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Earthworm Jim
Année : 1994
Système : Megadrive, SNES ...
Développeur : Shiny Entertainment
Éditeur : Virgin Interactive
Genre : Action / Plate-forme
Par MTF (21 janvier 2013)

C'est curieux. J'ai dû y regarder à plusieurs fois avant de m'assurer que, non, il n'y avait pas dans la banque de données de Grospixels un article traitant d'Earthworm Jim. C'est curieux, car lorsque le jeu sortit, en 1994, il fit la une de tous les magazines, autant des généralistes que de ceux dédiés à la Super Nes ou à la Megadrive : instant étrange et unique où les joueurs de tous bords se réunissaient et se mettaient d'accord sur les qualités d'un seul jeu. Bien entendu, je ne manquerai pas de revenir sur les différences entre ces deux versions et, pour une fois, ce ne sera pas forcément Big N qui aura le dernier mot... mais n'anticipons pas.

C'est l'histoire d'un ver...

Earthworm Jim est un jeu en deux dimensions, à la frontière de l'action et de la plate-forme et qui se joue comme nombre de titres du même genre de cette période. Le héros peut ainsi sauter et se servir d'un pistolet qui pourra utiliser plusieurs types de munitions au fur et à mesure du jeu, et il pourra également s'agripper à divers éléments et même utiliser un grappin pour faire un peu de varappe, à la façon de Samus dans Super Metroid. Rien que de très traditionnel jusqu'à présent : mais ce qui a su captiver l'imagination des joueurs à l'époque, c'est l'univers bigarré du titre qui ne ressemble à rien de bien connu à ce moment-là. Représentez-vous un monde interstellaire, fait de vaisseaux spatiaux et de guerres galactiques. Une débonnaire tête couronnée, la princesse What's-her-name (Quel-est-son-nom) est enlevée par la démoniaque reine Pulsating, Bloated, Festering, Sweaty, Stinky, Pus-filled, Malformed, Slug-for-a-Butt (la reine palpitante, boursouflée, suppurante, transpirante, puante, remplie de pus, mal-formée, au derrière de limace). Un fidèle sujet cherche à la sauver mais il est intercepté par un sbire de la Reine, Psycrow (le corbeau psychotique) et, dans la bataille qui s'ensuivit, fit tomber sur Terre une combinaison formidable qui dote quiconque la porte de pouvoirs défiant l'imagination.
Malheureusement, ce n'est pas sur un athlète que le costume a chu, mais sur un timide ver de terre (Earthworm) qui se transforme alors en Earthworm Jim, le lombric le plus puissant de l'univers !

La BD de l'histoire, ici issue de Ultra Player 28 de mars/avril 1995.

Les surprises ne s'arrêtent pas là : après cette mise en bouche toute particulière, le joueur devra affronter des créatures toutes plus étranges les unes que les autres, des éboueurs obèses et éructomanes, des chats aux neuf vies, des poissons rouges - sans doute le combat le plus ardu du jeu -, des généraux faits de mucus ou des singes au QI supérieur à 400. L'univers d'Earthworm Jim est une fable formidable qui doit beaucoup, sans doute, aux Monty Python ou encore à Wallace & Gromit : et c'est avec raison que je fais appel à ces références connues, car notre jeu est bien anglo-saxon, ce qui nous change des univers nippons auxquels nous avions l'habitude alors.
Le créateur de cet univers s'appelle Doug TenNapel, californien d'origine, qui a travaillé depuis le début des années 90 dans le jeu vidéo, notamment en qualité d'animateur sur les versions Megadrive de Jurassic Park ou de The Jungle Book avant de créer le personnage dont il est ici question. Sachez également qu'il est connu pour son travail concernant The Neverhood et Skullmonkeys, deux jeux qui ont su marquer le média notamment par leurs partis-pris graphiques, puisqu'étant intégralement faits en pâte à modeler. C'est cependant un deuxième homme qui fit d'Earthworm Jim un personnage de premier plan : David Perry, mieux connu pour son travail sur Cool Spot et Aladdin (version Megadrive), et qui continuera à mener des projets d'envergure comme Wild 9, Messiah ou encore Enter the Matrix, avec plus ou moins de succès selon ses projets. Il n'en fallait pas plus pour faire d'Earthworm Jim un futur chef d'œuvre, dont on se souvient encore aujourd'hui, la larme à l'œil.

Doug TenNapel et David Perry.

Un ver pas piqué des hannetons...

