméraires libèreront le héros du piège que Mortus lui tend. Cependant, vu la qualité du soft, vous serez nombreux à persévérer tant bien que mal, tant incarner Sketch Turner est un plaisir indescriptible.

Peu d’épisodes, mais ces derniers sont extrêmement soignés.

Voilà, vous savez tout (ou presque) du fabuleux Comix Zone. Alors, oui, pour faire les difficiles (ou les journalistes, au choix), on pourrait dire que le jeu a quelques défauts comme le relatif manque de niveaux différents, compensé tant bien que mal par la difficulté ou encore l’absence tant remarquée d’un mode "deux joueurs", chose pourtant toujours appréciable dans un beat them all (mais ici, l’aspect totalement "à part" de Comix Zone rend cette option difficile à intégrer), mais ne chipotons pas. Comix Zone est un titre accrocheur, réussi et surtout une fabuleuse démonstration de game design puissamment réfléchi. Ce soft est également une belle preuve de la résistance d’un grand jeu face au temps : en effet, même de nos jours, il n’a pas pris une ride... Et ce ne sont pas les multiples adaptations sur différents supports qui contrediront cette idée. Porté sur PC dans un premier temps puis sur Game Boy Advance par la suite, puis réédité dans Sonic Mega Collection+ sur PS2 et Xbox, Comix Zone est facilement accessible de nos jours. Alors si vous ne connaissez pas ce grand jeu, cette merveille injustement méconnue du beat them all, jetez-vous dessus !

Entre tous ces différents portages, se procurer Comix Zone ne devrait pas poser de problèmes. Alors, exécution !

À titre plus personnel, Comix Zone est un des derniers titres Megadrive dont j’ai guetté la sortie chez mon marchand de jeux vidéo préféré. Ensuite, d’autres machines moins usées par le poids des années prirent le devant de la scène, laissant la 16-bits Sega dans l’oubli du grand public. Heureusement, une poignée de retrogamers reconnaissant n’effaceront jamais cette fabuleuse console de leur mémoire. Avec cette ultime baroud d’honneur, la belle dame en noir finit de me convaincre qu’elle était une des plus belles machines de l’Histoire. Sachez, messieurs dames, que la Megadrive meurt, mais ne se rend pas : saluons une reine, ainsi que l’un de ses plus loyaux serviteurs...

En se remémorant les meilleurs passages de Comix Zone, on se demande encore pourquoi Sega ne propose pas une suite à ce titre sur une des consoles actuelles...
Jika
(11 juillet 2005)
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