Mastodon
Le 1er site en français consacré à l'histoire des jeux vidéo
La première décennie de Lyle
Date de Sortie : 1977
Développeur : Bonheur simple
Editeur : Analyze this !
Support : MAME

1) Bonjour Lyle, peux-tu te présenter aux lecteurs les plus récents ?

Bonjour, je m'appelle Lionel Lamour, 34 ans, formateur en langues. J'ai plusieurs centres d'intérêt, mais deux seulement peuvent être considérés comme de véritables passions, les jeux vidéo et la musique. Sachant que dans les deux cas, ma passion se concentre en grande partie sur des titres / œuvres du passé. Mes premiers contacts avec le jeu vidéo remontent aux années 1984-85, grâce au CPC 464 qu'un oncle de province s'était fait offrir pour Noël. Je n'ai jamais vraiment arrêté de vivre dans ce monde depuis.

2) Comment es-tu arrivé sur GrosPixels et 3) comment as-tu décidé d'écrire pour le site puis intégré l'équipe ?

En demandeur de quelque chose qui n'existait alors qu'à un état embryonnaire. C'était en 2001. Depuis quelques années déjà, je cherchais à la fois des articles développés sur des titres anciens et une communauté avec qui partager cet intérêt. À cette époque les articles vraiment développés sur les vieux jeux étaient plutôt rares. Les Anglo-Saxons étaient en avance sur nous. Il y avait le site Classic Gaming, qui proposait du contenu intéressant, mais sans volonté réelle d'approfondissement. Mes recherches pour découvrir une communauté avec qui je me trouverais des affinités étaient encore moins fructueuses. Déjà utilisateur avide d'émulation, je me suis naturellement dirigé vers les sites spécialisés. Cela, le web n'en manquait pas. Je me fournissais en émulateurs et en roms sur Planète Emulation. J'ai essayé de m'intégrer sur le forum du site, pour très vite m'apercevoir que ce n'était pas du tout ce que je cherchais.

C'est donc très insatisfait de ce qui existait alors que j'ai continué à chercher, tapant inlassablement « retrogaming » ou divers noms d'anciens titres sur Google. C'est début 2002 que j'ai - enfin - découvert le genre de site que je cherchais à cette époque. Grospixels était encore balbutiant, mais déjà le ton, l'esprit et le contenu proposés tranchaient avec tout ce que je connaissais d'autre sur le sujet. Le site était résolument spécialisé dans les anciens titres et proposait à la fois des rétrospectives d'acteurs de l'industrie, des historiques de développeurs et des articles entièrement consacrés aux classiques des années 80.

Alors bien sûr, aujourd'hui Retro Gamer se rapproche de son 100ème numéro. Pix'n Love fait partie du paysage, le travail de Florent Gorge a acquis une autorité bien méritée. Les sites proposant des reviews exhaustives de vieux jeux se comptent par paquets de dix, peut-être de cent. Même des sites spécialisés dans l'émulation s'y sont mis, alors qu'ils n'ont pas forcément vocation à écrire sur les titres qu'ils proposent en roms. On trouve également des émissions de qualité portant sur le retrogaming, que ce soit à la télé (No Life) ou sur le net (Retro Game Test). Bien sûr, tout ne se vaut pas mais même après fait le tri, le contenu un minimum intéressant, et parfois inédit, reste abondant.

Néanmoins, même si une bonne partie du contenu de Grospixels est devenu presque banal compte tenu de ce qui existe à côté aujourd'hui, on ne pourra jamais enlever à ce site le mérite d'être un véritable pionnier, au moins dans le web francophone. Parce que je faisais pas mal de recherches sur le sujet il y a déjà 10 ans, je peux attester que ce qu'ont fait Laurent et Phyl était vraiment nouveau. Peut-être était-on encore, au tout début des années 2000, à une époque où les joueurs un minimum âgés commençaient à peine à se retourner pour regarder leur parcours. Tout ou presque était à faire.