Vu le CV de David Perry, on se doute bien qu'Earthworm Jim détonnera par ses aspects graphiques, et difficile de faire ici la fine bouche : le jeu, d'une fluidité de tout instant, est également d'un beauté à couper le souffle, riche en détails d'animation et de couleurs flamboyantes qui explosent dans tous les sens. Chose relativement rare pour être signalée, mais que ce soit sur Snes ou Megadrive, le jeu exploite toutes les capacités de son support et si la version cartouche de maître Sega semble parfois un peu terne dans ses arrière-plans, elle parvient à être on ne peut plus plaisante et s'érige sans sourciller comme étant peut-être l'un des plus beaux jeux de la console dans sa catégorie.
La densité de mouvements du personnage principal témoigne ainsi du soin porté à l'animation par les concepteurs : Jim peut courir, sauter, se servir de sa tête autant pour faire l'hélicoptère et ralentir sa chute que comme fouet ou grappin. Mais c'est encore lors des instants où Jim ne fait rien qu'il est encore le plus expressif : véritable gag-man, il prend un véritable plaisir à amuser la galerie, à faire de la corde à sauter avec sa tête, jongler avec son pistolet ou sortir une fusée de sa poche pour s'envoler vers d'autres cieux. Tout ceci participe grandement à faire du héros un être palpable, non pas composé de simples pixels mais bien de chair et d'esprit auquel il devient on ne peut plus facile de s'attacher.

Le grappin, qui est la tête de Jim. (version Snes) À droite, une balade à dos de hamster... (version Snes)

Les environnements et les ennemis, de même, ont bénéficié du même soin graphique et font de ce jeu une œuvre complète dans laquelle on prend plaisir à voyager : que ce soit les corbeaux qui vous attaquent alors qu'un soleil couchant éclaire péniblement une pile de détritus, l'enfer flamboyant où d'ex-contrôleurs des impôts vous attaquent à coup de formulaires ou une base sous-marine remplie de chats mutants, il y a un peu de ces dessins animés Nickelodeon, de Aaahh!!! Real Monsters ou de SpongeBob Squarepants dans ce jeu, même de Oggy et les cafards, soit de cette fougue propre à certains studios d'animation occidentaux dont les personnages se déforment et s'étirent à qui-mieux-mieux, dignes descendants des patriarches que seraient les Looney Toons.
Je me souviens que lors des prix décernés par Nintendo Player en l'année 1994 (numéro 26 de décembre), le magazine avait toujours donné la seconde place à Earthworm Jim, derrière Donkey Kong Country, c'est vous dire l'impact que le jeu avait su avoir auprès des joueurs ou de la presse de l'époque.

Au cours de ce niveau, il faudra protéger Pete le toutou de tous les dangers, sinon il ne sera pas content... (version Snes) Buttville, le dernier monde à droite, vous demandera d'être d'une précision exemplaire avec vos sauts... (version Snes)

David Perry cependant a su, semble-t-il, tirer les leçons de Cool Spot ou d'Aladdin et apparaît même plus rigoureux dans la conception de ses niveaux : il accommode alors cette animation et ce dessin très riche en proposant une aventure qui sait certes se faire difficile de temps à autres, mais qui ne devient jamais injuste ou méprisante envers le joueur. Les hitboxes sont relativement claires, le personnage répond présent à la moindre pression de bouton et si l'animation se fait détaillée, elle n'est jamais un frein à la clarté du jeu en général. L'on joue alors sans aucun souci, et le challenge se fait toujours juste. L'on se surprend même, une fois les commandes de base assimilées, à devenir un véritable acrobate, sautillant, dégainant, jouant du fouet ou du grappin comme si rien ne semblait.
Il faudra bien ça pour traverser la petite dizaine de niveaux qui s'offre au joueur. Entre deux stages, par ailleurs, le joueur est invité à parcourir une courte section en mode 7 ou équivalent pour la Megadrive : à dos de fusée, peut-être une référence au Doctor Strangelove, Jim devra faire la course entre deux planètes contre Psycrow, éviter les météorites et ramasser des pastilles bleues pour engranger des continues. Si le joueur échoue à arriver auparavant son ennemi, il devra l'affronter sur une proche lune pour poursuivre son aventure.

La course en fusée, très rigolo ! (version Snes) À droite, un duel à l'élastique avec le Général Mucus... J'adore le titre de ce niveau (« Snot a Problem », version Windows. Cette version est graphiquement identique à la version Mega-CD, la version Dos reproduisant quant à elle la version Megadrive).

« Ver » qui se tourner ?

Il peut être temps ici de revenir rapidement sur les distinctions habitant les trois versions majeures du jeu, sur Snes, Megadrive et Mega-CD. Les versions portables, sur Game Gear et Game Boy, ainsi que la version Master System sont spécifiques à ces consoles et composent des jeux à part entière, aussi je n'en parlerai point. Historiquement parlant, c'est la version Megadrive qui sortit la première, en août 1994. La version Snes arriva en octobre de la même année, et la version Mega-CD en mars de l'année suivante. Cette question de préséance, ainsi que le rôle majeur joué par David Perry pour Aladdin a contribué à faire de la version Megadrive, dans le cœur des joueurs et même encore aujourd'hui quand on y songe, un jeu exclusif, voire emblématique, de la firme du hérisson. Mais même sans cela, c'est là quelque chose de couramment admis auprès de tous.
C'est que la version Megadrive dispose d'un niveau supplémentaire, en sus de ceux sur Snes, « Intestinal Distress » où le joueur est plongé dans l'intestin d'une créature immense et invisible. Des dires des développeurs, la présence de ce niveau supplémentaire serait due à la capacité de compression de mémoire de la console vis-à-vis de la Snes, ce qui a permis de dégager suffisamment de place pour y rajouter des informations. La chose est cependant à prendre avec des pincettes, puisque d'autres déclarations faites depuis font de ce détail une stratégie à part entière de Sega qui voulait faire d'Earthworm Jim version Megadrive LA version par excellence et, qui sait, attirer à eux des joueurs venus de l'autre bord. « Intestinal Distress », dans tous les cas, s'avère être un niveau relativement moyen, qui se parcourt assez vite et, semble-t-il, d'une richesse limitée vis-à-vis des autres niveaux « communs » qui regorgent de secrets et de passages dérobés, ceci pouvant accréditer la seconde hypothèse présentée ici.

Le fameux niveau dans les intestins, au terme duquel on affronte le Doc Duodenum. (version Megadrive) À droite, les vaches, qui sont un élément récurrent du jeu. (version Windows)

En revanche, ce qui apparaît évident et ne sera contredit par quiconque, c'est que s'il fallait élire une version comme étant indubitablement meilleure que les autres, la version Mega-CD remporterait la compétition haut la main. Nécessairement plus belle du fait de la capacité du support disque, elle bénéficie également d'une nouvelle orchestration de ses mélodies par Tommy Tallarico (compositeur de génie qui travaillera avec David Perry à l'avenir) et ajoute même de nouvelles sections aux niveaux existants et, surtout, un niveau parfaitement original et d'une grande qualité, « Big Bruty » (en référence à Nick Bruty, animateur et associé régulier de monsieur Perry).
Si l'on ne devait, dès lors, retenir qu'une seule version d'Earthworm Jim, ce serait bien celle-ci : cette Special Edition, à mon sens et peut-être avec un peu d'emphase, a tout du system-seller pour ce supplément à la Megadrive tant il sait démontrer les avantages du support CD en comparaison de la cartouche de jeu.

« Big Bruty » est un niveau formidable. (version Windows) À droite, Bob le poisson rouge... Aurez-vous assez d'estomac pour l'affronter ? (version Snes)

Mais même en ne considérant que la version Snes, donc la plus « chiche » de toutes, le joueur en aura pour son argent. Chaque niveau compose un tout unique se soldant généralement par un boss, et les épreuves se renouvellent constamment pour notre plus grand plaisir. Si le cœur du jeu demeure la plate-forme/action, c'est-à-dire que le joueur devra sautiller ci et là en défouraillant tout ce qui bouge, il lui faudra également garder l'œil ouvert pour trouver les nombreux passages secrets qui émaillent sa route et qui le conduisent à des bonus d'énergie (représenté par un pourcentage en haut de l'écran), à des vies supplémentaires ou à des « mega-blasters » qui tirent une grosse rafale de feu en une seule fois, alors que le pistolet de base envoie une salve continue tant que le bouton est pressé.
De là, ce seront des épreuves aussi variés que la traversée d'un océan dans un bathyscaphe, l'exploration d'un labatoire scientifique garni d'électrodes ou la surveillance d'un chiot mutant au cours d'une dangereuse traversée qui vous attendent. Chaque niveau est l'occasion d'introduire un nouveau type de gameplay ou un nouvel objectif, et si l'aventure est assurément courte, elle est riche et intense et saura nécessairement vous contenter. Ce jeu n'est pas simple emballage de douceurs graphiques et de musiques sucrées, mais un plat consistant et intéressant : en comparaison de Donkey Kong Country, l'autre grand jeu de plates-formes de cette année 1994, Earthworm Jim remporte haut la main le prix de la variété et de la profondeur de jeu et surprend constamment le joueur, surtout lorsqu'il ne s'y attend pas.

Le passage en sous-marin est assez exigeant. (version Windows) Parfois, comme à droite, Jim sera séparé de sa combinaison et devra chercher à la retrouver. (version Snes)

Un dernier « ver » pour la route ?