J'ai aussi été très agréablement surpris par le forum. Comparé au forum d'aujourd'hui, les discussions étaient le plus souvent très basiques, mais dans un authentique esprit d'enthousiasme, de partage et de convivialité, le tout écrit dans un français correct la plupart du temps (et ça, c'était vraiment du jamais vu sur un forum de jeu vidéo français !) Je me suis tout de suite dit que c'était un espace pour moi, que je ne trouverais certainement pas mieux ailleurs. Au point que j'ai immédiatement demandé à intégrer l'équipe, expliquant que je désirais moi-même écrire sur les anciens jeux et en proposant tout de suite un article. Laurent, avec qui j'étais en contact, m'a en quelque sorte mis à l'épreuve. La qualité de l'article serait le critère d'admission. J'ai donc écrit ma première contribution au site, c'était sur Landstalker, et j'ai été accepté comme membre à part entière de l'équipe.

4) Que représentait le site pour toi à l'époque et que représente-t-il aujourd'hui ?

C'est d'abord une partie indissociable de mon vécu de joueur, et même de mon vécu tout court. Quand bien même un jour je voudrais oublier cette partie, cela reviendrait à nier une partie de moi-même. Les faits sont là. Si je ne lis plus qu'occasionnellement le contenu du site, cela fait 10 ans que presque quotidiennement, je consulte le forum aussi spontanément et fréquemment que je consulte le site du Monde ou ma boîte mail. C'est devenu une habitude tellement ancrée en moi que je n'y fait même plus attention. Et une habitude qui n'est jamais vraiment partie, en dehors de quelques breaks nécessaires. Du coup, ma conscience de joueur s'est en quelque sorte imprégnée de la conscience collective du site, avec ce que cela implique à la fois de positif et de négatif. Cela paraîtra étrange aux habitués du forum puisque ces dernières années, il m'est arrivé de passer plusieurs mois sans poster un seul message. En fait, je suis toujours resté un lurker régulier.

Grospixels est aussi une sorte miroir dans lequel je me suis vu à la fois vieillir et mûrir. Je veux dire par là que le site m'a involontairement aidé à comprendre comment je voulais réellement vivre ma passion. C'est d'ailleurs un processus qui ne se terminera jamais vraiment. En dix ans, en comparant mes réflexions, mes aspirations, mes lubies avec celles d'autres joueurs dont je me sentais suffisamment proches, j'ai pu préciser considérablement les modalités de cette passion. J'ai pu comprendre ce que je cherchais dans le jeu vidéo. Et je suis à peu près certain que cette évolution n'aurait pas été possible sans Grospixels, parce que cela n'aurait pas pu se faire aussi efficacement dans un autre espace que celui-ci. Ce n'est pas le seul facteur. Ma rencontre avec certains joueurs en particulier m'a aussi beaucoup aider à me trouver. Mais l'influence du site reste clairement considérable.

Dessin de Zac Gorman.

5) Quels ont été tes gros coups de coeur dans ta vie de joueur, tes trois jeux préférés et pourquoi ceux-là ?

Je ne peux pas donner que trois jeux préférés. Le plus concis que je puisse faire est de dresser le liste la plus sélective possible des titres que je place le plus haut dans ma hiérarchie « affective », et il ne peut pas y en avoir moins que plusieurs dizaines (voir les screenshots). Après, je peux évoquer ce qui est toujours resté le plus grand choc de ma vie de joueur. C'est la découverte, à la fin des années 80, du tout premier Zelda. Je m'en suis jamais remis. Un choc qui tient moins à la qualité du jeu - évidemment incontestable - qu'à ce que cette découverte a mis en route chez moi. Zelda est toujours resté mon prototype de jeu idéal et mon rapport à cette série a toujours été très étrange, car constitué au moins autant de prolongements imaginaires que d'expériences de jeu réelles. Aucun autre titre n'a été capable de susciter cela chez moi.

6) As-tu conservé un attachement particulier au retro gaming ? Joues-tu encore à d'anciens jeux ?

Oui, beaucoup. Parfois de façon relativement disciplinée, via la fouille de romsets, en référençant soigneusement les jeux que je trouve un minimum intéressants, soit de façon capricieuse et désordonnée, en passant d'un titre à autre. Je continue à avoir du mal, compte tenu de la quantité de titres qui m'intéressent de près ou de loin (plusieurs milliers), à me concentrer sur un jeu qui demande de longues heures de pratique ininterrompue. C'est pourquoi j'aime privilégier l'arcade ou les jeux dont le format est calqué sur l'arcade. Cela permet de jouer fréquemment et brièvement. Je lance aussi beaucoup de titres par pur réflexe nostalgique, quelques minutes, le temps de me remémorer une expérience de jeu, un décor, une musique... Car la nostalgie reste clairement un moteur essentiel dans ma passion pour les anciens titres. Mais c'est une forme de régression qu'il faut apprendre à gérer ! Je crois y être parvenu, dans la mesure où cette nostalgie ne m'empêche pas de rester un minimum curieux.

Or, je suis loin d'en avoir fini avec l'exploration de romsets, probablement mon passe-temps rétro favori. C'est une lubie que tout le monde ne comprend pas parce que, c'est vrai, on ne se concentre que brièvement sur le jeu, et on n'en garde donc qu'une connaissance superficielle. Mais pour moi, c'est déjà beaucoup. Je connais l'existence du jeu (ce qui n'était pas le cas avant), il est référencé dans une liste, je peux faire plein de liens avec d'autres titres et rien ne m'empêche d'y revenir plus tard. Seule l'émulation permet un tel plaisir de la découverte, même si j'avais déjà commencé à procéder ainsi, inconsciemment, lorsque j'avais la possibilité d'essayer un grand nombre de jeux (grâce aux copies illicites, bien sûr!) à l'époque du CPC.

J'ai encore beaucoup à découvrir, notamment sur certains support 8-bits, comme le C64, le Spectrum, la Gameboy classic ou le MSX. Mais aussi sur des supports plus récents. J'ai toujours soupçonné que malgré le contenu énorme disponible un peu partout sur les vieux titres, il restait beaucoup de choses intéressantes à découvrir. Probablement parce que les classiques ou les jeux à gros capital nostalgique ont tendance à drainer l'attention des joueurs au détriment de titres moins connus, mais parfois aussi intéressants. Ces dernières années les choses ont commencé à changer, avec des gens qui se sont fixés comme objectif de passer au peigne fin tout un support et d'écrire sur chaque titre (une grande fierté du forum de GP à mon avis). Les choses évoluent donc dans le bon sens, mais il reste encore beaucoup à faire. Notez que ce phénomène d'oubli collectif semble être commun à n'importe quel domaine culturel. Il n'y a donc pas de quoi être surpris pour ce qui est du jeu vidéo.

J'ai aussi été collectionneur avide pendant quelques années. J'ai pu faire l'expérience de l'original « pur et dur », sélectionnant soigneusement jeux, consoles, câbles et téléviseurs. Et je suis arrivé à la conclusion que je ne tenais pas tant que ça à jouer dans ces conditions de puriste. Je reconnais un seul avantage significatif au support original des hardwares 8-16 bits : celui de l'affichage, impossible à reproduire sur un écran de PC, même avec des filtres graphiques. Pour tout le reste, je pense que l'émulation offre infiniment plus d'avantages et de confort. Mais je ne regrette pas ma période de joueur matérialiste. Je crois que j'avais besoin de passer par là.

7) Même question pour les jeux actuels.

Il va falloir que je développe. Je crois que j'ai cessé de suivre très régulièrement l'actualité vidéo-ludique il y a environ une dizaine d'années. Aujourd'hui, je garde encore un contact avec les dernières sorties. Mais celui-ci est distrait, voire distant. Ces derniers temps, j'ai pas mal réfléchi à ce qui a fait flancher mon intérêt pour le médium en général. J'en suis arrivé à la conclusion que mon indifférence est le résultat de choses assez précisément identifiables. Je dois d'abord noter une chose importante : je suis convaincu que les jeux d'aujourd'hui ne sont pas moins bons que les jeux d'hier. En fait, c'est même l'inverse, surtout si l'on considère qu'en terme de game design, faire un jeu en 3D est infiniment plus compliqué que de faire un jeu en 2D. Encore plus si l'on considère qu'une grosse machine comme un Modern Warfare, un Skyrim ou un Uncharted, ce n'est pas seulement des problèmes de game design, mais aussi des problèmes de (très) gros sous, de gestion de projets ou de ressources humaines qui étaient loin d'exister, en tout cas à une telle échelle, sur un titre qui était développé en plein milieu des années 80. Cependant, étant donné que je fais résolument partie, sur le site, des retrogamers les plus exclusifs, je dois expliquer pourquoi cette position est en complète contradiction avec mes préférences de joueur. Disons qu'en bientôt 30 ans de passion pour le jeu vidéo, je suis en partie parvenu à faire la distinction entre un constat et un affect. Dans le même ordre d'idée, je considère aujourd'hui que l'âge d'or de l'arcade, que j'étais à l'époque trop jeune pour vivre, est sans l'ombre d'un doute la première moitié de l'année 80, alors que d'un point de vue affectif, j'irai toujours vers la seconde moitié (ce que les screens illustrant cette page reflètent particulièrement bien !)