Grâce à son animation débridée, son humour ravageur et son challenge « arcade » efficace, Earthworm Jim est sans aucun doute l'un des jeux les plus marquants de l'année 1994. Il sera pendant plusieurs années la référence par excellence du genre plates-formes/action sur consoles et on lui prédisait une belle destinée : après de multiples adaptations sur consoles portables et ordinateurs, le jeu connut une suite, Earthworm Jim 2 l'année suivante qui parvint même à faire le grand écart entre 16 et 32-bits en s'exportant de la Snes et la Megadrive à la Saturn et la Playstation.
Malheureusement, le pauvre Jim est devenu célèbre malgré lui et a rejoint les rangs, hélas fort bien garnis, de ces icônes qui n'ont su effectuer la transition exigée par tous les joueurs en ces périodes troubles : celui du passage à la trois dimension. Au même titre que Bubsy, que Megaman ou que Sonic (avant la Dreamcast, s'entend), il n'a pas su capitaliser sur ce changement drastique de gameplay et passer de la deux à la trois dimensions. Earthworm Jim 3D, sur Nintendo 64, a été un désastre critique et commercial qui a achevé le pauvre ver de terre et ce malgré un humour toujours très présent, la faute à un gameplay approximatif et une aventure répétitive, bien loin des grands succès de la console comme Super Mario 64 ou Banjo-Kazooie. Malgré quelques apparitions en tant qu'invité dans Battle Arena Toshinden (version PC) et Clayfighter 63 1/3 (Nintendo 64), on n'entendit plus entendu parler du ver de terre pendant de nombreuses années.

Earthworm Jim 2 est un excellent jeu, mais il n'atteint pas la qualité du premier selon moi. (version Megadrive) En revanche, Earthworm Jim 3D est au mieux médiocre, au pire injouable.

Au début des années 2000 (en 2001 et 2002 respectivement pour les épisodes 1 et 2) pourtant et contre toute attente, il revint sur Game Boy Advance. L'on n'aurait su souhaiter mieux pour ces jeux, étant donné que la GBA était devenue la console par excellence du retour des idoles de la période 16-bits. Malheureusement, ces portages furent mal faits, très inférieurs aux originaux et guère plaisants à jouer : un retour raté, peut-on dire.
Finalement, ce sera en 2009 et 2010 que le plus annélide des héros signera son grand retour, tout d'abord sur Virtual Console et sur le magasin Steam, puis dans une version HD remastérisé pour XBLA et PSN de toutes beautés. Hélas, le monde du jeu vidéo peut être cruel et, surtout, il est pour ainsi dire impossible de laver un affront. L'information est d'une part passée relativement inaperçue et, d'autre part, les critiques ont été très dures envers le jeu, considérant notamment qu'il avait « mal vieilli » du point de vue de son level-design.

Allez, une grande image pour bien comprendre la qualité graphique exceptionnelle de cette refonte.

Non seulement cet avis est, selon moi, cruellement hypocrite, le jeu continuant à être des plus plaisants - ou alors il faudrait considérer que les versions Game Boy Advance des Super Mario Bros. sont également dépassées, ce qui est une absurdité - mais il a définitivement signé l'arrêt de mort de ce héros de jadis : on a achevé un mourant d'une balle dans la tête.
Il en est, je le sais, qui n'apprécient guère les jeux de David Perry et c'est naturel : leurs constructions, leurs partis-pris particuliers sont bien à part de tout ce que l'on a l'habitude de voir ailleurs (ce qui est toujours vrai aujourd'hui, en témoigne MDK, par exemple). Mais leurs qualités intrinsèques sont réelles quant à elles, et je me plais à les croire immortelles. Aussi, après la lecture de cet article, je ne vous demande qu'une seule chose : essayez, ou ré-essayez ce jeu. Et si vous êtes conquis, faites œuvre de prosélyte, et diffusez la bonne parole. N'oublions pas Earthworm Jim. Même s'il est aujourd'hui disparu et s'il semble peu probable qu'il ne revienne un jour, il se doit d'être dans le cœur des joueurs à jamais.

Au sommet de sa popularité, le ver a même eu droit à un dessin animé (qui ne dura que deux saisons, le temps de 23 épisodes seulement). À droite, Jim dans le jeu Clayfighter 63 1/3. C'est Dan Castlellaneta (doubleur des Simpsons [Krusty, Barney, Quimby...]) qui lui prête sa voix.
MTF
(21 janvier 2013)
Sources, remerciements, liens supplémentaires :
- Wikipedia pour des informations diverses.
- Le site Hardcore Gaming 101 pour des informations concernant les différentes versions, et certaines captures de cet article (lien).
- Le site Abandonware Magazine pour les informations venus de Nintendo Player et Ultra Player.

Merci à nicko pour les informations concernant les versions Dos et Windows.

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