Je connais bien moins les jeux actuels que les jeux anciens, mais ce que j'en ai vu ces dernières années m'a montré qu'en 20 ans, le game design a quand même sacrément progressé. En particulier chez les Occidentaux qui, sur certains genres majeurs, ont pendant des années été très en retard sur les Japonais. On est bien loin de tout ça aujourd'hui. L'indie game moyen à télécharger sur console ou PC me paraît plus jouable, plus progressif, plus cohérent dans son game design que des milliers de titres sortis sur micros 8-16 bits. Et c'est quelqu'un qui s'est inlassablement envoyé des centaines de roms sur ce type de supports qui parle. Je vais prendre un cas extrême, et même un support pour lequel j'ai et j'aurai toujours une affection sans bornes : le CPC, sur lequel des centaines de titres étaient conçus avec de bonnes intentions mais en dépit du bon sens, ce qui fait qu'aujourd'hui je ne pourrais honnêtement recommander à quelqu'un qui voudrait découvrir cette machine qu'une poignée de titres, tant pratiquement tout le reste sera inéluctablement considéré, avec raison, comme injouable. Au mieux pénible à jouer.

C'est dire à quel point la qualité moyenne des jeux a considérablement augmenté. Pas parce que les concepteurs d'aujourd'hui sont meilleurs que ceux d'hier. Mais parce que ces vingt dernières années, le monde entier a appris à faire des jeux vidéo. C'est devenu une discipline, un artisanat, un ensemble de vrais métiers, avec des compétences bien définies à maîtriser, des spécialités à choisir. Dans les années 80 (pourtant ma décennie préférée, et de loin !) tout plein de choses qui tombent sous le sens aujourd'hui étaient en quelque sorte laissées à l'appréciation des concepteurs. On n'imagine pas à quel point ceux-ci étaient très forts pour ce qui est de la programmation, tant coder un jeu sur un ordinateur 8-bits pouvait être compliqué. En revanche, n'importe quel concepteur d'aujourd'hui en connaît beaucoup plus qu'un concepteur d'il y a 20 ans sur la façon de guider le joueur, de rythmer une séquence, de varier un gameplay, de construire une courbe de difficulté... Le game design est devenu un savoir, dont même les joueurs aguerris connaissent les bases, sans forcément en être conscients. D'une façon plus générale, le jeu vidéo a beaucoup plus de savoir sur lui-même qu'il y a 25 ans.

Alors pourquoi est-ce que je reste infiniment plus attachés aux jeux d'hier, même ceux conçus à une époque où la notion même de game design n'existait pas encore ? Je me suis moi-même posé la question, alors que j'essayais quantités de titres XBLA, tous très consciencieusement conçus, mais qui pour la plupart me laissaient de marbre. J'arrive aujourd'hui à me l'expliquer. J'ai récemment compris une chose fondamentale sur moi-même, une chose qui me paraît aujourd'hui évidente alors que cela a été totalement inconscient pendant des décennies, au point que je me demande encore comment j'ai pu mettre si longtemps à le comprendre : je joue moins aux jeux vidéo pour m'amuser que pour « habiter » des mondes. Ce que je vois et entends dans un jeu est plus important que ce que j'y fais. Et c'est valable pour tous les genres, pas seulement pour les jeux d'aventure. Un bête shoot'em up avec un cadre militaire rebattu 100 fois, cela peut déjà être un monde fascinant si l'esthétique a suffisamment de personnalité. J'irais même jusqu'à dire que la fonction ludique, avant de me rendre un jeu amusant, est d'abord pour moi un moyen d'habiter, de façon plus naturelle, plus fluide, un monde. C'est un moyen d'accès, puis un moteur. Ce qui lui donne quand même une certaine importance. Il arrive que ce moyen d'accès soit trop étroit, et que le moteur tourne mal. C'est Shenmue. À mon grand regret, parce que s'il y a bien une série que j'ai toujours voulu adorer, c'est bien celle-là. À l'inverse, je fais partie de ces joueurs qui vouent un culte à Ueda, auteur qui place les mondes de ses œuvres au centre de toute sa démarche.

Je pardonne presque tout à un jeu qui m'offre un monde que j'aime. Et d'une manière générale, un jeu qui montre un désir de faire exister un monde, qui place cet objectif devant tous les autres que peut avoir un jeu vidéo, aura immédiatement ma sympathie. À l'inverse, un jeu avec un très bon concept ou très bon gameplay, mais pour le monde duquel je n'ai strictement aucun affect, me laissera en définitive plutôt indifférent, parce que je sais qu'il ne me laissera pas grand chose passé l'intérêt « mécanique » que je vais lui porter. J'en reconnaîtrai sûrement les qualités, par politesse autant que par désir d'objectivité, mais je l'oublierai vite. J'ai même tendance à avoir des réactions particulièrement négatives lorsqu'un jeu me donne l'impression manifeste d'instrumentaliser son univers, voire de le mépriser. C'est régulièrement le cas dans l'indie gaming. J'ai souvenir de m'être carrément énervé en jouant à un jeu d'action sur PSN (je me souviens plus du titre) simplement parce que j'avais cette impression. Tout dans les graphs, le son, l'animation disait « on s'en fout » alors que par ailleurs l'action était parfaitement jouable et très bien rythmée. J'aurais envie de mettre des baffes à ces milliers de développeurs amateurs qui accompagnent leur shoot'em up avec de la techno passe partout. Je me moque qu'ils n'aient pas l'envie, le temps ou les compétences pour faire mieux, ça n'est pas mon problème en tant que joueur. Je comprends maintenant pourquoi ce sens des priorités m'agace tant.

Bien sûr, cela fait immédiatement de moi un joueur « en marge », un joueur que la grande majorité des développeurs n'ont absolument pas pour objectif de satisfaire. Pour autant, je ne crois pas que cette façon de vivre le jeu vidéo me soit propre. On doit pouvoir faire entrer l'ensemble des joueurs dans un « spectrum » avec, à une extrémité, ceux qui ne veulent que jouer (des joueurs à qui je n'ai strictement rien à dire, je l'ai déjà constaté) et à l'autre extrémité des joueurs comme moi. Entre ces deux extrémités doit se trouver une quantité significative de joueurs qui cherchent tantôt l'un, tantôt l'autre. Parfois les deux à la fois.

Les jeux d'aujourd'hui ont une indéniable capacité à m'amuser. De ce point de vue, ils font généralement très bien leur boulot, mieux que beaucoup le faisaient il y a 25 ou 20 ans. Le problème qui se pose à moi, c'est que les couleurs, les esthétiques, le ton, les atmosphères de beaucoup d'entre eux composent des mondes que je n'ai tout simplement pas envie d'habiter. C'est une question d'affinités vis-à-vis de tendances, de modes esthétiques. Absolument pas de qualité intrinsèque. Ni même de genres. Les genres actuellement dominants sont légitimes, et posent plein de questions intéressantes sur le médium. Ils ne sont pas figés, semblent évoluer lentement mais sûrement. L'arcade est depuis longtemps moribond en tant que support, mais s'est plutôt bien recyclé, que ce soit dans les jeux téléchargeables ou dans certains modes de jeux retails. Bref, le médium vit, se porte bien. Même en le regardant d'assez loin, j'ai l'impression qu'il se passe des choses.

Et même pour les mondes qui servent de cadres au jeux actuels, je ne peux absolument pas dire que ceux-ci valent moins que ceux qui prévalaient il y a 20 ans. Qu'ils sont moins riches ou moins intelligents. Mes préférences sont à 100% une question de sensibilité. Ce constat m'a en définitive rendu plus humble, moins calé dans mes certitudes de joueur passionné. Ce ne sont pas les développeurs de jeux vidéo qui sont devenus incompétents ou qui font n'importe quoi, loin de là. Ce sont les mondes qui ont changé. Rien d'anormal, ils devaient changer, évoluer, être au moins un peu perméables à leur époque. Ils se trouvent simplement que la plupart d'entre eux n'ont plus grand chose à me dire, ne veulent plus de moi. Alors je continue à habiter les mondes que j'aime, même quand ils servent de cadres à des gameplay conçus à la truelle !

Pourquoi les mondes vidéo-ludiques d'aujourd'hui ne me plaisent plus ? Là, il est plus difficile de répondre. Je peux me risquer à quelques théories, mais je ne suis sûr de rien. Ils sont souvent très sombres, à la fois en terme d'ambiance et d'esthétique. Ils sont souvent apocalyptiques, alors que je vais naturellement chercher des mondes plus positifs, sucrés, rassurants. C'est sûrement une raison. Mais je peux trouver des contre-exemples significatifs, comme Half-Life II et ses suites, dont l'univers particulièrement angoissant est l'un des plus envoûtants que j'aie connu dans un jeu. Ce n'est donc pas si simple. Il y aussi les relations que le jeu vidéo de ces 15 dernières années entretient avec le cinéma. Du moins avec un certain cinéma. Je sais que c'était inévitable. Que le jeu vidéo avait évidemment beaucoup à apprendre des blockbusters. Et pourtant je ne l'ai jamais vraiment accepté. Sûrement parce que, fatalement, le jeu vidéo est moins indépendant. Le jeu vidéo redevable du cinéma est déjà moins « ma chose » (le passionné est possessif !) Et aussi parce que, là encore, les univers importés ne me plaisent pas beaucoup.

Je dois mentionner un dernier facteur qui a beaucoup fait décliner mon intérêt pour le médium en général : le développement du multi-joueur. Là encore, aucun jugement de valeur. Cette façon de jouer était inscrite dans l'ADN du médium et je savais à l'âge de 8 ans que cela se ferait un jour. Ce que je ne savais pas, en revanche, c'est que cela ne serait pas du tout pour moi. Alors que j'adore partager des expériences de jeu après coup, via la parole ou l'écriture, je n'aime pas trop, en règle générale, partager mon espace de jeu. Dans le cas du multi-joueur, je vois même l'autre comme un parasite potentiel, parce qu'il peut s'interposer entre moi et le monde que j'ai envie d'habiter. Il y a des joueurs par nature très solitaires. Pas de MMORPG pour eux. Ni même de multi-joueurs dans d'autres genres. Les quelques fois où je me suis laissé tenter m'en ont convaincu. Reste que le multi-joueurs n'a pas fini de se développer et que je ne serais pas étonné qu'il devienne un jour le mode de jeu dominant. Ce qui exclura encore plus les joueurs tels que moi.

De l'actu, je continue tout de même à guetter les titres susceptibles de me plaire. Les Uncharted sont par exemple une série que je ferai un jour, et qui me plaira probablement. Voilà le genre de monde vidéo-ludique d'aujourd'hui que j'habiterais volontiers. Il y a sûrement au moins quelques autres titres que je serais susceptibles d'apprécier. Le problème est de parvenir à rentrer dans leur monde, afin de les adopter pleinement. Il m'est déjà arrivé d'avoir des à priori négatifs pour des titres qui sont finalement devenus des références, voire des jeux cultes. Je garde donc espoir, je ne manque pas d'essayer de nouveaux titres lorsque j'en ai l'occasion.

Malgré les tendances observées ci-dessus (le contenu instrumentalisé), j'attends également beaucoup du jeu indépendant même si, pour le moment, les titres qui m'ont le plus marqué sont surtout des prolongements de formules éprouvées. Je pense en particulier à ceux réalisés par Locomalito ou Konjak. Des titres que j'aime énormément parce que si le game design a énormément progressé, certains savoir-faire se sont dans un même temps pratiquement perdus, certains styles de gameplay ou genres ayant disparu. Or je me suis récemment aperçu, avec bonheur, que certains concepteurs amateurs étaient aujourd'hui capables d'émuler parfaitement ces styles de gameplay. Reste que les développeurs indépendants, parce que justement ils sont indépendants, ont à mon avis un potentiel de renouvellement énorme, dans tous les domaines de conception. Les jeux de Nifflas' Games, notamment, explorent des voies susceptibles de m'intéresser.

Il y a donc de bonnes raisons d'être optimiste. Je pense que le indie gaming nous offrira dans les années à venir de plus en plus de choses intéressantes. Quant aux grosses machines commerciales, je garderai toujours un œil par principe. Sans illusions, mais sans dépit non plus. Parce que fondamentalement, je garde une conviction : le médium ne s'est pas encore accompli à 20%. Qu'il y a encore des millions de choses à faire, des millions de mondes fascinants à inventer, plus prosaïquement des millions d'expériences de gameplay à tenter. Pas forcément besoin de réinventer la roue. Rien qu'en prolongeant, inversant, croisant, manipulant des choses déjà existantes. Sur ce point-là, je serai moins humble : je me sens désolé pour ceux qui pensent autrement. Ils n'ont vraiment pas beaucoup d'imagination, ils ne croient pas à grand-chose (mais être blasé est si à la mode). D'un autre côté, je sais qu'il est très facile de restreindre l'idée que l'on se fait du potentiel du médium, parce que celui-ci est encore très jeune.

Je tenais également à dire tout ça pour essayer de défendre un peu ma « cause » de retrogamer. On reproche facilement aux joueurs comme moi de se complaire dans leur nostalgie, dans le « c'était mieux avant ». Clairement, cette tendance existe, et je l'ai personnellement observée. J'ai fini par me poser la question de savoir si je n'étais pas moi-même ce genre de joueur. Après réflexion, je crois que ce n'est pas le cas, même si j'avoue avoir eu, par le passé, quelques réflexions assez bêtes (les écrits du site restent !) et qui commençaient à aller dans ce sens. Chez moi, la nostalgie restera toujours un moteur essentiel. Mais cela ne sera jamais un but en soi, une finalité. Seulement un moyen. D'autre part cette passion pour les titres anciens n'est absolument pas incompatible avec un aspiration à la nouveauté, à l'évolution. Loin de là. J'insiste donc bien sur un point : ce n'est pas parce que l'on ne s'intéresse presque plus aux jeux d'aujourd'hui que l'on ne fait que regretter les jeux d'hier. J'espère avoir démontré que cela peut être bien plus compliqué que ça. Souvent, les jeux de mes rêves sont très différents des jeux sortis jadis. Ils proposent des mondes, des ambiances, des esthétiques encore jamais vus dans le jeu vidéo réel. Ils sont bien plus ambitieux, intègres et raffinés. Je suis toujours en demande de mondes fascinants à découvrir. Et je regrette beaucoup, compte tenu des immenses possibilités techniques que l'on a aujourd'hui, qu'il n'y en ait si peu qui me correspondent un minimum. Un nostalgique « absolu » s'en réjouirait, étant donné que son obsession est de se convaincre que tout était mieux avant.

8) Passes-tu encore sur le site ? T'es-tu engagé auprès d'un autre site ? Voire possèdes-tu un blog sur le sujet (ou un autre) ?

Je passe quotidiennement sur le site, qui reste le seul auquel j'ai contribué. Je lurke sur quelques sites sur lesquels on peut lire des échanges intéressants (Merlanfrit et Boule de feu, notamment). Je n'ai pas de blog. J'ai bien un projet, assez précis et rédigé, de site qui correspond exactement à ma façon de vivre le jeu vidéo et qui, à mon avis, manque cruellement sur le net. Mais compte tenu de mes compétences en web design, de mon énergie et de ma constance, il est très peu probable que je me lance un jour dans une telle entreprise !

9) Dix ans après sa création, comment vois-tu GrosPixels, ce qu'il est devenu et son futur ?

Autre développement nécessaire. Cela fait déjà pas mal d'années que « l'esprit » GP s'est en quelque sorte stabilisé. Comme l'ont dit certains membres, c'est moins un site de retrogaming qu'un site de joueurs vétérans. Cette orientation m'a pendant un certain temps gêné, moi qui étais venu sur le site d'abord pour les jeux anciens. Aujourd'hui, ça ne me gêne plus. Parce que j'ai pleinement accepté cet état de fait. Parce que je ne me suis moi-même pas beaucoup bougé pour apporter de contenu rétro ces dernières années. Et aussi parce que malgré tout, GP continue bel et bien à parler d'anciens titres, que ce soit sur le site ou sur le forum.

Merci pour tout et bonne suite.

Et merci de m'avoir donné l'occasion de m'exprimer, et par la même occasion de faire un bilan sur un ensemble de questions, relatives à GP ou à ma passion, qui me tenaient à cœur.